Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Sculpteurs Alsaciens
Séquence 2
René Hetzel, Jean-Hans Arp
Un adepte du
Modern-Style, inlassable expérimentateur, un tenant de
l’art pour l’art qui a
atteint le point culminant de la virtuosité, un aventurier
de l’art au
tempérament fougueux qui a refusé toute
compromission et un héritier de la
double culture qui s’est lancé dans un nihilisme
somme toute sympathique avant
de suivre sa propre voie dans la perfection des formes.
Jean Ringel d'Illzach (1847-1916) Jean-Désiré Ringel
d’Illzach Musée
d’Art Moderne et Contemporain
Jean-Désiré Ringel
d’Illzach s’est
adonné aux expériences du Modern’Style,
allant jusqu’à «exprimer
l’inexprimable»(2):
les neuf symphonies de Beethoven modelées en cire
colorée… Certains le
nommaient «Le Gustave Moreau de la sculpture»
Sarah Bernhardt
Formé à l’Ecole
Nationale Supérieure
des Beaux-Arts de Paris, il devient sculpteur, médailleur,
dessinateur,
graveur. Cherchant inlassablement de nouveaux
procédés pour travailler les
métaux et les matières vitrifiables, il obtint
des émaux aux tonalités
étranges, semblables à des pierres
précieuses.
Il est connu pour ses médaillons en
matériaux divers: bronze, terre cuite, grès,
pâte de verre. Dans son atelier
parisien, il représente de nombreux hommes politiques, des
scientifiques, des
artistes, tels Charles Gounod, Louis Pasteur, Ernest Renan, Victor
Hugo, etc… Jean Ringel sculptant «Le Singe et le Dauphin» Le Singe et le Dauphin Fontaine
en grès flammé, 1903 Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Victor
Hugo Médaillon en bronze Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
Jean-Désiré Ringel a rejoint
le Cercle
de Saint-Léonard, fondé par Charles Spindler,
qui, face au Strasburger Kunstverein
d’obédience allemande et la Société
des Amis des Arts tournée vers
la France, promeut le renouveau artistique sous la
bannière alsacienne. «Un groupe qui croit en l’unité
de tous les arts, en un art appliqué qui remodèlerait une nouvelle
société.»
(3)
Ainsi, Jean-Désiré Ringel a
collaboré
avec Charles Spindler à l’élaboration
d’un meuble de musique en créant deux
cabochons en pâte de verre (vers 1903-1905). Meuble de musique, en
palissandre Charles
Spindler Cabochon en pâte de verre figurant une
allégorie Ringel
d’Illzach Masque du poète Maurice Rollinat Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg François-Rupert
Carabin (1862-1932) Carabin par Maurin, 1892
Le Modern’Style ou Art nouveau 1900
séduira un autre de nos sculpteurs, en la personne de Rupert
Carabin
(1862-1932).
François-Rupert
Carabin est né à Saverne. Il est le fils
d’un garde-forestier, qui est, depuis
1865, en poste dans la vallée de la Zorn, près du
hameau de Stambach, non loin
de Saverne. L’école est à cinq
kilomètres, il s’y rend à travers la
forêt qui
entoure la maison forestière. Ce profond contact avec la
nature sera une des
sources d’inspiration du futur sculpteur. En
1871, son père, refusant de servir
l’administration allemande, opte pour la France.
Rupert vivra à Paris, et fréquentera avec ses
quatre frères et sa sœur une
école de Montmartre. Dès onze ans, il doit
travailler pour subvenir aux besoins
de ses parents, son père étant à la
retraite. D’abord comme apprenti graveur
sur pierres fines, puis comme sculpteur sur bois pour des
tâches répétitives
qui ne lui apportent que la rapidité du geste. Il prend des
cours du soir: ce
sera sa seule formation scolaire artistique. Dans les cafés
de la Butte,
notamment «La Nouvelle Athènes» et
«Le Chat Noir», il rencontre
Toulouse-Lautrec, Manet, Monet, Degas, Forain, Henner, mais aussi
Majorelle et
surtout Gallé de l’Ecole de Nancy. Sa
première commande importante qui sera aussi sa
première grande œuvre, lui
viendra du riche ingénieur Henry Montendon, en 1890: une
bibliothèque en noyer qu’il
encadre de figures féminines allégoriques. Elles
font de cette réalisation, qui
s’écarte
délibérément des styles traditionnels
de l’époque, une composition
sculpturale autant qu’un meuble. «Elle
lui ouvre les portes de la notoriété.»
(2).
Cette bibliothèque est exposée au
musée d’Orsay. La bibliothèque
La bibliothèque, les
lectrices du couronnement En 1882,
il fonde avec Seurat et Signac, entre autres, le Salon des
Indépendants. «C’est
dire qu’il fait partie de
l’avant-garde de l’avant-garde»,
estime Robert Heitz.
Lorsqu’il prétend y exposer un meuble de sa
création, il essuie un refus parce
que les Salons, à cette époque, refusaient les
arts appliqués, et sous prétexte
que si on le permettait, «l’année
prochaine, on pourrait exposer des pots de
chambre…» Il gardera rancune de
cette discrimination jugée artificielle et injuste quand il
prendra la
direction de l’Ecole des Arts Décoratifs de
Strasbourg, en 1920. Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Autoportrait
Ayant commencé sa carrière
chez un
marchand de meubles du Faubourg St-Antoine, son matériau de
prédilection est,
et demeurera, le bois. «Le bois est
la
matière la plus admirable que la nature donne à
l’homme. Pour le culte de cette
matière, il faut des prêtres.»
proclame-t-il. L’origine de cette passion
est à chercher dans les forêts vosgiennes, cadre
de son enfance. Il affectionne
particulièrement le noyer qu’il polit longuement,
amoureusement, obtenant ainsi «le
grain d’une peau vivante.»…Quand
Albert Kahn, banquier juif, originaire de Marmoutier, lui passe
plusieurs
commandes dont une statue en marbre, Carabin refuse.
Décidément, il n’aimait
pas travailler la pierre!... Ses recherches
passionnées dans le domaine de l’ameublement le
conduisent à des réalisations
où «finalement, la
fonction propre de
l’objet – siège, buffet, vitrine,
bibliothèque, piano même – est
sacrifié au
libre jeu des formes et des arabesques.» Il
se distingue des autres adeptes du Modern’Style en
abandonnant le décor végétal
qui faisait florès… avec le
déroulement des
«lianes, des lys, des volubilis, des
pampres…» (2) Chez lui, les
animaux et les êtres humains prennent la relève,
traités en ronde bosse d’une
manière naturaliste. «Le
musée de
Strasbourg possède un fauteuil inventé par
Carabin, dont le siège est soutenu
par deux femmes nues, accroupies; les bras du meuble sont
remplacés par deux
gros chats, grandeur nature, et sur le dossier courent deux ravissantes
souris.»(2)
La femme tient une place
prépondérante,
voire obsédante… dans l’œuvre
de Carabin. Si bien que le critique A. de
Gaigneron se demande: «Que signifie
semblable obsession du thème féminin avec escorte
de chats, limaces, souris et
grenouilles, au point de parfois
éclipser la fonction du meuble?» Femmes
cariatides, écrasées sous le poids
qu’elles supportent ou subissent, sauvagement
attachées au dossier qui les
retient…De son côté, Marc Lenossos,
affectionne ses statuettes de femmes, «nettes
et polies comme de la chair ferme, elles
ont une grâce alanguie et
sensuelle. Ses chats,
frôleurs et
câlins, ont des allures de femmes…»
Quant à François Cacheux, il se dit «troublé»
par la virtuosité de Carabin: «Tous
les grands sont virtuoses, mais la
plupart la dissimulent derrière
l’émotion.».
Il faut dire qu’il était pour une
révolte de la sensibilité contre la
virtuosité du savoir-faire, du métier… Carabin et les femmes par Maurin, 1891 Table de travail, 1890 Femme support de table, 1890 Bague portée par Carabin en 1903/04
La fantaisie à laquelle il pousse
l’art 1900, aboutit à des créations
échevelées, dignes du gothique flamboyant «tel qu’il se manifeste sur le
maître-autel
de Vieux-Brisach.»
Ce fauteuil
dans lequel on n’oserait s’asseoir, comme
d’autres objets qui ne peuvent servir
à rien, atteste le goût de Carabin à
«l’art pour l’art».
Personnalité
exceptionnelle, Carabin a cherché à «abattre
les cloisons entre les diverses disciplines artistiques, tentative
parallèle à
celle de certains des plus audacieux novateurs
d’aujourd’hui.».
Photos:
Musées de Strasbourg Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Danseuse Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Danse bretonne Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Fauteuil Dos Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Fauteuil Paysanne au marché de Saverne Paysanne au marché de Saverne
En 1920, il est appelé à la
direction
de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg.
Rappelons que celle-ci a été
créée en 1890 par la municipalité,
sous l’égide d’Otto Back. La Kunstgewerbeschule avait pour objectifs
de promouvoir les arts appliqués, arts graphiques, peinture,
sculpture…Elle
marqua le renouveau de l’art en Alsace qu’elle sort
de l’engourdissement où
l’avait plongée le désastre de 1870.
Quand Carabin en prend les rênes, il
se trouve en présence d’un programme
fantôme, n’envisageant que le grand Art et
des programmes fantaisistes…Il va en faire une
école respectueuse de la
sensibilité, de la mentalité et des traditions
régionales, enseignant
l’artisanat d’art. «Une
école,
affirme-t-il, qui a pour but de créer et fournir
à nos industries d’art,
l’artisan d’élite supérieur
et exceptionnel complet, exploitant, dirigeant
ou exécutant. Ce que nous
recherchons ici, c’est le développement de
l’esprit créateur
dans la liberté la plus étendue».
Liberté
des programmes et des méthodes, liberté de
conception et d’exécution des
œuvres, rôle du professeur réduit au
minimum, constant appel à l’initiative
personnelle.
Et ce fut une réussite saluée
par les
critiques, notamment Aimé Dupuy et Camille Claus.
Consciencieux, ferme et
soucieux des résultats, sa renommée monte
jusqu’à Paris où les travaux de ses
élèves furent remarqués au Salon des
Beaux Arts. «L’Histoire de
l’Ecole, écrit Gabriel
Andrès, s’honore de
l’avoir eu comme directeur. Il a eu le mérite
d’avoir
réorganisé le fonctionnement de l’Ecole
avec doigté et le sens des réalités
que
ne pouvait avoir qu’un authentique alsacien, après
les dernières années de
guerre et la délicate période de flottement des
premières années
d’après-guerre.»
Après 1920, l’artiste
s’est effacé
derrière l’administrateur et le
pédagogue. Pourtant, il accepte de participer à
la conception et à l’édification de
deux monuments aux morts, à Saverne, en
1924 et à Lutzelbourg en 1927. Le musée de
Saverne conserve dans ses réserves
une maquette en plâtre représentant
l’ancien monument aux morts, œuvre de
Carabin et de Crombach, monument détruit par les nazis.
Heureusement, celui de
Lutzelbourg, également réalisé avec
l’architecte Louis Crombach est toujours
debout près du canal de la Zorn. La Maquette Le Monument aux morts de Saverne Le monument aux morts de Lutzelbourg La veuve et l’orphelin
«Sentait-il,
s’interroge Robert Heitz, que la
tendance
artistique dont il était un des champions les plus
éminents avait dépassé son
point culminant et allait entrer dans cette redoutable
période d’oubli et de
mépris qui est un des phénomènes bien
connus
de l’évolution des arts?» En
effet, les «voies
nouvelles» auront pour mot d’ordre: le
dépouillement, la rapidité, le
fonctionnel, le collectif. Donc, très exactement le
contraire de l’art de
Carabin, «entièrement
voué à la probité
artisanale, individuelle, au beau
métier» (3) Toujours
est-il qu’il abandonne les
audacieuses recherches d’ordre artisanal, touchant au bois,
au bronze, à la
cire et à la céramique
L’œuvre de Rupert Carabin,
inspirée
par la fantaisie et l’humour, servie par une
virtuosité stupéfiante n’a
laissé
personne indifférent. Elle doit être remise en
lumière comme une singularité
artistique de très haut niveau, émanant
d’un homme passionné qui a su faire
fructifier ses deux talents, artistique et pédagogique,
celui-ci ayant été
réservé à son Alsace natale
qu’il a toujours adulée. Fidélité à
l’Alsace René
Hetzel (1902-1972)
René Hetzel est né
à Strasbourg, le 24
septembre 1902. Il
est très tôt mis en
contact avec ce qui deviendra son art. A l’école
St-Thomas qu’à neuf ans il
fréquente, il suit un cours de modelage. En 1916, il est
admis à l’Ecole des
Arts décoratifs de Strasbourg, dans l’atelier de
sculpture, comme boursier, pour
un enseignement libre de tout frais. Son jeune talent fait sensation: «Il vient à peine
d’arriver, et s’en tire
déjà mieux
que vous, Ihr alte Esel.»
s’esclaffe le directeur (cité par Emmanuel
Honegger). Il y reste à peine deux
ans, s’ennuie ferme, refuse tout formatage. Sa jeune ardeur
demeure vierge, son
tempérament est intact. René Hetzel est un
autodidacte!...
A dix-sept ans, en 1919, il travaille
à Paris chez un tailleur de pierre et se montre
là encore rebelle à tout
enseignement artistique. Animé d’une force
indomptable – «Je suis une
force qui va»
aurait-il pu dire – il se tiendra à
l’écart, autant que possible, des
écoles
d’art. Il entreprend une vie nomade qui le ramène
à Strasbourg, puis à Paris,
le conduit en Avignon, à Marseille, à
Cannes…Ses tribulations le font échouer
à
Lampertsheim comme ouvrier agricole, consacrant ses soirées
au dessin et au
modelage. En 1920, il expose pour la première fois, «dans un quartier perdu de Strasbourg»
(8)
des figures aux déformations violentes, à la
musculature en «sac de
noix» (8) Pérégrin
infatigable, dessinant et modelant
inlassablement, «il trouve moyen de
se
marier, a un enfant. Alors, toute la force confuse de son inspiration
se
concentre sur ce sujet: la
Glorification de l’Enfant». (8) Il
va jusqu’à tailler dans la pierre «un
accouchement dans sa nudité
et crudité
totales…» qu’il a fallu
soustraire aux regards du président de la
République en visite au pavillon d’Alsace de
l’Exposition de 1925. Il accuse le
coup mais, longtemps encore, il sacrifie à ses pulsions
anticonformistes. En
1936, il abandonne la sculpture pour entamer une carrière
musicale. Il avait de
qui tenir: le dimanche matin, son père chantait et jouait de
la cithare,
accompagné, à deux voix, par ses enfants,
Mathilde et René. L’enseignement
que lui prodigue la contralto
Alice Reveau, lui fait aimer Brahms, Fauré, Schumann et
Schubert. Devenu
chanteur soliste, il fut remarqué par le grand chef
d’orchestre, Paul Paray
(1886-1979), qui l’encouragea à se lancer dans les
airs wagnériens. Mais,
Hetzel n’était pas à l’aise
sous les feux de la rampe. Signe de fragilité? Portrait d’Anne Ruf En
1952, après son divorce, il fait la connaissance
d’Anne Ruf. «Cette
rencontre qu’il vit comme
une illumination, bouleversa sa vie» (9),
comme, au début du moins, celle de la jeune femme, puisque,
de 1953 à 1959, ils
logent dans son atelier notoirement insalubre, perdu
derrière Bethesda…au 8,
rue Ellenhard. Ne vivant que de son art, il dut accepter des travaux
ô combien
alimentaires puisqu’il se faisait payer au repas par les
personnalités dont il
sculptait le buste… Les
nombreuses commandes privées de bustes rapprocheront Hetzel
de ses mécènes. Ce
sont ces opportunités qui, peut-être, le feront
sortir enfin du dilemme entre
expressionnisme débridé, qu’il
qualifiera lui-même de sauvage et affreuse
beauté, et académisme en s’adonnant au
portrait.
Robert Heitz, très
sévère à son égard,
voire injuste, tient l’expérience expressionniste
de René Heztel comme étant
une erreur, une outrecuidance, prétendant que la sculpture
ne saurait
impunément empiéter sur les domaines qui lui sont
étrangers: la littérature de
De Chirico, la peinture de Soutine, par exemple…Il va
jusqu’à dire que «la
plus belle statue est celle qui
n’exprime rien que de la plastique».
Jugement excessif, qu’avec Emmanuel
Honneger, nous rejetons.
Cette mutation radicale n’a pas
trouvé
son origine dans la nécessité de «se
plier au raisonnement»
(8)
mais, probablement, dans l’attirance vers la
pureté des formes et des volumes
de «l’art
égyptien et grec préclassique
qu’il aimait tant» (9) La spontanéité de
ses carnets de croquis, le face à face avec ses portraits,
la thématique de la
mère et l’enfant, une œuvre majeure
intitulée «Quête de sens» et
cette forme de
fragilité qui l’a fait renoncer au bel canto et
fuir les vernissages semblent
être les jalons de son évolution.
Certes, il a toujours été
attiré par
le modelage. Dès 14 ans, il fit le portrait de sa maman, une
sculpture
parfaitement ressemblante. Mais, ce qui, à
l’époque était pour lui un
délassement cessa de l’être si l’on en
juge d’après le rictus de concentration
qu’il fait en travaillant. «Une
profonde intuition, un instinct allant
parfois contre ce qui paraît être
l’évidence, lui permet d’aller beaucoup
plus
loin que la ressemblance physique.»(8)
sa cinquantaine de portraits sont des chefs-d’œuvre
de pénétration
psychologique du modèle, frisant parfois une cruelle
indiscrétion. L’un d’eux
le lui a indirectement reproché: «Vous
avez reproduit ce que j’ai toujours essayé de
cacher!»
«Le
voir aux prises avec le secret d’un visage est un spectacle
hallucinant,
nous rapporte Robert Heitz qui en a
été le témoin en tant que
modèle. (Veuillez
lire l’analyse de
l’œuvre qui en a
résulté René Hetzel au travail Robert Heitz Luc Hueber Louis-Philippe Kamm
L’académisme neutre ne pouvant
satisfaire son tempérament fougueux, ses bustes gardent la
marque de la
puissance et de l’expressivité.
L’aisance acquise, profite à ses grands travaux
qui lui font sculpter, en taille directe, sans maquette
d’énormes blocs de
pierre. «Ce sera une
série de grandes
réussites, d’une facture certes moins libre que
les portraits modelés dans la
glaise, mais où l’on sent enfin le sculpteur libre
de ses mouvements, libre de
suivre son inspiration.»(8),
dont «Quête de sens», œuvre
réalisée en 1948, serait l’exemple le
plus achevé
de son style monumental. «L’adolescent»
semble s’extraire de la gangue de
pierre, tel le novice qui, affrontant l’épreuve
d’initiation, accède à la
connaissance, à la maturité… La quête de Sens
Ensuite, vers 1968, la maladie fatale
s’étant annoncée, René
Hetzel, affine son style, va à l’essentiel,
c’est-à-dire, à l’esprit qui
est l’essence même de l’abstraction.
«En 1972, René Hetzel
dépose ses outils
devant Dieu» (9)
Vivant intensément la passion de son
art, qu’il a placé bien au-delà des
considérations mercantiles, René Hetzel
laisse le souvenir d’un homme de cœur, un
cœur généreux, à qui la vie
a appris
que l’on n’emporte pas ce qu’on a
reçu mais ce que l’on donne. Ainsi, a-t-il
offert à la commune de St-Vincent-de-Gonnezac deux
très beaux mémoriaux en
reconnaissance de l’accueil des
réfugiés alsaciens en Dordogne
durant l’exode de 1939. Connezac versant à boire à
Neudorf Jean-Hans
Arp (1886-1966) Portrait de Jean-Hans Arp Par
Henri Beecke, vers 1912
Hans Peter Arp est né à
Strasbourg le
16 septembre 1886. L’Alsace appartient depuis
quinze ans à l’Empire Allemand. En 1877, son
père s’établit à Strasbourg
où il
épouse en 1880, l’alsacienne
Marie-Joséphine Koeberlé, issue d’une
famille
française. Il tiendra donc de son père,
élevé dans la religion protestante, la
langue et la culture allemandes, et de sa mère et de sa
grand-mère maternelle,
l’héritage français et catholique. Les
Koeberlé pourraient également être
à
l’origine de sa vocation artistique, notamment par
l’entremise d’un oncle
tapissier-décorateur qui accueillera son jeune neveu de
dix-huit ans à Paris.
Dès l’enfance, Hans parle
l’allemand
et le français. Cette précieuse double culture le
conduira à adopter le double
prénom de «Jean-Hans».
Il parle
également l’alsacien. Adolescent, il
écrit des poèmes dans les trois langues.
Après
avoir fréquenté un cours privé proche
de la cathédrale, il entre au lycée de
garçons, futur Lycée Fustel de Coulanges. «Le
jeune Arp est trop distrait et rêveur pour y faire de bonnes
études. Mais, cet
élève si peu studieux en classe, dessine et lit
avec passion, à la maison, les
poèmes de Novalis, Brentano, Arnim et Rimbaud.» (10)
En 1900, son père l’inscrit
à la Kunstgewerbe Schule,
crée en 1890, qui
deviendra l’Ecole des Arts Décoratifs de
Strasbourg. Mais, supportant mal la
discipline imposée par l’école, il est,
dès l’automne 1901, mis en
apprentissage chez le peintre strasbourgeois Georges Ritleng, de onze
ans son
aîné. Son jeune professeur le met en contact avec
les peintres Emile Schneider,
Maurice Achener, des poètes tels que les jumeaux
strasbourgeois, Adolphe et
Albert Mathis ou encore René Schickelé, Ernst
Stadler, Otto Flake, René Prevôt,
collaborateurs à la revue
éphémère, Der
Stürmer, fondée par Schikele,
destinée à promouvoir la renaissance
artistique et culturelle de l’Alsace.
En
1903, Arp publie une gravure
représentant un paysage et, en regard, un poème
en
dialecte strasbourgeois.
D’autres poèmes suivront la même
année. Cet
engouement prouvera par la suite
qu’il accorde au moins autant d’importance
à
l’art poétique qu’à
l’œuvre
plastique. «Si par impossible,
affirme-t-il, j’étais
obligé de choisir
entre l’œuvre plastique et la poésie
écrite, si je devais abandonner soit la
sculpture, soit les poèmes, je choisirais
d’écrire des poèmes.»
Un
bref séjour à Paris chez son oncle
maternel, lui permet de rencontrer Fénéon,
l’inventeur du terme
«néo-impressionnisme», le nabi Bonnard
et Maillol
qui venait de se consacrer à
la sculpture. Paris, qui était alors la capitale mondiale de
l’art, là où se
forme le goût, où se lance la mode, où
se
rassemblent les artistes, où
s’élabore la peinture,
l’émerveille, le
fascine. Il veut y retourner. Mais son
père, estimant qu’il était trop jeune,
préfère l’inscrire à
l’académie
de
Weimar, en Allemagne. En 1908, enfin, il obtient de son père
l’autorisation de
retourner à Paris. Et c’est à
l’académie Julian, qu’il va parfaire sa
formation
artistique.
En 1909, il rejoint ses parents qui
avaient déménagé en Suisse,
à Weggis. Les recherches qu’il y effectue en
solitaire, lui font découvrir l’art abstrait. Il y
réalise ses premiers essais
de sculpture sur plâtre, guidé par Fritz Huf. Son
célèbre poème «Kaspar ist
tot» date
de cette époque. En voici un aperçu
éloquent… Weh, unser guter Kaspar
ist tot ………………………………………. Wer erklärt uns
die Monogramme in den Sternen Seine Büste wird
die Kamine aller Wahrhaft edlen Menschen zieren doch das
ist kein Trost und Schnupftabak
für einen Totenkopf
C’est à cette époque
qu’il prend goût
aux voyages. Mais il privilégie les rencontres avec des
artistes-peintres, des
sculpteurs, des écrivains, en Suisse, en Allemagne et
à Paris où il fait la
connaissance de Delaunay, Herbin, Modigliani, Picasso, Max Jacob, et
Apollinaire.
Il y rencontre également le collectionneur et marchand
d’art Henri Kahnweiler.
A partir de 1915, ils s’écrivent et se voient
régulièrement. Oscar
Lüthy – Blick auf Weggis, 1911 Aquarelle
sur papier
A Weggis même, il fonde en 1911, avec
Walter Helbig et Oscar Lüthy, le Moderne
Bund, premier mouvement artistique à vouloir
introduire et populariser
l’art moderne en Suisse, en faisant connaître le
cubisme de Picasso et la
«modernité» de Matisse et de Robert
Delaunay. Il participe à l’exposition du
groupe à l’Hôtel du Lac à
Lucerne, en 1911. La même année, il est
à Munich pour
la création du Blaue Reiter,
un
mouvement «qui cherche à
s’intégrer à la
nature et à l’univers, à retrouver une
sorte de poésie
symbolique et musicale.»
(11) Avec Kandinski, Marc,
Make, Klee, il participe aux expositions organisées en 1911
et 1912.
Dès 1914, il s’installe en
Suisse, à
Zurich où, avec d’autres artistes et
écrivains, il se met à l’abri de la
neutralité helvétique. Son exposition de collages
à la galerie Tanner de Zurich
impressionne son ami Kahnweiler. Il y rencontre Sophie Taeuber,
enseignante à
l’Ecole des Arts et Métiers de Zurich. Elle
deviendra son épouse en 1922 et
exercera une profonde influence sur son travail.
Le 5 février 1916, au N° 1 de la
Spiegelgasse à Zurich, Jean Arp, le roumain Tristan Tzara,
les allemands Hugo
Ball, Richard Hüesenbeck, inaugurent le «Cabaret
Voltaire» qui tient autant du
café-théâtre que de la galerie. Mais,
comme dit Robert Heitz, «Ce
patronage marquant encore d’une façon
trop raisonnable leurs intentions, c’est finalement
l’onomatopée enfantine de
«Dada» qui devenait leur image de marque. A grands
renforts de scandales et de
canulars, mais aussi d’esprit – Voltaire oblige
– les dadaïstes attaquent les
idées reçues, dans tous les domaines de la culture
et de l’ordre
social.» Kahnweiler juge leur nihilisme
«sympathique». Cette manière de
désespoir colle finalement bien avec l’air du
temps: la sortie d’une guerre meurtrière pour la
civilisation elle-même. «Mouvement de destruction
efficace»,
Dada se détruisit lui-même après
quelques expositions «hétéroclites,
groupant des artistes que rien n’unissait sauf leur
désir de changement. Ceux parmi ses créateurs ou
sympathisants qui avaient du
talent s’acheminèrent vers leur propre voie. Les
autres, les braillards et
ratés qui avaient suivi Dada, comme ils suivent toujours
tous les mouvements
extrémistes, retournaient à leur
néant.» (2)
Dada, en Suisse, a si mauvaise
réputation, que les autorités refusent
à Jean Arp la nationalité
helvétique…par
contre, il est accepté par la France, en 1924,
grâce au fait que sa mère,
rentrée à Strasbourg, a été
intégrée dans la nationalité
française parce
qu’elle avait été la sienne avant 1870
La route de Paris lui étant ainsi
ouverte, il s’y rend et découvre le
surréalisme naissant, mouvement «salutairement
réactionnaire, puisque, face
aux expériences
sommaires (de Dada) il a
osé rétablir –la belle notion du
fini-.» (2)
En 1925, Arp participe à la première exposition
du surréalisme, à Paris, en
compagnie de Chirico, Ernst, Klée, Masson,
Picasso…
Il serait abusif, d’après
Robert
Heitz, de classer Arp, «par paresse
ou ignorance»,
parmi les surréalistes.
Il l’est par moments. N’a-t-il pas «participé,
en 1912, à des
expositions
d’expressionnistes allemands sans être des
leurs?» (2).
Par contre, il est assurément abstrait dans ses dessins,
collages, peintures,
sculptures, surtout à l’époque
où, entre
1922 et 1943, il subit l’influence de
sa première épouse, Sophie Taeuber (1889-1943).
Ensemble,
avec le peintre et
architecte hollandais, Theo van Doesburg, ils réalisent,
à l’Aubette de
Strasbourg, la décoration d’un ensemble complexe
de salon
de thé, café,
restaurant, dancing…L’inauguration à
lieu en 1928.
L’œuvre peut être qualifiée
de «révolution incomprise»,
l’Aubette
étant devenue «la chapelle Sixtine de
l’art
moderne»!...Déconsidérée,
vandalisée, la décoration a
été
restaurée entre
1993 et 2006 et confiée aux Musées de la ville de
Strasbourg en 2009. Sophie Taeuber Sophie Taeuber: Composition Dada, 1920
Au lendemain de l’inauguration de
l’Aubette, Jean et Sophie se font construire une maison
à Clamart, dessinée par
Sophie elle –même. Elle abrite, depuis 1979, la
Fondation Arp, crée par
Marguerite Hagenbach, la seconde épouse de Jean Arp. Elle a
obtenu le label
«Musée de France» en 2004. Fondation Arp, le site
Ce n’est que relativement tard, en
1930, qu’il réalise ses premières
sculptures en ronde bosse et en 1953, sa
première sculpture monumentale (Berger
des nuages pour l’Université de
Caracas). «Elles
résument et incarnent dans la forme la plus classique sa
vision,
une vision d’une calme
sérénité, parfois
teintée d’humour […] Le
négateur
dadaïste
est devenu un grand classique, parce qu’il a su donner
à
son inspiration très
personnelle une forme parfaite.» (2) Dessin au crayon d’Eva Walgenwitz-Kim,
d’après le «Berger des
Nuages»
Jean
– Hans Arp décède à
Bâle, le 7
juin 1966, dans sa quatre-vingtième année.
En
1954, il obtient le Grand Prix International de la Biennale de Venise En 1965 l’Université de
Hambourg lui décerne le Prix Goethe
Bibliographie - Robert Heitz (2) – Etapes de l’Art alsacien XIXème et XXème siècles – saisons d’Alsace N° 47, 1973
- Gabriel Andrès - L’Art Contemporain en Alsace depuis 1950 – Saisons d’Alsace N° 47, 1973
- Jean-Hans ARP – Sable de Lune – Arfuyen – 2005
-
Yvonne Duplessis – Le
Surréalisme – PUF 1950
- Henri Heitz (3) – Savernois célèbres: Carabin François-Rupert (1862-1932) – Pays d’Alsace N°200, 2002
- Robert Heitz - Un artiste savernois injustement méconnu Rupert CARABIN (1862-1932)
-
Robert Heitz (8) – Le
sculpteur René HETZEL – Les portraits
– DNA, 1946
- Emmanuel Honegger (9) – René Hetzel. Carnet de croquis - Le Verger Editeur, 2012
-
Pierre Assouline – L’homme
de l’art, D.-H. Kahnweiler 1884-1979 –
Gallimard, 1988
- Gabriel Braeuner – L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge d’or culturel – Ed. belvédère – 2011
- Charles Wentinck (11) – Histoire de la Peinture européenne – Marabout Université – 1961
- Aimée Bleikasten – Jean-Hans Arp, note biographique
- Gilles Pudlowski – Dictionnaire amoureux de l’Alsace – Ed. Plon, 2010
- Jean-Hans Arp (10) – Sable de Lune – Arfuyen, 2005
-
Annick Woehl – Sophie
Taeuber-Arp, une artiste protéiforme au Kunstmuseum
de Bâle –
l’Alsace, samedi 10 avril 2021
-
Aimé Dupuy – L’Ecole
municipale des Arts décoratifs de Strasbourg
– La Vie en Alsace
- Camille Claus– 1, Rue de l’Académie – Saisons d’Alsace
- Robert Heitz – René Hetzel et Alfred Pauli – La Vie en Alsace
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