Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Sculpteurs Alsaciens
Séquence 1
La sculpture, comme
l’ensemble des arts, a de tout temps
été le témoin sublimé de
l’inventivité, du
sens de l’esthétique, des talents multiples des
artistes qui ont forgé la très
riche histoire de l’Art en Alsace. L’Alsace, terre
d’élection de l’art roman
s’est dotée d’abbayes et de
châteaux, preuves de l’excellence de sa
période
médiévale. L’art gothique, dans sa
forme la plus évoluée, le style rayonnant,
s’y est épanoui du XIIème au
XVème siècle. Puis, le foisonnement de tous les
arts
et surtout de la sculpture sur bois a abouti au baroque flamboyant.
Sans
omettre la Renaissance prolifique. Le rôle de
l’Alsace dans ces grandes époques
fut essentiel.
Dans la première moitié du
XIXème
siècle, rares sont les édifices qui
réclament l’adjonction de sculptures et
donc la collaboration de statuaires. Citons, en nous inspirant du
travail
d’investigation de Robert Heitz, Landolin
Ohmacht (1760-1834), d’origine souabe, à
qui nous devons les six Muses qui
ornent l’attique du théâtre de
Strasbourg ainsi que le monument
érigé à la mémoire du
général Desaix
tombé à Marengo en 1800, toujours debout, face au
Rhin, malgré les velléités
destructrices des nazis. L’œuvre
d’Ohmacht, de type néogothique, se
caractérise,
selon Robert Heitz toujours, par sa noblesse qui lui confère
une irrémédiable
froideur.
© Wordpress.com, 2011 Le buste d’Ohmacht Par Grass de Wolxheim Photo: Istra, 1973 Relief du monument Desaix Photo:
F. Walgenwitz Neptune Photo:
F. Walgenwitz Griffon Photo:
F. Walgenwitz Sphinx
Philippe Grass de Wolxheim
(1801-1876), son disciple, fut engagé au renouvellement de
quelque 300 statues
et reliefs de la cathédrale qui avaient
été détruits par les iconoclastes de
la
Révolution. « Homme
laborieux, il
fit de son mieux, mais ses statues
placées devant le portail sud, ne parviennent pas
à concurrencer les
divines figures de l’Eglise et de la
Synagogue.»(2) Icare Erwin von Steinbach Cathédrale
de Strasbourg Monument du général Kleber,
1840 Strasbourg Bataille d’Altenkirchen Bas-relief,
piédestal du monument Kleber André
Friedrich de Ribeauvillé (1798-1877) qui est sorti
des ateliers d’Ohmacht
et a collaboré avec lui au Théâtre de
Strasbourg, a suivi les cours de maîtres
réputés un peu partout à travers le
monde, notamment le fameux Thorwaldsen à
Rome, nous apprend Robert Heitz qui porte sur lui ce jugement sans
concessions: «Il a sans doute
été un bon élève,
docile, comme les aime chaque maître. Ce bon
élève, sans personnalité,
appliquant sans recherche, le métier appris, il
l’est resté toute sa vie. Ses
nombreux monuments en Alsace et en Pays de Bade relèvent
tous de la même morne
banalité.» Portrait d’André Friedrich Par
Théophile Schuler (1821-1878) Dessin
préparatoire à une lithographie Jean Hültz Strasbourg Monument Pfeffel Colmar Copie
de l’œuvre originale d’André
Friederich par Charles Geiss, 1927
Enfin,
Bartholdi vint!...Robert Heitz reconnaît en lui «un artiste d’une autre
classe».
Il salue son talent, sa facilité, mais il n’est,
dans sa critique, guère plus
indulgent qu’envers Friedrich… «Cette
facilité même, qui lui a valu la grande vogue
internationale, finira par tuer
en lui l’artiste. Chose regrettable, cet auteur
d’innombrables monuments est
assez dépourvu du sens monumental. Il a l’excuse
d’avoir vécu à une époque
qui
considérait précisément comme une
preuve de mauvais goût toute tendance à la
simplicité monumentale. Il s’agit là
d’une réaction compréhensible, contre
l’austérité glaciale du style
académique installé comme art officiel depuis la
révolution et l’Empire.»
Donnons, immédiatement à
Bartholdi, «l’auteur de
la plus grande femme et du plus
grand lion du monde», selon Hans
Haug, l’occasion de faire appel de ce jugement… Auguste
Bartholdi (1834-1904) Auguste Bartholdi, par Jean Benner, 1886
Né le 2 août 1834, à
Colmar, l’enfance
d’Auguste Bartholdi se déroule dans un contexte
culturel humaniste,
progressiste. Il n’avait que deux ans et son frère
Charles, cinq, quand leur
père est emporté par un cancer. C’est
leur mère, Charlotte, qui gère
désormais
le patrimoine familial et assure l’éducation de
ses fils. Elle encourage leurs
talents naissants pour le dessin et les initie à la musique.
En 1843, elle
s’installe avec eux à Paris, rue Denfert, afin de
leur offrir le meilleur en
terme d’instruction.
Au lycée Louis-le Grand, Auguste est
jugé turbulent, léger,
décontracté. Il dessine pendant les cours, ne
travaille
pas assez. Cependant, en candidat libre il décroche le bac
en 1852. L’année
précédente, Charlotte se rend avec ses fils
à l’Exposition universelle de
Londres, manifestation éclatante du progrès
apporté par la Révolution
industrielle. Puis elle organise pour eux un itinéraire
touristique à travers
la France.
C’est l’époque
où la famille Bartholdi
se rapproche du «peintre- poète» Ary
Scheffer (1795-1858) adepte du libéralisme
bien que luthérien. Ils ont en commun la culture allemande
et le goût pour
l’Alsace. Auguste devient son élève
attitré. Les trois premières œuvres
connues
de Bartholdi ont été
réalisées «sous le regard
tutélaire» de Scheffer, dont Le
bon Samaritain, réalisé à 19
ans, qui
se trouve au musée d’Orsay. Transposition en bas-relief du tableau d’Ary Scheffer «Françoise de Rimini», 1835
Plus profonde et déterminante encore
fut l’influence du poète et écrivain
Conrad Théophile Pfeffel, qui a connu
Goethe, Schiller, Lessing, Wieland…animateurs du mouvement Sturm und Drang, en rapport avec
l’Ordre des Illuminati. Ce
dernier, version radicale de la Franc-maçonnerie,
prônait, dans une même quête,
«une société laïque,
où la société serait
libérée de sa fonction normative, coercitive et
intrusive. Il s’agissait de
libérer les peuples de l’oppression et des
superstitions.» (1) Théodore-Conrad Pfeffel (1736-1809) Maquette
en plâtre blanc, projet non retenu. - 1857
En 1855, à vingt ans, Auguste Barthodi
répond à l’appel de l’Orient.
A l’instar de Pfeffel, il se considère comme un
citoyen du Monde. Son inclination maçonnique l’y
prédispose. Ce sera, dans le
cadre d’une mission que lui a confié le
ministère de l’Instruction publique,
qu’il
parcourra l’Egypte en compagnie du peintre franc-comtois
Jean-Léon Gérôme.
Pionnier en photographie, une technique qui le passionne, il devient
chasseur
d’images. De ses pérégrinations il
rapporte 103 photos, mais également 211
dessins et 28 études à l’huile car il
s’intéresse aussi à la couleur. Au matin du Nil Huile
sur carton
Le moment décisif de son
itinéraire
artistique est la confrontation avec le gigantisme des monuments au
service
d’une ambition métaphysique. De là, son
goût pour la monumentalité qui se veut
un moyen d’échapper à
l’académisme. C’est là
qu’il forge sa philosophie de la
sculpture, conçue «comme
un élément
révélateur et refondateur
d’un site,
d’un espace, d’une identité,
d’une idée.» (1)
Au lendemain du retour d’Egypte sont
inaugurés le monument dédié au
général Rapp et la
«fontaine-statuaire» en
hommage à Martin Schongauer. Parmi les sculptures qui ornent
le bassin, Auguste
Bartholdi s’est représenté
lui-même. C’est probablement son seul
«autoportrait». Le général Rapp Martin Schongauer Statue
qui surmontait la fontaine-piédestal de style
néogothique, érigée en 1863 dans
le cloître du couvent des Unterlinden Musée
Unterlinden
La ville de Colmar lui confie, en 1857,
de concevoir un hommage à l’amiral Bruat qui avait
combattu en Crimée,
notamment au siège de Sébastopol. Ce sera une
autre «fontaine-statuaire»,
formule de prédilection du sculpteur. Les quatre figures
allégoriques dont la
fontaine est parée et qui sont d’une
étonnante expressivité, symbolisent les
expéditions et voyages entrepris par l’amiral.
Parmi elles, remarquons
l’Océanie au visage exotique, «prouesse
de spontanéité et de beauté.
Peut-être la plus belle femme qu’il ait
sculptée.».(1)
C’est l’épouse, d’origine
mexicaine par sa mère, d’un avocat colmarien
Jules-Mathieu de Saint-Laurent
(arrière-grand-père du
célèbre couturier)
qui fut choisie comme modèle.
Arrêtons-nous
également devant le Noir africain de belle allure qui
inspira au jeune Albert
Schweitzer sa vocation humanitaire.
Victime, en grande partie, du
vandalisme nazi, le monument fut en partie reconstruit en 1958. La
maquette de
l’œuvre est conservée au
musée Bartholdi. L’Océanie Tête
du monument Bruat
En représentant des victimes de la
colonisation, Bartholdi a fait de ce monument un manifeste de la
tolérance, de
l’humanisme, de la liberté en écho
à ses convictions maçonniques. Et ce,
à une
époque où le colonialisme était
amplement justifié par sa mission
civilisatrice.
Autre projet éminemment
maçonnique: un
phare pour Suez dont l’isthme va être
percé par son ami Ferdinand de Lesseps,
en 1869. Il ne se réalisera pas, mais il aura le
mérite d’inspirer à Gustave
Bartholdi le «Liberté éclairant le
Monde». La maquette en terre cuite,
conservée au musée Bartholdi
en
témoigne. Projet de phare pour Suez, 1869 Le
diadème sert de source lumineuse
Auguste Bartholdi participe activement
à la guerre de 1870, sous les ordres du
républicain Gambetta, en tant que
délégué auprès de
Garibaldi. Plaçant haut les valeurs de la
République et de la
Démocratie, il est profondément
affecté par l’annexion de l’Alsace
à l’Empire
allemand. Son engagement comme chef d’escadron des Gardes
Nationaux, le porte à
réaliser le tombeau des trois Gardes, Voulminot, Wagner et
Linck, tués le 14
septembre 1870 sur le pont de Hombourg lors de
l’entrée des troupes prussiennes
dans la ville. Le monument funéraire, en grès
rose des Vosges et en bronze a
été inauguré en septembre 1872. Il
représente un soldat qui soulève la pierre
tombale et cherche à saisir son épée
pour continuer le combat.
La tombe connaîtra le sort de bien des
manifestations du patriotisme alsacien: en 1916, elle est
démantelée et
reléguée au musée Bartholdi. En 1919,
elle est remise en place. En 1940, elle
est détériorée et enlevée
par les nazis. Enfin, en 1945, à la Libération,
elle
réintègre sa place au cimetière du
Ladhof Le tombeau des Gardes Nationaux Cimetière du Ladhof à Colmar
Green River (Utah), 1871 Aquarelle,
lavis et gouache
Au lendemain de la guerre de 1870,
Auguste Bartholdi part aux Etats-Unis
L’Amérique est à la
mode. Certains
républicains regardent les institutions des USA comme le
modèle que la France
devrait adopter. Auguste Bartholdi va y faire des rencontres utiles
d’hommes
politiques, jusqu’au président Ulysses S. Grand.
Se révèle en lui une
remarquable aptitude à s’intégrer dans
les cercles influents. Une Union Franco
Américaine est créée pour recueillir
les fonds nécessaires pour la réalisation
de la statue de la Liberté qui sera un hommage à
la jeune démocratie dont
l’indépendance date de1776.
Bartholidi choisit d’habiller la
statue de cuivre repoussé. Il confie le soin de concevoir la
structure
métallique à Gustave Eiffel. «Le
monument
est monté à Paris, démonté,
transporté en caisses, par bateau, puis remonté
à New-York.
Soit 120 000 kg de fer, 80 000 kg de cuivre. Les rivets, rondelles,
boulons
occupent 36 caisses.» (1) La statue
édifiée sur
Bedloe’s Island, mesurera 93 m de haut!... La liberté Jardin
du Luxembourg
La réalisation sera longue et
difficile. Il faudra compter 15 ans jusqu’à
l’inauguration, en 1886. Les
raisons sont d’ordre financier, politique,
et géopolitique. L’argent de la
souscription tarde à venir. Il faut
vaincre l’indifférence de certains milieux
américains englués
dans la doctrine «Monroe». Les
Américains rechignent à financer le
piédestal. Enfin, grâce à quelques
hommes
politiques et hommes d’affaires en majorité
francs-maçons, le financement est
acquis. Au grand soulagement de Bartholdi, l’inauguration est
célébrée le 28 octobre 1886 en
présence
du Président Stephen Grover Cleveland.
La réalisation du Lion de Belfort ne
sera pas non plus un long fleuve tranquille. En fait, il sera long,
mais pas
tranquille du tout…
En 1871, le conseil municipal de
Belfort décide d’édifier un monument
dédié à la vaillante
résistance du colonel
Denfert-Rochereau, faisant de Belfort le symbole de
«l’honneur dans la
défaite». La demande est faite à
Bartholdi en 1972. Sur le modèle égyptien de
Gizeh, il décide d’utiliser l’espace au
maximum. Il imagine donc un lion
gigantesque adossé aux escarpements de la citadelle, un
animal monumental
visible de partout. «Une
œuvre bien
personnelle à la ville, dit-il au maire, non un de ces monuments qui puissent se placer
n’importe où, accompagné
d’allégories complexes péniblement
cherchées…» Elle
démentira le soupçon
d’académisme qui colle à sa
mémoire d’artiste sérieux, par son
expression de
force tranquille, son individualité et sa parfaite
intégration dans le paysage.
Son sujet est retenu en 1973 avec, à
la clé, une souscription nationale. Celle-ci,
malgré les pâles résultats
obtenus à Belfort même, un paradoxe, rencontre un
franc succès. Les sommes
récoltées atteignent le double du montant des
frais escomptés. Mais le lion se
fait attendre!... Le Lion de Belfort Carte
postale
Ce n’est qu’en 1888,
à l’annonce de la
visite du président de la République, Sadi
Carnot, que le gigantesque félin
sera installé, l’inscription
commémorative gravée, le rocaillage du
piédestal
achevé…Pour autant, Auguste Bartholdi
n’est pas au bout de ses peines: la
propriété intellectuelle de son lion
n’est pas respectée. Peu rancunier, il
s’engage avec la municipalité, dans la conception
d’un monument commémoratif
dédié aux protagonistes des trois
sièges que l’Histoire a imposés
à Belfort: le
commandant Legrand (1813-14), le général Lecourbe
(1815) et le colonel
Denfert-Rochereau (1871). Ce sera le Monument
des Trois Sièges qui se dresse place de la
République. Bartholdi peut
présenter sa maquette au Salon de Paris en 1903, mais son
décès survenu le 4
octobre 1904 le prive d’assister à
l’inauguration de son ultime
œuvre.
Notons que Jeanne-Emilie, son épouse
devra se battre pour que le monument soit achevé dans le
respect des idées de
Bartholdi. Le 15 août 1913, un an avant sa mort, elle
assiste, enfin, à
l’inauguration du monument des Trois Sièges.
Souffrant d’être
coupé de ses racines
et de ses biens, l’Alsace étant devenue
inaccessible, la petite province perdue
fut une de ses principales sources d’inspiration. En
témoignent les monuments
dont il a doté Colmar:
1856 – Monument au
général
Rapp (Place Rapp)
1863 – Monument Schongauer
(Musée Unterlinden)
1864 – Fontaine-statuaire à
l’amiral Bruat (Champ de Mars)
1869 – Le petit Vigneron
(Marché couvert)
1888 – Fontaine Roesselmann
(place des 6 Montagnes noires)
1894
– Monument à Gustave-Adolphe Hirn (Square)
1898 – Fontaine Schwendi
(Place de l’ancienne Douane)
1902 – Grands Soutiens du
Monde (Cour du musée Bartholdi)
1902 – Le Tonnelier alsacien
(Pignon de la Maison des Têtes
Lors
de l’inauguration de la fontaine Roesselmann, «les
officiels découvrent avec quelque irritation que le
héros rebelle
du XIIème siècle, qui les toise du haut de son
piédestal, porte les traits du
très francophile Peyrimhoff, à qui les
autorités allemandes avaient demandé la
démission de son poste de maire. Il s’agit
d’un malicieux clin d’œil de
Bartholdi à ceux qui, dans sa ville natale, ne
désespèrent pas de retrouver un
jour leur patrie perdue». (4) Roesselmann Schwendi Monument Hirn Colmar Grands soutiens du Monde, 1902 Cour du musée Bartholdi Le Tonnelier Etain, pignon de la Maison des Têtes Esquisse de 1901. Le pichet est remplacé par une bouteille, le gobelet par un verre à pied, le maillet placé sur le flanc gauche Ses
dernières grandes œuvres attestent son immuable
patriotisme dans Gambetta, les Aéronautes de 1870-71, La
statue équestre de Vercingétorix, La
Suisse secourant les douleurs de
Strasbourg pendant le
siège de
1870-71, sculpté dans un bloc de marbre blanc,
qu’il offre à la ville de
Bâle et qui lui vaut, au Salon de Paris, la
médaille d’honneur de sculpture,
ultime consécration. Gambetta Monument aux aéronautes du
siège de Paris, 1906 Maquette,
1902 Statue
équestre de Vercingétorix Esquisse.
Statue édifiée à Clermont-Ferrand en
1903 La Suisse secourant les douleurs de Strasbourg,
1895 Réduction
en bronze du groupe sculpté Au
temps du Reichsland (1871-1918)
Parmi les nombreuses statues
érigées
durant l’ère allemande de 1871 à 1918
perdues pour la plupart «sans
qu’il y ait eu lieu d’en déplorer la
perte», Robert Heitz retient le monument
dédié au jeune Goethe, placé
devant l’université, dû au sculpteur
allemand E. Waegener (1904), «d’une
exécution correcte»! Il
évoque
également les mésaventures de «la
grande figure de bronze du «Vater Rhein»,
érigée Place Broglie, malencontreusement
placée, puisqu’elle «offrait
aux spectateurs sortant
du théâtre, la
partie charnue de son anatomie et devint ainsi rapidement la cible
de la verve populaire».
C’était
pourtant une œuvre de valeur «qui
valait bien
la plupart des monuments
strasbourgeois» (5), due à Adolf
Hildebrand, le rénovateur en Allemagne du style classique,
reconnaît notre
critique avisé. Le «Père
Rhin» déserta Strasbourg pour les bords de
l’Isar à
Munich, en échange du charmant et espiègle
Meiselocker qui égaie, depuis, la
paisible Place St-Etienne. Alfred
Marzolff (1867-1936) Alfred Marzolff par Emile Schneider
C’est le «Mouvement de
Saint-Léonard»,
initié par Anselme Laugel et Charles Spindler,
né, «comme un conte de
fées» au pied du Mont Sainte-Odile, qui
mit fin
à la prépondérance des sculpteurs
allemands en permettant à Alfred Marzolff (1867-1936)
de s’affirmer. Robert Heitz lui reconnaît un
tempérament fougueux, «très
viril», qui le rapproche de Rodin
et qui n’est pas sans rappeler «la
passion douloureuse des «Bourgeois de Calais»
ou de la «Porte de l’Enfer».
Ses ébauches, au modelé rugueux,
impressionniste, le rapprochent également du
Maître parisien. Peu de ses œuvres
ont survécu au vandalisme nazi, notamment ses monuments aux
morts. «Encore, affirme
Heitz, ne faut-il pas juger le
maître sur ses
œuvres trop achevées à notre
goût, qui sont largement le travail de praticiens.
Les maquettes que j’ai vues jadis dans son atelier
témoignent mieux de son
inspiration et de la puissance de son modelé.» Maquette de la «Marseillaise» Médaillon d’Emile Salomon Jacques Sturm, Strasbourg Victor Nessler, Orangerie Le Pelleteur Restauré
par Jean Henninger en 1945
A
l’opposé de la conception
esthétique
de Marzolff, il y a Albert Schultz Albert
Schultz (1871-1953) Albert Schultz Les
promeneurs de l’Orangerie sont toujours sous le charme de la
fine silhouette de
sa Gaenzeliesel qui, revenant du marché du Corbeau,
défend son panier de
victuailles des assauts d’une oie. Commandée en
1898 par l’architecte de la
ville M. Ott, elle a été placée
là, au milieu d’un magnifique parterre de
fleurs. L’amusante anecdote est évoquée
dans un élégant mouvement, symbole de
liberté. Elle est devenue si populaire qu’elle est
un des emblèmes de
Strasbourg au même titre que l’Homme de Fer. S’Gaenseliesel Parc
de l’Orangerie
Albert Schultz est né le 15 avril 1871
au N°24, rue de l’Or à Strasbourg. Son
père, Michel-Jacques était
menuisier-ébéniste. Il se marie en 1896,
à Paris, avec sa cousine-germaine,
Caroline Schultz. Albert Schultz est
décédé le 6 décembre 1953,
à Strasbourg.
Il fréquente l’Ecole des Arts
Décoratifs de sa ville natale de 1891 à 1892.
Ensuite, et jusqu’en 1895, il
poursuit ses études à Munich, suite à
l’obtention d’une bourse, sous la
direction de Dock et de Von Ruemanns. «Les quatre
Saisons» qui ornent la façade
de l’ancien Magmod, rue du 22 Novembre à
Strasbourg, datent de son retour de
Munich. Il installe son premier atelier de sculpture dans le quartier
de la
Krutenau. Après 1896, il se fait construire, 7, rue du
Cimetière Militaire, une
maison «néo-régionale»
à pans de bois et oriel ouvragé de sculptures,
assortie
d’un atelier où il sera actif jusqu’en
1924. A partir de 1924 et jusqu’à sa
mort, il habite et travaille au N° 9, boulevard
Déroulède. L’Automne Façade
de l’ancien Magmod
Dans la période allant de 1934
à 1939,
il est professeur à l’Ecole des Arts
Décoratifs de Strasbourg, sous la
direction de Georges Ritleng. Chevalier de la Légion
d’Honneur, Officier de
l’instruction Publique, Membre de la
Société des Artistes Alsaciens, Albert
Schultz jouit de la considération de ses pairs et de
l’affection de ses élèves.
Son œuvre abondante et variée
inspire
le plus grand respect et
une admiration
sincère à Marc Lenossos qui reconnaît
que Schultz demeure marqué par son époque
qu’on pourrait qualifier de
«néoromantique», sensible à
la finesse «jolie» qui
plaisait au début du siècle. Alors que Robert
Heitz, plus tranchant, déplore
qu’il soit «devenu la victime de
l’académisme»… Cependant, nos deux
éminents critiques sont d’accord pour affirmer
qu’Albert Schultz est à la fois
un incomparable modeleur et un exquis créateur de
statuettes. Dans tous les cas
l’exécution est admirable et remarquablement
consciencieuse. Point
d’improvisation ni de taille directe…
De son œuvre monumentale
considérable
se distinguent notamment «Herrade de Hohenburg» et
«Frédéric Barberousse» du
Musée Historique de Haguenau, les allégories des
quatre saisons de la façade de
l’ancien Magmod, «L’ange
pacificateur» du monument aux morts d’Enzheim qui
est «très noble et fort
beau; les draperies qui le voilent
sont dignes de Jean Goujon»,
reconnaît Marc Lenossos. Si le goût est parfois
discutable, cela est dû aux
exigences souvent surprenantes des commanditaires. On pourrait citer
itons
l’exemple de Rouffach…
Marc Lenossos est d’avis que Schultz a
concentré le meilleur de son œuvre dans
«des œuvres d’appartement»,
c’est-à-dire de dimensions réduites.
«La fille des Géants du Nideck» est
considérée comme un pur
chef-d’œuvre. Le groupe de vendangeurs
plaît par sa
composition pyramidale, l’élégance des
formes et le «naturel» des attitudes.
Ses nombreuses médailles et bas-reliefs
étonnamment expressifs et finement
précis sont des œuvres d’art parfaites.
Harmonie et pureté des lignes,
vérité
des mouvements, beauté plastique s’imposent
à nous et forcent notre admiration. Herrade de Hohenburg Musée
historique de Haguenau Frédéric Barberousse Musée
historique de Haguenau Vendangeurs Roses et Epines Photo: Musées de Strasbourg. M. Bertola Bronze
patine noire Musée
des Arts modernes et Contemporains de Strasbourg. Legs 1954 Jeanne d’Arc brisant son
épée Musée
des Arts Modernes et Contemporains de Strasbourg Phryné Bronze
doré, legs 1954 Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg Maquette de l’ancien monument
français de Wissembourg (Colline
du Geisberg) Monument français du Geisberg Photo
prise avant l’enlèvement des quatre
emblèmes aux coins du socle. Ces emblèmes
dont la suppression a été demandée par
les autorités allemandes, furent enlevés
le 18 octobre 1909, avant-veille de l’inauguration. Ils
symbolisaient les
quatre grandes époques au cours desquelles on se battant
autour de Wissembourg A
droite de la photo, Albert Schultz, auteur du monument.
«A
l’appel de son coq
claironnant et
fier se réveillèrent soudain les échos
d’une Marseillaise prohibée. Ce fut
comme un sursaut de la fidélité
française à l’occasion de
l’érection d’un
immortel chef-d’œuvre.» Marc Lenossos
Professeur à l’Ecole des Arts
Décoratifs, Albert Schultz a compté parmi ses
élèves Paul Spindler pour la
sculpture et le modelage, domaine dans lequel le jeune talent du fils
de
Charles s’est pleinement
affirmé
Paul Spindler représente ses amies,
les jeunes filles Bugatti, des visages expressifs, des attitudes
marquées du
sceau de l’élégance et du naturel. Il
sculpte ses proches et notamment son
père, une réalisation immortalisée par
Charles Spindler dans son autoportrait
avec Paul en train de le sculpter dans l’atelier de
Saint-Léonard. Il sculpte
en plâtre Lothard von Seebach, son professeur de peinture
qu’il fréquente dans
son atelier perché dans la vieille tour de
l’hôpital de Strasbourg. Il
manifeste son amour pour le bois en sculptant en tilleul recouvert de
placages
de loupes diverses, le chat de la maison Charles Spindler Autoportrait
avec Paul sculptant le buste de son père –
Aquarelle – vers 1931 L’Enfant B., 1948 Lothar von Seebach Sculpture en plâtre Le Chat (vers
1930) Tilleul
recouvert de placages de loupes diverses Bibliographie -
Collectif – Le
Travail des Sculpteurs – Les racines
du Savoir, Gallimard – 1993
-
Mary-Jane Opie – La
Sculpture – Passion des Arts,
Gallimard – 1995
-
Karine Delobbe – Histoire
d’un Art: La Sculpture – Ed.
PEMF – 2002
-
Robert Heitz (2)
– Etapes de l’Art
alsacien XIXème et
XXème siècles – saisons
d’Alsace N° 47, 1973
-
Gabriel Andrès - L’Art
Contemporain en Alsace depuis 1950
– Saisons d’Alsace N° 47, 1973
-
Robert Belot – Bartholdi,
L’homme qui inventa la liberté
– Ellipses – 2019
-
Robert Belot (1)
– Bartholdi, portrait intime du
sculpteur
– I.D. l’Edition – 2016
-
Ville de Colmar – Musée
Bartholdi – Exquises esquisses,
dessins
d’Auguste Bartholdi,
1834-1904 –
Musée Bartholdi 2014
-
Michel Loetscher et
Jean-Charles Spindler (3)- Charles, Paul,
Jean-Charles Spindler, un
siècle d’art en Alsace – La
Nuée Bleue, 2005
-
Gabriel Braeuner –
L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge
d’or culturel – Ed.
belvédère – 2011
-
Charles Wentinck – Histoire
de la Peinture européenne –
Marabout Université – 1961
-
Gilles Pudlowski – Dictionnaire
amoureux de l’Alsace – Ed. Plon,
2010
-
Aimé Dupuy – L’Ecole
municipale des Arts décoratifs de
Strasbourg – La Vie en Alsace
-
Camille Claus – 1,
Rue de l’Académie – Saisons
d’Alsace
-
Janine Erny (4)
– Théophile Klemm
(1849-1923). Un maître
de l’art sacré – Editions du
Net, 2012
-
Robert Heitz (5)
– Les sculptures de
l’Orangerie – La
Vie en Alsace
-
Marc Lenossos – Le
Sculpteur Albert Schultz – La Vie en
Alsace, 1937
-
Hans Haug – L’Art
en Alsace – Arthaud, 1962
-
Alexandre Dumas – Causeries
d’un voyageur, de Nerval à Ohmacht –
«Le Pays», 1854 |