Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr
                      

 

Roger Mühl 

La modernité sereine 

  

Roger Muhl 29c.jpg © Collection particulière
Roger Mühl



Roger Mühl a su mettre du talent dans son œuvre; un talent qui s’est imposé irrésistiblement à deux moments-clés de l’existence: sa scolarité et le lancement de sa carrière. Il a mis du génie dans sa vie en créant dans l’enthousiasme, sans lequel on ne fait rien de grand.

 

    Roger Mühl est né le 20 décembre 1929 à Strasbourg dans une famille de graveurs. «Au XVIIIème siècle, nous étions déjà des artistes», aimait-il à préciser. Il a passé son enfance dans le petit village de Krautwiller, à 18 km de sa ville natale. Il grandit en liberté dans ce hameau paisible, niché au milieu d’une campagne dont il découvre et apprécie tous les secrets. Ce qui explique le besoin qu’il éprouvera de «vivre au contact de la flore et de la faune agreste, une faim jamais assouvie d’horizons dégagés» (1) Seules l’influence de sa famille et celle de ses petits camarades le marqueront. A l’école communale de Krautwiller, il est l’élève de son père, instituteur.

 

Roger Muhl 30c.jpgCollection particulière

Chemin de Krautwiller

Huile sur toile, 46 x 38 cm (1950-60)

 

    A l’âge de dix ans, il entre au lycée Kléber de Strasbourg, où il se rend chaque jour en passant par Brumath. Son attirance pour la nature s’épanouit dans sa vocation précoce pour le dessin et la peinture. Ses loisirs se partagent entre les croquis, les esquisses aquarellées; il s’applique à des portraits; il se plaît aux travaux des champs à la ferme de son oncle, gardant les bêtes au pâturage, participant aux moissons.

 

    «La moisson… Que de fois, se souvenant de son enfance, ne l’a-t-il pas traitée dans ses gouaches ou huiles, transfigurée par sa vision particulière en volumes enrobés d’une poussière d’or, aux chromes vibrants d’une intensité majeure, à l’apogée du pur éclat, y faisant passer en une magistrale synthèse tous les frémissements de la nature.» (1)

 

Roger Muhl 31c.jpgCollection particulière

Moissons en Alsace

Huile sur toile, 100 x 50 cm (1961-70)

 

          Les années sombres de la Deuxième Guerre Mondiale le marqueront comme elles ont marqué tous les jeunes de sa génération. L’adolescent, qui a 16 ans à la Libération, entre en classe de Seconde. Privé pendant quatre ans de la pratique de sa langue maternelle, il se trouve handicapé comme la plupart des jeunes Alsaciens. Or, il s’agit de passer le bac; ce qui ne s’avère pas évident.

          De fait, il consacre à la peinture la majeure partie de son temps libre. «Il s’y adonne avec d’autant plus de fougue qu’il a secrètement conscience de l’épanouissement graduel de son talent.» (1) Il acquiert la technique et, pour le moment, s’applique à reproduire fidèlement, scrupuleusement, les images que la vie lui transmet. Cependant, pointe déjà l’affirmation de sa personnalité.

          Un incident heureux va mettre un terme à l’inquiétude que lui cause l’obtention du bac. Son professeur venait d’acheter chez un marchand strasbourgeois de couleurs, à l’enseigne de «La Palette d’Or», deux tableaux signés Mühl… «Intrigué par la similitude des noms, il demanda un jour à son élève s’il ne se trouvait pas, dans sa famille, un peintre de ce nom. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre  que Roger en était l’auteur; il lui conseille sans détours, vu l’impossibilité qu’il aurait de rattraper son retard en français, de se vouer entièrement aux arts.» (1)

          C’est ainsi, qu’à l’initiative d’un pédagogue clairvoyant, Mühl s’inscrit à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Il y reste trois ans, de 1947 à 1949. Elle est, alors, sous la direction de Louis-Philippe Kamm. Il est l’élève de Gustave Lehmann, aquarelliste, décorateur d’églises, notamment… Il conservera de son maître un souvenir inaltérable de reconnaissance.

          A l’EADS, il se lie d’amitié avec un étudiant nommé Jean-Pierre Haeberlin dont il ornera plus tard le restaurant de ses plus grandes toiles. Aujourd’hui, grâce à cette amitié, l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern est devenue l’un des plus beaux restaurants-galerie du monde

 

Roger Muhl 32c.jpgCollection particulière

Jean-Pierre, Marc et Paul HAEBERLIN

 

 

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Paysage de Provence

Huile sur toile ornant l’Auberge de l’Ill

 

          Jean-Pierre qui nous offre son aimable témoignage: «C’est en 1947, à l’école des arts décoratifs de Strasbourg que j’ai fait la connaissance du benjamin de la Section Peinture: Roger Mühl. Notre camaraderie d’abord, s’est vite transformée en une profonde amitié qui n’a cessé de se confirmer au fil des années.» (2)

 

          En 1948, Roger Mühl entre dans la revue «Barabli» de Germain Muller comme décorateur et régisseur de plateau tout en fréquentant l’EADS en tant qu’élève libre. Cet intéressant épisode est interrompu par le service militaire qu’il effectue de 1950 à 1952 dans les casernes de Belfort, Auxerre et Nevers, avant d’être appelé à des tâches monotones dans les bureaux de la cartographie de la Défense Nationale.

          Libéré des obligations militaires, il retrouve un temps, en 1953, le «Barabli»; il tient les mêmes fonctions au «Théâtre Central». A la demande d’un architecte local il réalise des décorations dans des écoles d’Alsace et, à l’instigation du ministre de l’Education Nationale, en Bretagne et en Normandie. A cette occasion, il invente une technique de ciment coloré dans la masse où toutes les nuances peuvent s’affirmer.

          L’événement marquant de 1953 est sa première exposition personnelle à la Maison d’Art Alsacienne à Strasbourg et Roger Mühl a la satisfaction de voir le MAMCS acquérir deux de ses gouaches. En 1954-55, il est à Paris où il réalise la décoration murale d’écoles. Il en profite pour visiter assidument les musées, attiré par les éminents modernes que sont, à divers titres, Delacroix, Van Gogh, Manet, Picasso, Braque, Villon…

          En 1956, son destin se détermine: il se marie avec Jacqueline Friez, affectueusement appelée «Line», la fille du vétérinaire de Montreux-Château, dans le Territoire de Belfort, où il vivra une quinzaine d’années. Elle deviendra sa muse. Cet événement heureux donne un nouvel élan à sa peinture, il en hâte le développement.

 

Roger Muhl 34c.jpgCollection particulière

Line

Huile sur toile (1970), 150 x 160 cm

 

 

          A partir de 1955, il s’engage dans une nouvelle phase de sa vie: celle des voyages à l’étranger, «c’est ma femme qui me pousse», avoue-t-il, qui le mèneront en Hollande, en Allemagne, dans les pays scandinaves, en Espagne et surtout en Italie où il se rend plusieurs fois, attiré par l’art des Quattrocento et Cinquecento. Mais c’est Florence qui l’enchante, ses monuments, son Musée des Offices…

 

Roger Muhl 35c.jpgCollection particulière
Venise
Huile sur toile, 100x81 cm (1961-70)
 

 

          Les années 1955 – 58 vont leur petit bonhomme de chemin, avec, cependant, une exposition personnelle à Fribourg et plusieurs commandes de décorations. Roger Mühl travaille beaucoup pour le 1% artistique que doit comporter tout projet d’édifice public, à Mulhouse, à Ittenheim, au temple d’Ostheim, à la mairie de Mittelwihr, au temple d’Illhausern…. Il décore des Boeings, crée des vitraux, travaille à Aubusson pour produire des tapisseries…

          L’architecte et le pasteur d’Ostheim confient à Roger Mühl, en 1956, l’aménagement du chœur. «On me demandait, rapporte-t-il, d’y insérer les éléments matérialisant en quelque sorte la rencontre de Dieu avec les hommes: fonts baptismaux, autel, chaire. C’était à la fois facile de suivre la voie tracée, et très difficile: ainsi le grand mur du fond en pierre de taille brute, si imposant, monumental, risquait d’écraser une forme trop classique. […] Dans cet ensemble, pas de croix de bois ou de fer forgé, trop grêles. Seule une croix de pierre, au Christ gravé, pouvait marquer l’unité profonde entre les trois éléments… […] Sur le pignon Nord, un grand Christ en fer forgé étend ses bras bénissants…»

          Ce précieux témoignage de l’artiste prouve son sens affiné de l’esthétique et sa conscience aigüe de la mission qui lui était confiée.

 

Roger Muhl 36c.jpgCollection particulière
Christ gravé


Roger Muhl 37c.jpgCollection particulière

Christ en fer forgé du temple d’Ostheim

 

 

          1959 est à marquer d’une pierre blanche. C’est la rencontre d’un marchand de tableaux parisien qui va lui ouvrir toutes grandes et d’emblée les portes de la renommée. En visite chez le docteur Friez, beau-père de Roger, collectionneur de tableaux, il tombe en arrêt devant une petite gouache signée Mühl. Le tableau lui plaît, mais il dit ne pas connaître le nom de l’artiste. «Il s’agit de mon gendre», lui apprend le docteur Friez qui l’invite, séance tenante à visiter l’atelier de Montreux-Château. Il est enchanté des toiles qu’on lui montre et touché par la modestie de la réponse de Roger à la question:

                -   Avez-vous déjà exposé?  

                -  Oh, très peu, une fois à Strasbourg et une fois en groupe à Fribourg, mais ça n’a pas donné grand-chose. Je n’ai pas assez muri mon travail.»

Il emporte des toiles pour les exposer chez lui. Et, très vite, «un lien étroit de sympathie et de confiance mutuelle s’établit entre les deux hommes.» (1)

 

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Docteur FRIEZ, Papy

Huile sur toile (1960-73)

 

          Une exposition particulière est organisée à la «Galerie de Paris», le 6 juin 1960. C’est un succès éclatant  qui dépasse toutes les espérances. D’autres expositions se succèdent à Paris, puis à New-York qui répondent pleinement aux attentes de l’artiste. Sa renommée naissante prend de l’ampleur. L’Etat lui achète, en 1960, la toile intitulée «L’Atelier». Il est sélectionné à la célèbre Galerie Charpentier pour figurer parmi les peintres de «l’Ecole de Paris» qui brille de ses derniers feux et qui était censée faire de Paris un centre d’art de premier plan. Puis, il est sélectionné à la Galerie Saint-Placide, pour le Prix de la Critique. En 1961, il obtient le prix «Prestige des Arts»

          Avec Mühl, la province prend sa revanche sur la capitale. Qu’un peintre, retiré dans sa contrée, capte l’attention d’un marchand de tableaux parisien de renom et soit suivi par la critique, les amateurs d’art et un large public de connaisseurs est un phénomène rare dans un marché de l’art très figé et prouve de façon irréfutable le talent exceptionnel de Roger Mühl.

          C’est à cette époque qu’il s’adonne à la lithographie. A l’occasion de son exposition à Paris, il découvre l’atelier de Fernand Mourlot, maître imprimeur-lithographe, Installé rue Barrault dans les années 1960, puis rue du Montparnasse en 1976, qui a accueilli Matisse, Braque, Bonnard, Miro et qui est l’imprimeur attitré de Chagall et de Picasso. C’est au contact de ces grands maîtres qu’il se familiarise avec cette technique qui le passionne et qu’il a, depuis, parfaitement assimilée. L’oeuvre lithographié de Mühl occupe une place prépondérante dans l’histoire de l’estampe contemporaine, souligne Charles Sorlier, graveur, qui exerça  son art à l’atelier Fernand Mourlot à partir de 1948, durant plus de quarante ans.

          Charles Sorlier possède plusieurs tableaux de Roger Mühl, dont un grand paysage provençal. «Lorsque l’agitation de la vie quotidienne me déprime par trop, a-t-il écrit en 1986, je me sers un pastis bien frais, m’installe confortablement devant cette toile et j’entends aussitôt la stridulation des cigales…

          A ta santé, Roger…»

Quel bel hommage!...

          Comme Roger Mühl se rendait régulièrement chez Mourlot, il a acquis un appartement à Montparnasse. Roger aimait Paris. Il a consacré plusieurs tableaux à ses quartiers emblématiques.

 

Roger Muhl 39c.jpgCollection particulière

Rue de Paris, le matin

Huile sur toile

 

          La lithographie le conduit à réaliser une œuvre intimiste à travers l’illustration de livres, notamment «L’Aventure occidentale de l’Homme» de Denis de Rougemont, dans le cadre du Prix littéraire organisé chaque année de 1965 à 1975 environ, par le Prince de Monaco. L’exemple, ci-dessous, est dédié à Guy Bardone, son ami peintre de Saint-Claude.

 

Roger Muhl 40c.jpgCollection particulière

Les Vosges, 1973

Pastel gras

 
 

          Il a illustré des œuvres de Marcel Pagnol (1978), d’Albert Camus, la même année, ainsi que des livres de recettes des grands chefs français: Bocuse, Chapel, Troisgros, Vergé, Haeberlin, tous devenus ses amis fidèles, tous ayant leur portrait dans la cuisine d’hiver de la maison de Mougins.

 

Roger Muhl 41c.jpgCollection particulière

 

 

          En effet, en 1965, il gagne la lumière de la Côte d’Azur, s’installant d’abord à Grasse, de 1965 à 1975, dans une vieille bergerie, et ensuite à Mougins dans le bâtiment cossu et élégant de l’ancienne poste, datant du 18ème siècle, qu’il aménage avec un goût raffiné et dont il conserve soigneusement la boîte aux lettres de Picasso qui emménagea, en juin 1961 à Notre-Dame de Vie, une villa provençale isolée sur une colline de Mougins et qui y mourut le 8 avril 1973.

 

 

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Campagne de Grasse

Huile sur toile, 160 x 150 cm (1971-80)


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Roger MÜHL à Mougins

 
 

          Il y coulera des jours heureux entre Line et leurs deux fils, Patrice et Richard. Patrice, diplômé de L’Ecole du Louvre deviendra expert en œuvres d’art des XIXème et XXème siècles et se consacrera à promouvoir l’œuvre de Roger Mühl et à perpétuer sa renommée. Richard connaîtra un sort tragique; participant en tant que photographe de Paris-Match, à l’expédition «Africa Raft» de Philippe de Dieuleveult, il meurt assassiné sur le fleuve Zaïre, le 6 août 1985.

 

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Roger Mühl entouré de ses fils, Patrice et Richard

 

 

 

Roger Muhl 45c.jpgCollection particulière

Jardin à Mougins

Aquarelle (vers 1992)

 

          A Mougins, Roger Mühl aime «voyager» dans son jardin. Il en témoigne avec plaisir dans le message qu’il adresse en 1987, à ses hôtes lors de son exposition au Japon, à l’Art Center Hall de Tokyo, émerveillé par l’amour et le respect de la nature qui caractérise le peuple japonais: «A Mougins, chaque matin, avant de monter à l’atelier, je consacre plusieurs heures à mon jardin. Je l’entretiens moi-même et y puise une nourriture sans cesse renouvelée au rythme des saisons.

          Dans le midi de la France, poursuit-il, les jardins sont au printemps qu’immenses bouquets de fleurs blancs, roses, bleus, ponctués par le feuillage argenté des oliviers et plus sombre des orangers. L’été, l’arrière-pays est blanc, écrasé de soleil, et la mer, d’un bleu profond, se confond avec le ciel. Puis vient l’automne et sa lumière dorée…» (3)

          «Les thèmes de la nature sont nombreux et essentiels, affirme Roger Mühl. Je me souviens qu’un jour, je peignais la campagne provençale pour la première fois. Mais, j’étais tellement intoxiqué par les Vosges que je croyais avoir peint le Ballon d’Alsace et non l’Esterel». C’est dire combien le pays natal est resté présent dans son cœur. En témoignent ces paysages qu’il a interprétés selon sa propre vision des choses.


Roger Muhl 46c.jpgCollection particulière

Les Vosges

Huile sur toile (100 x 50 cm)

 

 

Roger Muhl 47c.jpgCollection particulière

Village

Huile sur toile, 46 x 38 cm (1950-60)

 

 

          Cet amour de la nature que Roger Mühl ressent au plus profond de lui-même, remonte à son enfance bucolique. Son maître de l’EADS, Léon Lehmann, l’a assurément amplifiée, l’emmenant souvent dans les jardins de l’Ecole. «Il le faisait dessiner sur place des arbustes et des plantes sauvages en insistant sur l’élégance des formes, le rythme intérieur, afin que l’élève saisisse mieux leur fonction.» (1) Tout en lui laissant sa liberté d’expression, Lehmann lui apprend les arcanes du dessin. C’est par le dessin qu’il étudie les métamorphoses de la nature, par lui qu’il l’interprète et la reproduit à la lettre comme en témoignent les nombreuses études de plantes et d’herbes sauvages agrandies sur format grand aigle, lui donnant ainsi la possibilité de «saisir l’élément vital qui préside au rythme de croissance. Ces travaux lui font découvrir des formes nouvelles et inattendues.» (1)

 

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Croquis préparatoire

Crayon



Roger Muhl 49c.jpgCollection particulière

Amandier

Huile sur toile, 120 x 130 (2007)

 

Roger Muhl 50c.jpgCollection particulière

Oliviers

Huile sur toile, 160 x 150 (1981-88)

 

Roger Muhl 51c.jpgCollection particulière

Pin maritime

Huile sur toile, 110 x 120 (expo 2007)

 
 

          Roger Mühl n’est pas qu’un œil. Sa peinture figurative est remarquable, justement, par son attention aux rythme profonds de la nature «Il les exprime en temps forts et faibles, touches vives et sourdes, traçant ainsi ce qui existe et ce qui se métamorphose sans cesse, invisible à nos yeux, si évident aux siens.» (4)

          Sa vision se teinte d’imagination sans abandonner le réel au profit d’un mythe. Ainsi, les images qu’elle enrichit ne frisent que rarement l’abstraction; si ce n’est, entre autre, par un rapprochement, peut-être fortuit, avec Nicolas de Staël, le peintre le plus en vue dans les années 1950, dans des «compositions» en gris et bleu, d’une organisation subtile et statique à l’intérieur d’une palette réduite, obéissant à la règle stricte des valeurs.

 

 

Roger Muhl 52c.jpgCollection particulière

Antibes

Huile sur toile, 162 x 130 (1971-80)

 

Roger Muhl 53c.jpgCollection particulière

Port de Strasbourg

Encre de Chine, craie grasse et aquarelle, 1957



Roger Muhl 54c.jpgCollection particulière

New-York

Huile sur toile (1961-70)

 
 

          Dans son évolution, Roger Mühl va vers des formes plus libres, plus généreuses. Ses tableaux se caractérisent par une grande simplification. Sa peinture reste figurative, mais moderne. Michel Bohbot, dans le catalogue de l’expo de Findlay, écrit: «Il traque et découvre dans chaque composition le lieu de genèse…et nous y conduit…Son œil écarte le pittoresque au profit de l’essentiel. Une vision en abrégé sur une recherche des courants, soucieux de rendre les puissances nées de la rencontre du sujet et de la sensibilité de l’artiste.» La simplification des masses met en exergue les lignes d’architecture à partir desquelles ne subsistent que liberté d’esprit et pureté des lumières, constate Gérard Blaise.

 

Roger Muhl 55c.jpgCollection particulière

Maisons à Antibes

Huile sur toile, 110 x 120 (2007)

 

Roger Muhl 56c.jpgCollection particulière

Printemps, vallée du Rhone

Huile sur toile, 114 x 146 (2007)

 

 

Roger Muhl 57c.jpgCollection particulière

Lac de Saint-Cassien

Huile sur toile

 
 

          Christine Gleiny, dans sa précieuse étude de 1963, souligne «Qu’alors que l’expression de la couleur était recherchée par l’adjonction d’un contour sombre, l’emprisonnant pour la mettre en valeur suivant le principe du clair-obscur, l’entreprise, dès lors, consiste à trouver dans les vertus intrinsèques de la couleur, et en elles seules, le moyen d’en exalter l’éloquence».

          Les confidences du peintre nous guident à ce propos: «Je pense que chaque sujet a sa couleur propre. L’essentiel est de la dégager. Le plus important est son mûrissement. Il ne s’agit pas de faire vivre une couleur  avec une complémentaire ou une opposée, mais, par des couches superposées qui lui donnent sa respiration intérieure, elle doit se suffire et vivre en elle-même.»

 

Roger Muhl 58c.jpgCollection particulière

Fleurs rouges

Huile sur toile (1960-70)

 

Roger Muhl 59c.jpgCollection particulière

Calanques

Huile sur toile, 160 x 150 (1981-88)

 

Roger Muhl 60c.jpgCollection particulière

Automne

Huile sur toile 150 x 160

 
 

          Grâce à cette savante élaboration de la couleur, «célébration saisissante par lavis successifs qui organisent, caressent, accentuent, touchent au plus» (5), ses tableaux se distinguent par un coloris d’une exceptionnelle douceur, toujours harmonieuse. Roger Mühl est un «dégustateur de couleurs, un œil gourmet», se plait à dire Guillevic en 1992, à propos des «Aquarelles d’un été». Il est aussi et peut-être surtout, selon le même critique, «un peintre requis par la lumière», l’ayant suivi dans une saison à la fois bretonne et provençale, chantant les vagues d’Ouessant et les pins de Mougins, «sur un fond de lumière exaucée».

 

Roger Muhl 61c.jpgCollection particulière

Lumière du matin, Bretagne

Huile sur toile, 114 x 146 (2007)

 

Roger Muhl 62c.jpgCollection particulière

 Chrysanthème jaune

Huile sur toile, 80 x 85

 

          Cette lumière éclatante de pureté qui est le principal mérite de Roger Mühl, semble l’habiter. Il en résulte «de véritables symphonies en blanc qui, de par la difficulté de la tâche entreprise, donnent la pleine mesure de son immense talent.» (1)

 

Roger Muhl 63c.jpgCollection particulière

Intérieur blanc

Huile sur toile, 80 x 85

 

Roger Muhl 64c.jpgCollection particulière

Rochers

Huile sur toile, 120 x 130

 

Roger Muhl 65c.jpgIll

Huile sur toile

 

          A l’origine de ces admirables taches colorées de lumière, il y a cette pâte qu’il élabore avec attention et délicatesse et qu’il sait rendre mystérieusement lumineuse. C’est, concrètement, d’une impressionnante palette en forme de double cratère que naît sa peinture en «fusion», l’un, immaculé, l’autre, fourmillant de mille nuances agglomérées.

 

Roger Muhl 66c.jpgCollection particulière

Roger MÜHL dans son atelier

 

 

Roger Muhl 67c.jpgCollection particulière

La palette

 

Roger Muhl 68c.jpgCollection particulière

Le chevalet

Lithographie

 

          Avant de peindre une toile, il établit une ligne directrice. Il ne peint que rarement directement sur le motif sans préparation stricte se rappelle son ami Jean-Pierre Haeberlin. «Il fait des croquis, en rapporte l’idée, a-t-il expliqué à Christine Gleiny, et cela même pour le portrait. La toile terminée, il la compare au modèle. Après s’être imprégné du grand concert de la nature, il la recompose en y faisant  passer ses émotions, ses sensations de sorte que le réel, transcendant d’emblée la reproduction trop monnayée, rejoint l’imaginaire pour de merveilleux éblouissements. Le subconscient apporte son concours à ces équivalences plastiques du réel décanté, mais au lieu de stimuler le lyrisme, il agit, contrairement à son habitude, comme élément modérateur» (1)

 

Roger Muhl 69c.jpgCollection particulière

Portrait

Huile sur toile

 
 

          Car Roger Mühl ne refuse pas l’ordre vital du monde. Il s’en imprègne dans la plus «libre respiration, la plus agissante ouverture sensorielle dont il soit capable» (5) Sa conception de l’art exige qu’il s’efface pour être présent à l’intérieur de soi, qu’il renonce dans sa quête d’une impeccable limpidité à toute «coruscance», à toute «boulimie».

 

Roger Muhl 70c.jpgCollection particulière

Jardin printanier, mimosas

Huile sur toile

 

 

Roger Muhl 71c.jpgCollection particulière

La Saône à Collonges-au-Mont d’Or

Huile sur toile, 97 x 162 cm (2007)

 

          Par le dialogue entre le réel et lui, il affirme son «moi». Dans sa peinture qui subit un dépouillement rigoureux, une «décantation raisonnée», se reflète son état d’esprit. «Homme d’un calme marmoréen», il a su, malgré le succès, garder sa simplicité, un solide bon sens garant d’un égo conciliant. Ce que confirme son portrait physique que nous devons à Christine Gleiny: «En voyant Roger Mühl on sourit à la pensée de certains traits, véritables poncifs caricaturaux dont on aime à affubler les artistes. Notre peintre n’a pas le cheveu en désordre, l’œil hagard  et le propos inintelligible. Grand et solide gaillard, aux gestes sobres, au visage réfléchi, il respire l’équilibre et a soin de sa personne.»

 

Roger Muhl 72c.jpgCollection particulière

Roger MÜHL préparant l’exposition de Tokyo de 1987

 
 

          Roger Mühl réalise principalement des peintures à l’huile tout en faisant plusieurs expositions d’aquarelles. «A ses débuts, il utilise également la gouache. Il fait des dessins à la plume et à la mine de plomb, ainsi que des lavis, des lithographies et des gravures à la mine de plomb, des décorations murales, […] des vitraux et des illustrations de livres.» (4)

 

 

Roger Muhl 73c.jpgCollection particulière

Village en Alsace

Lithographie, lavis d’encre de Chine, 1956

 

 

          L’ensemble de son œuvre comporte essentiellement des paysages, des natures mortes et des portraits. Elle est variée et originale dans la mesure où il procède par thèmes. C’est, d’ailleurs, selon ce critère qu’il classe, dans son atelier, ses dizaines de toiles, ébauches et esquisses, «par exemple la forêt, la rivière, les Alpilles, les vieux villages, les maisons, la Bretagne, la piscine avec des nus» (4) et plus singulièrement la gastronomie qui l’amena à brosser les portraits des chefs célèbres et à peindre des tableaux consacrés aux cerises, aux champignons, aux citrons, aux radis, à l’assiette aux asperges, aux pommes vertes…

 

 

 

Roger Muhl 74c.jpgCollection particulière

Les Alpilles

Huile sur toile



Roger Muhl 75c.jpgCollection particulière

Nu

Huile sur toile, 38 x 40 cm (1971-80)

 

Roger Muhl 76c.jpgCollection particulière
Nu devant la fenêtre
Aquarelle (1992)

 

 

Roger Muhl 77c.jpgCollection particulière

Paul Haeberlin en cuisine

Huile sur toile ,220 x 130 cm (1981) ornant l’Auberge de l’Ill



Roger Muhl 78c.jpgCollection particulière

Chou

Huile sur toile, 40 x 38 cm (1971-80)

 

 

Roger Muhl 79c.jpgCollection particulière

Huitres

Huile sur toile, 32 x 30 cm

 
 

          Toutes les galeries du monde l’ont accueilli. «Il a exposé à la Galerie de Paris, chez Lucile Manguin, la fille du célèbre peintre postimpressionniste, puis dans de nombreuses autres galeries telles que la Galerie Pacitti-Schmit, Faubourg Saint-Honoré; ensuite à New-York, Tokyo (en 1987, 1990, 1992) et chez Grossmann à Schaffhouse en Suisse, sans oublier chez son vieil ami Pierre Marchand à Belfort…», nous rappelle Jean-Pierre Haeberlin.

          En 1988, Strasbourg et Colmar envisagent d’offrir à Roger Mühl une exposition rétrospective. Mais ce fut la galerie du vieux Belfort qu’il choisit par amitié. 110 œuvres furent exposées dans l’emblématique «Tour 41». A cette occasion, une lithographie sur le Vieux Belfort a été éditée spécialement et Roger Mühl a offert au musée de la ville un portrait de Zadkine dans son atelier. Notons que Raymond Forni, président de l’Assemblée nationale, puis président du Conseil Régional de Franche-Comté lui passe une commande. «On m’avait bien recommandé de peindre un paysage coloré et surtout sans nuages. La toile est bien accrochée, aujourd’hui au Palais Bourbon», précise l’artiste.

 

Roger Muhl 80c.jpgCollection particulière
 

 

Il participe à un certain nombre d’expositions de groupes à l’Ecole de Paris, Galerie Charpentier à Paris, en 1962, à la Galerie d’Art alsacienne à Mulhouse, la même année, il revient à la Galerie Charpentier en 1964, à l’exposition Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, à Paris, la même année, à Tokyo-Kyoto-Osaka au Japon en 1968, au salon des Peintres témoins de leur Temps à Paris, au Musée de Strasbourg, à Vision Nouvelle Paris, Lithographies, en 1972, …        
    (Voir en annexe, la liste des principales expositions personnelles, celle des Prix et récompenses, celle des Travaux personnels et Installations publiques ainsi que la bibliographie de Roger Mühl)

 

    La profonde connaissance de l’Histoire de l’Art, acquise dans sa jeunesse, médiation nécessaire à la perception du beau, a développé en Roger Mühl le sens esthétique qui n’est pas forcément inné, mais l’objet d’une formation progressive.

    Néanmoins, ce qui rend son œuvre particulièrement attachante et lui confère son caractère propre, ce ne sont pas uniquement les tendances dont il s’inspire, ni les références envers lesquelles il est respectueux, «mais l’expression qui jaillit toujours plus serrée, toujours plus intense des sensibilités qui le remuent» (1) et qui font qu’il a toujours su rester lui-même.

    «Peintre de la lumière douce, poète autant que bon vivant, il nous convie aux noces de l’intelligence et du cœur. Ce qu’il vise, c’est le don, l’offrande d’un bonheur simple et pur. Car ce lyrique est aussi un épicurien…»

Hommage de M. Michel FRANCA, critique d’art

 

          Son cœur l’ayant lâché pendant son sommeil, Roger Mühl s’en est allé le 4 avril 2008. Le décès de Line, sa muse, trois mois plus tôt, l’avait terriblement affecté.

«Tous deux reposent en paix au pied de leur propriété qu’ils ont tant aimée et que Roger a su
peindre et croquer sous tous les aspects.» (
6)


Annexe

 

 

 


 

Bibliographie

 

-       Christine Gleiny (1) – Mühl – Ed. Fernand Mourlot, 1963

      

-       Madeleine Haeberlin (2) – Hommage à Roger Mühl – Manuscrit

      

-       Roger Mühl (3) – Message – à Monsieur Kajikawa, Japon

      

-       Me Lotz (4) – Artistes alsaciens de jadis et naguère – Printek Kaysersberg

      

-       Guillevic (5) – Un peintre requis par la lumière – 1992

      

-       Philippe Girard – Saveurs lumineuses de Roger Mühl

      

-       Gérard Blaise – Jardin à Mougins

      

-       Jean-Pierre Haeberlin (6) – Hommage à Roger Mühl 



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