Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Robert Heitz
(1895-1984)
Georges
Autoportrait, 1928 Huile sur toile (65 x 54 cm) Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg
Nanti d’une culture exceptionnelle, doté de talents multiples, Robert Heitz a joué un rôle primordial dans la vie artistique de l’Alsace du XXème siècle. A sa lucidité, à son non conformisme en tant qu’artiste, journaliste, écrivain, pénétré d’un profond scepticisme, s’oppose sa délectation à mettre en images ses domaines secrets, ses phantasmes. Un homme complexe dont l’œuvre féconde ne laisse personne indifférent.
L'Album de Famille
Prévu pour le mois d’octobre 1895, Robert naît au mois d’août, le 3 exactement, à la suite d’une frayeur causée à la maman par l’incendie de la maison familiale de Saverne. «Peut-être, cette curiosité malsaine qui m’est restée y était-elle pour quelque chose», dira-t-il, plus tard…Enfant très sage, il donna toute satisfaction aux auteurs de ses jours. Cependant, vers six, sept ans, il leur causa bien du souci, tombant de diphtérie en scarlatine, l’angine lui étant endémique…Il s’en remit doucement, mais eut à déplorer, ensuite, une affreuse timidité qui empoisonna toute son enfance et son adolescence. Réciter un poème face à la classe, le mettait au supplice. «Déséquilibre nerveux? Sans doute. A part cela, j’étais calme, toujours gai, travaillant régulièrement et sans effort; toujours premier ou l’un des premiers de la classe. Là, du moins, l’éducation si attentive de ma mère eut des résultats; car, quant à la formation d’un caractère, hélas! Il faut à un moment donné, savoir enlever le coton protecteur, même aux enfants nés avant terme.» Toute sa famille vient de «basse Alsace» («Je n’ai jamais pu m’habituer à l’absurde dénomination de «bas Rhin» qui, géographiquement, correspond à la Hollande») Antoine Heitz, son grand père, boucher de son état, né à Steinbourg, avait épousé, avec Madeleine Keller de Saverne, «une importante affaire de famille». Les Keller, vieille famille savernoise, étaient installés dans une imposante maison de la Grand’Rue en tant que « Metzger und Brätler», c’est-à-dire, boucher et rôtisseur. Robert le considérait comme une sorte de prince consort le «l’orgueilleuse et tyrannique descendance» des Keller.» Alors que ses camarades moins bien élevés que lui et son frère aîné, Fernand, crasseux et débraillés, avaient le droit de courir prairies et forêts, il devait, «pauvre gamin de bonne famille» subir, tous les dimanches, la visite à sa grand-mère, et plus tard, suivre sa mère et ses amies dans des promenades lassantes, arborant « faux-cols empesés, lavallières, chapeaux, canotiers ou casquettes, petite canne à pommeau argenté…» Dans l’album de famille, distinguons Gaston, cousin germain par son père, un garçon «assez savoureux, bien que de caractère entier, conscient de sa valeur». Mal vu par les nazis, il s’exila, sous un nom d’emprunt dans l’Ouest de la France Sur les murs de sa boucherie, préalablement vidée de tout son outillage, une pancarte annonçait à la Gestapo: «Habe mich selber umgesiedelt». A la Libération, il fut élu maire de Saverne. Robert devint sa «plume». La maman de Robert était originaire de Haguenau de par son père. Sa mère, Rose Barth, était une paysanne de Lochwiller. «Nous disions –Trouville- ce qui fait tout de même plus huppé!». Parmi les parents de sa mère, outre un arrière-grand-père, gaspilleur de l’héritage, ne laissant, sauvé du désastre, qu’une maison cossue, arrêtons-nous sur le grand-oncle Berbach, chargé, avant 1870, à Haguenau de l’office d’huissier. Possédant une belle maison à Haguenau et plusieurs grands immeubles de rapport à Strasbourg, il était riche et…avare. «Avare, à un degré que cela devenait grandiose. Il paraissait au physique et au moral, l’avare stylisé par un grand artiste. Vers la fin de sa vie, le grigou s’était épris de ma mère, veuve à 45 ans et tentait de la décider à convoler avec lui en justes noces…Grâces soient rendues à ma mère, qui pourtant était aux prises avec de sérieuses difficultés pour joindre les deux bouts de notre budget familial, de nous avoir épargné ce second père.» Sur l’une des branches Keller de l’arbre familial, Robert Heitz distingue volontiers l’oncle, Joseph Rischmann, qui s’est enfui de Haguenau en 1871 pour gagner la France alors qu’il n’avait que 14, 15 ans. Après avoir roulé sa bosse au Sénégal et enseigné dans un collège religieux à Bordeaux où il devint anticlérical et «socialiste» il dirigea la maison de vins de Champagne Ayala, près d’Epernay. Mort pendant la guerre de 14-18, il ne laissa en héritage que peu de choses dont «des actions des Chemins de Fer du Vladicaucase et du Port de Para qui, renseignements pris, avaient cessé d’être cotées en bourse depuis une dizaine d’années.» Enfin, voici, dans l’album des portraits, un personnage inattendu: un général…, allemand en uniforme. Joseph Gillet, né à Saverne, d’un père indigent. Bénéficiaire d’une bourse d’études, il devint docteur en médecine avec, à la clé, un engagement décennal dans l’armée. Nommé médecin de la famille Hohenzollern – Sigmaringen, il accéda au grade de général. Nommé à Strasbourg en 1916-17, il fit la connaissance du jeune Robert Heitz, infirmier militaire au Bataillon Sanitaire de la Forteresse de Strasbourg. Après 1918, Robert passe ses loisirs à peindre avec le général. «Nous nous voyions alors régulièrement et, malgré la différence d’âge, il s’établit entre nous une sincère et profonde amitié. Nous sortions ensemble, peindre sur le motif…»
Au Collège Episcopal
Après la longue agonie du père, «atteint d’un terrible cancer de la tête», en automne 1909, Madame Heitz vint, avec ses deux fils, habiter Strasbourg dans un logement «suffisant mais peu confortable, quatrième étage sans ascenseur, dans le quartier assez triste du Schirmecker Ring (l’actuel Boulevard de Lyon)». Elle disposait d’un maigre budget, une demi-misère dont Fernand qui venait de passer son Abitur, ressentit plus fortement l’humiliation. La maman qui tenait à sa religion, envoya Robert au Collège Episcopal St-Etienne où la presque totalité des élèves étaient «des petits paysans sans intérêt», où tout était négligé, crasseux, «laisser aller d’autant plus dangereux du point de vue moral que l’autorité était incarnée par des prêtres. Je comprends que ces institutions soient des foyers d’anticléricalisme. Le port de l’uniforme moral devrait être de rigueur: - Le coefficient fictif de dignité - a dit Péguy.» Le contrôle des billets de confession, obligatoires pour pouvoir communier incita Robert à la tricherie. Et, quand l’abbé X…voulut prouver, par a + b, l’existence de Dieu, il se mit à douter. Sa mère étant croyante, il savait qu’il ne fallait rien lui dire de ses défaillances. «Mais avec le goût diabolique de la sincérité qu’on a à cet âge, et dans laquelle entre une bonne part d’orgueil, je lui déclarai un jour tout de go que je ne croyais plus en Dieu». Elle en conçut une fureur noire et la scène pénible qui s’ensuivit inspira à Robert, pour longtemps, une haine de la religion. D’autant plus que à partir de ce moment, «les rapports entre maman et moi ne devinrent plus ce qu’ils étaient avant.»
Le Droit et la Peinture en concurrence
Cette même année 1913, il fut atteint d’une sérieuse fièvre typhoïde qui, si elle donna beaucoup d’inquiétude à ses proches, ne le fit guère souffrir. «Après quelques semaines de convalescence à Brunnen en Suisse, je fis, tout seul, devant une digne assemblée mon bachot oral. (L’Abitur?) Sauf en mathématique où j’arrivais tout juste à passable – j’ai toujours eu horreur des mathématiques – cela marcha sans le moindre accroc…» A l’automne, il s’inscrit à la faculté de Droit de Strasbourg, sans réelle motivation, tout en faisant des études d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg car il est davantage attiré par des activités culturelles et, notamment, la peinture. Tout en ayant, pour elle, un goût très vif; il n’a jamais songé sérieusement à obtenir l’autorisation d’en faire son métier. «Il est vrai que ma mère m’aurait sans doute vu balayer les rues avec moins de déplaisir que de choisir cette vie de vaurien.» Son manque d’assiduité et son absence d’obstination allaient mettre en péril ses chances de succès quand la guerre vint opportunément faire diversion. Incorporé dans le Landsturm, il part sur les forts de Reichstett creuser des tranchées… «Nous tous subissions les événements sans même essayer de les raisonner. Le sentiment inaccoutumé et, à vrai dire, presque grisant de l’incertitude du lendemain, nous avait plongés dans un désarroi extraordinaire.» Alors que Fernand est envoyé en Thuringe, Robert réintègre la fac de Droit dont il suit les cours, comme précédemment, sans conviction et sans intérêt aucun. Mais, surtout, il se met à peindre frénétiquement. «Oh, des choses bien mauvaises. Je travaille sans méthode et surtout sans études suffisantes d’après nature, qui m’ennuient. Je copie au hasard des reproductions en couleurs que je peux trouver, Claude Lorrain et Henner, Watteau et Fragonard - que pourtant je n’aime guère. Il faut dire qu’à l’origine de ma passion pour la peinture se trouvait non point l’envie de reproduire une chose vue dans la nature, paysage ou figure humaine, mais l’admiration que je porte aux chefs-d’œuvre du passé. De ces premières années où je m’adonnais à la peinture il m’est resté le goût du «tableau» bien fait, rigoureusement composé, même au détriment d’une fraîcheur et d’une vivacité qui, en somme, sont plus faciles à atteindre par un procédé d’esquisse. Plus tard encore, malgré un engouement sincère pour les tentatives modernes les plus audacieuses, cette préoccupation m’est restée constante. En matière d’art du moins, je reste réfractaire aux sollicitations anarchiques. Je suis convaincu que les idées, les passions et les aversions qui sont les nôtres dans l’adolescence laissent dans la formation de l’esprit une empreinte plus profonde que celles de l’homme formé, avec toute la part de réflexion, de conformisme et de convention acquise par l’expérience.» A une époque où le langage même de l’art est remis en question chaque jour, Robert Heitz a essayé de rester fidèle à la tradition tout en disant «des choses qui puissent toucher les contemporains…»
Dans l'enfer de la souffrance, de la maladie et de la mort...
On essaya de faire de lui un soldat mais une scarlatine «providentielle» le fit affecter à l’hôpital militaire de Strasbourg–Neudorf, (ancien orphelinat), au Festungslazaret X, comme infirmier. L’hôpital était destiné à recevoir les soldats atteints de maladies contagieuses. D’une capacité d’accueil de 1'200 lits, il fut, à cause des épidémies qui se succédaient en 1917-18, en crucial sureffectif. Des malades étaient parqués dans les couloirs, les escaliers. «Quant à la morgue, installée dans l’ancien poulailler de l’établissement, je n’insiste pas…Sevré comme j’étais de la vie réelle par une mère timorée, je me voyais brutalement jeté dans cet enfer de souffrance, de maladie et de mort.» Il crut trouver un dérivatif dans la poésie. Ce fut en vain. En fait, c’est la rudesse cynique de ses compagnons qui le sortit de son désarroi. «Assez rapidement en somme il s’établit entre ces êtres frustes, à l’occasion brutaux, et le garçon timide dont ils avaient commencé par se moquer, une camaraderie rude, mais solide. Ce qui sauvait tout, c’était – avec notre âge: 20 ans! – l’animalité même de notre vie, où les notions de vice et de vertu n’avaient pas cours.» Alors qu’il ne croyait d’abord qu’au cynisme et à la dureté, il découvrait la pitié, une pitié agissante, le dévouant jusqu’aux limites de ses forces. Le personnel se divisait en deux classes sociales qui ne s’aimaient guère: les intellectuels (die Akademiker) et les autres. Robert Heitz comptait des amis dans les deux camps. Dans le premier, par exemple, un pharmacien qui lui révéla Thomas et Heinrich Mann, Max Brod et toute l’avant-garde de l’expressionnisme allemand. «Car, contrairement à ce qu’affirment aujourd’hui les manuels, l’expressionnisme n’est pas né de la défaite allemande de 1918, mais a connu une première floraison dès avant la guerre, tant en littérature qu’en arts plastiques.» Un des peintres du mouvement, Jomar Förste, était «hébergé» pendant de longs mois au lazaret. Mais Robert préférait fréquenter les brutes de l’équipe de foot du régiment.
Le destin de l'Alsace en jeu.
Début novembre 1918 les événements se précipitèrent. L’effondrement a précédé de plusieurs jours l’armistice. La débandade des soldats de la garnison commençait. Robert prit son parti de rentrer chez lui. Ses collègues du lazaret, à l’exemple de l’ensemble des régiments, ont constitué un soviet dont ils lui proposèrent la présidence… «Très touché de cet honneur, je leur expose en riant que je suis aussi peu communiste qu’on peut l’être, que je n’attends plus que l’entrée des troupes françaises et que je leur conseille de rentrer chez eux.» Robert Heitz assista, dubitatif, à l’éclosion de mouvements contradictoires: communiste – le drapeau rouge «profanant» la flèche de la cathédrale -, séparatiste – sauver l’existence du parlement local –, francophile – le retour pur et simple de l’Alsace à la France - C’était incontestablement le vœu de Robert Heitz, mais pas à n’importe quelle condition. Il s’est félicité que les intellectuels alsaciens francophiles se soient groupés autour du docteur Pierre Bucher et la Revue Alsacienne Illustrée qui défendait en Alsace la culture française et dans laquelle parut l’essai de Werner Wittich «Deutsche und französische Kultur im Elsass qui conserve encore aujourd’hui un intérêt certain» écrit Heitz en 1962. Soit dit en passant…cette double culture fournira, après 1918, une arme redoutable aux autonomistes, partisans de la culture allemande. Or, dit-il, « il faut quand même regretter que, après le retour de notre province à la Patrie, l’influence d’hommes tels que Bucher et Dollinger n’aient pu s’exercer que dans les coulisses et qu’on ait laissé le soin de représenter officiellement la France en Alsace à de falots fonctionnaires, peu informés et bornés, ou à des politiciens arrivistes.» A posteriori Robert Heitz notera également que, sous bien des rapports, l’administration impériale était plus libérale, plus tolérante et surtout moins mesquine que celle des 3ème et 4ème Républiques. «Hansi lui-même, qui pourtant faisait figure de martyr de la brutalité allemande, un jour que je lui en parlais, ne put s’empêcher de reconnaître: «Evidemment, je ne pourrais pas me permettre aujourd’hui ce que je faisais avant 1914»
La tentation de la politique
«Comment ai-je été amené à m’occuper de politique, ce passe-temps des esprits médiocres, si l’on en croit Huysmans – alors que mes goûts artistiques et littéraires auraient dû suffire à meubler mes loisirs.» Est-ce par atavisme? Son père déjà en faisait, en tant que conseiller municipal de Saverne, chef de l’opposition, durant de longues années, du maire Georges Guntz. Mais, comment ne pas faire de politique, aussi bien avant qu’après 1914. «Au temps du régime dur mais juste, voire clément de Guillaume II, le moindre coup d’épingle prenait des proportions monstrueuses», on s’abreuvait de littérature revancharde: Barrès, Bazin, etc…Et, après 1918, le patriotisme échevelé des jeunes de sa génération ayant sombré dans la désillusion, faire de la politique devenait vital. «L’Alsace était profondément écoeurée, prête à toutes les aventures. Je suis assez tenté, aujourd’hui, de considérer comme un signe de santé morale le véritable raz-de-marée à tendances autonomistes, voire séparatistes, qui submergea alors l’Alsace» Beaucoup d’entre eux se laissèrent tenter par la doctrine de «L’Action Française», par son patriotisme intransigeant, son régionalisme, sans qu’aucun de ceux qui s’y adonnaient ne soient royalistes, à part Fernand, le frère de Robert, qui fréquenta le cercle étroit du Comte de Paris, jusqu’en 1945. Certes, l’attitude de Maurras après 1940, chez qui «la haine de la République fut plus grande que celle de l’Allemand», provoqua la rupture. Robert y adhère en 1924. Il marche à fond dans des bagarres comme celle de 1926 contre les autonomistes alliés aux communistes et, aussi, au parti catholique, l’U.P.R. Ce qui ne l’empêchera pas, après 1945, de se retrouver sur la même liste électorale que Michel Walter, chef du parti clérical…La condamnation par le Vatican de «L’action Française», en 1926, a constitué pour Robert Heitz et ses camarades un affreux cas de conscience. «Ce geste si manifestement dicté par la plus vile opportunité politique, n’a fait que renforcer ma sympathie active pour les idées de Charles Maurras, en qui je voyais à peu près le dernier rempart contre la décadence française.» Il rencontre plusieurs fois le «Maître», mais n’eut avec lui aucun entretien digne de ce nom: il était intégralement sourd!... «Au fait, tout entretien avec lui paraissait superflu, sa pensée se mouvait dans un monde abstrait, loin des contingences quotidiennes.» En 1924, l’anticléricalisme stupide d’Edouard Herriot, erreur psychologique capitale, selon Heitz, fit bouillir le mécontentement alsacien; le parti catholique qui se sentait menacé dans ses positions à la fois religieuse et politiques attisa le feu. En 1936, le «Front Populaire» prend le pouvoir. «Et, bientôt, radicaux et socialistes furent les esclaves de la démagogie communiste…L’Alsace, foncièrement hostile au désordre subversif, épouvantée de voir la France sombrer dans l’anarchie, alors que Hitler ne cachait plus guère ses desseins, connut une chaude alerte. Ce fut cette année-là, presque autant que la défaite de 1940, qui ruina pour longtemps cette foi aveugle que, malgré tout, nous nourrissions encore pour la France». Robert Heitz fut tenté de réagir ouvertement en cas d’un éventuel coup de force communiste!...
Condamné
à mort
En 1940, sous l’impulsion de Joseph Rey, ancien ligueur de l’A.F., futur député et maire de Colmar, Robert Heitz se lança dans la Résistance en créant une organisation clandestine dans laquelle il enrôla un groupe de ses jeunes employés de l’Institut des Assurances Sociales qu’il dirigeait. Il travailla pour le «Colonel Rémy». Cela fonctionnait bien jusqu’en 1942 quand, coup sur coup, Joseph Rey, Robert Heitz et les autres passèrent devant le Tribunal de Guerre du Reich après un douloureux stage au Camp de Schirmeck…Quand Robert Heitz évoque cet épisode de sa vie politique, il tient à préciser que «Par un phénomène curieux, partiellement inavoué et qui peut se comparer à l’état d’esprit de l’Alsace avant 1914, nous nous repliions sur des réalités alsaciennes. C’est pour elles que nous nous battions, plutôt que pour la France, que nous ne pouvions nous empêcher de mépriser» Et, plus loin, «C’est en souvenir du caractère avant tout alsacien de notre résistance que j’ai usé, jusqu’à l’extrême limite, de mon crédit de déporté, pour freiner l’épuration – parfois contre mon sentiment intime.» Le 10 mars 1943, il est condamné à mort par le Reischskriegsgericht pour «intelligence avec l’ennemi, haute trahison et espionnage». Après 34 mois de déportation, il a été libéré du Zuchthaus de Ludwigshaffen par le premier Bürgermeister de Stuttgart, le Dr Karl Ströbin. Il est rentré à Strasbourg, le 23 avril 1945. Ses faits de guerre et ses activités citoyennes lui valurent la Croix d’Officier de la Légion d’Honneur. Après la Libération, il fallut 8 ans de méandres courtelinesques pour que le cas de Robert Heitz, dans le cadre de la «Liquidation de la Résistance» - si curieusement dénommée - c’est-à-dire son homologation à un grade militaire et la reconnaissance de ses activités de résistance soient définitivement établis. A la clé, une invraisemblable attestation certifiant «la relation de cause à effet» entre sa condamnation à mort et une activité de résistance O Courteline!...
Un mot de De Gaulle...
Dès son retour, Robert Heitz reprend sa profession, chargé d’appliquer « cette mirobolante» Sécurité Sociale. Sa vie de célibataire est parfaitement organisée sur qui veille une gouvernante – cerbère, Marie, entrée au service de sa mère en 1915. Robert accepte de considérer qu’il habite chez elle et non l’inverse… Atmosphère détendue qui favorise l’exercice de la peinture et de l’écriture. Se pose alors la question cruciale: «Vais-je aliéner cette sacro-sainte indépendance pour faire une besogne politique, dont les servitudes se trouvent à l’opposé de mes goûts véritables?» Car, Robert Heitz est le libéral–type qui tient avant tout à son indépendance morale. Prévoyant que la république, la quatrième, allait «se noyer dans la salive», répulsif au communisme (un des membres du Parti lui a assuré qu’au cas où ils prendraient le pouvoir, il ne serait fusillé que longtemps après les socialistes…), il se rapproche de de Gaulle. Mais, pas trop!...Partisan d’un régime présidentiel, il le suivrait s’il s’avérait porteur de l’idée-force d’une solidarité européenne, occidentale, «qui seule peut nous sauver». Avant tout, il s’agit, pour lui, d’être «fanatiquement libéral, tolérant, humain, juste. La satisfaction de vanité que je puis retirer de cette attitude doit rester du for le plus intime.» Membre du conseil municipal de Strasbourg, nommé président départemental des déportés, il rencontre de Gaulle à plusieurs reprises. Quand le maire, Ch.Frey le présente au grand Charles: «Robert Heitz, condamné à mort par les nazis», de Gaulle, de sa voix caverneuse lui demande: «- Vous étiez présent quand vous avez été condamné? - Hélas, oui, mon général. - C’est un tort. Moi, j’étais absent. C’est beaucoup moins grave…»© Robert Heitz
Il a plus souvent entendu et vu son légendaire adversaire, le général Giraud, dont l’évasion vers la Suisse, le 22 avril 1942, par la ferme des Ebourbettes (Oberlarg), coûta la vie à l’abbé Stamm , curé d’un village du Sundgau et à l’hôtelier Ortlieb de Thann qui travaillaient dans le même réseau que Heitz. Quand Giraud lui raconta avec un évident air de satisfaction que son évasion a coûté la vie à cinq ou six personnes au moins, Robert Heitz avait peine à retenir la question s’il estimait qu’en fin de compte le jeu en valait la chandelle!... Parmi les rencontres qui ont compté dans ces années d’après-guerre, il y a celle du colonel Remy sous les ordres de qui Robert Heitz a travaillé en 1941 et 42 sans l’avoir jamais vu. Il se révéla à lui, un jour de 1947 aux côtés de de Gaulle. C’était l’occasion pour lui, dans «Le Nouveau Journal» de faire l’éloge des écrits du colonel: «Cette profonde sincérité du récit, cet héroïsme sans chiqué qui fait la part de la faiblesse humaine et qui, à l’occasion, sait sourire de cette faiblesse, ne sont-ils pas infiniment plus émouvants que les fanfaronnades des Tartarins de la Résistance? Oui, la Résistance a été cela: le courage et la peur, l’héroïsme et la faiblesse. Sans doute y a-t-il eu des hommes qui n’ont jamais connu la peur: c’étaient ceux qui se trouvaient loin du danger.» Journaliste et critique d'art intransigeant
Dès l’adolescence, Robert Heitz rêvait de devenir chroniqueur. L’hebdomadaire satirique de Zislin «Dur’s Elsass» répondait à son attirance pour les polémistes. Mais, «Il a fallu mon adhésion à «L’action Française» et la création, en 1924, d’un hebdomadaire local, «Le National d’Alsace» pour me permettre d’assouvir ma fringale journalistique.» Traitant notamment des questions artistiques, il éreinta sur un ton vif, parfois brutal, le pompiérisme local et parisien. Ce qui déclencha une polémique avec Gustave Stoskopf, «l’incarnation de l’art alsacien traditionnel» qu’il avait baptisé: Der Holbein für Minderbemittelte (Le Holbein de l’économiquement faible). Chaque semaine, il fournissait pour «Le National d’Alsace» un dessin politique caricaturant les chefs de l’autonomisme et leurs alliés cléricaux de l’U.P.R. «Ils offraient des binettes fortement inspiratrices: strabisme, lavallière crasseuse, tignasse inculte, air porcin, balafre d’étudiant allemand, bouche en cul de poule… Je guettais avec une joie de cannibale les réactions de mes victimes et m’acharnais sur celles dont j’apprenais qu’elles prenaient la mouche…» Pendant quelque douze ans, de 1925 à 1936, il publia des centaines de dessins signés «Pippo» ou «Tyll»Caricature politique © Robert Heitz Quand Claude Odilé, directeur de «La Vie en Alsace», lui demande, en 1921 de collaborer régulièrement à la belle revue illustrée, en tant que critique d’art. Il hésite car il s’agit d’écrire en Français qui n’est pas sa langue maternelle. Jusqu’à présent il écrivait en Allemand, langue qu’il maniait avec facilité, ayant fait études et université allemandes. «A la maison, je parlais souvent français avec ma mère – un français tout relatif, suffisant tout juste à l’usage domestique – patois alsacien avec mon père et mon frère. Depuis fin 1918, j’étais fonctionnaire et cultivais le style bureaucratique qui, pour en différer, ne vaut guère plus cher que notre français de cuisine d’avant 1914. De là à écrire en langue nationale, dans une revue intimidante par sa tenue…Certes, écrire en français m’a valu une audience plus large et m’a sauvé du complexe que je note chez des camarades continuant à écrire en allemand…» Jusqu’à la disparition de «La Vie en Alsace», en 1939, Robert Heitz et Claude Odilé «ont fait bon ménage» malgré quelques orages entre le critique intransigeant et le directeur de revue forcé de ménager la susceptibilité de ses abonnés. «J’avais fini par admettre qu’un article de revue ne doit pas relever de la polémique.» Il tient à préciser qu’il choisissait lui-même les artistes dont il désirait parler. Les autres, ceux qu’il considérait comme des «pompiers» ou des «non-valeurs», étaient, selon lui, réservés à son confrère «parfois ami, parfois ennemi», Marc Lenossos. On ne peut pas être moins «gentil»!...D’autant que le jugement que Marc Lenossos pose sur son collègue, est marqué du sceau de l’objectivité, sans concession, tout de même…: «L’œuvre du peintre Robert Heitz, écrit-il, ne laisse personne indifférent. On l’aime ou on la déteste. Dans les deux cas, on a tort. Elle ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indigence. Elle n’est qu’un des modes d’expression d’un touche à tout de talent». Et, plus loin, il reconnaît, en le mettant probablement sur son compte, «Tant pis pour ceux qui ne cherchent en elle que la satisfaction d’un plaisir sensoriel». En 1928, Jules-Albert Jaeger lui propose d’assurer la critique d’art dans son nouveau quotidien le «Journal de l’Est». Si Robert Heitz qualifie cet engagement de délicat, c’est qu’il devait, au jour le jour, critiquer les expositions de «chaque Tartempion venu», alors qu’il soumettait sa propre production aux feux croisés de la critique. Son intransigeance imposée à un lectorat «grand public» souleva des tollés et mit la patience de son commanditaire à l’épreuve. «Poussé par mon goût sacrilège du non-conformisme, je m’amusais, dans cette gazette officieuse, à démolir les réputations les plus solidement assises et à défendre de jeunes inconnus, dont je goûtais la sincérité.» Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse… Le docteur Schneider le fit dans «La République, un journal bien écrit et sans lecteurs…» en éreintant «cruellement» Robert Heitz lors de sa première exposition, en 1922, à la Maison d’Art Alsacienne. «L’éreintement était fait avec esprit et talent, je ne lui en voulais pas – une fois la première émotion passée – D’ailleurs, l’électrochoc que j’avais subi paraissait presque bénin, comparé à ce qui arriva à d’autres, à telle de nos camarades du sexe féminin par exemple, à laquelle il consacra une critique rédigée entièrement en termes d’obstétrique…» En tout cas, ce fut sans rancune puisque en 1930, Schneider devint le mentor du «Groupe de la Barque» dont Robert Heitz fut un des timoniers et qui devait, pour un temps certes court, révolutionner l’art alsacien.Illustration pour "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire © Photo: Saisons d'Alsace n°47 Un écrivain au style imagé et pur
Robert Heitz, aux multiples talents, est également un écrivain apprécié. L’impressionnante bibliographie publiée par Paul Ahnne en 1949, donc, trente-cinq ans avant sa mort, donne une idée de la richesse de son œuvre littéraire. D’aucuns se sont posé la question de savoir où il puise la force qui lui permet d’accomplir une telle somme de travail. Il serait fastidieux de produire, ici, une liste exhaustive de ses écrits. Parmi ses livres, citons la «Petite histoire de l’autonomisme alsacien» de 1928, «Le Groupe de Mai, dixième anniversaire 1919-1939» de 1939, «Julien l’Apostat. Roman alsacien», paru la même année, «A Mort (Souvenirs)», aux Editions de Minuit, de 1946, qui, loin d’être un reportage de prison ou de procès relatant sa déportation et sa condamnation à mort, constitue l’histoire morale, psychologique et spirituelle de la Résistance alsacienne. «Quiconque voudra pénétrer profondément la façon de penser, de souffrir et de se taire de l’Alsace, lira cet ouvrage d’un homme courageux.» (2) En 1953, paraît, à compte d’auteur, «Mon Ami Hans, roman», où l’on constate comme dans ses autres travaux que Robert Heitz soigne le fond autant que la forme. Donnons comme preuve le paragraphe suivant: «Dans le match éternellement repris entre la France et l’Allemagne, l’Alsace figure le ballon. Poussée sans cesse d’un camp à l’autre, elle indique le plus fort des adversaires en présence. Elle reçoit les coups de pied. Mais tandis que personne n’a jamais eu l’idée de demander à un ballon son opinion, on exige de l’Alsace qu’elle témoigne de son enthousiasme à chaque coup de botte qu’elle reçoit. Et c’est là que gît l’abus». Et, sur un thème certes, plus léger, on ne boude pas son plaisir de lire ce savoureux portrait: «Chez madame Wolff – Juliette pour les intimes qui sont nombreux – tout était bien en place, des rondeurs aux bons endroits. Aussi portait-elle à ravir les volants et les falbalas, les manches à gigot et les petits chapeaux «1900», que les couturiers parisiens, d’après le principe de l’éternel retour du semblable, imposèrent au monde féminin en 1937. Ayant ainsi trouvé un style conforme à ses heureuses qualités physiques, Juliette semblait sortir vivante d’une estampe de Toulouse-Lautrec, et Hans, que l’étude des mystères de Cybèle et de Mithra avait amené jusque dans les parages du Docteur Freud, n’avait peut-être pas tout à fait tort d’attribuer à des souvenirs d’enfance refoulés la passion qu’elle avait subitement inspirée à son frère Gustave». (3) Dans «Souvenirs de jadis et de naguère» sorti en 1963, il feuillette son album de famille, parle de ses études, de journalisme, de politique, d’administration, du rouge et du noir, c’est-à-dire du «sabre et du goupillon»; l’occasion de brosser d’autres portraits sans retouches. Où il s’engage à ne dire que la vérité, mais surtout pas toute la vérité. «Pas de strip-tease moral», pour ne pas aboutir sur la «voie de garage freudienne». «Tout cela, dit-il en avant-propos, par le cadre et par l’auteur, relève de la petite histoire. «Mais n’est-ce pas, en fin de compte, de petites pierres modestes qu’est composée une mosaïque monumentale? C’est quelques petites pierres que j’apporte ici, en contribution à l’histoire de l’Alsace pendant un demi-siècle.» Préfacier, il a présenté des œuvres de H. Solveen, d’A. Andrès, de C. Reinbold…Il a rédigé d’innombrables articles pour l’excellente revue «La Vie en Alsace», de 1927 à 1938 et pour «La Revue du Rhin» qui sont autant d’études pertinentes, perspicaces et savantes, au style imagé et pur, consacrées à nos artistes peintres, graveurs, sculpteurs…
Il affirme aussi ses goûts dans une série
d’hommages à
Piranèse, à Urs Graf, à
Jérôme Bosch, à son ami Brunck de
Freundeck, à Picasso
Il interprète intelligemment les
chefs-d’œuvre des grands maîtres:
Raphaël,
Zurbaran, Vélasquez, Poussin. Car son érudition
est infinie, reconnaît Marc
Lenossos.
Hommage à Brunck de Freundeck Huile sur toile (82.6 x 104.4 cm) © Bibliothèque des Dominicains, Colmar Un artiste-peintre autodidacte qui a tracé son chemin
A présent, connaissant la carrière de Robert Heitz qui va de l’homme politique au polémiste, du patriote au résistant, du critique et mémorialiste à l’écrivain, «en présence des vues du théoricien et du censeur», nous comprendrons mieux le sens des recherches et de l’évolution du peintre. Le dénigrement des médiocres a essayé de rabaisser Robert Heitz, juriste et fonctionnaire au rang des amateurs. «Ce n’est que jalousie malveillante, dit Camille Hirtz, Quiconque peint bien, n’est pas un amateur!...» Certes, n’étant pas passé par la filière habituelle, par exemple l’Ecole des Arts Appliqués de Strasbourg, s’étant formé au contact des maîtres anciens et modernes au cours de ses séjours à Venise, Rome, Florence et ses voyages en Grèce notamment, en compagnie de Brunck de Freundeck, Robert Heitz est, avant tout, un autodidacte. Mais, grand travailleur, chercheur acharné, artiste extrêmement doué, il devait trouver son chemin.L'Emeute, Huile sur toile Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg Une des plus anciennes peintures de Robert Heitz, une vue du Griffon, près de Saverne, date de 1916. Exécutée « dans la meilleure tradition post-romantique elle nelaisse en rien prévoir l’orientation future de son auteur.» (3) En revanche la première affirmation de sa personnalité perce dans les années 1920-22, quand il s’attaque aux compositions vivantes (soldats attablés, ouvriers en grève) dans un impressionnisme aux touches larges, à la pâte épaisse, aux couleurs retenues. Dans une toile de 1922 figure, sous forme de boxeurs, «ce type de brute épaisse qui constitue un des modèles les plus fréquents de Heitz». Mais, surtout, « le dynamisme, la recherche du mouvement et de la puissance, déjà sensibles ici, resteront les dominantes d’un art qui ne traitera que rarement la nature morte et dont les paysages sont presque toujours animés de figures vivantes.» (1) Cependant, l’impressionnisme se perd dans les recherches de surfaces délibérément enchâssées, de volumes eux-mêmes nets. Collection particiulière La Bugatti, 1927 - Huile sur toile Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg
En 1924, Heitz fonde, avec quelques amis peintres le Groupe des Cinq qui, dès l’année suivante, va se réduire au Groupe des Quatre. Quatre qui vont se placer sous l’emblème de «La Barque», «gréée et lancée en 1930, à une époque où le Groupe de Mai, tout en montrant quelques signes d’essoufflement, occupait encore le devant de la scène. L’initiative et la dénomination en étaient dues au peintre Albert Thomas (1892-1960), esprit toujours en quête d’expériences nouvelles…» Au réalisme quelque peu terre à terre, agrémenté par la recherche d’un style dans l’esprit, sinon le canevas, de Cézanne qui caractérise le Groupe de Mai, les rameurs de la Barque prétendent opposer le droit à l’imagination et marquent leur volonté de sortir du cadre régional en allant exposer à Paris, à la Galerie Berheim-Jeune. Au nombre des nautoniers, on compte, finalement, Daniel Schoen (1873-1955), Paul Iské (1877-1961), Georges-Daniel Krebs (1894 -1982), Armand Ingenbleeck (1896-1971), Richard Brunck de Freundeck (1899-1949) et Robert Heitz lui-même. Et c’est, comme nous l’avons indiqué plus haut, le Dr Rodolphe Schneider qui assume les fonctions de mentor de l’équipage. Au sein de ce groupe, sans grande cohésion, la personnalité de Robert Heitz s’affirme d’année en année. «En 1927, il peint une première version du Malade Imaginaire qui par son côté caricatural est bien dans l’esprit de Molière. On y trouve déjà certaines caractéristiques de métier qui ne se démentiront plus: matière savoureuse, coloris vigoureux où une place de choix est faite au noir, la plus belle couleur selon Heitz qui s’accorde sur ce point avec Renoir lui-même.» (1)Le Malade imaginaire - Huile sur toile Collection particulière
En 1926, pour fuir la monotonie de son activité bureaucratique, il passe ses vacances à Montparnasse, décidé à couper les ponts et à se lancer, tête baissée, dans la peinture. «Ayant ramassé mes maigres économies, je m’installai dans un modeste hôtel face à la Grande Chaumière. Je passais les matinées à peindre des paysages le long des quais de la Seine et les après-midi des nus à la Grande Chaumière. Hélas, mon feu sacré ne fut qu’un feu de paille. Après six ou huit semaines, sans gloire, sinon repentant, je repris le licol administratif.»Paysage Parisien - Huile sur toile - 1926 Collection particulière
Dans
les années 1924, 28 et 29, se font sentir
les premières influences surréalistes qui se
marient de
faux cubisme, avec
«L’Arlequin», les «Acrobates
forains» le
«Nu à la Fenêtre» qui
dénotent une
grande rigueur de composition et de dessin. Dans
«Dialogue», la toile est
strictement ordonnée. C’est à cette
période
(1928) qu’appartient l’excellent
autoportrait de l’artiste, traité par larges plans.
Le Dialogue, 1928 - Huile sur toile Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg Après avoir travaillé le clair-obscur, recherché la lumière, donné aux couleurs plus d’autorité, s’être attaché à rendre l’atmosphère et le caractère des scènes de rue, il s’attèle à un autre problème, poursuit une autre ambition: remettre à l’honneur le «sujet». Celui-ci sera surtout d’inspiration mythologique et biblique. A l’instar de Daniel Schoen il oppose à «la peinture-peinture», doctrine officielle du moment, la peinture à sujet, celle qui ne se contente pas d’être un prétexte à couleurs agréables, mais prétend aller au fond des choses. La peinture est chose de l’esprit, causa mentale, disait Léonard. (Alors que pour Delacroix, il faut d’abord qu’un tableau soit une fête pour l’œil…)
«Entre
1931 et 1933 naquirent donc des scènes religieuses, des
bacchanales, des pages
inspirées de Shakespeare et de Cervantès.
L’Enfant Prodigue, le Bon Samaritain,
Salomé, Saül et David, Joseph et la femme de
Putiphar, voilà pour les scènes
bibliques; Don Quichotte et Sancho Pansa, et, surtout, Hamlet pour qui
notre
peintre nourrit une prédilection, Hamlet et
Ophélie, Hamlet contemplant le
crâne d’Yorick, voilà pour la
littérature.»
Portrait de Robert Heitz, devant Hamlet © Wollenschlaeger «Tout cela, poursuit Paul Ahnne, est somptueusement traité, dans une pâte riche et un coloris aux chaudes résonnances. On souhaiterait parfois que les détails, si brillamment exécutés soient-ils, concourent d’avantage à l’harmonie de l’ensemble, que telle attitude soit plus intimement liée à la composition, que tel geste ait plus de naturel. Mais la vérité psychologique des personnages est toujours étonnante.»
Camille Hirtz, qui perçoit des «infiltrations romantiques»
dans les œuvres de cette période,
estime par ailleurs que le modelé est
exagéré, que les oppositions sont
brutales et que le bleu de Prusse est
hégémonique…Pour Claude
Odilé, dans «La
Vie en Alsace», de 1937, les corps que peint Heitz, robustes
et bien campés,
ont quelque chose d’Alsacien. «Le
tempérament de Robert Heitz est très alsacien»
affirme-t-il. Il y aurait
chez Heitz plusieurs peintres. L’un du moment, celui des
esquisses arrachées
aux paysages, l’autre, qui a, en art, un esprit
d’escalier, c’est-à-dire, celui
qui construit. Il y a, enfin, le peintre intellectuel qui se divertit
par
exemple à exécuter une série de Malade
Imaginaire, «divertissement
d’une intelligence cultivée; ses
réminiscences
artistiques et littéraires s’interposent toujours
entre la nature et lui»
appuie Marc Lenossos. Odilé rejoint Lenossos pour regretter
que Heitz abuse de
la lumière artificielle, électrique,
consciemment, «sans
opérer la transposition qui s’impose en pareil cas.»
Enfin, Claude Odilé espère qu’il
tournera le dos
définitivement aux paysages, aux intérieurs
où «les
choses et les objets semblent parfois manquer d’air
et
qu’il conquière un peu
d’atmosphère, de
ciel, d’espace…»
La Cuisinière,
- Huile sur toile - 1921Collection particulière Or, fort à propos, dans les années 1934-37, Robert Heitz revient, par intermittence, au pleinairisme impressionniste. Il renoue avec une peinture plus directe, plus en rapport avec le réel observable: femmes nues, enfants, paysages de Grèce et d’ailleurs. Ce sont encore des «sujets» mais, ils sont puisés à même la vie. Puis vient l’expérience surréaliste sur laquelle plane l’ombre d’un intrus…En janvier 1939, dans l’intention perverse d’induire en erreur le public et les critiques d’art, Robert Heitz expose simultanément sous son nom et celui d’Adrien Meïs qu’il emprunte à Pirandello et dont il signe les tableaux de l’étoile de David!...L’invitation au vernissage était assortie du texte savoureux qui suit: «Mon pauvre Meïs, «Lorsque vous vous êtes ouvert à moi de votre intention d’exposer à Strasbourg, je n’ai pu – il vous en souvient – que vous déconseiller cette entreprise. Voici que vous vous obstinez et me demandez de vous présenter à nos amateurs d’art. « Vous vous réclamez du surréalisme: or, les Strasbourgeois sont au monde ce qu’il y a de plus réaliste. Vous prétendez peindre l’irrationnel, le rêve, voire le cauchemar: les Strasbourgeois sont gens essentiellement raisonnables et qui, grâce d’une part à leur conscience tranquille et aussi grâce à l’excellence de leur bière, ont des sommeils profonds et sans rêves. Alors, que voulez-vous que je vous dise? «Vous serez traité de fou ou de snob ou de fumiste – et on peut cumuler! Ceci dit, bonne chance! «Fraternellement à vous – R.H.» (1)
Paul Ahnne relève que les murs de la paisible Maison
d’Art
Alsacien s’ornaient d’œuvres
qu’André Breton n’aurait pas
reniées comme un
«Conte bleu» très évocateur,
une «Flore» à l’anatomie
fleurie certes, mais
inquiétante, un «Mannequin»
assassiné, copieusement ensanglanté, une
«Naissance
de Vénus» très peu classique. Mais, la
supercherie fut aussitôt éventée. Le
coloris du spirituel Heitz si caractéristique
avec ses empâtements qui accrochent la lumière, sa
touche vigoureuse et
personnelle l’auront trahi. Quand l’humour a du
talent, on applaudit!...En tout
cas, les œuvres du fictif Adrien Meïs ont
été appréciées pour les
remarquables
qualités picturales dont elles témoignent. Elles
ont gardé tout leur charme et
toute leur valeur, reconnaît Paul Ahnne.
Naissance de Vénus, 1938 © Ed. Willy Fischer Strasbourg, 1969
Dans son roman «Mon Ami HANS», paru en 1953,
largement autobiographique, Robert Heitz évoque la
«drôle de guerre» qui lui a
fait reprendre du service dans l’hôtel –
hôpital de La Salcée (Saales?). Par
une morne journée d’octobre 39, il essaie de se
remettre à la peinture. Certes,
ce n’est pas le sinistre Climont qui l’inspire. Il
a la nostalgie de la mer
latine, des éphèbes nus faisant galoper des
chevaux. «Tout
cela est sans doute très «pompier», mais
je m’en fous. Il y a
longtemps que m’écoeure notre peinture moderne,
née dans les cafés empestés de
Montparnasse…Le corps humain n’existe-t-il
qu’en fonction de la plus basse
débauche? Pourquoi l’art ne glorifierait-il plus,
comme il l’a fait jadis, la
beauté des corps nus modelés par le soleil? Et je
ne pense pas aux petites
boniches de suif chères à Renoir, auxquelles
adhère encore l’odeur nauséeuse du
lit qu’elles viennent de quitter. La nudité
glorieuse, héroïque, pure jusque
dans l’acte de chair, la nudité des Grecs et de
Michel-Ange, qui nous la
rendra? «Es ist mehr Verstand in deinem Körper als
in deiner besten Weisheit.» (Il
y a plus de sens dans ton corps que dans toute philosophie) –
Nietzsche.
Les Dioscures du Quirinal Collection particulière Il fait venir de Strasbourg couleurs et toiles et tente de réaliser quelques grandes compositions à partir des nombreuses esquisses qu’il avait jetées sur la toile et dans lesquelles il avait marié l’art des maîtres aux plus audacieuses trouvailles des «Fauves». Hélas!...Il n’a plus retrouvé l’exaltation qui lui avait fait peindre les ébauches qui s’étaient accumulées, plus violentes les unes que les autres. «Comme tous ces gestes étaient outrés, pathétiques et faux, ces couleurs brutales, sans nuances!» Toutefois, les œuvres réalisées avant 1942 seront adjointes à celles d’après sa libération d’avril 1945 pour composer une magistrale exposition à la Maison d’Art Alsacienne, en septembre de la même année.
Dès son retour, Robert Heitz est nommé
président de
l’A.I.D.A. Il le restera durant 28 ans. S’accordant
à peine le temps de réparer
le délabrement physique où l’avait mis
les geôles nazies, «un squelette ambulant»
selon l’ami Hans, il se jette sur ses pinceaux.
Il est à remarquer que certaines toiles exposées
en 1945, et d’autres en 1949,
avaient été exécutées
d’après des études dessinées
en prison. «Que
faut-il en admirer: la sérénité de ce
condamné à mort, attendant son
exécution, ou la toute-puissance du virus
surréaliste? Car le surréalisme n’a pas
dit son dernier mot chez Heitz, non
plus bien entendu, que les thèmes éternels
qu’il s’applique à
interpréter par
les lignes et les couleurs.» (1) Outre des
fleurs et
des paysages figurent surtout une «Crucifixion»,
une «Tentation de Saint
Antoine», un «Julien l’Apostat
à la Bataille de Strasbourg» (357 apr. J.-C.)
«Cette
dernière et fort belle toile est
certes une évocation de l’histoire romaine de
notre
province, mais dans la
pensée de son auteur, l’image du futur empereur
méditant sur sa victoire, est davantage encore,
sans
doute, un symbole.
Celui de l’histoire même de l’Alsace.»
(1)
La tentation de Saint-Antoine, 1942 - Huile sur toile Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg Julien l'Apostat à la bataille de Strasbourg, 1941 - Huile sur toile Collection particulière Les toiles qui s’échelonnent de 1946 à 1948 sont, selon Camille Hirtz, plus savantes dans leur orchestration. Elles ont perdu un peu de leur violence comme l’atteste «Andromède» dont l’exposition au monstre marin ne paraît pas fatale. «La Dame à la Licorne», tableau idyllique, baigne dans la douceur et la paix. «Le Christ aux Outrages», ne semble pas particulièrement menacé, dans une toile très ramassée dans sa composition, très dense; le tout étant assourdi de teintes vertes. «Cassandre», d’une construction sévère, est une œuvre singulièrement dépouillée. Hirtz note qu’à cette époque, l’élément romantique qui traversait, jusqu’alors, tout l’œuvre de Robert Heitz est éliminé. Ce qui paraît à d’autres critiques exagéré. En tout cas, ce romantisme qui reste sensible dans les thèmes chers au peintre: la vie, la poésie, l’amour, la mort, est contrôlé par l’esprit et un profond scepticisme, relevé «d’une pointe de raillerie» (1) qui attesterait sa lucidité. En 1951, Robert Heitz peint «La bataille de Saverne» (1525). C’est une de ses œuvres les plus mûres dans sa réalisation. Dans cette toile et celles à venir, le problème de la composition, de l’unité, du rythme, est résolu. Le peintre est délivré des défis du métier; c’est avec enthousiasme et audace qu’il l’aborde.
Désormais, ses recherches revêtent trois aspects:
la
peinture à sujet, la doctrine surréaliste et la
peinture d’après nature qui est
une fenêtre ouverte sur le motif, sur le réel.
«Les sous-bois
et les fleurs qu’il peint alors, sont tout baignés
de
fraîcheur et tout éclaboussés de
lumière, avec des richesses de palette qui
sont d’un grand coloriste.» (1)
Sous-bois, environ de Saverne, Aquarelle (30x24cm) Collection particulière
Mais, ce sont les tableaux à sujet, en
général,
et d’inspiration surréaliste, en particulier, qui
concentrent en elles la
maîtrise la plus évidente. Conception, mise en
page, facture, savamment
calculées, font de «Saint Jean à
Patmos» ou de «Cassandre», par exemple,
des
œuvres extraordinairement évocatrices.
L’ambiance souvent dramatique, tient à
la fois du peintre et du visionnaire: «Grands
ciels tragiques où les rouges et les jaunes de cadmium
mettent des lueurs
d’incendie, où les bleus livides et les verts
blafards font planer d’étranges
menaces. Une inquiétante et muette poésie
émane d’objets disparates qu’un
génie
cruel ou facétieux paraît avoir réunis.
Il semble que Robert Heitz n’ait
multiplié les expériences que pour mieux
convaincre». (1)
Castor sans Pollux, 1951 Huile sur toile © Ed. Willy Fischer, Strasbourg
Si l’intelligence prend le pas sur la
sensibilité et, par conséquent, sur la
spontanéité, un regard attentif
décèle
dans la production de Heitz aussi loin que l’on remonte, en
filigrane, une
sensibilité cachée, un lyrisme secret, une
poésie latente. Son œuvre se
caractérise, par ailleurs, par quelques autres invariants:
la fidélité au sujet
et à certains thèmes comme «Le retour
du Fils prodigue», la fidélité au style
et à «une
écriture lourde chargée de
couleurs…soulignant la volontaire brutalité des
formes et des nudités viriles…
On sent l’infinie délectation de
l’artiste suscitant ses phantasmes, ses images
à la limite du vraisemblable et du supportable, se
constituant un monde à lui…»
(1)
Le retour du fils prodigue, 1967 Huile sur toile © Ed. Willy Fischer, Strasbourg Robert Heitz a fait cheminer son immense talent «sur des routes parfois étranges, vers d’étranges paysages de l’âme» (1) L’ensemble impressionnant de son oeuvre, marqué d’une forte personnalité, nourri de riches spéculations intérieures, littéraires et philosophiques, est une force de choc qui a effectivement choqué! (C’est peut-être la raison pour laquelle on s’écrasait aux expositions de Heitz, selon Paul Ahnne, les Strasbourgeois éprouvant le besoin de se laisser scandaliser et violenter moralement) En effet son goût de l’expérience a heurté parfois ses contemporains, non sans qu’il en soit conscient. Il le confesse sur le mode humoristique quelque peu acide dans sa lettre à son alter ego, Adrien Meïs. La raison en est qu’il refuse de se laisser cantonner dans la niche que le bourgeois lui assigne, ce qui l’aurait conduit tout droit «au tombeau et à l’oubli.» (1) Il a également dû tenir tête à certains de ses critiques. Notamment à Marc Lenossos qui, s’il reconnaît que, nourri de l’Antiquité, du Christianisme et du Classicisme, le génie de ce grand peintre alsacien est une synthèse étonnamment cohérente, il déplore que Heitz soit «le seul qui s’obstine à aborder le sujet, tombé en désuétude à cause de l’ennui qu’il provoque parmi le public qui se moque pas mal de «Castor et de Pollux» ou de «Nausicaa» dont il se souvient peu ou dont il n’a jamais entendu parler». Ailleurs, il prétend que les toiles de Robert Heitz semblent sortir d’un musée dans leur aspect de «faux vieux» Mais, bien qu’elle soit à l’opposé de ses goûts personnels, il porte un puissant intérêt à l’œuvre de Heitz qu’il estime avec conviction.
Toujours est-il que Robert Heitz s’est donné une mission: sortir l’art alsacien du régionalisme dans lequel il s’est replié, lui révéler sa véritable vocation qui est, avec ses incontestables talents et son génie propre, de participer aux grands courants artistiques, tant qu’ils existent, et se mesurer aux artistes du vaste monde. Y a-t-il réussi? Ce qui compte, c’est le chemin, pas le résultat!...L'ange, 1940 Huile sur toile Collection particulière
Robert Heitz nous a quittés le 14 novembre 1984.
Un square de Strasbourg porte son nom. Une galerie du Musée
d’Art Moderne et
Contemporain de Strasbourg lui a été
dédiée.
Bibliographie
Robert
Heitz – Souvenirs de jadis et
naguère
– 1961 © Robert Heitz Robert
Heitz – Etapes de l’Art
alsacien –
Saisons d’Alsace n°47 - 1973 Robert
Heitz – Réalité
et fiction dans l’art en
Alsace – Saisons d’Alsace
- 1982 Robert
Heitz – L’Alsace vue par
les peintres
– Horizons de France – 1952 Robert
Heitz – Mon ami Hans, roman
– 1953 ©
Robert Heitz (3) Paul
Ahnne – Robert Heitz, romantique et
surréaliste – Ed W. Fischer –
1969 (1) Paul
Ahnne – Le peintre Robert Heitz
– DNA
– 1949 (1) Me
François Lotz – Robert
HEITZ, sa vie, son
œuvre, ses ex-libris – Cahier des
ex-libris n° 20 Claude
Odilé – Robert HEITZ
– La Vie en
Alsace – 1938 Marc
Lenossos – Les expositions de
Robert
Heitz – Magazine Ringier Camille
Hirtz – Robert HEITZ, peintre de la
force
et du mouvement. – DNA (3) Articles
de presse – Magazine Ringier (2) Hélène
Braeuner – Les peintres et
l’Alsace,
autour de l’impressionnisme – La
Renaissance du Livre, 2003 Pascal
Jung et Jean-Claude Wey – Couleurs
et
Lumières d’Alsace – Ed. Les
Petites Vagues – 2009 René Wetzig – Dictionnaire des signatures des peintres, lithographes et graveurs alsaciens Ed. Jérôme Do Bentzinger - 2015 Portfolio © Ed. Les Petites Vagues Nature morte aux poissons et aux oignons, 1930 - Huile sur toile - Collection particulière Statue du Colleone, 1937 - Huile sur toile - © La Vie en Alsace La Princesse de verre, 1938 © Ed. Willy Fischer, Strasbourg La Princesse de verre, 1967 (image inversée) Collection particulière Toits de Strasbourg sous la neige, 1942 - Huile sur toile (101.5 x 83 cm) Collection particulière Ponts Couverts, 1946 - Huile sur toile Collection particulière Bouquet, 1950 © Ed. Willy Fischer, Strasbourg La Fuite en Egypte - Huile sur toile Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg © Musées de Strasbourg Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |