Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Robert Beltz (1900-1981)
Illustrateur de génie
© Luc Berujeau Robert BELTZ Huile sur toile de Lucien jung
La famille Beltz est présente
en Alsace dès le début de la Guerre de Trente Ans
(1618-1648), à Soultz, au
pied du Grand Ballon. Une famille d’artisans, bien
intégrée dans la petite
ville. Aux environs de 1696, Luc Beltz, d’abord conseiller
est nommé
bourgmestre. Il créa les armoiries de la famille. Deux
artistes-peintres
comptent parmi les ancêtres de Robert :
Ottmar-Eusèbe (1764–1850) et surtout le
fils de ce dernier, Henri (1802-1869) qui a
décoré le chœur de la basilique de
Thierenbach, peint des portraits dont celui de la belle-sœur
de Pouchkine,
conservé au musée du Bücheneck
à Soultz, dont une des salles est
dédiée à
Robert Beltz.
En
1870, le grand-père Victor, à l’instar
de plus ou moins
50 000 autres Alsaciens et Lorrains, opte pour la France. Mais, revenu
dans sa
ville natale, en 1890, il s’y fait construire une maison.
Maurice, le père,
polytechnicien, puis officier d’artillerie sorti de
l’Ecole de Guerre, entre,
en 1900, dans l’entreprise paternelle « Beltz et
Auer », dont le siège était
à
Strasbourg jusqu’en 1972. Elle s’occupait
d’import-export de houblon. La mère,
Georgette Coqueret, descend des Lusignan, prestigieuse famille
féodale
française originaire du Poitou et donc de la fée
Mélusine, issue des contes
populaires et chevaleresques du Moyen-Age. N’est-ce pas un
signe de
prédestination pour Robert ? Il vit
son enfance à Paris où il est né le 24
juillet 1900.
Il fait preuve de dons artistiques précoces. Dès
12 – 13 ans, il compose des
romans de cap et d’épée qu’il
illustre à la façon des bandes
dessinées. Il
s’avère être un précurseur
dans ce domaine. Les jeudis après-midi, il assiste,
envoûté, aux matinées classiques du
Théâtre Français. Au cours de vacances
d’été à
Gérardmer, il rencontre, admiratif, Hansi, le grand imagier
alsacien,
expatrié et recherché par les Allemands. Il
poursuit des études secondaires sérieuses au
collège
Stanislas où il décroche un 1er
Prix de mathématique, puis au lycée
Janson de Sailly. Mais il ne sera pas polytechnicien comme son
père, absorbé
qu’il est par ses dessins qu’il livre à
des publications comme les Annales,
la Source, la Vie parisienne où il met en
scène « les petites femmes de
Paris ». Sa manière,
élégante, fine, humoristique, est
appréciée.
Intégré
dans la vie mondaine,
ces revues prestigieuses se
sont arraché ses dessins jusqu’en 1925, date
à laquelle Robert Beltz part pour
Strasbourg dans le but d’y faire carrière en
secondant son père, pour
commencer, dans son entreprise d‘import-export. Deux
ans plus tard, événement
majeur, il rencontre Yvonne
Walschler qui deviendra sa compagne pour toujours. Le mariage est
célébré le 14
mars 1933. En raison de ses nouvelles occupations, Beltz a tendance
à délaisser
quelque peu le dessin. Heureusement Yvonne, passionnée de
cet art, l’incite à
reprendre ses outils d’artiste. Il ne les abandonnera plus et
Yvonne restera
toute sa vie sa fidèle collaboratrice.
Décédée le 27 août 2004,
elle perpétua
son œuvre. Après
la « drôle de
guerre », Robert Beltz est démobilisé
et rejoint son épouse réfugiée
à Toulouse où il assure l’ordinaire
grâce à des
prestations de comptable qui lui laissent le temps de créer
des images. Il
découvre chez un brocanteur un exemplaire d’une
édition ancienne du Diable Boiteux
de Lesage qu’il va illustrer. «
Tous les
jours, il s’installe à sa table, face à
une fenêtre qui donne sur une courette.
Peu à peu, c’est toute
l’atmosphère de ce roman espagnol datant de 1641,
qui
pénètre dans la chambre. Lesage a
l’amour du pittoresque et contemple la
réalité sous ses aspects les plus
variés et les plus colorés.
L’imagination de
Robert Beltz y trouve un terrain propice». (1) En
1943, ses illustrations terminées, il
se rend à Paris,
chez Georges Blaizot, éditeur réputé
de livres illustrés. Enthousiasmé par ses
aquarelles, celui-ci prévoit immédiatement une
édition de grand luxe qui sera
gravée sur bois et en couleur par Théo Schmied,
graveur exceptionnel dont
l’atelier se trouvait à Montrouge En
fait, raconte Robert Beltz, «
cela a commencé par le théâtre aussi
extraordinaire que cela puisse
paraître. J’aimais le théâtre
et j’aimais la mise en scène. Seulement, le
théâtre, c’est toute une vie et je dus y
renoncer. Alors,
faire de l’illustration,
c’est
en quelque sorte une mise en scène: vous transposez non plus
dans le monde des
gestes le texte de l’auteur, mais dans le monde des formes. Mon
premier livre, « Le Diable Boiteux
», est un livre qui m’avait charmé
enfant et même jeune homme. Et je rêvais
toujours…si j’illustrais un livre,
d’illustrer celui-là. […]
C’est ainsi que
tout a commencé. Et non seulement l’illustration,
mais aussi la gravure sur
bois. Blaizot m’avait proposé et dit
d’ailleurs que mes illustrations seraient
reproduites en bois. A ce moment-là, le bois pour moi,
était des gravures en
noir extrêmement frustes. Eh bien, pas du tout ! Vous arrivez
en bois à des
choses absolument extraordinaires ». La
gravure sur bois Dès
le VIème
siècle, les Chinois utilisaient des blocs de
bois gravés afin d’imprimer leur
écriture. Des estampes gravées sur bois
étaient tirées en noir. Cette technique
apparaît en Europe à l’époque
des
croisades comme d’ailleurs celle de la fabrication du papier.
Il faut attendre
le XVIIème siècle pour que la couleur fasse son
apparition. A
l’origine la gravure se pratiquait sur
« bois de fil »,
c’est-à-dire le bois pris dans le sens de la fibre
de l’arbre. Le graveur grave
en épargnant le trait, il amène le sujet sur la
surface du bois à l’aide d’une
gouge (pointe à graver). C’est la taille
d’épargne. Plus
tard, l’emploi de « bois
debout », (l’assemblage de
petits blocs de bois, pris dans le sens transversal de
l’arbre, de manière que
la fibre de bois soit perpendiculaire à la surface
à graver) attribuera une
plus grande finesse à la gravure. La
réalisation d’un livre
d’Art gravé sur bois est un
travail d’équipe où chacun, artiste,
graveur, pressier, collaborent pour
atteindre le but recherché par l’illustrateur,
chacun jouant un rôle essentiel.
Cela demande des années d’efforts.
« La
gravure sur
bois, à l’inverse de celle sur cuivre a un
caractère typographique, c’est-à-dire
que la reproduction d’un trait qui dans la gravure sur cuivre
s’obtient par un
sillon creusé au burin dans le métal,
nécessite pour le bois l’élimination de
tout ce qui n’est pas trait, de telle sorte que ce dernier
apparaît, non plus
en creux, mais en relief. » (2)
Le
bois utilisé est du buis ou
du prunier, parfois, lorsqu’il s’agit
d’obtenir des traits d’une très grande
finesse. La
gravure, ci-dessous,
« a
nécessité entre 15 et 20 bois.
Si on imprime chacun d’eux dans le ton qui lui est
assigné sur une feuille
particulière, on obtient des taches monochromes qui
n’évoquent que de loin
l’original, mais si tous ces bois sont imprimés,
chacun dans leur ton sur une seule
et unique feuille, l’original doit se trouver reproduit. Que
l’on songe aux
problèmes de repérage et de soins dans
l’application des couleurs si l’on veut
éviter les décalages ». (2) L’école
Estienne, Ecole
supérieure des arts et industries
graphiques (ASAIG), 18 bd Auguste Blanqui, dans le 13ème
arrondissement de Paris, forme les graveurs du monde entier. Mais,
quelques
graveurs seuls, sortis de l’Ecole Estienne sont capables de
réaliser un tel
travail qui consiste à reproduire un document
nécessitant 20 à 30 bois. Théo
Schmied, Gilbert Poilliot et Guy Descouens en sont des exemples. Ces
trois
graveurs ont travaillé pour Robert Beltz: pour les trois
premiers livres, Théo
Schmied, Gilbert Poilliot, le graveur
selon son cœur, «qu’il trouvait
gai, communicatif, convivial et bon
vivant», avec lequel il collabore durant trente ans, Guy
Descouens, qu’il a peu
connu, pour les derniers livres. Ils
l’ont suivi avec leur passion qui
n’avait d’égal que
leur talent. Leur incroyable patience aussi: 3 000 heures de travail,
250 000
passages sur les presses pour les seules Histoires
extraordinaires d’Edgar Poe, soit six ans de
travail d’imprimerie En ce
qui concerne l’édition de
ses livres, c’est Georges
Blaizot, libraire d’art, rue St-Honoré, qui lui
révèle les possibilités de la
gravure sur bois en couleurs en éditant le Diable
Boiteux. Les textes sont imprimés à
la Ruche, puis chez
Daragnès et enfin chez Pierre-Jean Mathan. Robert Beltz sera
ensuite son propre
éditeur, « aux dépends de
l’artiste », c’est-à-dire,
à compte d’auteur pour
rester toujours maître du choix du papier et de la
typographie. «
Du froissement de ces vélins
pur
fil, de ces corps, de ces bois, de ces couleurs, voici que naissent de
fabuleux
objets. Ce sont des livres. Et le miracle qui a
présidé à leur naissance
s’appelle virtuosité. Prouesse faite de talent,
bien sûr, mais d’adresse
subtile, de précise délicatesse et
d’infinie patience ». (3) Le
Diable Boiteux En
1945, le libraire d’art, Georges
Blaizot publie le
Diable Boiteux de l’écrivain breton,
Alain-René Lesage, dans une édition de
grand luxe de seulement 220 exemplaires, illustrés de 37
compositions gravées
en couleurs de Robert Beltz, «
alliant la
science de la composition à une verve endiablée,
l’imagination et l’observation
à une gamme chromatique à la fois somptueuse et
subtile. Cet événement fut,
dans le monde de la bibliophilie,
la
révélation soudaine d’un nouvel
illustrateur de classe ». (4) Le
héros du Diable Boiteux,
Cléofas, délivre un démon,
petit homme boiteux nommé Asmodée,
enfermé dans une fiole par un magicien. Pour
le remercier, Asmodée entraîne Cléofas
sur la plus haute tour de Madrid d’où il
lui dévoile les secrets de chaque foyer. Les personnages
découverts aux yeux
ébahis de Cléofas s’avèrent
perfides, diaboliques…Ainsi, Le Diable Boiteux
montre à son ami de belles jeunes filles qui vendent trop
chèrement leurs
faveurs à trois grands seigneurs… Les
Ames du Purgatoire de Prosper Mérimée
« En
Europe, le
Fantastique est contemporain du Romantisme, et
n’apparaît guère avant la fin du
XVIIIème siècle et comme la compensation
d’un excès de rationalisme. Dans un
genre aussi précis que le conte fantastique, on a rarement
vu pareille
synchronisation dans la vogue d’un genre
littéraire. Hoffmann naît en 1778,
Chamisso en 1781, Mérimée en 1805, Poe en 1809,
Erckmann en 1822 et Chatrian en
1826. Mérimée
avait de profondes
affinités
avec tous les maîtres du Fantastique. Il est un romantique de
la première heure
avec toutes les qualités de l’imagination, de la
mesure, de l’audace et du
goût. Deux récits de
Mérimée, les Ames du Purgatoire et le Carrosse du
Saint
Sacrement sont illustrés par Robert Beltz et paraissent en
1949,
gravés par Théo
Schmied.» (5) La
nouvelle, Les Ames du Purgatoire, est
publiée dans la
Revue des Deux Mondes, (crée en 1829) le 15 Août
1834. Il s’agit d’une version
très rare du mythe de Don Juan. L’auteur se
réfère au Don Juan de Marana, qui a
réellement existé. Don
Juan, jeune, a été
marqué par un tableau qui
représentait les tourments du purgatoire infligés
aux pécheurs. Entraîné par un
ami au moral douteux, ils séduisent deux soeurs.
S’ensuivent des épisodes de
trahisons, de meurtres, d’exils, de séductions
diverses…Enfin, le Don Juan de
Mérimée se repent. Alors que celui de
Molière ou de Mozart meurt impénitent.
Voici l’épitaphe qu’il s’est
choisie: «Ici
reposent les os et les cendres du pire homme qui a
été dans le monde. Priez
Dieu pour lui ». L’Homme
qui a perdu son ombre D’Adelbert
von Chamisso (1781-1838) Louis-Charles
Chamisso est né le 30
janvier 1781 au château
de Boncourt en Champagne. D’illustre famille
française, il doit émigrer en
Allemagne au moment de la Révolution. Il prend, par la suite
un nom et un
prénom plus allemands : Adelbert von Chamisso. Il devient
page de la reine de
Prusse à Berlin et entre ensuite dans
l’armée prussienne. « Se
sentant Allemand en France et Français en
Allemagne », il prend congé de
l’armée en 1809. Il effectue plusieurs
séjours en France où il fréquente le
cercle de Madame de Stael. Il entreprend
des études scientifiques, participe comme botaniste
à un voyage d’exploration
autour du monde qui s’intéresse notamment au
passage du détroit de Behring à
l’Océan Glacial Arctique. Ce qui ne
l’empêche pas de s’adonner à
la poésie En
1814, il compose « L’Homme
qui a perdu son ombre », un
des récits les plus étranges et les plus beaux du
Romantisme allemand. Le héros
de ce court roman, Peter Schlemihl, a vendu son ombre à un
étrange personnage
aux pouvoirs extravagants (et qui n’est autre que le diable)
contre une bourse
magique qui reste pleine quoi qu’il en
coûte…Dès lors, tout le monde
l’évite,
il est irrémédiablement isolé de la
communauté des hommes. Pressé par
Schlemihl, le diable consent à lui rendre son ombre contre
son âme. Mais le
jeune homme refuse et, croyant se sortir du piège, jette la
bourse dans un
gouffre. Commence alors une sorte de voyage expiatoire…
Toujours sans ombre et
désormais sans argent, il erre dans tous les pays.
L’opportunité d’acquérir des
bottes de 7 lieues lui permet de les enjamber en quelques bonds. Il
décide,
finalement de se réfugier comme anachorète dans
une Thébaïde, lieu isolé,
propice à la méditation.
Les
contes des bords du Rhin Erckmann
- Chatrian Robert
Beltz nous a donné des
chefs-d’œuvre avec les Contes
des Bords du Rhin. L’édition de 1963 qui fait
suite à celle de 1952, a été
tirée à 299 exemplaires sur Vélin Lana
pur fil. Elle comporte 47 aquarelles de
Robert Beltz, gravées par Gilbert Poilliot. Le texte a
été composé entièrement
à la main en vieux romain, corps 18 de la fonderie Caslon. Les
Contes des Bords du Rhin d’Emile
Erckmann (1822-1899)
et Alexandre Chatrian (1826-1890) sont des récits
fantastiques à coloration
régionaliste où l’influence
d’Hoffmann est perceptible. Les auteurs se
recommandent par leurs qualités de conteurs et leur
savoureuse simplicité de
style. Les contes des bords du Rhin, peut être
grâce à la nature rêveuse de
l’un et la jovialité de l’autre, sont
parcourus de mystère, de rêve, de
fantaisie, de sentimentalité. Histoires
extraordinaires Edgar-Allan
Poe (1809-1849) Habité
d’une remarquable
élévation de pensée qui a
régi sa
vie et ordonné ses préoccupations spirituelles,
Robert Beltz a cependant crée «
un univers qui fait une part moins large à
cet aspect de sa personnalité qu’à une
attention à la fois pitoyable,
passionnément curieuse et quasi amoureuse de la vie. Les
textes qui ont sollicité
son inspiration appartiennent tous à une
littérature où le fantastique le
dispute à l’horrible, au
grotesque et
aux divagations oniriques ». (6) Ainsi,
les Histoires extraordinaires
d’Edgar-Allan Poe,
traduites et réunies sous ce titre par Charles Baudelaire en
1856 et leurs
séquences de supplices et de
meurtres…L’attirance de Robert Beltz pour cette
œuvre magique «
apparaît comme une
évidence dès lors que l’on sait le
goût d’Edgar Poe pour le symbole, la
formulation secrète, la prospection systématique
et raisonnée [… ] du
Fantastique.» (7) Edgard-Allan
Poe, poète, romancier,
nouvelliste, critique
littéraire, dramaturge est une des principales figures du
romantisme américain.
Il se distingue par sa faculté à transformer
d’improbables horreurs en choses
qui paraissent si proches, si familières. Dans son
œuvre, il développe sa
théorie de l’effet qui nécessite la
brièveté pour être efficace,
c’est-à-dire
le temps nécessaire à la lecture d’un
poème lyrique – et non épique
– d’un
drame, à l’observation d’un tableau, les
digressions étant bannies. C’est là sa
conception de l’esthétique. Hallucination Contes
fantastiques E.T.A
Hoffmann (1776-1822) Hoffmann,
dont l’influence
précède celle d’Edgar Poe en
France, écrivain, musicien, peintre et, néanmoins
juriste, voue une grande
admiration à Jacques Callot. Il fréquente
assidument les tavernes où l'on
croise la bohème artistique, que ce soit à
Bamberg ou à Berlin. Il est
l’étroite symbiose entre littérature et
musique qui est un des traits du
romantisme allemand. Ses histoires fantastiques et grotesques sont
peuplées
d’êtres irréels et bizarres qui
illustrent le dédoublement de la conscience, la
folie, la télépathie, l’angoisse...
Elles visent l’investigation de l’âme
humaine. Elles connaissent un succès durable dans
l’Europe entière. «
Les contes fantastiques
d’Hoffmann
s’inscrivent dans un imaginaire où l’on
retrouve tout un attirail de sorcières,
de miroirs magiques, de remèdes merveilleux, de liqueurs
miraculeuses et
l’inévitable élixir du Diable. Il y a
toute une ménagerie d’animaux
extraordinaires, des serpents verts dorés, des salamandres
qui sont des
princesses, et des oiseaux brillants qui sont pris dans les rets
tissés par les
fées. Il y a toute une galerie de personnages extravagants,
des magiciens qui
font apparaître le Diable, des enchanteurs qui se
transforment en poissons
rouges, il y a surtout des créatures supra terrestres, des
fantômes, des
spectres et des revenants, des mages, des gnomes et des
génies à remplir la
Terre, le Ciel et l’Enfer.» (8) Robert
Beltz illustre les Contes fantastiques en 1968 Faust Goethe (1749-1832)
Le Diable est une figure de prédilection
du fantastique.
Ses visages sont si multiples qu’ils permettent toutes des
fantaisies. Il
fallut attendre le Faust de Goethe et le Romantisme pour que Satan
devienne
Méphistophélès, grand seigneur, ne
sentant plus le soufre, débarrassé de ses
attributs hideux, «
fût-ce par l’artifice
du faux mollet parfaitement
à la mode
» (9)
Robert Beltz qui a rencontré le Diable, a
dialogué avec lui
et lui a fait admettre que l’homme est capable de
s’amender, se passionne par
conséquent fortement au Faust de Goethe, une œuvre
d’art et d’imagination, qui
fut l’engagement de toute une vie et qui, dans un
progrès continu de vie
spirituelle, a conduit l’auteur à poser le
problème de la liberté de l’homme
face au mal. Rappelons que Faust réussit à
dénoncer, à dépasser le pacte qui
l’unit au Malin. Certes, il meurt, mais il est-
sauvé par les prières et
l’amour de Marguerite qui symbolise «
l’éternel féminin » dans son
expression
le plus totale. La sublime exaltation de l’Amour
Le Faust de Robert Beltz est le résultat
de la traduction
de Gérard de Nerval. Imprimé en deux couleurs
chez d’Aragnès. Gilbert Poilliot
a réalisé 52 gravures sur bois en
camaïeu. 1971, marque la sortie du Faust de
Goethe que Robert Beltz a ainsi préfacé :
« Illustrer
Faust,
dit Robert Beltz, c’est
l’occasion, pour
l’artiste qui tente l’aventure, de
s’interroger sur l’idéal
esthétique vers
lequel il tend et de se demander si cet idéal est en
harmonie avec la pensée de
Goethe et les archétypes qui sont à
l’origine du monde dans lequel nous vivons.
Si l’idée qu’il
puisse exister une
harmonie entre le domaine concret des formes et le monde abstrait des
idées
pures fait sourire certains de nos contemporains, c’est dans
la mesure où la
pensée de Goethe, ainsi que la pensée
scientifique leur sont étrangères […]
La
seule réalité
ne réside pas dans la
matière mais dans les formes et les structures dont les
causes d’organisation
et de mouvement se situent dans l’invisible dont elles sont
l’expression et, en
quelque sorte, l’écriture dans le monde des
sensations ». En
route pour la Nuit de Walpurgis? Les
Fleurs du Mal Charles
Baudelaire (1821-1867)
Encore
une fois, l’auteur et
l’illustrateur se rencontrent dans une heureuse
complicité car, chacun dans son
système esthétique, exalte « la reine
des facultés » : c’est
l’imagination qui
a enseigné aux hommes le sens divin de la couleur, du
contour, du son et du
parfum. Elle a créé l’analogie et la
métaphore. Elle crée un monde nouveau,
elle produit la sensation du neuf. Robert Beltz est entré en
résonnance avec
les poèmes de Baudelaire Sans
doute est-il d’accord avec lui pour
affirmer qu’un
artiste n’est un artiste que grâce à son
sens exquis du beau, que la poésie,
pour peu qu’elle veuille descendre en soi-même,
interroger son âme, rappeler
ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas
d’autre but qu’elle-même, que si le
poète
a poursuivi un but moral, il a diminué sa force
poétique, que la vérité n’a
rien à y voir, car « L’humeur
démonstrative repousse les
diamants
et les fleurs de la Muse », enfin, que cet immense
instinct du beau nous
fait considérer la Terre comme une correspondance du Ciel.
L’étrangeté étant le
condiment indispensable de cette beauté. «
Sur l’oreiller du mal, c’est Satan
Trismégiste qui berce longuement notre
esprit enchanté. » Cependant,
Robert Beltz aurait-il suivi Baudelaire
qui céda
au doute quant à la possibilité d’une
rédemption et pour qui le monde moderne
était celui de la mort de Dieu et ce, bien avant Nietzsche ? En
1975, « Les Fleurs du Mal »
ont été réunies en 250
exemplaires dans une très belle édition
à l’emboitage de soie jaune paille qui
s’harmonise avec les tons chauds des gravures en
camaïeu Yvonne
Beltz, pour les
célébrer, a organisé une exposition
à la librairie Kieffer, rue Saint-André-des-Arts
à Paris. Jean-Louis Bory en a
laissé ce très beau témoignage «
Vélin de Rives pur
fil in-quarto Jésus, quatre côtés
à la forme, typographie entièrement
composée
à la main en Colombia romain corps 20 de la fonderie
d’Amsterdam, bois gravés
en camaïeu, bois gravés en couleurs. Aux oreilles
du profane que je suis, cela
sonne comme un poème. Poème un peu
ésotérique mais superbement
pousse-au-rêve.
Et miracle ! Le rêve se concrétise. Du froissement
de ces vélins pur fil, de
ces corps, de ces bois, de ces couleurs, voici que naissent de fabuleux
objets.
Ce sont des livres. Et le miracle qui a présidé
à leur naissance s’appelle
virtuosité…» (10) La
Tentation de Saint Antoine Gustave
Flaubert (1821-1880) En
1845, Gustave Flaubert remarque au palais Balli,
à
Gênes, un tableau de Pieter Bruegel, l’Ancien,
représentant la Tentation de
Saint Antoine. Il en conçoit un projet de poème
en prose qu’il publie en 1845. Dans
sa recherche perpétuelle vers la
solitude absolue pour
mieux rencontrer Dieu, Saint Antoine est confronté aux
tentations les plus
malignes : visions de luxure, de débauche, de provocations
à l’apostasie, qui
ne cessent de l’assaillir jusqu’à
l’heure de sa mort, en 356. En essayant de se
fondre dans la nature, il aperçoit, dans le disque solaire
naissant, resplendir
le visage du Christ. La leçon de ce poème
philosophique : tout est vain sauf
Dieu !
Robert
Beltz confie ce sujet
hautement spirituel au graveur Gilbert Poilliot. Yvonne et Robert
décident
d’imprimer le texte en trois couleurs, «
afin
de mettre en relief la narration
apparentée au théâtre que Flaubert
avait choisie ». Hélas,
terrassé par une
crise cardiaque, Poilliot ne put réaliser que cinq gravures.
Guy Descouens
apparut comme seul capable d’une telle entreprise. Il
réalisa jusqu’à 28
planches pour une aquarelle. Son talent fit merveille ! C’est
Jean-Pierre
Mathan qui assura l’imprimerie. Il a fallu 7
années pour mener à bien Les
Tentations de Saint Antoine qui furent publiées en 1979 La
Nef des Fous Sébastien
Brant (1458 – 1521) Sébastien
Brant, humaniste de la
première génération,
souffre des contradictions de l’Eglise de son temps. En
moraliste passionné, il
pense ardemment à sa
régénération. L’immense
succès de sa Nef des
Fous témoigne de la justesse
avec laquelle Brant a su toucher les tempéraments, les
conceptions, les
craintes, les attentes de ses contemporains à
l’aube de l’âge d’or de
l’activité intellectuelle et littéraire
en Alsace dont les auteurs et les
imprimeurs se situent au tout premier rang du Saint Empire Romain
Germanique,
au cœur de ce couloir rhénan marqué, de
Bâle à Rotterdam, par la vie d’Erasme. Il
publie la Nef des Fous en février
1494, pendant le
carnaval de Bâle. Juriste, savant, tenant d’un
humanisme pieux, pédagogique,
patriotique, il exploite avec bonheur la veine satirique qui semble
prospérer
dans la province. La pierre tombale de Brant, en
l’église Saint Thomas de
Strasbourg, porte l’épitaphe qui se termine par
ces mots : «Toi qui
regardes cette pierre, souhaite à
Brant le ciel! Il vécut 64 ans. Il est mort en
l’an 1521 le 10ème
jour du mois de mai. La mort rend toutes choses égales
». La Nef
des Fous se compose d’une
préface, de 114 chapitres
en latin, passage obligé pour atteindre une audience
européenne. Elle est ornée
de 105 bois gravés dont 73 illustrés par Albrecht
Dürer. « Par les
sentences, proverbes et locutions proverbiales, les
références bibliques (surtout à
l’Ancien Testament et en particulier aux Livres
sapientiaux), à l’Antiquité classique,
le texte s’ouvre à plusieurs niveaux de culture
[…] Il ne s’agit pas de simples illustrations
permettant l’accès aux illettrés
et aux lecteurs hésitants.
» (11) Au
plan littéraire, la Nef des Fous
participe de la
tradition des genres comiques, des textes
d’édification, du fabliau et de la
satire, de la moralité, de la farce et du Jeu de carnaval «
Dieu
n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde?
» Sébastien
Brant a inspiré
Robert Beltz si intensément,
qu’il a créé 115 illustrations et 115
culs de lampe pour la Nef. Il fait
preuve, en l’occurrence, d’une rare
virtuosité. Yvonne qui sera le maître
d’œuvre, désire placer sous chaque
illustration, un texte écrit à la main en
caractères gothiques. C’est Herbert Schlanger qui
l’écrit dans son petit
atelier de la rue Dahlen à Cronenbourg. La
réalisation de l’ouvrage se termine
en 1978. La Nef a été tirée
à 150 exemplaires seulement. FR3 a consacré deux
films à l’œuvre de Robert Beltz. Il
recevra le Bretzel d’Or le 29 juin 1978.
La Nef des Folles
La Nef des Fous terminée, Yvonne et
Robert découvrent dans
un catalogue de la librairie Lardenchet à Paris,
l’existence d’une Nef des
Folles écrite en latin par un contemporain de
Sébastien Brant, Josse Bade, né à
Asche près de Bruxelles en 1452, qui voulut faire pour les
femmes en
particulier ce que Brant avait fait pour les hommes en
général : les
ramener dans la voie du salut…
L’ouvrage terminé en 1498 est
imprimé à Strasbourg par
Johannes Prüss. C’est la bibliothèque
humaniste de Sélestat qui confie à Robert
Beltz le rare exemplaire de ce livre ayant appartenu à
l’omniscient Béathus
Rhénanus. (1485-1547) La préface est
signée Jacques Wimpheling, (1450-1528) le
célèbre latiniste sélestadien.
« Six Nefs
parcourent
l’ouvrage qui met en exergue la folie humaine. Eve est
nommée « navargue
». Sa Nef est suivie de cinq petites Nefs dirigées
chacune par une femme folle. Robert s’embarque pour un
nouveau voyage à la
découverte des complexités humaines. » (10)
L’ouvrage est gravé par Guy
Descouens, l’impression est
confiée à Jean-Pierre Mathan qui compose le texte
en caractères Achenaeum.
La Bibliothèque Humaniste de
Sélestat expose la Nef des
Folles en même temps que d’autres œuvres
de Robert Beltz en décembre 1980 Robert
Beltz, qui êtes-vous ?
Ce qui frappa d’abord Henry
Lefèbvre, éditeur de Henry de
Montherlant et écrivain, «
chez cet homme
grand, distingué, aux vêtements bien
coupés et à l’allure de grand
bourgeois,
c’est sa discrétion, sa retenue, comme cela se
voit toujours aux artistes, aux
écrivains, aux hommes supérieurs. Robert Beltz
est un homme simple, modeste,
calme, bienveillant, mais dès que vous parlez avec lui, que
vous l’écoutez,
vous découvrez alors un homme d’une vaste culture,
d’une pensée profonde, à qui
rien n’est étranger ».
Sa prestance, son exceptionnelle
présence, le timbre de sa
voix, la précision du geste ont fait merveille au
théâtre qu’il pratiquait dans
les années 1930 et qu’il aimait tant.
Après avoir tout renié, Rober
Beltz est revenu à la
découverte de la nécessité
d’une puissance spirituelle, à la
révélation de « la
parcelle de divinité diffuse ». Il est vrai que
dès que l’on étudie un
problème
quel qu’il soit en remontant des effets à la
cause, à un moment, on arrive à la
fin du monde matériel et la cause est dans
l’invisible, reconnaît-il.
Son style émane d’un talent
« venu d’ailleurs ». L’art
n’étant pas réductible à la
technique, Robert Beltz se caractérise par sa
créativité, son génie capable de
créer une œuvre originale, unique, dans
laquelle il exprime sa subjectivité dans
l’exaltation de la beauté. Il a prouvé
qu’il était encore possible, au XXème
siècle où sévissaient Marcel Duchamp
et
autres Francis Bacon, de produire une beauté universelle,
intuitive, indicible,
indépendante des mots.
Il prend le parti des objets, les moule, les
multiplie avec
une sorte de minutie sensuelle pour ne pas dire jubilatoire. Il leur
attribue
une présence et une force évocatrice absolument
fascinante. Par son sens du
clair-obscur, il suggère l’informulé,
l’invisible (ce qui lui a fait fuir
Balzac qui décrit tout au bouton près), par des
personnages inattendus « aux
visages exorbités, aux masques tordus de
grimaces comme ceux des génies japonais, aux trognes
hagardes, aux mufles frénétiques
» (5),
de
plain-pied avec Bruegel et Bosch. Leurs physionomies, leurs expressions
propres
sont les miroirs limpides de leur caractère, de leur
moralité, de leurs
intentions. Ombres, lumières, couleurs composent un
éclairage qui n’appartient
qu’à Robert Beltz. Ce sont là les
marques d’un style et d’un esprit
profondément originaux. Il est d’ailleurs
difficile de déceler chez lui une
quelconque influence sur sa manière et son inspiration.
Lui-même ne se
reconnaît aucun maître ! Un
éclairage qui n’appartient
qu’à Robert Beltz
Sa prédilection à
l’humour, apparue dès la « Vie
parisienne
», confère à son œuvre un
piment, doux certes, mais si précieux, un humour
insondable, « fils naturel de l’esprit et de la
gaieté » (10).
De
son propre aveu, il ajoute parfois de l’humour à
des dessins sérieux, mais ne
le fait pas par humour !... Il aimait à dire: «Je
ne voudrais pas faire un dessin historique de Louis XIV,
j’aurais
tendance à y ajouter quelque chose qui fasse rire.»
Rendre le plus fidèlement possible la
pensée de l’auteur,
transcender l’expression littéraire en expression
graphique est pour Robert
Beltz un impératif
catégorique…C’est après
avoir sondé les concordances, les
correspondances, qu’il délivre le message qui lui
est révélé. Il prend le temps
de l’analyse, de la réflexion, car il
s’agit de chercher son inspiration en
s’imprégnant de l’œuvre
littéraire tout en donnant, ensuite, libre cours
à son
imagination. Celle-ci devient alors une « liberté
d’ordre supérieur » par
laquelle il exprime sa profonde sensibilité et son
exceptionnel talent.
Sa pittoresque ascendance : la
fée Mélusine, qui
symbolise les capacités prodigieuses de
l’imagination ouvre son âme au
merveilleux. Sans négliger la réalité.
L’ami de la sagesse est également l’ami
des mythes a dit Aristote. Et les grands mythes proposent, sur le plan
proprement philosophique, des leçons de vie et de sagesse
d’une profondeur
abyssale…Or la mythologie rhénane lui est
familière. Car « cet
Alsacien, cet homme du Rhin est un humaniste de la plus solide et
ancienne tradition, ce qu’on est convenu d’appeler
un homme de la Renaissance »
(4).
L’homme des deux cultures, comme bien d’autres
artistes de notre Alsace.
Lorsque dans les années 1930 Rober Beltz
ne dessinait plus,
c’est sur les instances d’Yvonne qu’il a
repris ses crayons, ses papiers, ses
aquarelles. François de Biran écrira plus tard : « Grâce à Yvonne,
Robert a libéré l’étincelle
enfouie depuis des années
et qui paraissait ne plus devoir briller. Alors s’est
amorcée cette
merveilleuse collaboration qui allait se sceller entre les deux
époux ».
Vigilante et fidèle compagne de toute une
vie, Yvonne s’est
employée après le décès de
Robert, le 29 avril 1981, terrassé par la maladie,
à
perpétuer son œuvre, « à
lui ériger un mausolée de lumière et
de vie. »
(12) Crédit photographique : F. Walgenwitz, sauf mention spéciale Bibliographie
-
Arts
et métiers du livre. N° 237 – 2003 (1)
-
Bulletins
des Amis de Robert Beltz. N° 10 à 17
-
Le
« Courrier » Revue trimestrielle N° 107
–
1993
-
La
gravure sur bois – Jean Saulnier-Brincourt (2)
-
Le
regard de Jean-Louis Bory (3)
-
Saisons d’Alsace - N°96
-
L’illustrateur
du Diable boiteux – Henry Lefèbvre,
éditeur de Henry de Montherlant (4)
– Saisons
d’Alsace - N°96
-
Le
Monde fantastique de Robert Beltz – Yvonne
Beltz (5)
–
Saisons d’Alsace -N°96
-
Robert
Beltz, de la Vie parisienne à l’Esprit
rhénan – Yvonne Beltz – Editions
Jérome Do Bentzinger – 1991 (10)
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Le
monde fantastique de Robert Beltz – Gérard
Gassiot-Talabot critique d’art – Saisons
d’Alsace - N°96 (6)
-
Les
Contes des Bords du Rhin –
Erckmann-Chatrian – Editions Jérôme Do
Bentzinger
-
Du
symbolisme des poètes à la forme visible
–
Roland Hollinger – Saisons d’Alsace - N° 96
(7)
-
Cinq
conteurs du fantastique – Yvonne Beltz –
Saisons d’Alsace - N° 96 (8)
-
De
la naissance du Diable à
Méphistophélès –
Philippe Brunner, Docteur en Droit – Saisons
d’Alsace - N° 96 (9)
-
La
Nef des Fous – Sébastien Brant – la
Nuée
Bleue, 2005 (11)
-
De
la vie parisienne à l’esprit rhénan
– Jean
Christian – Saisons d’Alsace - N°96 (12) |