Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Nicole Hellé
Nicole
Hellé à l'exposition artistique d'Ostwald, 1998
Ce qui a toujours caractérisé l’art en Alsace, carrefour et terre d’échanges, et qui le différencie nettement de celui d’autres provinces, c’est le mélange d’apports stylistiques venus de l’ouest, de l’est, du nord et du sud, mais qui presque toujours, sont assimilés et transformés par le climat de l’Alsace. Nicole Hellé a tout à fait sa place dans cette assertion que nous donne Robert Heitz. Elle apporte une contribution originale, comme il se doit, à la très riche pinacothèque alsacienne.
La prise de conscience du beau
Après une période de désagréments, le salut est venu de Strasbourg
En 1960, son père qui travaille dans une étude notariale, décide de déménager pour se rapprocher du centre-ville. Pour Nicole, treize ans, c’est un déchirement. «Fini le décor somptueux du bord de mer! Dans ma mémoire, cette période est très terne. J’y ai fait des études classiques et passé un bac philo. Mes loisirs étaient consacrés à la lecture, un refuge salutaire. Comme je n’avais pas trouvé ma vocation, l’autorité parentale m’a imposé une école de secrétariat de direction qui me laisse encore une impression de cauchemar.» Un an plus tard, Nicole Hellé est confrontée à un nouveau problème, atteinte d’un début de tuberculose, elle est envoyée dans un sanatorium étudiant à Saint-Hilaire-du-Touvet, au-dessus de Grenoble. Pourtant, ce séjour sera bénéfique à plus d’un titre. «Malgré le traitement, ces quelques mois ont été très positifs puisqu’ils m’ont permis de renouer avec un environnement merveilleux et de rencontrer, parmi les patients, de nombreux artistes. Enfin, j’y ai connu mon futur époux, Daniel. Il habitait Strasbourg et je l’y ai suivi.» Bien sûr, Daniel lui parle de sa prestigieuse cité, il évoque la Petite France, les Ponts Couverts, l’ambiance conviviale; il évoque le beau jardin qu’est le Kochersberg voisin…Bref, il la persuade qu’il fait bon vivre en Alsace!...Seulement, voilà, elle s’y installe en octobre 1968. En octobre, juste au moment où la belle province est investie par le vent, la froidure et la pluie, où le ciel est si bas que la flèche de la cathédrale peine à le soutenir. «Le ciel était souvent gris. Il pleuvait tous les jours. Je commençais à être déprimée. Quand soudain, au quai des Bateliers, il s’est mis à neiger devant les façades de maisons à colombages. C’était magique! Cela m’a marquée. Ensuite, j’ai découvert le marché de Noël et les traditions culinaires et décoratives de l’avent, puis ce furent les Winstubs et leur convivialité. Il faut dire que j’ai eu la chance d’être chaleureusement accueillie par les amis et parents de mon mari. Je me suis très vite sentie chez moi dans cette région attachante. Après avoir parcouru les villes, les villages, les musées, j’ai fait de la randonnée dans les Vosges, un autre décor de rêve…..J’ai toujours apprécié le côté bon vivant des Alsaciens et leur philosophie de la vie, due, sans doute, à leur passé tourmenté. »
" Un déclic s'est produit: point de départ de ma vocation "
Fascinée
par l’architecture – elle a travaillé
dans un service municipal: la police du
bâtiment qui, entre autre, veillait sur les maisons de
Strasbourg – elle est
sensible au caractère particulier des maisons à
colombages, à leurs encorbellements, aux oriels
qui
s’exposent. Elle aime représenter les quais qui
invitent à la promenade sur
l’Ill, celui des Bateliers qui, sous la neige, a fait
basculer sa vie. Elle
aime leurs maisons accolées les unes aux autres «pour un Schunkel de
circonstance, s’écartant parfois à
contrecœur, le
temps de laisser passer une venelle, filer une voiture…et
qui, à nouveau,
resserrent leurs rangs pour se
contempler dans l’Ill», comme dit si
joliment Emilienne Kauffmann. Elle
aime les placettes de la vieille ville, autrefois animées
par des marchés hauts
en couleurs et forts en senteurs…, leurs statues
éloquentes comme le
Meiselocker de la place St-Etienne. Elle est impressionnée
par ces toits
immenses hérissés de lucarnes au regard
plongeant. Elle aime les enseignes des
corporations disparues, les fenêtres à meneaux,
les colonnettes des
balustrades…les cours et les ponts comme ceux du Corbeau, en
pensant peut-être à
Lothar von Seebach et à Lucien Blumer qui les ont
immortalisés en leur temps. © Nicole HELLE «Quand je déambule dans les rues, je ne peux m’empêcher de «cadrer» du regard les maisons pittoresques que j’imagine déjà sur la toile. Il s’agit le plus souvent de bâtisses usées par le temps, un peu de guingois, aux toits voûtés, mais dont la couleur, entre les colombages, apporte un aspect pimpant. Je les considère comme des personnages et je tiens à rester aussi fidèle que possible à la réalité des lieux. Pour ajouter de la vie et du mouvement, je place des familles, des couples, des oiseaux». Dans un décor d’exception, mais authentique, tel qu’il est, Nicole Hellé fait évoluer une société telle qu’elle devrait être: sereine, fraternelle, idéale. La réalité alliée au rêve…Une certaine idée du bonheur! «Ma peinture est intimement liée aux coups de cœur. Pour y imprimer un sentiment de bonheur, il faut que j’en éprouve moi-même. En 2000, j’ai perdu brusquement mon mari d’un cancer foudroyant. Mes parents sont décédés à la même époque. Le choc a été si éprouvant que j’ai cessé de peindre pendant deux ans. La rencontre de mon compagnon m’a redonné goût à la vie. Une envie irrésistible de reprendre les pinceaux a suivi».
Nicole
Hellé a repris les pinceaux parce qu’elle a
quelque chose à montrer, mais aussi
parce qu’elle a quelque chose à dire. Certes, ce
n’est pas déshonorer la
peinture que de reconnaître que sa puissance narrative, sa
capacité de raconter
est faible. Quand la peinture se veut narrative, cette narration
dépend presque
toujours d’un texte qu’il est nécessaire
d’avoir lu ou dont il convient de se
souvenir. Cependant, si la peinture raconte peu, ce peu est
d’une puissance
suggestive toute particulière. C’est notamment
vrai pour les tableaux de Nicole
Hellé. Ils suscitent des sentiments de bien être,
voire de nostalgie, ils
évoquent une de nos plus chères traditions: le
monde magique de Noël, elles
racontent le passé d’une ville, un
passé toujours vivant sous nos yeux. Chacun
peut, en ouvrant des yeux sensibles, se projeter dans ses
scènes de rues, se
mêler aux passants, engager la conversation. Cela va bien
au-delà de
l’anecdote…Il s’agit de transmettre un
message, ce dont Nicole est parfaitement
consciente quand elle nous dit: «Il est
aussi gratifiant pour moi qu’un
Alsacien de souche me dise qu’il retrouve son
décor d’enfance sur un de mes
tableaux.»
Place du corbeau, Strasbourg © Nicole HELLE
Vous avez dit " naïf " ?
Vous avez dit «naïf», comme c’est naïf…Ouvrons le dictionnaire. Oui, l’inspiration de Nicole Hellé est issue de la vie quotidienne – du rêve aussi – Sa vision des choses est ingénue, je dirais «candide». Elle va de pair avec une certaine indifférence des principes de la culture artistique «savante». Le tout suscite un art sensible, minutieux, coloré et sincère. Mais son style, sa touche personnelle, n’a rien à voir avec la maladresse des peintres d’enseignes ou d’ex-voto ou avec celle des portraitistes des campagnes qui ne sortent de l’anonymat qu’avec l’émergence du Douanier-Rousseau. Mais, laissons à notre artiste le soin de clore le débat:«Je suis autodidacte. La visite de certains musées m’a sans doute motivée pour m’exprimer: le Musée Alsacien de Strasbourg, le musée d’Orsay, l’école de Pont-Aven, les Flamands tels que Breughel et une galerie de naïfs qui existait autrefois, rue du Dragon à Paris.» En tout cas, tous les contemplateurs de ses œuvres admirent sa passion du détail. Sa minutie, sa précision, qui constituent une remarquable prouesse technique, mériteraient le test de la loupe que l’on promène devant le Jugement Dernier de Rogier Van der Weyden, aux hospices de Beaune. Toutes proportions gardées quant aux dimensions des deux œuvres. Votre pinceau, Nicole, combien de soies? La renommée de Nicole Hellé comporte un paradoxe: elle n’a exposé qu’à Strasbourg et pourtant, elle est connue dans le monde entier… On compte plus d’une vingtaine d’expositions strasbourgeoises, notamment à l’Aubette, au Pavillon Joséphine, au Conseil de l’Europe, à la foire de Printemps, aux DNA, à l’office du tourisme, place de la cathédrale, ou encore dans le cadre du groupement «Femmes créatrices». Outre ses illustrations parues dans des magazines, ses affiches, ses cartes postales, ses cartes de vœux commandées par la municipalité de Strasbourg, elle a illustré le très beau livre «Strasbourg en habit de rêve», paru aux Editions du Rhin, en 1992: un itinéraire de 60 pages et 26 tableaux à travers les vieux quartiers de la ville, accompagné à merveille par les textes poétiques et subtilement malicieux d’Emilienne Kauffmann. Si Nicole Hellé est connue dans le monde entier, c’est parce qu’elle a été sélectionnée 8 fois pour la célèbre série des cartes de vœux de l’U.N.I.C.E.F. Il a fallu une première sélection à Genève, puis une deuxième à New-York pour décrocher l’acceptation de la Place Kléber ou du Christkindelmarik de la place de la cathédrale…Dans le cadre d’une des campagnes de ce prestigieux organisme, un timbre a été édité sur le thème d’une de ses cartes. C’est une consécration et une grande satisfaction pour notre chère artiste de savoir que ses cartes de vœux ont fait le tour du monde des boîtes aux lettres!... Nicole Hellé, vous qui avez si bien compris notre province et adopté nos valeurs, vous qui avez trouvé son âme, notre Graal, et avez su la faire revivre, faites-nous rêver encore et encore, et en toutes saisons…Dans le monde où nous vivons, nous avons tellement besoin de cette sorte de tendresse…
Sources:
- Interview de Nicole Hellé - Strasbourg en habit de rêve – Illustrations Nicole Hellé – Texte Emilienne Kauffmann – Editions du Rhin, Mulhouse – 1992 - (Epuisé) - Articles de presse – Télé-Loisirs - DNA - Etapes de l’Art alsacien, XIXe et XXe siècles – Robert Heitz – Saisons d’Alsace N° 47 - Aimer voir – Hector Obalk – Editions Hazan, Paris - 2011 - d’Art d’Art! – Frédéric et Marie-Isabelle Taddeï – Editions du Chêne, tome 1 - 2009 Portfolio Acryliques sur toile (55 x 46 cm) Quai des bateliers - vers 1985 © Nicole HELLE Place des Tripiers - vers 1989 © Nicole HELLE Place St-Etienne - vers 1991 © Nicole HELLE Marché des Producteurs - vers 1992 © Nicole HELLE Place du Marché aux Cochons de Lait - 1999 © Nicole HELLE Quai de la Bruche, l'été - 2000 © Nicole HELLE Les Ecluses - vers 2001 © Nicole HELLE Les Ecluses en été - 2001 © Nicole HELLE Place de la Cathédrale - vers 2003 © Nicole HELLE Place Kléber, le grand sapin - 2003 © Nicole HELLE Petite France avec pont tournant - 2005 © Nicole HELLE Marché de Noël - 2012 © Nicole HELLE Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |