Culturel




" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir

   des passionnés d'Art Alsacien "                      

                               

  Monographies de Peintres Alsaciens par François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Léo Schnug 

(1878-1933)

 


Un destin tragique

Leo Schnug 72c.jpgLéo Schnug, en uniforme de la Garde Nationale de 1789
A l'occasion de la fête Erckmann-Chatrian
Collection P. Martin Strasbourg

© Ed. Willy Fischer


 

    L’artiste Léo Schnug, qui a laissé une œuvre considérable, une oeuvre d’une exceptionnelle diversité et d’une grande rigueur et qui a été l’un des plus prestigieux illustrateurs de l’épopée, pose le problème des liens entre art et alcool, l’alcool qui l’a irrésistiblement entraîné vers sa perte!... Il est établi que le talent artistique dépend bien souvent d’un équilibre psychologique précaire, « Ni la tranquillité d’esprit, ni latransparence du quotidien n’engendrent des chefs-d’œuvre» (3) Or, Léo Schnug, n’a pas de soucis matériels, sa peinture est reconnue, il a beaucoup d’amis, grâce à son imagination débordante, il ne ressent pas l’angoisse de la feuille blanche. Alors, l’alcool, serait-il un artifice ou plutôt un refuge pour supporter les marques plus ou moins prégnantes d’un mal-être? Mais lequel?

 

    Léo Schnug est né le 17 février 1878 à Strasbourg. Son père, Maximilien Christian Heinrich Schnug est originaire de Neuwied, près de Trèves. Sa mère, Marguerite Lobstein est née à Lampertheim, village du Kochersberg, proche de Strasbourg. Le mariage eut lieu le 1er septembre 1874. De cette union naquirent une fille, en 1876 et, en 1978 le petit Léo.

 

Une photo de famille prémonitoire



Leo Schnug 73c.jpgLa famille Maximilien Schnug
© Ed. Willy Fischer


     

    Une photo de famille qui a probablement été prise en 1880 nous permet, à travers leur physique, d’entrevoir le destin des parents et des enfants. Maximilien, au regard vague, paraît absent. Son geste de la main gauche posé sur la taille de la fillette, manque de naturel. Quelques mois plus tard, son équilibre psychique sera rompu. La fillette, dont nous ignorons le prénom, au regard craintif, à l’allure fragile mourra peu après, à l’âge de six ans. De son côté, Marguerite est l’image de la mère de famille bien portante, les cheveux soigneusement retenus, le regard franc quelque peu dubitatif d’une personne responsable  Elle jouera un rôle essentiel dans la vie de son fils qu’elle tient, ou plutôt, qu’elle retient dans ses bras, car manifestement il a fallu le forcer à poser devant le photographe. Turbulence qui laisse présager d’autres indisciplines…

    Maximilien Schnug exerce la fonction de «Gerichtsaktuar», c’est-à-dire  greffier au tribunal de Strasbourg. Il fait partie de ces fonctionnaires d’origine allemande récemment nommés dans l’Alsace annexée. C’est sans doute cette profession qui explique son écriture d’une belle et rigoureuse calligraphie. Dès l’âge de 18 ans, soit 6 ans avant son mariage, il tombe malade, affecté de troubles nerveux qui nécessitent une première hospitalisation à l’hôpital psychiatrique de Stephansfeld. Pendant son deuxième et définitif séjour dans cette institution, c’est-à-dire entre 1880 et 1919, le symptôme le plus évident de sa pathologie est qu’il se prenait pour l’empereur Maximilien 1er, mais aussi, à d’autres moments, pour Napoléon 1er «Ce choix traduit bien, dans la maladie, l’ambivalence rhénane. Il écrit un jour de l’année 1880: «je voulais rester fidèle tant aux Allemands qu’aux Français» (1) Plus tard, il se prendra pour Jésus ou le dieu Mars. Selon Auguste Wackenheim, toujours, il ordonne et dirige des mouvements de troupes, prétend qu’il a toujours été sur terre. Il conserve une mémoire étonnante des faits historiques, mais a perdu la mémoire de sa propre vie. Peu à peu, il devient inapte aux travaux d’écriture et perd sa capacité à calculer. Son délire verbal et ses images hallucinatoires ont métamorphosé l’hôpital psychiatrique en un palais impérial. Aucun signe neurologique n’a permis de préciser l’étiologie de ces délires chroniques, schizophrénie? Monomanie de l’orgueil? Il meurt à 69 ans par un ramollissement de l’hémisphère cérébral gauche.




Leo Schnug 74c.jpgLettre du père, après 5 mois d'hospitalisation
© Ed. Willy Fischer

"Nous, Maximilien Christian Heinrich, par la Grâce de Dieu Empereur sur Terres et Mers, ordonnons et commandons qu'un Major du 105ème Régimnet d'Infanterie nous conduise immédiatement à Strasbourg, du fait qu'à présent notre santé est pleinement rétablie. Maximilien..."

    

   

    On devine la gravité de la situation morale et matérielle dans laquelle Marguerite Schnug doit se débattre. Peu après avoir été privée du soutien plus ou moins efficace de son mari, et ce, depuis 1880, elle a la douleur de perdre sa fillette âgée de six ans. Désormais seule avec Léo, elle cherche à assumer au mieux sa charge de maîtresse de maison. Elle aménage le logis qu’elle vient d’acquérir au 7 de la rue Graumann pour pouvoir louer des chambres meublées. Sa clientèle est essentiellement constituée de fonctionnaires et d’officiers allemands ainsi que d’artistes du théâtre municipal. Par ailleurs, elle peut compter sur l’appui de sa famille et de ses amis de Lampertheim. Elle séjourne souvent dans la ferme de ses parents et confie la garde de son fils à sa sœur et à une amie. D’après Auguste Wackenheim, les descendants de Marguerite Lobstein, toujours présents à Lampertheim, entretiennent le souvenir de Léo Schnug.


Un enfant indiscipliné au talent précoce

 

    

    Les biographes sont d’accord pour reconnaître à Léo, un talent précoce. Cependant il ne montre guère de dispositions pour les études. «Enfant indiscipliné, élevé par la mère et la tante, Léo Schnug prit très tôt des habitudes de solitaire. Il faisait, dit-on, de longues promenades à travers les champs de Lampertheim et certains récits semblent indiquer une nette tendance aux fugues. A Strasbourg, il faisait l’école buissonnière, partait à la découverte de la ville et n’hésitait pas à se débarrasser de ses livres et cahiers en les jetant dans l’Ill.» (1)

          Son aptitude et son engouement pour le dessin sont reconnus et vivement encouragés par sa mère et stimulés par l’admiration que le petit Léo recueillait auprès de son entourage: tous ces  «locataires qu’on imagine un peu bizarres, bigarrés; officiers de garnison, acteurs de théâtre, fonctionnaires allemands, qui allaient et venaient au 7 de la rue Graumann – claquaient les portes, criaient des saluts, s’attardaient pour bavarder avec la logeuse - , mettant de l’animation dans l’immeuble, y introduisant du spectacle et y réverbérant quelque chose de cette vie sociale du dehors, «supérieure», brillante et mystérieuse, que signalait leur allure et leur uniforme. Les Artistes de théâtre emmenaient parfois le gamin dans les coulisses et le laissaient regarder les accessoires, les costumes, les panneaux des décors en trompe-l’œil, toutes ces machines utilisées pour produire sur une scène, l’illusion d’autres mondes.» (4) C’est indéniablement à leur contact, sous leur influence que Léo développe son attrait pour les costumes.


Leo Schnug 75c.jpg Grenadier dansant
© Ed. Williy Fischer

       
   
    

    Après lui avoir fait suivre les enseignements de la Realschule, sa mère l’inscrit, en 1892, à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Celle-ci existe depuis 1878, en tant qu’école d’artisanat (Kunsthandwerkschule). En 1890, elle s’installe dans la Krutenau sous le vocable de Kunstgewerbeschule, sous l’égide du maire Otto Back. Elle fonctionne grâce au soutien financier du Reichsland et de la municipalité. Elle est destinée à promouvoir les arts appliqués, mais comporte des ateliers d’arts graphiques, de peinture, de sculpture. Après «la paix des cimetières» de 1870, elle va contribuer à ressusciter la vie culturelle en Alsace. Elle permettra l’éclosion d’une nouvelle génération d’artistes «ne pouvant plus se contenter d’une protestation stérile et décidée à revendiquer sa place au soleil» (5). Anton Seder (1850-1916), artiste et enseignant munichois est nommé directeur de l’école, de 1890 à 1915. Il affiche sa volonté de mettre sur le même plan théorie et pratique, art et artisanat, artiste et artisan. Par ses méthodes, l’école est en avance sur son temps. Elle s’ouvre largement aux courants de l’Art Nouveau.


La découverte du "Jugendstil"

    Léo Schnug est, avec Georges Ritleng, Paul Iske, Alfred Bollacker, l’élève d’Hugo Hoepfner. Grâce à Seder, il peut participer aux côtés d’artistes célèbres, à l’illustration d’ouvrages pour les éditeurs viennois Gerlach et Schenk. En 1895, fortement encouragé par ses professeurs, il entre à l’Akademie de Munich, alors, le plus important centre artistique d’Allemagne. Il y rencontre d’autres artistes alsaciens tels Emile Scheider et surtout Henri Loux, qui restera toute sa vie un ami fidèle. En 1898, il devient l’élève de Nikolaos Gysis (1842-1901), artiste sensibilisé au style de Gustave Courbet et qui peignit surtout des scènes de genre dans la manière «fin de siècle»

    Indépendamment de Gysis, Léo Schnug découvre à Munich le Jugendstil. Son seul accès à la modernité!... Ce «Jugendstil munichois qu’il maîtrisa très vite, le poussa jusqu’à des emphases baroques, comme en témoignent  certaines de ses premières œuvres, très chargées. Par la suite, il usa de ce style (ce n’était qu’un style, de nouvelles formes, rien de révolutionnaire au fond) avec beaucoup plus de sobriété, le retenant uniquement comme élément décoratif.

    Mais il y avait dans ce style une grâce, une légèreté, une frivolité, un enjouement, une douceur, comme un principe féminin [  ], qui ne lui convenait guère. Son dessin, net, et précis, nerveux, énergique, aurait plutôt quelque chose de…viril.» (4)



Leo Schnug 76c.jpgCarte de voeux de Nouvel An, 1899-1900
© Ed. Holweck



Leo Schnug 77c.jpg
Carte de voeux de Nouvel An
© Ed. Holweck





Autour du "Kunsthaffe"

    

    

    De retour à Strasbourg, Léo Schnug fréquente les milieux culturels régionaux. Il fait la connaissance d’Anselme Laugel, un homme cultivé, aux dons variés et aux moyens conséquents, de Charles Spindler, artiste-peintre et marqueteur et du dessinateur munichois Joseph Sattler «qui se sont mis en quête de l’art populaire alsacien: histoire, coutumes, costumes, paysages» (6) De jeunes artistes, comme Léo Schnug, des écrivains, des savants se sont joints à eux pour former ce qu’on appellera «le groupe de Saint-Léonard» qui a fortement contribué à former une personnalité alsacienne consciente.. Ils publient les résultats de leurs recherches dans «Les Images Alsaciennes», en 1885 et 1886, puis, dans «La Revue Alsacienne Illustrée». Schnug sera parmi les premiers exposants à «La Maison d’Art Alsacienne» que le groupe vient d’ouvrir en 1905.

    Les Stamtisch étant à la mode, les membres du Cercle de St-Léonard créent le leur, qu’ils baptisent «Kunsthaffe», la «marmite évocatrice de celui des Zurichois en 1576, sous les espèces du cochon de lait et du pâté de foie gras» (6). Ces agapes mensuelles qui réunissent les membres du groupe autour de leur mécène Auguste Michel, fabricant de foie gras, justement…sont annoncées par des cartes de menus. Chaque artiste, à tour de rôle, doit réaliser le menu de la soirée. «Léo Schnug fit, entre autres, celui de la 25ème réunion du 31 janvier 1901; les plats y sont annoncés en français (selon la tradition) mais en lettres gothiques, l’encadrement représente un banquet médiéval dans un ton tout à fait ironique». (2) Auguste Wackenheim signale que sur l’un de ces menus, Léo Schnug est représenté sous forme d’une chaise vide, ce qui, à l’évidence, stigmatise ses fréquentes absences, probablement dues à des sentiments d’infériorité sociale.



Leo Schnug 78c.jpgMenu de la 25ème réunion du 31 Janvier 1901
© bf. Editions



Un goût très prononcé pour le déguisement

 

    

    Pourtant, il entretient de bonnes relations avec la plupart de ses collègues artistes comme Joseph Sattler, Henri Loux, Léon Hornecker, dont il fréquente l’atelier. Il fait partie du Verband Strasburger Künstler crée en 1897 par «les incontournables» (8) Stoskopf et Spindler qui deviendra, après 1918, l’Association des Artistes Indépendants d’Alsace (AIDA) et qui existe toujours… Léo Schnug participe fréquemment à des expositions, principalement à la Maison d’Art Alsacienne, rue Brûlée, ouverte par le Verband.

    Ayant un goût très prononcé pour les travestissements, il participe activement à l’organisation du carnaval des artistes strasbourgeois. En 1905 et 1906, il réalise les affiches qui l’annoncent. Il adore, lors des bals masqués, revêtir des costumes militaires, surtout un certain costume de lancier rouge dont il était particulièrement fier. «Citons encore d’autres manifestations artistico-culturelles organisées à Strasbourg: en mai 1908 eut lieu au Musée Alsacien, la fête Erckmann-Chatrian, d’esprit carrément francophile. (première photo en haut) De nombreuses personnalités s’étaient habillées à la mode de la Révolution, faisant ainsi revivre les personnages des romans de nos deux auteurs. Schnug, naturellement, fut de la partie, costumé en Commandant Duchêne.

          L’année précédente, en mai 1907, se déroula, au même musée, une kermesse alsacienne au profit des colonies de vacances de Strasbourg. Cette fois aussi, Schnug, en uniforme de grenadier de la garde nationale de 1830, montait fièrement la garde dans la cour.   Il faut signaler que l’artiste avait participé à l’organisation de ces deux fêtes (décoration, ornementation)». (2)


La nostalgie d'un Moyen-Age guerrier




Leo Schnug 79c.jpg
Les Lansquenets
Collection privée d'O. Bongard, Holtzheim
© Ed. Willy Fischer



    La thématique essentielle de Léo Schnug, c’est le Moyen-Age avec «son univers romanesque et son imagerie pleine de fantaisie» (3): guerriers germaniques, mais également, soldats français. Il ne prend apparemment pas parti. Il travaille sur commande; c’est le client qui décide…Il assume son ambivalence alsacienne à l’instar de son père qui se disait fidèle autant aux Allemands qu’aux Français. Avec, tout de même, pour Léo, un penchant pour le passé germanique: «Ma vie appartient à Charles-Quint»

    Léo Schnug est le continuateur des romantiques littéraires allemands et de l’iconographie alsacienne du XVIIIème siècle qui sacrifièrent au culte du Moyen-Age. «Mais, ce qui […] caractérise en Allemagne, la période wilhelmienne – et en elle, singulièrement, l’art de l’Alsacien Leo Schnug -, c’est la nostalgie et l’imagination (au sens d’invention) d’un Moyen-Age guerrier et politique, celui de l’histoire du Saint Empire…S’en dégage une dernière tentative esthétique de créer (restaurer) un grand genre épique. Schnug y excelle, s’y spécialise.» (4)

    Plusieurs raisons expliquent son choix. Pour commencer, l’habitude contractée depuis son enfance de côtoyer quotidiennement les officiers et les acteurs logés par sa mère. Les soldats et leurs uniformes étaient pour lui quelque chose de familier. Par ailleurs, il était, dès son plus jeune âge, imprégné des thèmes guerriers de son père. Sa «structure mentale de base», selon Auguste Wackenheim, le rendait particulièrement réceptif. Peut-être, ajoute Mr. Wackenheim, a-t-il hérité d’une forme fruste de la maladie mentale de son géniteur. C’est-à-dire, se détacher du présent, avant de perdre la mémoire de sa propre vie…

    Pourquoi, contrairement à Loux, Spindler, Stoskopf, Hansi, s’est-il montré, assez vite, indifférent au folklore alsacien vivant autour de lui? En effet, à part ses illustrations, dans ce genre, pour le Juif Polonais d’Erkmann-Chatrian, et le bal champêtre de l’Electricité de Strasbourg où il représente des Alsaciens en costumes, il demeure, par nostalgie, invariablement fidèle au Moyen-Age, comme s’il était en quête du mythe d’un passé glorieux qu’il regrette.



Leo Schnug 80c.jpgIllustration du Juif Polonais d'Erckmann-Chatrian
Ed. Willy Fischer



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Carte de voeux de Nouvel An, 1902 - Encre et gouache sur papier (20 x 13.5 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg



Une facilité inconcevable, nourrie d'une vive exaltation


    

    Très tôt, Léo Schnug fait preuve d’un savoir-faire, d’une habilité, d’une extrême facilité, fruits d’une passion dévorante. Infatigable, il illustre des livres, Deux Siècles de Garnison en Alsace par Fritz Kieffer et des recueils de poèmes, Die beiden Grenadiere par Heinrich Heine, il signe des gravures et des lithographie, crée d’impressionnantes quantités de cartes de vœux, d’étiquettes de vin, de cartes postales, d’ex-libris, de menus, de calendriers, d’affiches…



Leo Schnug 82c.jpg
Les deux grenadiers d'après le poème de H. Heine - 1910
© Ed. Willy Fischer

 

   

    Avant l’âge de vingt ans, Léo Schnug est déjà célèbre. Il est, dès lors, financièrement indépendant et peut vivre de son art D’abord, grâce aux éditeurs viennois, Gerlach et Schenk et par l’entremise de Seder. Il se fait également connaître des plus grands éditeurs de cartes postales de la capitale autrichienne, Philipp & Kramer, pour lesquels il s’exprime dans le Jugendstil, la Wiener Sécession. Il connaît un succès grandissant auprès d’amateurs d’art et d’un public bourgeois, voire noble, proche de l’empereur. En 1997, Patrick Hamm recense soixante-trois ex-libris, commandés essentiellement par des notables strasbourgeois et cinquante-trois cartes postales. A partir de 1900, l’éditeur Pelz de Sigmaringen, imprimeur à la cour impériale, publie de nombreux ex-libris de l’artiste. Concernant les cartes postales, Schnug travaille, avant tout, avec Julius Manias, imprimeur originaire de Kehl, installé à Strasbourg. La plupart des encarts publicitaires de la firme Manias sont exécutés par lui.

    

Leo Schnug 83c.jpgLe copiste Encre et aquarelle (17,4 x 10 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg




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Rosa Knopf
Ex-libris, 1908
© Ed. Willy Fischer




    L’illustration livresque sera un domaine marquant de son œuvre avec «Bilder vergangener Zeit» (1919), l’ouvrage le plus important, contenant quarante reproductions d’aquarelles du peintre, édité par Manias, avec «Les Légendes d’Alsace» de Georges Spetz, parues en deux tomes (1905 – 1910), aux Editions de la Revue Alsacienne Illustrée, un alsatique de tout premier ordre, réalisé en collaboration avec Spindler, Hansi, Sattler, Henner…, avec «Les Contes et Récits Nationaux», revue à tendance patriotique de l’éditeur Fischbach, à laquelle Schnug fournit deux planches, «Zur Erinnerung an das Elsass», édité en 1900, fort rare…etc…


Une préférence marquée pour la décoration murale

    Marc Lenossos assure que Léo Schnug «ne se sentait pleinement heureux que lorsqu’il s’adonnait à la décoration murale. Sa fantaisie s’y donnait libre cours.» A partir de 1902, il réalise de véritables fresques, c’est-à-dire, sur plâtre humide. Citons le panneau mural représentant St-Georges terrassant le Dragon, destiné à l’Exposition Universelle de Turin, à laquelle participa également Charles Spindler. En 1903, il réalise une œuvre de grandes dimensions, un panneau de 3x9 mètres, commandé par le lycée de jeunes filles de Strasbourg. Il représente l’entrée solennelle de l’empereur Sigismond à Strasbourg, en 1414. (Elle se trouve, actuellement – très détériorée – dans la réserve du Musée Historique).


Leo Schnug 85c.jpgEntrée solenelle de l'Empereur Sigismond à Strasbourg en 1414
© bf. Editions



    En 1904-1905, il réalise les décorations murales du rez-de-chaussée et du 1er étage de la Maison Kammerzell. Il y représente la Nef des Fous, les Remparts de Strasbourg, au XVème siècle, le Supplice de Tantale, une scène de repas médiéval. A l’étage, un bal champêtre voisine avec des allusions à la vigne et au vin. Ces grands thèmes illustrent, selon Auguste Wackenheim, les préoccupations personnelles de Schnug: l’angoisse (Am Fischertor), l’alcoolisme (le supplice de Tantale) la mort (le repas du condamné) et la folie (la Nef des Fous de Sébastien Brant, de 1494) Certains personnages portent les traits de ses amis: les artistes-peintres Loux et Ebel, les éditeurs Scheuermann et Heiss.




Leo Schnug 86c.jpg
Fresque de la Maison Kammerzell: la Nef des Fous
© Maison Kammerzell




Leo Schnug 87c.jpgFresque de la Maison Kammerzell: le Supplice de Tantale
© Maison Kammerzell



    Dans cette même période, il décore la pharmacie du Cerf, dont les fresques existent toujours, la brasserie du Lion, rue des Grandes Arcades. Au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg est conservée une œuvre magnifique qui semble dater des années 1905-1906 qui illustrerait, selon certains, la bataille d’Oberhausbergen, c’est-à-dire, la libération de Strasbourg de la férule de l’évêque Walter von Geroldseck, en 1262; selon d’autres, la bataille de Nancy de 1477, qui fut fatale à Charles le Téméraire. La présence des Strasbourgeois y est attestée par la très belle «Grande Bannière» de la Ville, représentant la Vierge aux bras étendus. Dans la grande tradition médiévale, influencé par Dürer, Léo Schnug apprécie les thèmes à caractère héraldique, qu’il traite avec soin: armoiries, écus, oriflammes, bannières Sa contribution à l’art héraldique se remarque notamment dans ses nombreux ex-libris.




Leo Schnug 88c.jpgEx Libris R. Adelman
© bf. Editions




Leo Schnug 89c.jpg
Bannière de Strasbourg, Nancy (1477)
Aquarelle sur papier (49 x 36.5 cm)
Collection Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg



Le Haut-Koenigsbourg: la consécration suprême


    De par la qualité de son œuvre, la notoriété de Léo Schnug se confirme. En 1909, il participe à la restauration du château de la Wartburg, en Thuringe. Y subit-il l’influence de Moritz von Schwind (1804-1871)? D’après Auguste Wackenheim, les œuvres de ce dernier avaient un caractère très proche de ce que Schnug fit par la suite. Selon Jean-Luc Appril par contre,  « Elles sont d’un autre siècle et n’ont en rieninfluencé Schnug.» En tout cas, il trouve à la Wartburg, une source d’inspiration pour la décoration du Haut-Koenigsbourg qui sera assurément l’œuvre maîtresse de sa vie d’artiste. La consécration suprême!... «Une telle ascension, si rapide et régulière, en dix ans, d’une Winstub populaire des environs de la ville jusqu’aux sommets de l’Etat, en passant par les milieux de la prospère bourgeoisie est remarquable. Elle a dû surprendre l’intéressé lui-même et le griser, l’étourdir». (4)

    Léo Schnug a fait la connaissance de l’architecte berlinois Bodo Ebhardt, spécialiste de l’architecture médiévale, restaurateur de châteaux-forts, à l’instar de notre Viollet-Le-Duc (1814-1879). Il demanda à Schnug de participer à l’illustration de sa revue «Burgwart». Or Bodo Ebhardt s’est forcément intéressé aux ruines du château du Haut-Koenigsbourg, édifié au XIIème siècle par les Hohenstaufen et en partie détruit par les Suédois, en 1633.

    Témoin, selon les Romantiques, d’un âge d’or, à jamais disparu, le Haut-Koenigsbourg est le plus complet et le plus imposant ensemble de ruines castrales existant en Alsace. Propriété, depuis 1865, de la ville de Sélestat, il était voué à l’abandon, faute de moyens financiers. Guillaume II, ayant annoncé qu’il voulait le restaurer, la municipalité sélestadienne le lui offre; donation signée le 4 mai 1899. Bodo Ebhardt est chargé d’entreprendre le vaste chantier. «L’empereur y trouva l’occasion de matérialiser ses rêves de féodalité et de manifester en ces lieux, sur la marche ouest de son territoire, la continuité d’une histoire allemande courant le long de généalogies profondes, coupant des filiations étendues, battant les cartes d’un complexe jeu des ancêtres. Le nom des Hohenzollern remonte au XIème siècle». (4)

    Les travaux débutent immédiatement. Léo Schnug s’intéresse de près à l’entreprise, «laquelle correspond tout à fait à ses aspirations les plus profondes d’amour et de résurgence du passé.» (2) Et c’est lui, sur la recommandation de Bodo Ebhardt, que l’empereur choisit pour exécuter les fresques de son nouveau château. Le fait que ce soit Schnug qui fut choisi s’explique d’abord parce que Guillaume II apprécie le talent de notre artiste «Vous êtes un grande artiste», lui a-t-il dit le jour de l’inauguration de ses fresques, mais aussi par la volonté politique de faire participer des Alsaciens comme des Allemands à ce projet emblématique qui avait pour but de pacifier les relations germano-alsaciennes. «Ce château, dit un journaliste allemand, je le regarde comme un des moyens les plus efficaces pour gagner le cœur revêche de l’Alsacien à des sentiments allemands car, ce que nous n’avons obtenu ni par les caresses ni par nos menaces, nous l’obtiendrons peut-être en faisant appel à sa sentimentalité.»

    L’activité de Léo Schnug  au château du Haut-Koenigsbourg, entre 1910 et 1914 est  variée. Il est chargé de l’organisation du cortège de l’inauguration, le 13 mai 1908; il dessine les costumes et accessoires dans le respect de l’époque représentée. Fidèle à son penchant marqué pour les déguisements, l’artiste y participe, costumé en porte-bannière du XVIème siècle. Outre cette fonction de metteur en scène, il est surtout intervenu comme peintre et auteur de maquettes de certaines oriflammes. Il n’est pas le seul peintre à avoir travaillé au château. Avant lui, Bircklé et Thome von Charlottenburg ont réalisé les arbres généalogiques sur les cheminées, et Schillig de Fribourg a peint le crucifix de la chapelle. Mais il est le seul peintre alsacien à avoir été convié à exercer ses talents au Haut-Koenigsbourg.

    Il décore la salle du Kayser par des motifs relatant l’histoire du château à travers des représentants des propriétaires successifs. Sur le manteau de la cheminée se dresse la figure de St-Georges, protecteur de l’Allemagne. Sur la voûte, Schnug peint un aigle gigantesque aux allures menaçantes, auréolé de la devise impériale inscrite en lettres gothiques: «Gott mit Uns». Cette aigle impériale, motif héraldique, est ornée des blasons des sept princes-électeurs du Saint Empire Romain Germanique, avec, au centre, l’écu des Hohenzollern.

    Les armes des différents tenants du fief parsèment les murs. Côté ouest, un seigneur de Thierstein reçoit une guirlande de fleurs de sa dame lors d’un tournoi. Un Rathsamhausen combat un autre chevalier. Sur le mur opposé, Léo Schnug évoque le siège de 1462 où les chevaliers brigands qui sévissaient depuis le Haut-Koenigsbourg, furent assiégés par les troupes de la Ville de Bâle, celles de l’évêque de Strasbourg et celles de l’archiduc d’Autriche. Une foule compacte de soldats s’approche du château, une forêt de lances et de hallebardes rythme le paysage, auquel le peintre intègre des motifs végétaux aux lignes sinueuses. «Il en résulte un compromis très caractéristique de sa manière entre l’Art nouveau et le retour au Moyen-Age. Ces représentations de l’amour courtois, de la guerre et de la vie quotidienne ne font que reprendre en les expliquant les idéaux de la «restauration» du château. Elles illustrent aussi les ambitions politiques d’une telle entreprise: Guillaume II se plaçait dans la continuité des seigneurs germaniques qui avaient régné sur ce fief. C’était encore une façon d’affirmer la germanité de l’Alsace». (7) D’autant que la période française, à partir de 1648, qui court sur deux siècles, a été oubliée.

    Schnug, revient en 1914 pour décorer la salle des trophées de chasse. Le thème essentiel est la représentation de la légende de St-Hubert qui, à genoux, son arbalète posée devant lui, prie devant l’apparition de la croix au-dessus des ramures d’un cerf. Chaque trophée de chasse est agrémenté d’un décor végétal. On retrouve sur les différentes scènes des détails pittoresques: chiens, écureuils, etc…qui rappellent la Wartburg. Ces fresques témoignent de la maturité de l’art de Schnug. Elles sont complexes, et leurs changements d’échelle à l’intérieur d’une même salle sont la preuve d’une grande liberté d’utilisation des surfaces.

    Il me paraît indispensable, à présent, de citer le jugement que porte le professeur Wackenheim sur le travail de Schnug et sur la restauration du Haut-Koenigsbourg lui-même. «Ces fresques sont certes intéressantes mais elles ne traduisent pas l’esprit  de Léo Schnug. Tout le château du Haut-Koenigsbourg, y compris les fresques de Schnug, est un véritable corps étranger de l’Alsace. Il n’a jamais représenté ou symbolisé la vie ou l’histoire alsacienne. Sa restauration en a fait une immense forteresse puissante et froide qui n’a rien à voir  avec le vignoble souriant et la plaine paisible et fertile qui s’étendent à ses pieds…»

 

"L'Esprit de Schnug "

 

    Albrecht Dürer (1471-1528) et son «Chevalier, la Mort et le Diable», le strasbourgeois Hans Baldung Grien (1484-1545), Urs Graf (1485-1528) dont il s’inspirera très précisément pour peindre un lansquenet, le nancéen Jacques Callot (1592-1635) et ses «Grandes Misères de la Guerre» (de 30 ans), le marquent de leur empreinte. Quant à l’influence de Joseph Sattler, son aîné de onze ans, son professeur à l’Ecole des Beaux-Arts, un des pionniers de l’Art Nouveau, si. «Leur inspiration puise aux mêmes sources, (Si), l’un et l’autre ont la passion des uniformes, des costumes extravagants, des lansquenets et des derniers chevaliers. (Si) l’un et l’autre sacrifient au goût de leur temps, qui, surtout en Allemagne, se complaît dans le macabre et le morbide». (5), leur connivence s’arrête là.

    Sa précision documentaire – il poussait l’amour du détail à l’extrême: ni la moindre boucle de ceinturon, ni le style exact d’un vêtement n’échappait à sa vigilance. -, sa déconcertante facilité, appliquées aux supports les plus variés, sa maîtrise des petits et des grands formats rencontrent un large public. Sa technique préférée est le dessin aquarellé, mais aussi les gouaches et rarement la peinture à l’huile. L’art du vitrail l’a, un moment, intéressé. C’est lui qui a dessiné les cartons des admirables vitraux qui figurent à l’entrée du Musée Historique de Haguenau. Ils représentent le Jugement de Richard Cœur de Lion.



Leo Schnug 90c.jpgLe Jugement de Richard Coeur de Lion
Vitrail installé à l'entrée du Musée Historique de Haguenau
Exécuté par l'atelier d'Auguste Schuler, Strasbourg - 1904

© Musées de Haguenau



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Saint-Martin partageant son manteau, 1906
Encre et Aquarelle sur papier (24.5 x 29.6 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg

© Musées de Strasbourg




    Si on est frappé par la virtuosité du trait, on l’est autant par la maîtrise de la palette. C’est à tort qu’A. Wackenheim stigmatise  «la médiocrité du coloris» (1) Certes, les couleurs ternes, souvent appliquées à la gouache pour imiter la peinture ancienne, confèrent à certaines de ses œuvres tristesse, anxiété, trivialité…Ses ébauches au crayon sont repassées à l’encre de Chine et reçoivent enfin un coloris qui laisse transparaître le trait. Les visages sont souvent prognathes; référence à l’atavisme des Habsbourg? La composition de ses œuvres comporte presque toujours deux plans. Le premier plan est occupé par un ou plusieurs personnages imposants en comparaison d’un lointain et discret arrière-plan évoquant un château ou un village médiéval. Pour surmonter les difficultés liées aux règles de la perspective, de l’aveu de Léo Schnug lui-même, «il prenait le conseil d’amis architectes pour réaliser des œuvres de grande taille». (1)



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"All mein Geld verspielt", gouache
© bf. Editions




Leo Schnug 93Saint-Georges, gouache sur papier
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg




    L’évocation multiple, récurrente, de la vie des soldats pose le problème de sa motivation et de sa sincérité. Cette fascination du macabre est-elle due au fait qu’il serait enchaîné par «quelque force obscure de son âme, pulsion de mort, obsession?» (4) Ou s’agit-il d’un patriotisme sentimental, allant jusqu’à produire des Images d’Epinal à coller sur des supports «pour petits Alsaciens. [  ] Conjonction historique de la propagande politique et de la culture populaire»? (4) Ou est-ce l’exutoire d’un anarchiste qui n’ait que sarcasme pour la hiérarchie et la discipline dans ses conversations de Stammtisch? Enfin, cela pourrait aussi être une entreprise de désacralisation du guerrier, «pour nous distraire, nous détourner de l’idée que ce qu’il y a derrière tout cela est en vérité injustifiable, inqualifiable, déjà disqualifié…» (4)




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Image à découper
© Ed. Willy Fischer




La fin de "la bonne période"



   

    Léo Schnug a installé son atelier dans la maison de son enfance, au 7, rue Graumann, où il vit avec sa mère. L’originalité de son œuvre lui vaut, très tôt, une notoriété légitime. Celle-ci atteint son sommet lorsqu’en 1914, l’Empereur, très satisfait de son travail, lui décerne la décoration de l’Ordre de l’Aigle Rouge. Il jouit d’une grande considération tant de la part des Alsaciens que de nombreux Allemands. Jusqu’à la fin de la guerre, il vit exclusivement de sa peinture. Il paraît qu’il a même les moyens de payer un majordome.

    Nous venons de traverser ce qu’Auguste Wackenheim appelle la «Bonne période» de Schnug qui se situe, approximativement, de 1895 à 1915. Mais, peu à peu la situation va se dégrader. Déjà, en 1900, cette période féconde est interrompue par un séjour dans la clinique privée du Dr Kayenbuhl, près de St-Gall. Cette hospitalisation paraît avoir été imposée par la mère, nous dit A. Wackenheim et la raison de ce séjour en Suisse, c’est l’alcoolisme. Très tôt, dès dix-sept ans, le jeune Schnug s’adonnait à la boisson. Cette cure aura sur lui un effet salutaire. Effet de courte durée, car, plus tard, il lui arrivera de consommer plus de deux litres de vin et plus d’une dizaine de bières par jour!...

Essayons de cerner les motivations qui l’ont poussé sur cette pente fatale qui le condamnera à des maladies psychiques létales.

    Il y a d’abord, la transmission héréditaire de certains caractères de la maladie du père. Chez Leo, pas de délires mégalomaniaques, même si la propension au travestissement pouvait y conduire. En revanche, on constate une similitude des obsessions historiques, omniprésentes dans l’œuvre du fils, sa négation du présent, car les réalités de la guerre lui sont indifférentes; elles sont totalement absentes de sa thématique. Quand il sut que l’Allemagne était sur le point de perdre la guerre et «que tout allait être chamboulé, il disparut de la circulation et trouva refuge à Stephansfeld». (4)

    «Léo Schnug, célibataire, artiste peintre, protestant, 1,74m, 74 kg… Voilà le signalement du malade qui vient volontairement se faire hospitaliser à l’hôpital psychiatrique… quelques jours avant l’armistice, le 7 novembre 1918. Il y séjournera jusqu’au 30 avril 1919 [   ] Du point de vue médical, l’état de Léo Schnug était certes celui d’un intoxiqué chronique [   ] mais il ne présentait aucun signe neurologique ou psychique inquiétants». (1) On peut se demander s’il a cherché refuge à Stéphansfeld  en tant que fils d’un Allemand et, lui-même, officier décoré par le Kayser? Ou bien faut-il voir dans cette hospitalisation volontaire une dernière manifestation de lucidité à la suite d’une aggravation de ses troubles du comportement?

    Il faut également tenir compte de son immaturité affective. Privé de père, élevé par une mère trop attentionnée, voire possessive, il n’est pas passé par les phases habituelles du développement affectif. Si l’ascendant de sa mère fut bénéfique sur le plan professionnel en l’encourageant de suivre la voie artistique, elle est préjudiciable sur le plan social. Jeune homme, Léo ne fréquente aucune jeune-fille. Il revient invariablement vers sa mère. S’il se complaît dans cette situation et reste célibataire, il lui arrive tout de même de ruer dans les brancards. Conscient de son alcoolisme, il s’écria un jour: «Tout ceci ne serait pas arrivé si ma mère ne m’avait pas empêché de me marier!...»  Il ne parvient pas à s’affranchir de la férule maternelle et s’avère incapable de prendre ses responsabilités devant les épreuves de la vie. Ainsi, fréquentant une serveuse du Restaurant des Vosges, qu’il met enceinte, il se désintéresse lâchement de son sort. La future maman quitte Strasbourg, se rend en Allemagne pour accoucher d’un garçon que le père de verra jamais…

    Il donne aussi des signes de déséquilibre mental dans ses relations avec les autres.  J.-L. Apprill parle d’inadaptation sociale: manque de tact, réactions intempestives… A l’époque de son engagement au Haut-Koenigsbourg, il se permet beaucoup d’excès et des violences qui ont défrayé la chronique. Il lui arrive de tirer le sabre contre un colonel, il va même jusqu’à insulter le Kayser et sa famille. Il exige de l’empereur des témoignages de satisfaction sans réserve, le menaçant de de détruire les fresques en question. Installé à Oberbergheim, pour la durée des travaux, il provoque une rixe au cours de laquelle il blesse grièvement un de ses compagnons

    Léo Schnug a trente-six ans quand la guerre éclate. Il est enrôlé comme Vize Feldwebel au Bekleidungsamt, l’actuelle caserne Stirn. Ayant droit aux marques de respect des porteurs du Rote Adler-Orden, les vingt soldats qui composaient la garde, venaient présenter les armes lorsqu’il passait la porte de la caserne. «On raconte qu’il s’amusait à multiplier ces présentations d’armes qu’il appréciait beaucoup. Il profite également de son grade pour donner des ordres contradictoires et se gausser des Allemands. Il va jusqu’à gifler ses supérieurs à la suite d’un pari. A cause de ce comportement inquiétant, incontrôlable et excessif, Léo Schnug ne sera jamais envoyé au front et restera à Strasbourg durant toute la guerre». (1)

 

"L'alcoolisme destructeur se place entre lui et son oeuvre "

 

   
    Après 1918, Léo Schnug, germanophone de naissance, germanophile par la force des choses, doit affronter une société devenue hostile à son égard. «On le juge politiquement, donc artistiquement incorrect. On l’accuse d’avoir travaillé pour le Kayser. Le nouveau pouvoir ne lui pardonne pas la Rote Adler-Orden, haute distinction prussienne […] Il ne parvient pas à s’intégrer dans une Alsace désormais française» (3) Les gens ne s’intéressent plus à sa peinture germanique. Ces contrariétés, génératrices d’anxiété, de rancœur, vont contribuer également à l’entraîner dans la spirale de l’alcoolisme.



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Portrait d'Henri Loux, Encre, aquarelle et gouache sur papier (17 x 7.5 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg



   

    Mais, il fréquentait les Winstub bien avant; lieux propices pour retrouver ses amis artistes et notamment Henri Loux. Le Kayser lui-même, lui a dit un jour: « Vous êtes un grand peintre, mais vous êtes aussi un grand ivrogne.» Aussi, lorsqu’il réintègre la vie sociale, au lendemain de sa première hospitalisation, il est un alcoolique invétéré, détérioré. Sa tenue qu’il n’a jamais soignée, est, à présent, dégradée. «Les témoins sont formels: Léo Schnug est devenu un clochard malpropre et endetté, vivant en marge de la société et même des artistes locaux Il est encore un habitué du «Duck Dich» (une Winstub), mais, déjà on le met à la porte, on rit de lui à très haute voix, on lui paye un «Viertele» contre un dessin de petit format…» (1)

    Notons que le Duck Dich ayant été détruit pendant la Seconde Guerre Mondiale, les toiles de Leo Schnug qui s’y trouvaient accrochées, ont été transférées au restaurant Zum Strissel, place de la Grande Boucherie.

    Mais, que valent ces dessins exécutés sous l’emprise de l’alcool? On constate que l’imagination lui fait de plus en plus défaut. On assiste à une dégradation prononcée de son talent; les proportions sont moins bien respectées. Les formes et les modelés sont traités par petits traits nerveux et pointillés pour masquer le tremblement de la main. Leo Schnug se cantonne dans des sujets répétitifs: châteaux-forts, têtes de grognards, lansquenets souvent solitaires, en marche dans des environnements menaçants. Bref, l’inventivité est tarie, la technique est appauvrie, le dessin est maladroit, le style est irrémédiablement perdu…


Leo Schnug 96c.jpgDanseuse
© Ed. Willy Fischer



   

    La décrépitude du style va de pair avec la décrépitude des sujets, des figures notamment, remarque Jean-Paul Sorg. Le goût du trivial qui s’était infiltré dans son œuvre depuis 1910, se généralise. Les dernières représentations de la femme sont hideuses (sorcières brûlées sur des bûchers, femmes obèses…) Règle-t-il inconsciemment ses comptes avec le genre féminin qu’il n’a ni compris ni aimé? Léo Schnug n’a-t-il pas pardonné à sa mère ou en veut-il à toutes les femmes? Il fait de nombreux dessins pornographiques, constate A. Wackenheim, «dont certains sont plus la représentation sadique de l’anatomie sénile que les illustrations du domaine sexuel». D’autres de ses dessins sont d’inspiration scatologique…

    Dans ses dernières tentatives, il représente des êtres indistincts, des hommes faits comme des rats, des chats, des chiens. Ces visions hallucinatoires  sont appelées «zoopsies» par les psychiatres. « Ce sont des – devenirs animaux – des métamorphoses kafkaïennes». (4). Etonnamment, Schnug dira que «les grosses bêtes» qui lui tiennent compagnie, ne lui font pas peur.



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Zoopsie, encre et lavis sur papier (13.4 x 8.3 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg


L'internement

   

    La mort de sa mère, le 19 mai 1921,- le seul être qui le soutenait, le réconfortait, l’aimait,- portera un coup fatal à son équilibre psychique et à son indépendance sociale. Sans ressources, criblé de dettes, selon A. Wackenheim, il doit accepter, le 30 juin 1921, son placement d’office à l’hôpital psychiatrique de Stephansfeld.

    Les médecins essaient de l’occuper en lui confiant la décoration de la salle du jeu de quilles de l’établissement. Il réussit à imaginer une représentation des quatre saisons. Mais, la fatigue le gagne, il ne prend pas la peine de déplacer son échelle, par conséquent les extrémités de la fresque penchent… «Il détériore tant son dessin que le coloris et finit par abandonner. Léo Schnug n’insiste plus. Il passe ses journées à fumer, à boire du lait (parfois des alcools que les amis et la famille font entrer en fraude dans l’hôpital)». (1)

    Parmi les visiteurs se glissent des contrefacteurs venus de Stuttgart et de Schiltigheim qui lui font signer des dessins qui, du fait de la détérioration de son style, sont faciles à exécuter, mais également faciles à identifier, notamment ceux de sa période lucide qui sont pratiquement inimitables. Sa popularité est si considérable qu’on s’arrache littéralement ses productions; ce qui explique qu’à Schiltigheim et à Stuttgart existent de véritables centres de fabrication en série de faux Schnug.

    Les manifestations de sa maladie se multiplient et s’aggravent. Elle présente des similitudes avec celle de son père: la perte de la mémoire de leur propre vie. Alors que pour le père, Stephansfeld s’est métamorphosé en palais impérial, Léo croit vivre dans un château fort, une auberge fortifiée, gardée par des lansquenets et entourée de hautes murailles. Dans ses moments de lucidité, il lui arrive d’évoquer le souvenir de sa mère et de sa tante, jamais de son père. Alors qu’ils étaient simultanément pensionnaires de Stephansfeld, en 1918-19, ils n’ont jamais cherché à se rencontrer.

    Quand on s’occupe de lui, ce qui fut le cas en 1931,d’un jeune interne, le Dr Staebler, pour qui il réalise un des derniers ex-libris, il est jovial, fait des jeux de mots en dialecte, déclame des poésies quelque peu arrangées des frères Mathis, entonne des airs d’opérette. Mais, laissé à lui-même, il a des réactions violentes voire agressives envers les autres pensionnaires, pour retomber dans l’apathie, la dépression. On l’isole.

    En 1926, on note une évolution sensible vers la démence: l’amnésie antérograde s’installe; aux hallucinations visuelles s’ajoutent les hallucinations auditives.  Il est sujet à des épilepsies d’origine alcoolique. Le diagnostic est posé par le Dr Apprill: alcoolisme chronique avec syndrome de Korsakoff, «Une forme de la maladie de la mémoire» survenant chez les alcooliques chroniques. Elle se caractérise par des troubles occasionnés par des carences: avitaminose B1, anorexie…L’alcoolique se dénutrit, d’où une tendance à la somnolence, à la torpeur, entrecoupée de moments d’euphorie, ce qui s’apparente à une psychose maniaco-dépressive. Autre symptôme, l’amnésie des faits récents et plus antérieurs, surtout dans leur chronologie, explique, en partie, la désorientation spatio-temporelle. «Le patient se forge un passé récent par le biais de ses fabulations, il se contredit quelquefois, d’où irritabilité» (2) et complexe de persécution».

Le problème psychique et l’internement de Léo Schnug, font forcément penser au cas de Vincent Van Gogh. Leur cause est identique: l’alcool. Mais, du point de vue de l’évolution de leur maladie, il n’y a rien de comparable. Car si la folie de Van Gogh a porté son œuvre au génie, celle de Schnug a dégradé et finalement détruit son talent «comme une flamme qui vacille et s’éteint».  (2)

 

" Nos vrais ennemis sont en nous-mêmes" 

(Bossuet)

 

    Le 15 décembre 1933, il sort dans la cour de l’hôpital par une température de moins 10°. Il s’affaisse et meurt!... On diagnostiquera un infarctus du myocarde. Notons que dès l’âge de vingt-deux ans, il souffrait de douleurs cardiaques intenses, douleurs anxiogènes, qu’il calmait par l’alcool…

    «L’Alsace a fait de magnifiques obsèques à Léo Schnug. A Lampertheim, il est enterré dans la même tombe que sa mère par de nombreux amis parmi lesquels il faut citer Blumer, Camissar, Graeser, Krebs, Schmitt et Debonte. Le curé Hetzel, insistant sur les liens de Léo Schnug avec sa mère, concluait: «Tu retrouves maintenant ta mère». (1)

          En dernier hommage, une grande exposition rétrospective est organisée à la Maison d’Art alsacienne, en janvier 1934, rassemblant la majorité des œuvres de l’artiste disparu.






Bibliographie


Auguste Wackenheim (1) – Léo SCHNUG – Editions Willy Fischer – Strasbourg – 1971

Jean-Luc APPRILL (2) – Vie, œuvre et maladie du peintre Léo SCHNUG – Thèse de Doctorat – 1986

Ouvrage collectif – LEO SCHNUG ou l’image retrouvée – bf. Editions – Strasbourg – 1997 (Textes de M.-C. Breitenbach-Wohlfarht, A. Reibel, (3) J.-P. Sorg, (4) Pr. A. Wackenheim, M. Fuchs, T. Willer, M. Oster

Marc LENOSSOS – Léo SCHNUG, Illustrateur d’épopée – La Vie en Alsace - 1938

Mario JACOBY – Réflexion sur la psychologie de l’artiste – Bulletin archive N°16 - 1969

Cédric OBERLE (6) – décembre 2013: Bilder aus vergangener Zeit ou la quintescence de l’œuvre de Léo Schnug – BNU, Strasbourg

Les Amis de la Léonardsau et du Cercle de St-Léonard – Léo SCHNUG (1878-1933, Illustrateur et peintre

Patrick et Bénédicte HAMM – Léo SCHNUG, Strasbourg 17 février 1978- Stéphansfeld 15 décembre 1933

Me François LOTZ – Les Artistes de jadis et naguère – Editions Printek - 1985

Robert HEITZ (5) – Etapes de l’Art alsacien – Saisons d’Alsace – N° 47

Gabriel BRAEUNER (8) – L’Alsace au temps du Reichsland (1871-1918) – Editions du Belvédère – 2013

Laurent BARIDON (7) et Nathalie PINTUS – Le Château du Haut-Koenigsbourg, à la recherche du Moyen-Age – Editions du Patrimoine - 1998

Roland et Anne-Marie HOLVECK – L’Alsace vue par les Illustrateurs, 1897-1930 – Edité par les auteurs en 1982

  
Portfolio
 Leo Schnug 98c.jpgAutoportrait,
© Ed. Willy Fischer



Leo Schnug 99c.jpgEx Libris Henry Weber
© bf. editions




Leo Schnug 100c.jpgEx Libris - La poétesse Elsa Koeberlé
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg



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Pierrot, hommage musical
© Ed. Willy Fischer, Strasbourg



Leo Schnug 102c.jpgAffiche (Pompiers de Colmar) - Impr. Fischbach
© Ed. Willy Fischer



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Affiche
© bf. Editions



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Le vieux moulin



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Affiche
Décor médiéval représentant Ribeauvillé
© bf. Editions




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Autoportrait de l'artiste allongé au-dessus du linteau de la porte
© Maison Kammerzell



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Lansquenets sur la route, 1907
Aquarelle sur papier (57 x 36.5 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg




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Avant la bataille
Encre et Aquarelle sur papier (16.2 x 18.5 cm)
Collection: Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
© Musées de Strasbourg






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Autoportrait de l'artiste
© Ed. Willy Fischer





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Ex Libris Léo Schnug
Autoportrait de l'artiste
© bf. Editions






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