Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Joseph Asal
(1875-1950)
Joseph
Asal,
à 70 ans
L’art
sacré,
c’est-à-dire la production artistique au service
de l’expression du sacré, a
connu, au tournant du XIXème et du XXème
siècle, une profonde mutation. Il
fallait rompre avec l’art populaire communément
répandu dans les églises, un
art un peu naïf, sans génie, destiné
à émouvoir qui, certes, plaisait aux
fidèles et dont les styles néo étaient
une variante. Basé sur un académisme
répétitif, il produisait des chromos, des images
d’Epinal où dominaient le
bleu-ciel, le jaune d’or et le rose-bonbon…En
France, il s’est manifesté par le
style sulpicien. En Allemagne, il résultait de la
vulgarisation du baroque-rococo.
Les nabis en France et les
moines-artistes de «l’Ecole de Beuron»,
en Allemagne, sont les principaux
acteurs de cette révolution. Joseph Asal est dans leur
mouvance. Il a pris une
part remarquable dans ce renouveau.
La Villa Colombi Une aide providentielle A peine
âgé de trois
ans, il perd sa maman et, à dix, son père. Etre
orphelin à dix ans, privé de
l’affection des siens, se retrouver seul, sans famille,
situation ô combien dramatique!... Le
petit Joseph saura-t-il faire preuve de résilience? A la
grâce de Dieu!...
Fresque de St. Georges
Ses
premières œuvres
datent de cette époque. En collaboration avec Geiges, il
crée et restaure les
fresques ornant les célèbres tours-portes de
Fribourg: la «Martinstor»
et la «Schwabentor»Il
réalise la fresque qui représente Saint-Georges,
le
patron de la ville de
Fribourg en Brisgau qui décore l’église
du
Sacré Cœur. C’est là, sa
première
grande oeuvre personnelle d’art sacré. Sa
maîtrise
du dessin lui vaut la
commande de nombreuses illustrations d’un ouvrage
consacré
aux légendes
badoises «das Weibels Badische
Sagenbuch»
Sa prédilection pour l’art
sacré, sa foi profonde, sa
grande vie intérieure lui font prendre le chemin de
l’abbaye bénédictine de
Beuron, située près de Sigmaringen, dans la
vallée du Haut-Danube où il
s’engage dans le noviciat comme
«Kunstoblat». S’ouvre alors à
lui une période
particulièrement enrichissante qui le marquera pour toute sa
vie.
L'attrait de l'école de Beuron
Au milieu du 19ème siècle se manifeste, dans un élan de renouveau fondamental, un puissant attrait pour l’ordre bénédictin. Il attire vers un petit nombre de monastères comme Solesmes et Beuron, une élite chrétienne qui comprend notamment des artistes ou des personnes très ouvertes sur la vie artistique. Leur motivation est d’échapper à un monde décadent, de trouver dans la vie monastique une harmonie concrétisée par la musique – le chant grégorien - et la recherche picturale d’inspiration spirituelle. Il s’agit également de se dégager de l’individualisme, d’œuvrer à des réalisations monumentales, au sein d’un groupe étroitement soudé, les intéressés voulant, avant tout, une rencontre personnelle avec Dieu. Tout cela correspond aux objectifs que s’étaient fixés les bénédictins de Beuron. Abbaye de Beuron
Peter Lenz est à la base du mouvement
d’art
appelé «Ecole de Beuron». Peter Lenz est
né en Allemagne, en 1832. Ayant reçu
une éducation artistique approfondie, .il maîtrise
le dessin, la peinture, la
sculpture, l’orfèvrerie, l’architecture.
Il est, par ailleurs, fortement
intéressé par la musique et les
mathématiques. Il rencontre, à Rome, les
Nazaréens
qui, sous l’influence du catholicisme et du romantisme,
veulent renouveler
l’art par la religion. Il découvre un art
contemplatif qui sera le véhicule du
romantisme allemand. Le mouvement nazaréen, sous la conduite
de Friedrich
Overbeck (1789 – 1869), veut remettre à
l’honneur l’art de la fresque où les
aspects techniques l’emportent sur l’expression
artistique: la ligne est
affirmée, les couleurs sont plates, leur
exécution est lisse, le dessin est
d’une exactitude impersonnelle. Il veut retrouver la
pureté originelle de l’art
chrétien, celui de la Rome médiévale,
la chrétienne. Il prend comme modèles les
primitifs italiens d’avant Raphael. Il est en cela le
précurseur des
préraphaélites anglais Par
l’intermédiaire de Lenz,
«l’Ecole de Beuron» en sera
fortement impressionnée.
Chapelle Saint-Maur - réalisée en 1869 © Kunstarchiv der Abtei St. Martin zu Beuron Mais, Peter Lenz est davantage attiré par les arts de l’Antiquité égyptienne, assyro-babylonienne et grecque. Ses futures réalisations, exclusivement religieuses, empruntent le style et la technique de la Haute-Antiquité. En 1868, il entre à Beuron. La princesse Katharina von Hohenzollern, propriétaire des lieux, lui demande d’édifier une chapelle dédiée à Saint Maur. Ce sera un condensé de tous les éléments qui caractérisent «l’Ecole de Beuron». – On devrait dire «le style de Beuron» - car il n’y eut jamais d’Ecole constituée.- En 1872, il est admis comme oblat claustral sous le nom de Désiderius. Son objectif: mener de front, vie monacale et vie artistique, suggérer, voire imposer ses idées personnelles dans des projets exécutés en équipe organisée. Ses références, autrement dit, ses préférences, étant les sources antiques, byzantines, romanes, jusqu’à Cimabue exclusivement!...Lenz est, par ailleurs, fortement influencé par les théories de John Ruskin, critique d’art, écrivain et peintre nostalgique des vertus morales du Moyen-Age. Ses recherches l’orientent vers une structure mathématique du corps humain, des règles fixes et la découverte d’un modèle unique universel: son «canon». Il justifie ce choix à partir d’un passage du Livre de la Sagesse (11,20), qui affirme, en faisant référence à Dieu, «Mais tu as tout réglé avec nombres, poids et mesures». On peut considérer que ce fut là le point de départ des conceptions artistiques de Beuron en général et de Desiderius en particulier. Il veut s’imposer aussi, par ses refus: celui de la Nature au caractère changeant, celui de l’Histoire: gothique, Renaissance, baroque et néo-gothique.
© Kunstarchiv der Abtei St. Martin zu Beuron
Les critiques
négatives ne manquent pas de s’exprimer au sein de
«l’Ecole»: regret de ne pas
trouver la vie, le sentiment, la variété, la
suavité, incompatibilité entre les
formes antiques (jugées Unchristlich)
et l’art chrétien. L’abbé Dom
Maur Wolter, l’âme de Beuron, habile
médiateur,
réussit à faire travailler ensemble Desiderius et
Dom Gabriel, son principal
contradicteur. Grâce au rétablissement de cet
heureux équilibre, la réputation
artistique de Beuron rayonnera sur l’Europe (Mt Cassin,
Prague, Maredsous…) et
au-delà. Et le recrutement de moines-artistes ne tarira
point.
Ainsi, séduits par la démarche
de Beuron, qui offre le
réconfort spirituel par la double vocation de moine-peintre,
et se propose de
renouveler la peinture religieuse à la lumière de
l’esthétique symboliste, les
nabis Maurice Denis, Paul Sérusier et Jan Verkade, se
tournent vers son
«Ecole». Maurice Denis, en souvenir de la visite
faite en 1904 à son ami
Verkade, a peint un tableau qui représente le
père Gresnich et le père
Willibrord Verkade face au père Desiderius Lenz, «Un moine de vitrail, grand, majestueux,
à la barbe de fleuve, fou de
géométrie et qui passait sa vie à
tracer des épures d’architecture…avec
un
compas de proportion».
"Les moines de Beuron" - Maurice Denis - 1904 © Musée du Prieuré à Saint-Germain-en-Laye Autoportrait de Dom Willibrord Verkade © Kunstarchiv der Abtei St. Martin zu Beuron Desiderius -Verkade: la controverse Verkade
rejoint la communauté bénédictine en
1894. Il y restera jusqu’à sa mort, en
1946. Joseph Asal qui y séjourne de 1900 à 1910,
l’a donc bien connu. A Beuron,
Verkade admire l’atmosphère de la vie monacale,
les rituels, le partage des
tâches, la chaleur de la communauté et le
caractère très strict de l’emploi du
temps. «Il eut le sentiment de
retrouver
là, l’idéal nabi de
fraternité entre artistes oeuvrant ensemble à la
création
d’un art doté d’une valeur
spirituelle.» (3) Les théories de Desiderius
l’intéressent. Cependant, tout en
plaçant les idéaux spirituels bien au-dessus
de l’ambition personnelle et les visées
stylistiques individuelles, il condamne
les compositions froides et rigides qui caractérisent
l’esthétique de Lenz;
c’est-à-dire peindre selon un système
de règles inflexibles, immuables.
Contrairement à Lenz, il veut
s’inspirer de l’homme concret et de la nature. Son
tempérament de nabis le mène
à des choix plus sensuels, s’inspirant de la
réalité humaine: «Die
einfachen Empfindungen und natürlichen
Objecte» Il est partisan de la «Heiligung
der Natur» Il cherche en quelque sorte à
apprivoiser l’abstraction
consacrée par des chiffres et des mesures et
réalisées dans une
présentation monumentale,
hiératique,
intemporelle…Mais, la tentative d’offrir
à Beuron sa synthèse entre nature et
forme «von Malerei und
Raum», n’aura
pas d’avenir. Son ouverture à la
Sécession, au Jugenstil n’y trouvera pas
d’écho. Verkade cesse de peindre vers 1914.
Comme lui, Joseph Asal, «animé
par une quête spirituelle profonde et
désireux de la vivre en
tant
qu’artiste» (1) se prépare à entrer dans
la vie religieuse et, commence, en 1900, son noviciat. Il tient en
haute estime
Dom Desiderius Lenz, Dom Gabriel Wuger et Dom Lucas Steiner, les
initiateurs de
l’art de Beuron. Il est décidé de
suivre leur exemple. Cependant, dès les
premières participations à la
décoration de la chapelle St-Gérard des
rédemptoristes de Haguenau, il prend ses distances par
rapport à leur langage
des formes «die Formensprache»
et
trouve auprès de Frère Notkers une plus pure
progression de l’esprit de Beuron.
Ensuite, on lui confie avec pour partenaire, Frère Paul
Kreps, la mission de
décorer la chapelle des bénédictines
du couvent de Ste Hildegarde près de Koblence «im
Rheingau». On lui doit notamment
le monumental Christ de l’abside. Marienthal: une mission exaltante Dans quelles circonstances Joseph Asal s’établera-t-il en Alsace et plus précisément à Marienthal, à l’ombre du Carmel? Sœur Marie du Christ, auteure de l’excellent DVD «La Chapelle du couvent de Marienthal, les fresques de Joseph Asal (1875-1950)», publié en 2014, nous rappelle que «le Carmel a été fondé en 1887, par la Rev. Mère Marguerite du St-Sacrement. Le couvent comptait parmi ses bienfaitrices Melle Ottilie Wencker, originaire de Fribourg. C’est elle qui avait recommandé Joseph Asal comme artiste décorateur de la chapelle du Carmel. Les sœurs carmélites firent bon accueil à l’artiste et l’installèrent dans une dépendance de leur couvent.»
Etat initial de la chapelle Joseph Asal consacre
à la chapelle, dédiée au
Sacré Cœur de Jésus, le meilleur de son
temps et de
ses talents. Il s’engage dans cette exaltante mission
animé par l’enthousiasme
de sa foi. Il en assume seul toute la responsabilité. Seul,
mais libre devant
Dieu… En
septembre, un mois après son arrivée à
Marienthal, les échafaudages se dressent dans la chapelle.
Commence alors une
longue période de travaux minutieux, consciencieux, dans le
recueillement et le
silence propices à sa fertile inspiration, un silence que le
pieux artiste
agrémente parfois en fredonnant des mélodies
grégoriennes. «Il est
des lieux où souffle l’esprit». " Le saint vivant " en exil
Lorsqu’en
Mai 1940
Marienthal est évacué, Asal doit, avec les
sœurs du Carmel et la population du village
prendre le chemin de l’exil. Il trouve refuge en pays de
Loire, près de Roanne.
Alors que l’armistice, signé le 22 Juin, permet
à ses concitoyens de rentrer en
Alsace, Joseph Asal, doit renoncer à son retour. Les
critiques qu’il avait
proférées contre le régime nazi le
mettent sous la menace d’une arrestation par
la Gestapo et, par conséquent, d’un internement en
camp de concentration. Sa
présence dans l’Alsace occupée est
indésirable. «Er stand
im schwartzen Buch der GESTAPO».
Mais, Joseph Asal est
providentiellement accueilli
par le Père
Kolmer, un autre Alsacien, directeur de l’école
d’agriculture de Ressins,
proche de Roanne. Il loge au premier étage du vieux manoir,
propriété des Pères
salésiens. Leur Ordre a été
créé par
Don Bosco en référence à
St-François de
Sales, «l’apôtre
de la Douceur». Sa
vocation est de donner une éducation à la
jeunesse dont la pédagogie est fondée
sur l’affection et la confiance.
Il n’est pas seul à
bénéficier de
cette affection charitable qui caractérise les
salésiens, d’autres réfugiés
sont accueillis dans leur maison. D’abord, le Père
Heiligenstein de Haguenau,
puis, en Juillet 1941, les jeunes frères et novices
d’Ehl, de Mulhouse, de
Matzenheim, accompagnés de quelques frères plus
âgés. Ils ont fui
clandestinement l’Alsace et, par la Suisse, ont rejoint la
zone libre. «Puisque
je ne puis devenir prêtre, je veux, par mon art, faire le
bien, comme le prêtre
dans sa prédication». En vertu de
cet engagement, Joseph Asal rénove la chapelle de
l’institut de Ressins et la
décore de peintures délicates. Les
salésiens lui confient aussi la décoration
du Château d’Aix (Loire) et de la petite
église de Boyer qu’il métamorphose en
un véritable écrin de beauté,
admiré comme tel par le cardinal Gerlier. Le «saint
vivant», ainsi l’appelait le
curé
de Boyer, réalise plusieurs autres fresques durant son exil.
«Malgré
les pénibles années de guerre où
l’on souffre de la faim, Asal n’est pas perdu
dans cette lointaine campagne du centre de la France. Il rencontre
à Ressins de
nombreux amis d’Alsace et noue des connaissances parmi la
population du pays.
Une chance extraordinaire aussi lui sourit à cette
époque. Il découvre, sous
les combles du vieux manoir, couverts de poussière,
éparpillés en tous sens,
les cartons, les esquisses et études multiples
d’un artiste célèbre: Etienne
Gautier. Ce peintre, ancien propriétaire du
château et de son vaste domaine,
avait laissé là, après sa mort, un
riche patrimoine artistique. Les héritiers
du peintre n’y avaient jamais porté grand
intérêt semble-t-il. C’est Joseph
Asal qui sauvera ces œuvres d’art…
Après des milliers d’heures de travail, il
remettra
les documents aux Pères salésiens...La riche
collection des études et esquisses
de l’artiste Etienne Gautier appartiennent
aujourd’hui à un musée de
Lyon.» (2)
La paix de l'âme: une
victoire sur la mort
C’est
seulement le 19
Juin 1946, le jour de fête de St-Pierre et Paul,
qu’il peut rentrer dans son
cher Marienthal où il retrouve son bienheureux domicile. Il
a soixante et onze
ans. Trop âgé pour entreprendre de grands travaux
de décoration, il n’accepte
plus que des réalisations de dimensions modestes: un tableau
du Christ pour la
salle du Chapitre des sœurs de Niederbronn, deux tableaux
dans le style des
icônes pour l’église de Petersbach, dans
lesquels il met tout son savoir-faire.
Il assiste de ses conseils une sœur carmélite dans
l’exécution du Chemin de
Croix de la chapelle de Matzenheim. Enfin, avant que la mort lui
enlève son
pinceau, il peint une représentation de St-Jean Baptiste et
de la Vierge et
l’Enfant. Louis Kubler lui consacrera un article
élogieux dans la revue «Chez
Soi» du 1er
Décembre
1950. Son ancien élève, J. Gass de Brumath,
devenu professeur à l’Ecole des Beaux-Arts
de Strasbourg, ne manque pas de lui rendre visite. Joseph Asal
séjournera
quelque temps au collège de Matzenheim, parmi les
Frères qui avaient partagé
son exil en tant que réfugiés.
Le 26 Avril 1950, tenant son chapelet dans la
main droite, Joseph
Asal rend son âme à Dieu, achevant sa belle vie
dans la prière et l’offrande de
sa mort.
La chapelle du Carmel: son chef-d'oeuvre
C’est le moment
d’entrer dans la chapelle du Carmel, réceptacle de
l’œuvre maîtresse de Joseph
Asal. Son chef-d’œuvre! Cette chapelle est sortie
du rêve du Père Joseph
Jenner, en 1895. Cousin de la Prieure et fondatrice du couvent, il
détermine un
de ses amis, architecte, à dresser les plans d’un
édifice dans le style
néogothique alors fort en vogue. Joseph Asal en fait un «bijou» porteur de
messages essentiels qui invitent à contempler la
Passion du Christ, «rejoignant
ainsi les
artistes du Moyen-Age qui proposaient la découverte du
Mystère de Dieu à
travers leur art.» (1)
Médaillon de Saint Matthias "à la vie éternelle - Amen" La frontière géométrique Une frontière géométrique assure la transition entre la voûte et les murs qui sont entièrement recouverts d’un décor végétal. Ce choix prouve qu’Asal se sent plus près de Verkade que de Desiderius. Il est sensible à l’appel de la Nature, persuadé de sa «Heiligung», persuadé qu’en Art, comme en amour, l’élan intérieur suffit et la science n’y porte qu’une lumière importune. Bien que la beauté relève de la géométrie, selon la version de Desidérius, «c’est par le sentiment seul qu’il est possible de saisir les formes délicates». (4) On peut, par ailleurs supposer, comme le suggère Soeur Marie du Christ, que Joseph Asal ait fait sienne l’assertion du peintre romantique allemand, Philip Otto Rung: «L’art nouveau doit représenter la vie spirituelle de l’homme au moyen de la nature». Surtout que la nature abonde en symboles qui offrent à l’artiste autant de motifs chargés de signification et qui font du «Bijou» du Carmel un livre ouvert à l’éveil et à l’exaltation de la foi.
L'arbre de vie © J.-P- Ehrismann
Nous découvrons sur les murs de la nef
l’arbre
de vie, fréquent dans l’iconographie
chrétienne, symbole de
régénération
périodique. Il est particulièrement cher
à l’Ecole de Beuron. On reconnaît
l’églantier. «Avec
ses fleurs et ses
épines, il évoque l’amour dont la rose
est le symbole et ainsi, l’appartenance
de Marienthal à la région d’Haguenau
qui a pour emblème la rose quintefeuille.
Il rappelle, dans un Carmel, que la
rose est la fleur du silence, le symbole de ce qui est
caché…». (1)
La rose quintefeuille
Sur l’arc des chapelles
latérales, courent le
lierre ambivalent qui symbolise, ici, l’attachement, le
houblon «qui peut rappeler
qu’au début du XIXème
siècle Haguenau fut le
berceau de la
culture de cette plante» (1) et l’acanthe dont la symbolique
remonte à
l’Antiquité, utilisée à
l’origine dans l’architecture funéraire
puis sur les
chapiteaux corinthiens et les vêtements des grands hommes.
Comme toute épine,
on en a fait le symbole de la victoire sur les épreuves de
la vie et de la
mort; on en a aussi fait le symbole de la virginité, une
autre sorte de
victoire…Dans le même ordre
d’idée, le chardon à feuilles de
carline ou carline
à feuilles d’acanthe, qui orne les chapelles
elles-mêmes, peut renvoyer à la
douleur du Christ et de la Vierge. Les acanthes
Dans les rosaces du chœur alternent des
roses,
symboles de l’amour et des passiflores. La passiflore aux
fleurs
spectaculaires, doit son nom aux missionnaires jésuites
d’Amérique du Sud qui
se servaient de la fleur de cette liane pour représenter la
Passion du Christ
auprès des indigènes. En effet, son pistil, le
dessin de sa corolle, ses
étamines, ses filaments bleus, rappellent la couronne
d’épines, le marteau et
les clous de la Crucifixion.
Rosace portant des passiflores La passiflore, fleur de la Passion Dans le
chœur, aux pieds des anges, imposante
galerie des messagers de Dieu, protecteurs et pédagogues, un
choix de fleurs
évoque la Passion du Christ. Fleurs printanières
qui s’épanouissent au temps pascal,
elles symbolisent la confirmation des promesses de renouveau. On
reconnaît la
primevère officinale ou coucou des prés,
l’anémone sylvie qui tapisse les
forêts, le crocus printanier ou safran à fleurs
blanches, la nivéole de
printemps, très rare, la pâquerette ou petite
marguerite, très fréquente, la
scille, le plantain bâtard aux vertus apaisantes qui fleurit
en mai. Le
coquelicot, associé à l’ange qui porte
les clous, occupe une place à part dans
cette flore allégorique. Outre qu’il fleurit au
moment des moissons, il a une
fonction: recueillir le sang que les clous font jaillir des plaies du
Christ.
Il est, de ce fait, le
symbole de la
consolation, de l’apaisement.
L'ange portant les clous. A ses pieds, le coquelicot. La primevère officinale ou coucou des prés L'arbre de vie est peuplé d'oiseaux. Les frondaisons de
l’arbre de vie abritent une multitude d’oiseaux, «parmi lesquels,
des mésanges
qui naissent, vivent, chantent et meurent…» (1)
On sait qu’Asal a travaillé sur
l’œuvre d’Hector Giacomelli (1822-1904),
dont
les compositions ornithologiques sont d’une
fraîcheur exquise, ainsi que sur
celle du peintre d’estampe japonais du XVIIIème
siècle, Isoda Koryusai, sans
avoir, pour autant, copié leur style. Il se peut, par
ailleurs, que Joseph Asal
ait peint ces motifs en ayant à l’esprit la
parabole du «petit oiseau»
que Sainte Thérèse de l’Enfant
Jésus développe dans
le Manuscrit B, pour concrétiser l’aspect
essentiel de sa doctrine: «Ma
vocation, c’est l’amour»
et où elle se considère comme un faible petit
oiseau qui
reste, malgré tout à fixer son Divin Soleil.
Quand il peuple sa fresque
d’abeilles, de papillons, de chenilles, de coccinelles,
d’escargots, il utilise
des symboles forts que Sainte-Thérèse
d’Avila, réformatrice du Carmel, a
placés
dans sa métaphore filée du Château
Intérieur. Ils désignent l’attitude que
doit
avoir celui qui se recueille: à l’image du
gastéropode, rentrer en lui-même, en
toute humilité.
En 1912, Joseph Asal met la dernière main
à la décoration
de la nef. Au mois de juillet de la même année, la
construction de la tribune
étant achevée, il en décore le
plafond. Il choisit d’y peindre les œuvres de
miséricorde. Ce choix iconographique est destiné
à rappeler aux fidèles leur
mission envers leur prochain. Celle-ci est double. Elle comporte les
œuvres
d’ordre corporel comme visiter les malades (Visitare
infirmos),
accueillir les
étrangers (Colligere hospites)
et
celles d’ordre spirituel comme enseigner les ignorants (Docere ignaros), pardonner les offenses (Remittere debita).
"Accueillir les étrangers" Puis le peintre
revient au chœur. «Au
premier niveau du saint des saints
l’œil est attiré par des tapisseries.
Elles attestent la prise en compte d’un
art qui rappelle les tentures déployées au
Moyen-Age pour habiller les fêtes.
Peintes en trompe l’œil, ces tentures
répètent un motif eucharistique, celui du
pélican. En Europe occidentale, le pélican
était au Moyen-Age un symbole de
piété pour l’Eglise
chrétienne: on croyait qu’il perçait sa
propre chair et
nourrissait ses petits de son sang. Dans l’iconographie et la
symbolique
chrétienne occidentale, le pélican
évoque le sacrifice du Christ, qui versa lui
aussi son sang pour sceller la nouvelle alliance entre Dieu et les
hommes.»
(1)
Le pélican, symbole de piété Au niveau
supérieur,
la monumentalité de la ronde des anges s’impose au
visiteur. «L’ange
correspond parfaitement aux
conceptions beuronniennes d’une figuration intemporelle,
hiératique, hors de tout
contexte historique ou naturel.» (5) Les
anges sont considérés notamment par
St-Benoît, comme les acteurs
privilégiés de la liturgie céleste
dont la
liturgie terrestre est le reflet. Aussi leur présence
est-elle continuelle dans
les œuvres des moines-artistes. Les anges sont par
conséquent également très
fréquents dans l’œuvre de Joseph Asal. A
Marienthal, ils présentent les «armes du
Christ». (Arma Christi).
C’est là une de leurs fonctions principales amplement
présente dans la tradition iconographique. «Ainsi
en est-il du pont Saint-Ange à
Rome, par exemple.» (1)
La chronologie de la Passion du Christ
se lit de gauche à droite. Elle est annoncée par
un ange qui explique les
implications des instruments de la Passion: «…Oui,
avec dérision, ils L’ont couronné roi
et cruellement pendu à la croix.»
Puis, chaque ange rappelle un événement tragique
qui jalonne le parcours du
Christ jusqu’au Golgotha,
en commençant
par la trahison de Judas et en finissant par la croix
elle-même. Le dernier
ange s’érige en censeur
qui fustige
l’ingratitude des chrétiens catholiques qui «s’approchent
rarement de la table du Seigneur et ne viennent jamais le visiter dans
la
journée.»
Les textes des phylactères que portent
les anges sont
écrits en Allemand car Joseph Asal les a peints pour la
fête de l’Assomption en
1916. La Grande Guerre n’est
alors, pas
terminée et l’Alsace est toujours
annexée à l’Allemagne.
L'ange censeur ...qui fustige l'ingratitude des catholiques. Saint-Jacques - Eglise de Schweighouse - Thann Le visiteur
attentif constate avec plaisir que
les visages des anges ne sont pas
stéréotypés. Ils ont chacun leur
personnalité. Ce sont ceux des jeunes gens et jeunes filles
qui ont accepté de
poser pour Joseph Asal. Les jeunes de Marienthal, de Saverne, de
Matzenheim
sont pour lui autant de modèles pour représenter
les anges. Dans tous les cas,
Joseph Asal renonce à l’imitation (keine
Wiederholung des Historischen):
fleurs, arbres, animaux, hommes, sont pour lui mille occasions
d’études. Les
archives du Collège de Matzenheim
en
conservent une très riche collection.
Etude extraite des carnets de 1901 Etude de fleur Asal a donc bel et
bien pris ses distances avec
les conceptions du fondateur de «l’Ecole»
de Beuron et s’est rapproché de Jan
Verkade, persuadé que la peinture doit véhiculer
un message spirituel vivant,
s’inspirant de personnages réels et de ce que la
Nature donne à observer et
tout en cultivant, dans la manière, dans son style, une
certaine individualité.
" Voici qu'une Vierge fleurit en Jessé " Avant de quitter la
chapelle, on remarquera les
inscriptions inspirées de l’Ecriture,
apposées immédiatement sous les vitraux
et on retiendra une dernière image, celle du Bon Pasteur qui
orne le
confessionnal «Image de la
miséricorde
qui résume le programme pictural de cette
chapelle.» (1)
Le Bon Pasteur Haegen, délicieusement Jugendstil Marienthal,
première œuvre de grande envergure
initia une activité féconde de Joseph Asal dans
toute l’Alsace. Parmi ses
nombreuses réalisations il convient de retenir la
décoration de la petite
église de Haegen, au pied du château du Haut-Barr,
délicieusement
représentative du Jugendstil.
L'église
de Haegen, au pied du Haut-BarrFrise et fresques de l'église de Haegen La technique de la fresque selon Joseph Asal Contrairement aux
Anciens qui opéraient sur un enduit humide, frais (le terme
«fresque» vient de
l’Italien «a fresco » qui signifie dans
le frais) Joseph Asal pratique la
peinture «a secco» (à sec), sur un
mortier de chaux auquel il applique du
blanc de Meudon Le choix de la chaux comme
mortier n’est pas seulement dû à ses
qualités artistiques (variété des
textures, luminosité, blanc insurpassable, patine
exceptionnelle…) mais à ses
grandes capacités de conservation des pigments. Sur cette
surface laissée
rugueuse, le blanc de Meudon, blanc à base de craie, permet
de rendre la
surface plus lisse, plus adhérente, tout en
réduisant l’absorption de la
peinture par le support. Ainsi les couleurs gardent
l’éclat voulu. Une colle
végétale
lui sert de liant.
La
peinture est préparée à
l’aide de
pigments naturels d’origine végétale ou
minérale spécifiques à la technique
«a
secco». Ils doivent être stables à la
lumière
et en mélange avec d’autres
pigments. Leur préparation se fait par pilage des cristaux.
Ils
sont appliqués
à l’eau de chaux ou à l’aide
d’une
colle-badigeon. Parmi les couleurs les plus
stables, on distingue les ocres, jaunes et rouges, teintés
par
des oxydes de
fer, les terres de Sienne, d’ombre, ou vertes, les oxydes de
cobalt, de cuivre,
de cadmium (jaune) et de chrome (vert), le blanc appelé
blanc de
St.Jean,
obtenu à partir de chaux, le bleu lapis-lazuli ou
d’outremer, le rouge cinabre,
mélange de souffre et de mercure…Les
éléments de décor dorés
sont
réalisés avec
des feuilles d’or à 18 carats, collés
au blanc
d’œuf et vernissés.
Au lieu de reporter son dessin
préparatoire à l’aide d’un
«poncif», calque fait de papier huilé,
les grandes
lignes du travail étant percées de petits trous
au travers desquels on fait
passer de l’ocre contenu dans un tampon, Joseph Asal
réalise une maquette qu’il
projette sur le mur à l’aide d’une
visionneuse à tiroir et à réflecteur
fonctionnant
en 110 ou 220 volts avec de grosses lampes, aujourd’hui,
introuvables.
L’exécution d’une
fresque nécessite une grande habileté.
C’est un travail long et compliqué pour lequel
l’artiste a besoin d’assistants
de confiance. Aussi, Joseph Asal s’est-il entouré
d’une petite équipe
d’apprentis et d’aides
expérimentés qui exécutent les
éventuels travaux de
maçonnerie, appliquent les sous-couches,
préparent les pigments, déplacent
l’échafaudage à roulettes…
La
visionneuse utlisée par Joseph AsalNous ne pouvons emporter que ce que nous donnons Joseph Asal «a
été sensible à la beauté
des formes, des couleurs, des mouvements,
des jeux d’ombre et de lumière»
(2) d’une manière directe
que l’on pourrait qualifier de naïve, mais qui est,
en fait, commandée par la
finalité de l’œuvre qui se veut
didactique. Artiste méticuleux comme le furent
les sculpteurs des cathédrales, Joseph Asal
considérait Dieu comme le premier
témoin de son travail. «Gott
sieht
alles!». Le plus petit, le moindre travail fut pour
lui une prière. Son
art? Un art monastique au service de Dieu! Aussi
l’appelait-on «Herrgott
Maler» ou «Mönch
im Bürgerkleide»
La devise de la rosace du vitrail signe son œuvre: «Par la Croix et vers la
Lumière». Il entretenait et vivifiait sa
foi par la lecture assidue de la
Bible, des Pères de l’Eglise, des grands mystiques
comme St-Jean de la Croix,
Ste Thérèse d’Avila, Ste
Thérèse de Lisieux. Il suivait volontiers
l’office des
moniales, affectionnait le chant grégorien: la musique de
Hildegarde de Bingen
extraite des graduels et antiphonaires de Pairis, près
d’Orbey…
La devise de la rosace: "Par la Croix, vers la lumière" L’autre
Livre où il
découvrait Dieu était la Nature, source
inépuisable d’inspiration. «Je
me souviens, comme si c’était d’hier, de
l’une ou l’autre promenade faite en sa compagnie.
C’était en août 1941, à
Ressins dans la Loire. Nous cheminions à travers
prés pour chercher le lait
dans une ferme, en pleine campagne. Nous méditions le
chapelet dans la brise
d’un soir d’été. Plusieurs
fois, Asal interrompait la prière,
s’arrêta et me
dit: «Regarde ce beau coucher de soleil, cette illumination
du ciel, ces
contrastes dans le paysage…» Et quelques pas plus
loin: «Ah! Quelle splendeur
que ce bouquet de mauves. Et vois là-bas, le troupeau de
moutons à
contre-jour.» (2)
Tout en mettant son œuvre au service
de Dieu, il a réalisé son potentiel: il
s’est accompli dans sa vie et sa
carrière professionnelle. Il a eu le bonheur de
créer quelque chose à
transmettre aux autres afin de donner une nouvelle dimension
à leur vie. Puisse
l’immortalité de son âme rester vivace
dans la mémoire des hommes.
Joseph Asal fait partie de ces croyants
qui, parvenus à un haut degré de
beauté morale, goûtent les joies du
renoncement. Il est, en effet, indifférent aux honneurs.
Aucune exposition. Il
n’a jamais cherché à se faire un nom.
Il travaillait «mehr um Gotteslohn als um
Geld». Il a compris que la richesse,
c’est comme l’eau de mer. Plus nous en
buvons, plus nous avons soif et que, finalement, nous ne
possédons pas nos
biens. Ils nous possèdent. Il a également compris
que nous ne pouvons rien
emporter de ce que nous avons reçu. Nous ne pouvons emporter
que ce que nous
avons donné.
Or, Joseph Asal a tellement donné
qu’il est mort pauvre. Enterré au
cimetière de Marienthal, il n’a pas
laissé
assez d’argent pour payer ses
obsèques…Il a, par contre,
légué par testament,
ses maigres biens et, notamment, sa précieuse
bibliothèque, aux congrégations
pour lesquelles il a travaillé. Sa charité
était proverbiale. Selon le
témoignage donné par Mr. Joseph Gass,
artiste-peintre, son élève et son ami de
toujours, Joseph Asal voyait dans les pauvres la présence de
Jésus Christ: il a
accueilli chez lui deux aveugles en 1949. Il s’est
occupé d’eux et leur a
procuré les moyens de faire le pèlerinage
à Lourdes, et lui-même avait voulu
leur servir de guide.
Joseph Asal est toujours présent dans ses
œuvres en tant
qu’artiste accompli, mais aussi et surtout en tant
qu’homme. C’est l’homme
d’abord,
qu’il faut chercher dans l’artiste.
Crédit
photographique:
Photos autres que renseignées: © Carmel de Marienthal, 2014 Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |
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