Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Jean-Jacques Helwig
Tenir
l'appareil photo comme un pinceau...
Jean-Jacques Helwig a eu un contact précoce à l’art. Les graphismes des plans et les projections en perspectives qu’il a vus naître sous les Rothling de son père dessinateur architecte, ont imprégné sa jeunesse. Par ailleurs, la passion de la photo l’a toujours habité, et ce, dit-il: «à tous les moments de la vie familiale ou professionnelle, pendant mes loisirs, mes voyages en Europe, aux USA, au Canada, au Japon…et ailleurs» Une formation universitaire a conduit Jean-Jacques Helwig à un doctorat d’Etat en sciences biologiques de l’Université de Strasbourg et aux métiers de la recherche, au sein de l’INSERM où il a dirigé un laboratoire centré sur la néphrologie. «Le métier de chercheur est une quête permanente d’idées nouvelles et donc de créativité. Cette quête est au cœur du métier de chercheur et intuitivement je pense qu’elle m’a prédisposé à une activité artistique.»
La problématique
Mais, dans quelle mesure la photographie devient-elle une activité artistique? En effet, avoue Jean-Jacques Helwig, «est arrivé le moment où il a bien fallu réfléchir sur la manière de définir mon approche et de la situer dans le panorama des disciplines artistiques.», notamment, à partir du moment où intervenaient les outils du plasticien. Or, qu’est-ce que l’art? C’est un moyen d’émouvoir, de rêver, de faire rêver, de faire passer des sentiments. Il est indépendant de tout support utilisé: papier, écran, verre, instrument de musique, bronze… Pourvu que le message soit perçu et que le talent, voire le génie, lui donne ses lettres de noblesse. Nous verrons que la photographie plasticienne, de par son originalité et les subtilités de sa technique, répond à ces hautes exigences.
La controverse
Cependant, la photographie, en tant qu’éventuelle œuvre d’art est en débat permanent depuis sa découverte en 1826 par Nicéphore Niepce. Arago, en 1834, salue: «l’admirable découverte de Mr Daguerre (comme étant) un immense service rendu aux arts». Pour Baudelaire, la photo ne peut être un art, mais seulement un procédé qui lui serait inféodé et qui serait, en fait, à son service. Many Benner, par exemple, en usait délibérément avec ses plaques sèches de gélatino-bromure d’argent!... Pourtant, au XXème siècle elle passe du rôle d’humble servante au statut de paradigme. L’impact du surréalisme par le truchement de l’œuvre de Marcel Duchamp a fait entrer la photographie dans le naos de l’art. Lui et Man Ray ne cessent de conjuguer, sur des modes inédits, photo et art jusqu’à ce que Rodtchenko considère la photo comme «l’art de notre temps» et que L. Moholy Nagy qui enseignait au Bauhaus, affirme que: «ce sont les propres lois de la photographie et non l’opinion des critiques d’art qui constituent la seule aune valable à laquelle juger de sa valeur à l’avenir.». La photographie est ainsi devenue une composante de l’histoire de l’Art.
En toute objectivité, si l’artiste imagine les images, le photographe les emprunte: deux attitudes bien différentes, l’une est création, l’autre est révélation. A quelle condition le photographe devient-il un artiste utilisant la photographie? En d’autres termes: «A quel moment tient-il l’appareil photo comme un pinceau?»
Le crescendo des vocations
L’amoureux de la photo
pure, argentique ou numérique qui ne doit rien à
l’ordinateur, propose une
perception du monde qu’il a devant lui à un moment
donné, ni corrigée, ni
retouchée. Il capte l’instant sensible.
C’est le photographe opportuniste qui
profite du hasard de rencontres amusantes, anecdotiques, ou de
circonstances propres
à suggérer des sentiments, des
émotions à partager, témoignant ainsi
de sa
sensibilité poétique.
Les
Vosges, ça décoiffe... L'anecdote© F. Walgenwitz Impression en Camaïeu La poésie © F. Walgenwitz
L’amateur d’art, qui s’intéresse au résultat, à la signification, quels que soient le procédé et les traitements appliqués, s’engage dans une quête artistique. L’appareil photographique lui propose une infinité de réglages. Luminosité, filtres, zoom, qualité des pixels, deviennent autant d’outils de création. Ils lui donnent le pouvoir de transformer la réalité. Il peut la fabriquer de toutes pièces, composer son propre univers avec des fragments de réalité. Certaines images ne reflètent même plus la réalité, mais naissent d’un artifice. Quitte à abandonner l’aspect figuratif l’amateur d’art, dans sa recherche de la beauté, s’aventure dans l’abstraction. Sony Nex F3© en automatique. Aucun trucage. © Jean Mangold Rouille rongée sur wagon des mines (MDPA) Sony Nex F3© en automatique. © Jean Mangold Comme la photographie d’art, la photographie plasticienne a pour vocation de présenter l’espace et les personnages ou objets qui le composent selon une mise en scène savamment orchestrée. Ainsi, la photographie n’a plus d’autre sujet qu’elle-même, invitant le spectateur à une réflexion autant qu’à une contemplation de l’esthétique. Avec cette différence fondamentale, que peinture et vernis, repères personnels qui accentuent l’aspect narratif, dramatique, esthétique, donnent à l’image une vie nouvelle. Dans les années 1980, des photographes cherchent à métamorphoser leur appareil en un outil de plasticien. Mais, laissons la parole à Jean-Jacques Helwig, mieux à même à nous éclairer: «Ces néo-picturalistes font varier la nature du support, adoptent le format «tableau», s’emparent de la troisième dimension avec les installations photographiques et renouent avec le mélange des disciplines et le matiérisme. Ils reprennent le photomontage par découpage, collage, superposition, juxtaposition, grattage du négatif et retouches picturales de l’épreuve. Ainsi, à partir des années 1990, la photographie plasticienne devient une autre approche artistique. Au grattage, peinture et autres découpages viendront s’ajouter les techniques numériques. En effet, la conception de l’image et plusieurs de ses approches manuelles et de montage prennent un virage virtuel.
En
définitive, je «picturalise» mes
clichés pour privilégier
l’interprétation du
réel à la reproduction fidèle du
monde. En tirant parti du potentiel offert par
le numérique et les divers outils du
plasticien, présents sur la table de travail. Autant de
chemins que j’empreinte
avant, pendant et après la prise de vue et qui
définissent mon approche
plasticienne de la photographie. Bref, un dialogue permanent entre la
matérialité de la peinture et la surface lisse du
support photographique.»
Les étapes nécessaires Les étapes de la réalisation d’une oeuvre se déroulent en partant d’une bibliothèque d’images constituée de prises de vues de l’artiste portant sur un thème suggéré par l’environnement. ● Conception virtuelle de l’œuvre: étape numérique de composition. Les clichés choisis sont fragmentés, détourés (le fond entourant le sujet est supprimé), retouchés pour modifier formes, ombres, lumières, contrastes, grains et couleurs. ● Impression. Tirage à l’imprimante (encre à pigments) de la maquette ainsi obtenue sur papier photo professionnel. ● Contre-collage des planches imprimées, découpage, ajustage des éléments photographiés sur un support Forex ou sur un châssis en bois ou entoilé. Les pièces peuvent être retouchées numériquement pour ajuster ombres, lumières et couleurs, puis réimprimées. ● Etape picturale. Phase primordiale, significative de l’œuvre, destinée à conférer à la base photographique l’aspect pictural à l’aide de peintures acryliques, de mortiers, et autres vernis. Elle consiste à cerner les éléments photos en comblant les espaces entre eux, ce qui rappelle le cloisonnement des émaux. ● Application de divers types de vernis, propres à donner aux surfaces la texture souhaitée. ● Encadrement de certaines œuvres dans un cadre en bois peint par l’artiste. Ce qui renforce la picturalisation de l’œuvre. C’est la forme «tableau» de la photographie plasticienne.
L'oeuvre commentée
Jean-Jacques Helwig trouve son inspiration dans les
vieilles façades, les vieux murs, les vieilles portes, les
carrelages usés, les
maisons à colombages d’ici et d’ailleurs
Il affectionne également ce que lui
apporte la nature: les ambiances saisonnières, les paysages
crépusculaires, la
majesté des arbres, la structure d’une
écorce…
Jehanne Aisseliers et décharges - 73 x 73 cm - 2015 Commentaire:
Les – alsacitudes – comme je les
appelle reviennent souvent dans mes réalisations.
L’Alsace est la région où je
suis né et que j’habite depuis toujours. Le
graphisme formé par les pans de
bois qui s’entrecroisent m’a toujours
fasciné. J’ai voulu
exagérer cet aspect graphique tout en y
mêlant des éléments plus pittoresques
et traditionnels. Là aussi,
l’accumulation et la juxtaposition restituent avec force le
ressenti aux
multiples facettes quand on se promène dans nos villages.
Une déclinaison en
deux temps, d’un côté de pans anciens et
de l’autre de pans restaurés. Les pans
que refaçonne le temps et qui laissent entrevoir le torchis
ont ma préférence. Survie - 65 x 32 cm - 2013 Commentaire:
Il
s’agissait avant tout de la rencontre de deux
éléments naturels aux textures
profondément remodelées par le temps: celle de la roche
érodée et celle du bois
pétrifié. L’ultime effort de cette
souche pour survivre en insinuant ses racines dans les entrailles de la
roche.
Peut-être s’agit-il
aussi, d’un message
écologique.
La
photographie plasticienne permet à Jean-Jacques Helwig
de s’évader des valeurs propres à
l’objectivité L’effet
recherché,
c’est-à-dire
l’intention de l’artiste, est obtenue par des
ambiances
symbolistes,
surréalistes, par des métamorphoses qui nous
emportent
dans des univers
improbables.
Echappée - 80 x 80 cm - 2015 Commentaire: Night Dream - 54 x 73 cm - 2017
Commentaire: Cette
femme, coiffée d’or, créature
mythologique,
s’appuyant sur le savoir humain,
scientifique et philosophique, sur la culture littéraire et
musicale, serait-ce
Athéna, la déesse des arts et des techniques,
infiniment
intelligente et
perspicace, au point de voir dans l’obscurité?
Elle semble
fascinée par l’astre
de la nuit qui symboliserait le cosmos. Elle en est
séparée par une grille qui
lui en interdit l’accès et qui ne lui laisse
entrevoir que
l’apparence de la
logique suprême qui régit l’Univers.
Est-ce
l’histoire de la science vouée à
des «vérités» successives,
à des
«certitudes» provisoires, cette
précarité qui
la distingue de la pensée mythique? Parmi les déclencheurs de curiosité, la composition s’avère essentielle. Elle est toujours savamment orchestrée. Les volumes clairs et sombres étant harmonieusement disposés, le tout est aussi bien équilibré que possible. Cette construction est certainement le fruit d’une réflexion mûre. Les règles qui les commandent sont personnelles et nous ravissent par l’imprévu des trouvailles ingénieuses que nous y découvrons. En fait de composition, il s’agit plutôt, dans certaines œuvres de Jean-Jacques Helwig de recomposition. La mutation des apparences nous divertit car les licences prises par le peintre rachètent notre impuissance à modifier cette réalité que lui «malmène» si bien. Il en use ainsi comme le rêve qui légitime à coup sûr toutes les métamorphoses.
Promeneurs - 77 x 96 cm - 2019
Commentaire: Survol - 80 x 80 cm - 2016
Commentaire: Ses compositions «en abyme», tableau inséré dans un autre, marient avec bonheur, paysage et nature morte. Nature morte avec Vanité - 73 x 92 cm - 2018 Natures - 73 x 92 cm - 2018
Commentaire:
Voici deux exemples de mise en abyme
comme l’ont fait de nombreux peintres, à
l’aide de cadres successifs. Au cadre
du tableau lui-même, succède celui de la
fenêtre. A la nature morte du premier
plan, avec ou sans vanité, succède le paysage. Un
dialogue s’établit entre les
deux, une synergie où le paysage
donne
un relief et une lumière particulière aux objets
présentés à
l’intérieur qui, à
leur tour, illuminent l’extérieur et projettent le
regard
sur un horizon
lointain. «Si la lumière est une qualité tout particulièrement recherchée dans la peinture, c’est d’abord parce qu’elle est un bien précieux dans la vie normale… D’autre part, la lumière a ce pouvoir magique de changer «à distance» la couleur, le relief et les dimensions apparentes des choses. Elle peut assigner à l’espace figuré un statut plus ou moins réaliste ou onirique» (1) Jean-Jacques Helwig a manifestement fait siennes ces préceptes notamment dans «Effets de Nuit» où, dans une gamme infiniment riche de lumières et d’obscurités, il évoque la vie, la présence humaine Dans ce clair-obscur, le clair se mêle à l’obscur en tous lieux de la composition; il est amusant de démêler les multiples sources lumineuses qui la gouvernent. «Songe d’une après-midi d’Eté», cliché de l’instant unique, oppose le réalisme des bords ébréchés des dalles aux reflets éthérés d’une lumière sacrée. Effets de Nuit, 106 x 36 cm - 2018
Commentaire:
Une composition nocturne,
thème
fréquent chez de nombreux peintres. Une accumulation
outrancière de maisons
alsaciennes (photographiées de jour dans de nombreux coins
d’Alsace) qui
apparaissent à la seule lueur des
réverbères (toujours le même, en fait),
avec,
au sommet un bataillon d’oriels. Dans la semi
obscurité car trop loin des
réverbères. Songe d'une après-midi d'été, 54 x 54 cm - 2011
Commentaire:
Ce «Songe d’une après-midi d’Eté» nous renvoie à la technique du vitrail à laquelle s’apparente le graphisme de bien des œuvres de Jean-Jacques Helwig. Le cloisonnement qui en résulte est sa marque de fabrique, l’élément essentiel, consubstantiel à son style. «J’aimerais que l’on ait envie de caresser et de fouler les entailles et les tavelures de la matière»
«Crépuscule sur Murnau», «Les
Diagonales du Temps», «Trois
Saisons: Eté, Automne, Hiver» entre
autre, en sont l’illustration parfaite. Quant à
«Majorelle», ce titre est sans
doute destiné à évoquer en nous le
cofondateur de l’Ecole de Nancy qui donna la
primauté à l’Art Nouveau, et,
à travers lui Jacques Grüber le maître
verrier le
plus célèbre en vitraux de style 1900 de cette
même Ecole et dont les armatures
de plomb s’apparentent aux nervures des contre-collages de
Jean-Jacques Helwig.
Crépuscule sur Murnau, 64 x 64 cm - 2010
Commentaire: Les diagonales du Temps, 36 x 47 cm - 2018
Commentaire: Les Trois Saisons: Eté, Automne, Hiver, 40 x 120 cm - 2016
Commentaire:
Par le graphisme, grâce auquel l’artiste structure le tableau et le dynamise qu’il lui imprime par juxtaposition, répétition, ajustement, il obtient des rythmes qui, selon les cas, ajoutent à l’œuvre un effet de symétrie à l’instar des anaphores qui, en produisant un effet musical, communiquent de l’énergie au discours. Ce sont des cadences équilibrées qui confèrent à l’ensemble une cohérence, une cohésion, indubitables. Dans d’autres cas, Jean-Jacques Helwig joue sur la confrontation de scansions contrastées où s’opposent la courbe au triangle… Les Pans d'Ailleurs (Troyes), 77 x 96 cm - 2018
Commentaire: Ungemach, 70 x 100 cm - 2012 Commentaire: «Dans toute peinture, même abstraite, il y a un espace. Ce n’est pas un ingrédient concret du tableau comme la couleur ou la ligne, car l’espace en question n’est pas réel. L’art de la peinture est de le suggérer.» (1) C’est ce à quoi Jean-Jacques Helwig réussit parfaitement. En témoigne «Quiétude» dont la puissance spatiale est remarquable. Alors qu’un tableau est avant tout un objet plat, accroché à une paroi plane, comme aurait pu dire Maurice Denis, le talent du peintre sait éveiller la fonction magique du rectangle d’un tableau: y faire entrer un nouvel espace à l’échelle inattendue qui pourrait nous sembler immense. Quiétude, 65 x 32 cm - 2013 Commentaire: Autre moyen pour un artiste de devenir une sorte de magicien, créateur de lumière et de vie, c’est la couleur. La couleur qui concentre en elle l’essentiel de la fonction picturale de l’œuvre de Jean-Jacques Helwig à l’aide de la peinture acrylique. Comme en témoigne «C.A.T.I.A»
C.A.T.I.A., 76 x 76 cm - 2013
Commentaire: Grâce à Jean-Jacques Helwig, nous savons qu’il ne suffit pas que la photographie occupe les yeux, il faut qu’elle agisse sur l’âme, touche le cœur et parle à l’esprit. La grande originalité de son œuvre corrobore cette belle idée de Jean d’Ormesson: « Tout le bonheur du monde est dans l’inattendu. » Sources
- Jean-Jacques Helwig – Photographie plasticienne – Novembre 2015
- Jean-Jacques Helwig – Photographe plasticien – Réalisations 2015 à 2018
-
Patrick Talbot – La
photographie en tant qu’art –
Open-éditions -
Hector Obalk – Aimer
voir – Ed. Hazan – 2011 (1) -
Jean MANGOLD, Photographe d’art. Ecole
des
Beaux-Arts de Mulhouse, Ecole Supérieure de
Décoration et Etalagiste de
Mulhouse. Professeurs: Léon Lang, J.-P. Schwartz.
Expositions à Wittenheim,
Bondoukou (Côte d’Ivoire), Rio de Janeiro
(Brésil) Crédit Photograhique Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |