Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Sculpteurs Alsaciens
Séquence 5
Jean
Henninger (1916-1994)
Jean Henninger
En
réponse à la
question: «Comment devient-on sculpteur?», Jean
Henninger invoque une
vocation qui se manifeste par un besoin
impérieux d’exprimer avec les mains ce que dicte
l’esprit. L’essentiel étant de
posséder des dons solides, une farouche volonté
de se former et une vision
fervente de la beauté artistique.
Muni de ce précieux viatique, Jean
Henninger a, au cours de sa longue et très riche
carrière, construit une œuvre
magistrale, à la fois sensible et puissante
évoluant vers la pureté des lignes,
«l’esthétique du lisse»,
atteignant l’excellence dans tous les domaines
d’expression de son art.
Jean Henninger est né le 17 mai 1916
à
Strasbourg. Il est le fils de Charles Henninger, entrepreneur de
transport (Fürunternehmer),
installé dans le
quartier de la Krutenau, rue des Balayeurs (Feggasse),
au N° 20, et de Marie-Madeleine Goetzmann, tous deux de
confession protestante.
Né au temps du Reichsland,
il obtient
la nationalité française en 1919. Il effectue ses
études secondaires dans le
vénérable gymnase Jean Sturm, école
protestante humaniste crée au seizième
siècle.
En 1931, il entre à l’Ecole des
Arts-Déco de Strasbourg, alors dirigée par le
sculpteur Rupert Carabin. La
première année, il sera
élève ébéniste, puis,
durant quatre années, élève
sculpteur dans l’atelier d’Albert Schultz. En 1936,
il est diplômé, avec
mention Très Bien. Il obtient le Prix de la Ville de
Strasbourg et se voit
honoré de la Plaquette de la Société
d’Encouragement à l’Art et à
l’Industrie
pour sa première œuvre officielle
intitulée «Statue du
Désespoir», taillée dans
une bille de bois provenant des échafaudages de la
cathédrale. Une statue jugée
«robuste et quasiment parfaite»… Le Désespoir A partir
d’octobre 1936, il poursuit sa formation à Paris
à l’Ecole Nationale Supérieure
des Beaux-Arts dans l’atelier de Jean Boucher,
célèbre pour son monument
dédié à
Ernest Renan (Tréguier) Ernest Renan Par
Jean BOUCHER
Le témoignage que Jean Henninger nous
laisse de son séjour à l’Ecole est
instructif eu égard à ce que celle-ci est
devenue par la suite: «C’était
très
manuel, on apprenait le métier en travaillant le bois, la
pierre. Après on
pouvait ajouter de l’art si on voulait embellir une chose, y
ajouter sa
personnalité; sinon on pouvait rester
ébéniste. Il y avait le père Schultz
–
celui qui a fait la Gaenseliesel – qui était mon
professeur de modelage. Pour
la taille de la pierre et du bois, c’était Messer,
un ancien ouvrier de la
cathédrale. En principe, les élèves
qui arrivaient là, savaient ce qu’ils
voulaient faire, et n’allaient pas d’un
métier à l’autre, ce qui, à
mon avis,
est du bricolage.»
Appelé au Service Militaire en 1937,
il est démobilisé en 1940 et reprend
aussitôt ses études comme «Meisterschüler»
à l’Ecole des Arts-Déco,
passée en «mode» Troisième
Reich, sous la direction d’Egon Guthmann, lui-même,
totalement
acquis au système…. De 1943 à 1945, il
subit, à l’instar de 130 000 autres
Alsaciens-Lorrains, la tragédie de l’Incorporation
de Force. Envoyé sur le
front russe, comme 90% de ses compatriotes, il est
grièvement blessé à
Stalingrad.
Dès novembre 1945, il rejoint
l’Ecole
des Beaux-Arts de Paris, pour suivre les cours de Paul Niclausse,
(1879-1958),
sculpteur et médailleur de style art-déco. Le 8
mai de cette année, il épouse
Manuela Loos, danseuse-étoile, originaire de Bochum qui se
consacrera entièrement
à la peinture à partir de 1948. De cette union
naîtront deux enfants. Tous deux
s’engageront dans la voie artistique, puis dans
l’artisanat d’art, l’un dans
l’ébénisterie, l’autre dans
la ferronnerie d’art Cette
même année, 1948, Jean Henninger est
éligible au Prix de Rome, c’est-à-dire
qu’il est autorisé à participer au
concours. Manuela Bronze
«Je
suis allé à Paris aussi bien pour me
perfectionner que pour voir autre chose;
pour me rendre compte si Paris était vraiment
supérieur à ce qu’on faisait ici.
[…] Ayant appris tout ce que je voulais acquérir,
je suis revenu à Strasbourg
délibérément, en espérant
pouvoir vivre de ma sculpture car il y avait moins de
concurrence ici.» Or, dès 1949, il
obtient une commande privée, très
originale, sous la forme d’un grand panneau traité
en bas-relief. Scène de chasse Bas-relief
(3,80x2,75 m)
En 1950, la ville de Strasbourg lui
confie la restauration de la statue du «Pelleteur»
d’Alfred Marzolff (1906),
une des quatre sculptures monumentales du Pont Kennedy qui a
été accidentellement
endommagé en septembre 1945. En possession de la maquette de
l’œuvre initiale
que la veuve de l’artiste lui a confiée, Jean
Henninger recrée fidèlement la
statue. Ainsi, le pont a retrouvé
l’intégralité de son décor. Le Pelleteur d’Alfred Marzolff Pont
Kennedy, Strasbourg
Il a, en 1946, répondu à
l’appel de
Roger Marx, écrivain et critique d’art, qui tente
de regrouper les jeunes
artistes désemparés après quatre ans
de Diktat du «Kulturamthauptstellenleiter»,
afin de les guider dans la «voie
à suivre»…. Et ce fut le
«Groupe
de l’Issue». Mais, Roger Marx est un
idéaliste qui considère que l’histoire
de
l’art s’est arrêtée quand
surgit le surréalisme. D’après lui,
Braque et Kandinski «n’appartiennent
pas
à la peinture»…(2) Jean Henninger allait-il suivre la doctrine
de Marx qui
prône «l’imitation
créatrice», un carcan
stigmatisé, à juste titre, par Robert Heitz? Il
est permis d’en douter…Toutefois,
l’Issue,
composée de peintres et de
sculpteurs, est rapidement rejoint par des musiciens, des acteurs, des
poètes.
L’objectif est l’organisation
d’expositions collectives et individuelles. La
vie de l’association s’avère
éphémère: elle disparaît
après la deuxième
exposition, en 1947. C’est l’occasion, pour le
critique Marc Lenossos, de
distinguer la prestation du sculpteur: «Agé
de 29 ans, Jean Henninger a déjà atteint une
grande noblesse de style. Une
vision large, pas un détail superflu, une
exécution impeccable et sobre. […]
Jean Henninger n’est plus un espoir, mais une
certitude.»
Ces premières expositions inaugurent
une longue série qui jalonne la riche carrière de
Jean Henninger. Les œuvres,
au nombre de 22, qu’il présente, en 1948,
à la Maison d’Art Alsacienne,
séduisent la critique et, notamment, Jean Granel: «C’est de la grande classe,
c’est racé, sensible et puissant, calme et
plein de mouvements sous-jacents,
équilibré…Les grandes figures me
semblent, à
cet égard, les plus significatives et les plus importantes
en ce qu’elles sont
l’émanation même de ce style dont je
viens de parler. Leurs volumes sans heurts
et sans «effets», la délectable
combinaison de lignes et de plans qu’elles
créent d’un mouvement calme et sans emphase,
toutes ces qualités désignent
d’emblée Jean Henninger comme un des plus
doués parmi les sculpteurs de
demain.» Œuvres présentées
à l’exposition de 1948
Jean Henninger s’est
délibérément associé
à l’idée de former
un autre groupe qui s’est créé au sein
de l’A.I.D.A. dont il est sociétaire;
idée qui a germé dans l’esprit de
Jean-Jacques Hueber, alors secrétaire de la
Société éponyme. Malgré et,
peut-être, grâce à la
diversité des tempéraments,
un accord est rapidement conclu. C’est ainsi que le 21 mars
1959, jour de
Pâques, est né le «Groupe de
l’Oeuf», la Maison d’Art Alsacienne lui
servant de
nid…L’œuf, symbole exigeant de «perfection,
de pureté, de fécondité»
(2)
que les exposants se sont donnés. Ils sont dix:
André Brika, Camille Claus,
Rojer (sic) Cochard, Alfred Edel, Louis Fritsch, Jean Henninger,
Camille Hirtz,
Jean-Jacques Hueber, Fred Tinsel et Louis Wagner. Le groupe,
animé d’un
indubitable esprit d’équipe, se déplace
à Paris, Munich, Ludwigshafen,
Karlsruhe, Nancy, Mulhouse… Photo: Musées de Strasbourg Invitation au Salon de l’Oeuf Dessin
de Jean Colette, élève de la classe de
publicité de l’EADS Tête d’Enfant Syénite
(de Syène, ancien nom de la ville d’Assouan),
roche constituée de feldspath
alcalin
Lors de l’expo de 1959, à la
Maison
d’Art Alsacienne, rue Brûlée, Jean
Henninger présente une «Tête
d’Enfant»,
exécutée dans une «belle
syénite dont il
a su ménager le grain» (6) qui
recueille les faveurs de Roger Kiehl. Pour celle de 1960, J.-J. Hueber
demande
aux participants de consacrer une œuvre, au moins, au
thème de l’œuf. Jean
Henninger «pond», à
l’occasion, un galet gravé du Rhin «dont il garda le
secret»…(2)
En 1964, il réalise la «Jeune fille à
la Tortue» qui égaie la place
d’Austerlitz. Galet gravé du Rhin Galet gravé Sous
le signe de l’œuf, figurant sur le carton
d’invitation de l’exposition de 1966
Des expositions seront organisées,
régulièrement, chaque année; notamment
au Salon International de peinture et de
sculpture Alsace-Bade-Bâle à Guebwiller (1960),
à la Galerie Duncan à Paris, à
la Maison d’Art alsacienne à Mulhouse et, en 1961
à Munich «Tout simplement,
écrit Louis Fritsch, ce fut pour le
Groupe de l’Oeuf, une sorte de
consécration: un voyage heureux, une critique sympathique,
la fierté surtout de
se contempler aux cimaises de cette capitale de la
peinture.[…] Emportés par ce
tourbillon, six d’entre nous, (Claus, Henninger, Hirtz,
Hueber, Wagner et
Fritsch), participèrent en septembre, à une
exposition organisée par le
Kunstverein de Ludwigshafen…
Souvenir
inoubliable.» (10) Croquis préparatoire Hypothèse Jeune fille à la tortue, bronze,
1964 Fontaine,
Place d’Austerlitz, Strasbourg Jeune-fille à la tortue, bronze,
1971 Version
munichoise
Hélas! Ce bel esprit de famille dans
la diversité ne dure qu’un temps. Le 10ème
anniversaire de 1969
n’est pas fêté. Des critiques surgissent
peu à peu qui reprochent à
l’association son manque d’implication dans les
recherches d’avant-garde…C’est
la dislocation. Jean Henninger est celui qui la regrette le plus
amèrement.
Mais, l’éclatement, selon Rojer Cochard,
n’est-il pas dans la nature même d’un
groupe? Pour émerger, rien ne vaut la liberté!...
Notons que Jean Henninger a fait
partie du «Groupe des Sept» qui
précéda celui de l’Oeuf. La composition
des
deux groupes était sensiblement la
même…Il y a présenté «dans un calcaire dont la blancheur
attire la lumière sans réticence»
(7),
une Piéta, une Marchande des Quatre Saisons, «motifs
simples qui fuient l’anecdote pour nous
restituer la simple pureté des lignes» (7).
Par ailleurs des œuvres d’inspiration monumentale
telle que la Descente de
Croix, montrent combien il est à l’aise dans le
mouvement. En 1954, il est le
seul sculpteur présent à la Galerie Huffel
à Colmar avec de petites statuettes,
dont une «Sainte» et une
«Comédie» Sainte La Comédie
Cet engagement associatif,
n’empêche
pas Jean Henninger de participer aux nombreuses expositions tenues
régulièrement par l’A.I.D.A., parfois
en association avec son épouse Manuela.
Elles s’étendent sur une durée
d’un demi-siècle, de la première qui
date de
1936 à la dernière en 1986
De 1956 à 1984, il enseigne à
l’Ecole
des Arts-Déco de Strasbourg, tout comme l’ensemble
de ses coéquipiers du groupe
de «l’Œuf». Cette bonne
camaraderie professionnelle et professorale est à
l’origine de leur union. Le poste de professeur offre
à Jean Henninger un
avantage non négligeable en lui permettant de
développer en parallèle, et dans
les meilleures conditions, ses propres créations. La
période pendant laquelle
il exerce son professorat correspond sensiblement à celle
où François Cacheux a
assuré la direction de l’Ecole. (1959-1988).
Période particulièrement
dynamique. Soutenu indéfectiblement par Robert Heitz en tant
qu’adjoint de Pierre
Pflimlin, chargé des Beaux-Arts et président de
l’A.I.D.A. dont la plupart des
professeurs font partie, François Cacheux «a
réussi à opérer la mutation
d’une Ecole d’inspiration allemande fortement
marquée d’un régionalisme parfois
étroit, en une Ecole d’art de caractère
français, non seulement dans sa pédagogie mais
dans son esprit, dans son
caractère, tout en maintenant les apports positifs de son passé allemand et de son
enracinement régional». (1)
Ses principes pédagogiques novateurs qui ont
privilégié l’aventure
créatrice,
ont fait de l’EADS une Ecole Supérieure
d’Art. C’est avec beaucoup d’estime
qu’il
a accueilli Jean Henninger: «Un
vrai
sculpteur qui enseignait l’approche de la matière
aux élèves de première
année.
Je m’empressais de lui donner le cours de modelage du Cafas (Certificat
d’Aptitude à une Formation Artistique
Supérieure) puis
l’atelier de sculpture laissé vacant par le
décès de Pierre-Paul
Klein»
Parmi ses élèves les plus
talentueux,
retenons le nom de Thierry Delorme, à qui nous devons la
Jeune Fille au
Parapluie de Stutzheim, assise sur un banc
«Impératrice Eugénie» en
grès des
Vosges Thierry Delorme La
Jeune Fille au Parapluie Bronze
En 1962, Jean Henninger
obtient le Prix Schongauer de
l’Adadémie
d’Alsace.
Il admirait Maillol et Rodin, sans
pour autant chercher à les imiter. A la lourdeur des corps
de Maillol, il lui
arrive de répondre par des silhouettes longiformes, telles
les «flammes» (6)
du Fils Prodigue. Il revendique surtout l’influence
d’Antoine Bourdelle
(1861-1929), sans doute subjugué par la hardiesse
expressionniste de son
Héraclès archer. Il aimait le symboliste Ernst
Barlach (1870-1938) qui
affectionnait le bois, Georg Kolbe (1877-1947), aux bronzes tout en
mouvement,
Fritz Klimsch (1870-1960), artiste réaliste,
célèbre pour ses bustes… Le Fils Prodigue
Camille Hirtz et Jean Henninger se
sont liés d’une amitié
sincère. Ils ont été
élèves ensemble aux Arts Déco. Par
la suite, c’est Camille qui y a fait entrer Jean en tant que
professeur. «Ce qui
évidemment a été fortement
apprécié…Fidèle
jusqu’à la mort!»
(10).
Dans les années 1950-60, Camille Hirtz a consacré
aux artistes de sa génération
une série d’articles de fond parus dans les DNA.
Celui qu’il a dédié à Jean
Henninger, en 1953, comporte une analyse de
l’évolution de l’art de son ami,
assurément fondée. Buste de Camille Hirtz Par
Jean Henninger, en 1946
Intitulé: «Au
sculpteur Jean Hennnger, l’avenir est ouvert»,
il expose
d’abord les «influences
néfastes»
dont il a dû et su se garder, notamment «l’exubérance
et l’illogisme du Modern-Style. […]
Réaction saine, surtout marquée par
l’insistance sur le
caractère
rationnel de ses œuvres récentes.»
Henninger aurait eu, d’après Hirtz, «des
difficultés à se libérer des
influences
littéraires et anecdotiques d’Albert
Schultz», son professeur.
Libéré
également de ses maîtres parisiens, Jean Boucher
et Paul Niklausse, il se
tourne vers un naturalisme «dépouillé
des
scories de l’imagerie»,
c’est-à-dire d’un style baroque vers un
classicisme; «de la flamme vers
l’œuf, du
rythme vers la ronde
plénitude»,
comme disait Robert Heitz.
Camille Hirtz constate que ses
premières œuvres peuvent faire penser à
Rodin, «dans sa période
impressionniste aux touches nerveuses faites de petites
boulettes juxtaposées»,
et
qu’enfin, Maillol lui suggère «la
nécessité de la forme pleine» La Mère et l’Enfant
à la poupée Une
œuvre de la période impressionniste
Dès lors, «ses
lignes de composition deviennent
de plus en plus circulaires et pleines, constate Camille
Hirtz. C’est une naissance
intuitive, corrigée dès
le départ par la vision constructive utilisant le bloc disponible au maximum. De
très nombreux dessins à la plume d’oie,
linéairement sobres, aux oppositions circulairement constructives, forment le
prélude de ses dernières sculptures.».
Henninger s’oriente
délibérément
vers une «esthétique du
lisse qui appelle
une calme caresse». Les lignes pures, le mouvement
gracieux de la «Sirène»,
belle scène anecdotique, en témoignent. Sirène, bronze Place
de l’Esplanade, Strasbourg
Les très nombreuses expositions
personnelles, outre celles auxquelles il participe dans le cadre des
associations dont il est membre, permettent de suivre
l’évolution de son œuvre;
une œuvre qui, tout au long de sa carrière, a
toujours été le reflet fidèle de
sa personnalité. Deux périodes sont
distinguées par les critiques: celle des sculptures
toutes en rondeurs et celle des statues longilignes. «Ces
dernières étant plus typiques, à notre
avis, d’une recherche que
de l’originalité du talent de Jean Henninger qui
s’exprime admirablement dans
les sculptures en pleine matière.» Notons
que sa carrière, longue de
cinquante ans, a également été
marquée par un humour tout en finesse dont Jean
Henninger, avec ses galets ciselés,
s’est fait une bien amusante
spécialité. Galet du Rhin
L’art de Jean Henninger accède
à une
pureté de lignes, de formes qui est du domaine de la
perfection, où l’élégance
est l’habit de fête de
l’expressivité La Peur Couple Couple enlacé Nu allongé Tête d’Enfant
Le talent de portraitiste de Jean
Henninger se révèle à travers
plusieurs bustes en terre cuite, pierre ou
bronze. Il maîtrise remarquablement cette discipline
très exigeante: faire
ressortir le regard, rendre les visages vivants, leur donner une
âme en les
travaillant de l’intérieur…Replacer
l’esprit au cœur de l’expression
artistique
dans des matériaux nobles Ecrire avec la lumière
comme seul le sculpteur peut
le faire.
Jean Henninger a pris pour modèles
nombre d’amis et de connaissances, ainsi que, bien
sûr, son épouse Manuela.
En 1948, la Ville d’Obernai lui passe
commande d’un buste du Général Leclerc,
probablement réalisé à partir de
photos
noir et blanc contrastées pour une meilleure lecture des
volumes. A cette occasion
il réalise un grand médaillon où se
détache le buste du libérateur de la ville,
représenté de profil, ce qui permet de
déterminer au mieux l’identité du sujet Buste du Général Leclerc Médaillon avec portrait de profil du
général Leclerc;
Obernai, 1948 «Sa
notoriété dépasse rapidement les
frontières de l’Alsace. Du 10 au 15 octobre
1960, J. Henninger est
ainsi invité au
premier Congrès des sculpteurs sur bois européen
à Urberg (Forêt-Noire) et à une
exposition collective réunissant vingt-cinq sculpteurs de
huit pays européens.
Le 4 janvier 1961, il est nommé membre correspondant de la
Gesellschaft
Bildender Künste de Vienne. En juin 1962, lui est
décerné le Prix de la Ville
de Schongau (Bavière), attribué par
l’Académie d’Alsace, pour son groupe
«Fraternité» ou
«Rapprochement». Ce prix récompense
chaque année un artiste,
écrivain, sculpteur, peintre ou historien d’art
dont l’ensemble de l’œuvre ou
une œuvre isolée caractéristique,
exprime l’idée d’un rapprochement entre
les
peuples voisins.» (11). Dans
le groupe présenté par Jean Henninger, les lignes
de composition jouent un rôle
primordial Il constitue une
synthèse
des vues esthétiques du sculpteur. «L’art
subtil de ce groupe relève de l’art symbolique du
geste. Et le geste du
«Rapprochement» vient du cœur»
conclut Camille Schneider La Fraternité Ou
«Rapprochement»
Durant trois bonnes décennies, Jean
Henninger, qui a marqué de son empreinte la vie artistique
alsacienne
d’après-guerre, s’est
révélé particulièrement
productif. Son goût et son talent
vont pouvoir se déployer pleinement dans la
période de reconstruction
consécutive aux énormes dommages
causés par les combats acharnés de
décembre 1944
à février 1945 dans le nord de l’Alsace
et tout particulièrement dans ce qui
fut la «Poche de Colmar». Ainsi, Holtzwihr, dont 33
maisons, 200 granges
écuries, remises ont été
détruites. L’église elle-même
s’est entièrement
effondrée le 26 janvier 1945.
De nombreux sanctuaires sont à
reconstruire. De ce fait, c’est principalement
l’art sacré qui sera le domaine
d’expression des architectes et artistes sculpteurs et
peintres.
L’église de Holtzwihr (68) a
été
reconstruite selon un plan octogonal dû aux architectes
Schmitt et Du Cailar.
Elle est flanquée d’un clocher campanile. J.
Henninger réalise le maître-autel,
taillé dans un bloc de grès blanc,
surmonté d’une table de marbre noir,
placé
au centre de la nef. Il est orné de scènes de la
vie du Christ et des étapes
essentielles de la vie du chrétien. «L’art
de Henninger s’y révèle d’une
plasticité sobre et expressive, qui ne se noie
pas dans le détail, mais
s’élève dans une recherche de silencieuse grandeur»
(Bulletin du Diocèse de
Strasbourg, 1957) Un Chemin de Croix en céramique de
grès de Betschdorf est
également à mettre à l’actif
de Jean Henninger Maître-Autel Scènes
de la vie du Christ, Holtzwihr Maître-Autel Etapes
de la vie du Chrétien, Holtzwihr Fonds baptismaux Holtzwihr Chemin de Croix IVème
station, Holtzwihr Chemin de Croix XIVème
station, Holtzwirhr
Il a doté l’église
Saint-Nicolas de
Schirrheim (67), reconstruite en 1949-50, d’une
«haute et hiératique figure du
Christ au Sacré Cœur» qui se dresse
au-dessus du portail d’accès et d’un
Christ
en Croix entouré de la Vierge Marie, de Sainte Madeleine et
de Saint Jean, c’est-à-dire
dans son contexte didactique traditionnel. Les autels
latéraux sont dédiés à la
Vierge et à Saint-Joseph accompagné de
l’enfant Jésus Crucifixion Vierge Marie Saint-Joseph et l’Enfant Jésus
Pour le village-martyr de Bennnwihr
(68), Jean Henninger réalise le très original
maître-autel. Le tympan qui
surplombe le porche d’entrée de
l’église de Rhinau (67), autre village
ruiné
par les combats de décembre 1944, est dû au ciseau
de notre sculpteur. Un redoutable
et non moins élégant Saint-Georges y terrasse un
dragon. Maître-Autel Bennwihr Saint-Georges terrassant le Dragon Rhinau
Pour l’église Notre Dame de
Saverne,
Jean Heinniger imagine une de ses œuvres les plus
singulières, deux médaillons
en bronze d’une remarquable esthétique,
destinés à orner les deux faces de la
porte vitrée de l’église. La
première met en scène la parabole du cep de vigne
de l’évangile de St-Jean: «Je
suis le
cep;/ vous êtes les sarments,
/ Qui
demeure en moi et moi en lui, / porte beaucoup de
fruits….» Le deuxième
médaillon, placé sur le revers de la porte,
présente le Christ sortant des
limbes avec les élus, en présence de sa
mère, assise sur un trône. Poignées de porte Poignées de porte de l’Eglise de Saverne
A Erstein (67), la chapelle de
l’hôpital associe le décor
sculpté de Jean Henninger, une Crucifixion, aux
vitraux d’Antoine Heitzmann aux belles dominantes bleues. Un
monumental Christ
en Croix accueille les fidèles. Christ en Croix Hôpital
d’Erstein
Jean Henninger bénéficie de
plusieurs commandes
de sculptures décoratives destinées à
des restaurants ou à des demeures
privées. Les monuments aux morts sont un autre domaine de
création qui s’offre
à lui. Dans le cadre du 1% artistique que doit comporter tout projet de construction de bâtiment public, Jean Henninger réalise plusieurs œuvres monumentales décoratives pour des groupes scolaires à Strasbourg et ailleurs, dans le Bas-Rhin. Citons: -
Le
mur d’enceinte de l’école maternelle du
Quai des Belges à Strasbourg, inspiré
de sa propre enfance -
Le
groupe de bronze associant deux enfants en train de lire, dans la cour
du
groupe scolaire Erckmann-Chatrian à Strasbourg -
Un
décor en sgraffito pour l’école
maternelle Vauban -
Une
longue frise en grès qui se déploie sur le mur
d’entrée de l’école
maternelle
de Betschdorf Frise en grès des Vosges Quai
des Belges, Strasbourg La Lecture Route
de Schirmeck, Strasbourg La Lecture Version
en bois d’une des deux sculptures de l’Ecole
Erckmann-Chatrian Décor en sgraffito Ecole
maternelle Vauban Frise en grès Betschdorf «Jean
Henninger incarne cette période de la reconstruction et des
années qui ont
suivi où l’artiste est encore un artisan et un
créateur, où un savoir-faire
cohabite avec une vision de l’art très proche des
gens.» (Bernadette
Schnitzler, conservatrice en chef du Musée
archéologique de Strasbourg.) Jean Henninger
Qui, mieux que ses anciens
élèves dont
certains sont devenus ses collègues enseignants, serait
à même d’évoquer pour
nous la personnalité de Jean Henninger?
Impressionnés par sa stature qui, de
prime abord, imposait le silence, certains se souviennent de sa
démarche, de sa
cigarette en papier maïs, de la longue cendre qui tombait sur
sa chemise à
carreaux, mais aussi de son humour malicieux, de son
intégrité, de sa bonté. Un
homme affable, disponible, d’un abord modeste et
généreux. Il
était un des rares artistes-enseignants qui parvenaient
à transmettre, par leur
charisme personnel et leur parcours professionnel, une
énergie créatrice
communicative pour leurs élèves, avec, en
filigrane, des acquis artisanaux très
précieux pour concrétiser. Il était un
passeur qui faisait éclore de nouveaux
talents. Homo Faber, il se méfiait de trop de
théorie. Comme ses collègues, il
n’était pas un mandarin, perché sur une
estrade…Comme eux, il appliquait
l’inusable, l’intemporelle maïeutique
socratique, laissant à ses élèves une
grande liberté.
Son atelier se situait au N° 58, rue
Boecklin à Strasbourg. Il a œuvré dans
ce bâtiment de 1953 à 1994, date de son
décès.
Manuela
Henninger-Loos Manuela Henninger-Loos
Ayant quitté ses ballerines de
danseuse-étoile
après son mariage avec Jean, Manuela s’adonne
à la peinture par passion et pour
le plaisir, en autodidacte. Elle expérimente toutes les
techniques en
commençant par l’huile pour finalement se
consacrer entièrement à l’acrylique.
Elle participe à de nombreuses
expositions aux côtés de son époux et
d’autres artistes, en France et en
Allemagne, notamment à Strasbourg, à la Maison
d’Art Alsacienne entre 1967 et
1981. L’exposition de ses œuvres de 1980,
connaît un beau succès et est honorée
d’une excellente critique: «Sous
des
dehors modestes, effacés, inquiets presque, Manuela
Henninger-Loos cache une
âme de poète et une sensibilité vive
comme l’eau de roche […] Ce n’est pas la
première fois qu’elle nous ravit par ce langage
à la fois discret et pourtant
éminemment expressif, lyrique même. Ici, ce sont
des dessins, des aquarelles,
des encres dans lesquels cette artiste développe
à la fois un flou romantique
et une facture, par le choix des couleurs, par un certain
dépouillement, nettement
actuelle. Tout ce qui est humain touche Manuela Henninger-Loos et elle
le fait
comprendre avec ce feu intérieur, cette passion qui sont les
marques de
l’artiste.»
Sa thématique, d’abord
centrée sur les
danseuses, évolue vers la nature, le paysage, les portraits
faits de mémoire. «Plutôt
grises et presque transparentes
qu’il s’agisse d’acrylique,
d’aquarelle ou de pastel, les couleurs de Manuela
H.- Loos chantent allègrement à
d’autres moments, dans toute la richesse d’une
palette dont tout ce qui pourrait être criard est
néanmoins écarté, si bien que
l’ensemble de l’exposition dégage une
impression de tendresse et une grande
douceur, un peu comme une
fête intime
et un peu secrète.» (12) Composition Composition Bibliographie
-
Robert Heitz (2)
– Etapes de l’Art
alsacien XIXème et
XXème siècles – Saisons
d’Alsace N° 47, 1973 -
Gabriel Andrès - L’Art
Contemporain en Alsace depuis 1950
– Saisons d’Alsace N° 47, 1973 -
Gabriel Andrès (1)
– L’Histoire de
l’Ecole Supérieure des
Arts Décoratifs de Strasbourg
–
Ed. Do Bentzinger - 2014 -
Gabriel Braeuner –
L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge
d’or culturel – Ed.
Belvédère – 2011 -
Gilles Pudlowski – Dictionnaire
amoureux de l’Alsace – Ed. Plon,
2010 -
Aimé Dupuy – L’Ecole
municipale des Arts Décoratifs de
Strasbourg – La Vie en Alsace -
Camille Schneider () – Jean
Henninger, lauréat de l’Académie
d’Alsace – DNA, 1962 -
Collectif – personne:
Jean Henninger – www.archi-wiki.org -
Louis Fritsch (10)
– Le Groupe de
l’œuf, journal d’une
expérience – Saisons d’Alsace
N°47, 1973 -
Roger Kiehl (6)
– A la Maison d’Art
Alsacienne: «Salon de
l’Oeuf» - DNA, 25/03/1959 -
Roger Kiehl (7)
– Exposition du Groupe des Sept à la Maison
d’Art Alsacienne –DNA, 1953 -
Témoignage de Madame
Kresser-Hirtz (10) -
André Malraux – La Tête d’obsidienne
–Gallimard, 1974 -
Bernadette Schnitzler,
conservateur en chef du Musée archéologique (11)
– Jean Henninger,
sculpteur-statuaire
– Musées de la Ville de Strasbourg, 2015 -
Jean Christian (12)
- dans les Affiches du moniteur, 18
décembre 1981 |