Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Jacques Gachot
(1885-1954)
L’artiste vit de création. Il n’est vraiment épanoui que quand il crée. Il exploite ses états d’âme de l’instant pour en donner l’expression de ses profonds sentiments. Ce qu’il fait par amour est bien fait. Il ne vit pas de calcul. Ayant besoin de reconnaissance, il aspire à la perfection. Il aime échanger et discuter. Il ne part pas en révolte. Il subit diverses influences, dont son éducation, le tumulte extérieur et aussi, son trouble intérieur…
La
personnalité de Jacques Gachot, artiste peintre alsacien
dont le nom était le
plus connu du public dans la période 1920-1950, est-elle
superposable à ce
portrait robot?
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Jacques Gachot est né le 1er novembre 1885 à Strasbourg, 13, rue de la Course. Il y vécut toute son enfance. On peut s’étonner que ce fils de grossistes en viande aux abattoirs soit devenu un artiste peintre. En fait, c’est son oncle, Frédéric Krauss qui décida de son destin. «Ce célèbre professeur de dessin du Gymnase protestant, tenait, sur le quai Saint-Nicolas, une petite école privée où il enseignait l’art du dessin à des enfants issus de familles aisées. C’est là que le jeune Jacques reçut ses premiers enseignements artistiques.» (*) De 1904 à 1906, il fréquente l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg avec l’intention de se spécialiser dans la décoration de théâtre, sous la conduite de Georges Daubner. Ensuite, pendant quatre ans, il suit les cours de la Koenigliche Akademie de Düsseldorf. Il consacre l’année 1911 à des voyages d’études en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Espagne. De 1910 à 1913, il est inscrit à l’Académie Julian à Paris où il est l’élève de Robert Fleury et de François Flameng notamment. En 1913, il revient à Strasbourg et s’installe comme artiste peintre indépendant, au 14a, Quai Koch. Dès 1912, il expose, d’abord à Strasbourg, à la Maison d’Art Alsacienne, puis en Allemagne, à Düsseldorf, Stuttgart, Berlin, Baden-Baden…. En 1919, après le retour de l’Alsace à la France, il adhère au groupe de Mai que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer. Rappelons que ce groupement libre s’est donné pour ambition de renouveler l’art alsacien qui s’était endormi «sur les acquêts des générations disparues.» (**) Il n’y réussit que dans le domaine de la peinture grâce à l’homogénéité du cercle de dix amis: même âge, formation semblable, double culture. Grâce aussi aux deux animateurs que furent «Hans Balthazar Haug aux initiatives multiples, à la vaste culture et Simon-Lévy dont l’autorité et le sens critique très sûr leur ont été précieux.» (**) Aux tendances impressionnistes et au réalisme d’avant guerre le groupe va substituer l’influence prépondérante de Cézanne, particulièrement sensible chez Simon-Lévy. Elle donnera, au début du moins, son unité au groupe. Mais, Jacques Gachot avait déjà, en 1913, rué dans les brancards en produisant un autoportrait nettement marqué par le style de Vincent Van-Gogh, expressionniste jusqu’à la charge et qui scandalisa les Strasbourgeois. «Ayant pénétré l’esprit de son art (celui de Cézanne) ils pouvaient en négliger la lettre» (**), ce que fit Gachot encore plus radicalement que ses camarades qui tous suivirent leur voie. «A voir une seule de leurs expositions, on sent beaucoup plus ce qui les sépare que leurs points communs.» (**) En 1920, Gachot épouse à Vichy, Joséphine Georgine Opalfoens d’origine belge, danseuse de son état dans la troupe royale anglaise. A partir de 1929, époque où le groupe de Mai se sépare, il est plus souvent présent en Alsace, attiré par le sculpteur Alfred Marzolff installé à Rountzenheim et par les paysages du Ried. Cette année-là, un profond changement s’opère dans la vie privée de Gachot. Les Dernières Nouvelles de Strasbourg étant devenus ses commanditaires pour des dessins et des caricatures, il fait la connaissance de Juliette Litzelmann, employée, comédienne amateur de théâtre. Par conséquent, il se détache de plus en plus de son épouse sans pour autant la pousser au divorce. Il a, en quelque sorte, choisi de fuir dans le monde de l’imaginaire, celui de son art où il risque peu d’être poursuivi…
Vers
la fin des années trente, il se retire à
Drusenheim et fréquente assidument le
Stammtisch du restaurant Schindele. Il partage avec la population les
heures
tragiques de l’hiver 1944-45. A
l’instar de François Fleckinger, il se fera le
témoin des dévastations de la
bataille d’Alsace en dessinant les villages
sinistrés: Bennwihr, Mittelwihr,
Sigolsheim… Après la guerre, il
s’installe chez Paul Schneider, restaurateur,
rue du Rhin, à Drusenheim toujours, qui sera
désormais son havre de paix. Il
est adopté par sa famille d’accueil.
Là, en bonne entente, il discute autour
d’un verre avec ses compagnons du Stammtisch. A
l’occasion, il les représente
en deux coups de crayon dans des caricatures éloquentes.
Là, il rencontre
d’autres artistes: Philippe Steinmetz, Paul Weiss,
Georges-Daniel Krebs…qui
partagent avec lui la même passion des paysages du Ried et du
Rhin sauvage.
Pont sur la Moder - 1930 - HST (73x60cm)
Il se sent bien à Drusenheim, dont il deviendra Citoyen d’Honneur. La vie à la campagne, simple et rustique lui convient. Il y trouve un équilibre apaisant. Il y vivra les dernières années de son existence, les plus heureuses, dans la sérénité enfin acquise. Jacques Gachot décède le 15 décembre 1954 au 15, rue de l’Argonne, à Strasbourg, au domicile de Madame Litzelmann. Il serait fastidieux de citer toutes les expositions de Jacques Gachot, tellement elles furent nombreuses. On le vit fréquemment à la Maison d’Art Alsacienne à Strasbourg où il exposa dès 1911 alors qu’il était encore élève. Il participa évidemment aux expositions du Groupe de Mai, ainsi que dans diverses galeries de sa ville, au musée de Haguenau….A Paris, il fut plusieurs fois présent au salon d’Automne et à la galerie Bernheim – Jeune. Outre celles faites en Allemagne, citées plus haut, il convient de signaler ses expositions d’atelier au 14a Quai Koch
L’œuvre
de Gachot est essentiellement constituée de peintures
à l’huile: portraits et
paysages, d’une part, de dessins et de crayons
d’autre part, notamment dans le
cadre de sa collaboration avec les Dernières Nouvelles comme
illustrateur. Il
produit également des pastels et des lithographies de la
cathédrale et des
ponts de Strasbourg. Claude Odilé salue la
qualité supérieure de ses dessins de
guerre et l’exceptionnelle vitalité de Jacques
Gachot animalier. Il se fait
aussi connaître –et reconnaître- par des
caricatures «plus
vraies que nature» (**)
Y a-t-il un style Gachot qui s’impose d’emblée? Non! Répond Robert Heitz… Qui souligne l’inégale qualité de ses productions. S’il apprécie son savoir-faire dans les portraits de ses débuts et les toiles, dessins et lithographies de sa période espagnole qui lui révèle le monde fascinant de la tauromachie, il déplore par contre l’à peu-près des formes et des coloris de ses danseuses (1919 où l’on voyait en lui le Degas alsacien…) et regrette le manque de sensibilité par rapport à la poésie bucolique dans son abondante production de paysages alsaciens du Ried Comment s’est-il laissé aller à peindre des sujets contraires à son tempérament, au risque de «gâcher un talent dont on était en droit d’attendre le plus.»? (**) Selon Heitz, l’explication résiderait dans un dédoublement de la personnalité. Il émet l’hypothèse d’un combat intérieur entre un Gachot qui prône la sincérité du ressenti, qui se donne tel qu’il est, qui va jusqu’au bout de sa pensée et de son sentiment et un Gachot mercantile, accommodant, complaisant envers la «clientèle», qui recherche la renommée à n’importe quel prix, y compris la médiocrité
Jacques
Gachot est avant tout un portraitiste de grand talent. Les portraits de
ses
débuts, considérés comme
étant les plus remarquables, sont
exécutés dans une
pâte généreuse, des coloris expressifs,
des touches dynamiques voire violentes.
Certains, plus tard, sont travaillés dans une ambiance
brune, rougeâtre.
D’autres, très différents,
séduisent par
leurs coloris frais, leurs teintes acidulées.
Portrait de M.Gillig, 1924, HST Portrait de femme, 1942, HST
Observateur attentif,
sensible, Gachot excelle dans la caricature qui sera, après
1929, son plus
brillant moyen d’expression, le plus sincère sans
doute. «Dans
ce griffonnage
endiablé, il y a de la cocasserie, de la verve, du
mouvement, du tempérament
ou, si vous préférez, de la vie.»
(*) Il donne à voir et à sentir en
parfait reporter!...Esprit incisif, tourmenté, frondeur, fin
psychologue,
Jacques Gachot devait forcément s’exprimer mieux
par le dessin que par la
couleur.frg Ainsi dans les nombreux paysages alsaciens qu’il
peint
inlassablement: «rues
de villages, champs monotones, mares aux
canards» qu’évoque
l’impitoyable Robert Heitz. Ceux-ci
s’avèrent
effectivement de facture inégale. Il est
intéressant de constater que Gachot
qui a si violemment contrecarré l’impressionnisme,
en particulier dans son
autoportrait de 1913, endosse dans certaines de ses productions, les
reproches
que formule Philippe Steinmetz à l’encontre de ce
mouvement alors déclinant: «Une fluidité un peu
excessive, une attention exagérée
portée aux effets
atmosphériques, dans un flou trop inconsistant.»
Drusenheim, 1947, HST Nous retenons tout de même la très belle réussite des «Toits de Biarritz», «Moisson» et la «Cathédrale de Strasbourg en hiver».qui ont jalonné une carrière qui ne laisse personne indifférent.
Bien
qu’il ait déconcerté certains de ses
pairs, gageons qu’il a fait sienne cette
vérité que l’œuvre de Van
Gogh a révélée au monde de
l’Art: «Tout
artiste, digne de ce nom, choisit, sans même s’en
douter, obscurément,
dans ce que lui apporte et lui montre la vie, cela seul
qu’une correspondance
secrète relie à sa propre nature. Les objets ne
lui sont plus seulement
anecdote, hasard qui passe devant ses yeux; il y guette, il y
écoute une
harmonie, une résonance où il se
reconnaît, où souvent même il
s’élucide et
qui, soulignées, dégagées, porteront
aux autres l’écho de ce qui vibre dans son
âme.» (René Huyghe)
Toits
de Biarritz,
1922, HST
Moisson, 1950, HST Cathédrale de Strasbourg en hiver, HST (47 x 38 cm) Bibliographie: - Me François Lotz – Gachot Jacques – Artistes peintres alsaciens (1880-1982) Editions Printek, Kaysersberg - Philippe Steinmetz – Hommage à l’ami Jacques - Pierre Perny (*) – Le peintre jacques Gachot - Robert Heitz (**) – Le Groupe de Mai – La Vie en Alsace, 1929 - Robert Heitz – Etapes de l’art alsacien – Saisons d’Alsace N°47 - Robert Heitz – Le dilemme de Jacques Gachot – La vie en Alsace, 1931 - Hélène Braeuner – Les peintres et l’Alsace, autour de l’Impressionnisme, 2003 – Editions «La Renaissance du Livre». - J. Blondé et R. Muller – Biographie de Jacques Gachot – Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne - René Huyghe – Van Gogh - FlammarionAutoportrait - 1916 - HST Portrait des enfants Oppenheimer - 1919 - HST (57x77cm) - Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg - Photo: MAMCS Portrait de Camille Dahlet - 1925 - HST Banderilleros - 1922 - Crayon Couple dansant - 1914 - Crayons gras Forêt du Rhin (Drusenheim) - 1935 - HST Pont du Rhin à Strasbourg - 1937 - HST La Moder à Drusenheim en hiver - 1947 - HST Paysage sur l'Oise - 1919 - Lithographie Strasbourg - Lithographie Hartmanswiller sinistré - 1919 - HST Personnage - (21x27cm) - Dessin caricature au crayon Etude, mer - 1928 - HST Crédits photographiques: Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |