Jean-Baptiste, Albert,
Jean-Jacques Erny
Trois générations de Sculpteurs
Jean-Baptiste Erny
(1875-1964)
©
Editions du Net, 2012
Collection privée
Photo:
J.-J. Erny
Jean-Baptiste Erny
Par
Albert Erny
Jean-Baptiste Erny a effectué son
apprentissage à l’atelier Klem, rue du Moulin
à Colmar. Après y avoir travaillé,
vingt-sept ans, d’abord le grès, puis le bois; il
était devenu chef d’atelier
(contremaître) des ornemanistes.
Sous
la direction du maître, Théophile
Klem (1849-1923), il a notamment participé à
sculpter les
têtes de la Maison
des Têtes, non pas d’après des documents
mais selon
ses références
personnelles. Elles figurent parmi les plus expressives. Il a aussi
sculpté les
chapiteaux de l’église St-Joseph de Colmar. Au
convent
d’Oelenberg, il a tout
particulièrement exécuté le
siège du
Père Abbé. L’entreprise Klem
était une
vaste «tribu» dont les membres se retrouvaient
volontiers.
Jean-Baptiste Erny
était très lié à ses
collègues.
Photo:
F. Walgenwitz
Maison des Têtes
Photo:
F. Walgenwitz
Maison des Têtes
Photo:
F. Walgenwitz
Maison des Têtes
Klem
et les «gothistes» colmariens
étaient réputés
«entichés» des
idées du XIIIème siècle comme
l’écrit
le prélat
Schikelé. Mais ils savaient parfaitement s’adapter
au
néo-renaissance, au
néo-baroque ou au néo-roman-byzantin. «Celui-ci
était particulièrement
apprécié par l’empereur Guillaume II
parce que cette
manière renvoie à l’époque
du Saint-Empire-Germanique et à son origine
carolingienne et romaine.»(1)
Aussi, savaient-ils entretenir l’illusion de se trouver
devant une œuvre d’un
autre temps.
Photo:
Janine Erny
Les ateliers Klem vers 1910
Collection privée
Les sculpteurs des ateliers Klem ont
su acquérir assurance et dextérité
dans ces domaines d’expression et leur
empreinte personnelle est reconnaissable. Leur œuvre
n’est pas figée, Théophile
Klem a évolué vers la
sobriété du bois teinté au
détriment du polychrome, plus
voyant, bien que maîtrisé par ses collaborateurs.
Notons que les stalles de
Saint-Martin de Colmar que nous leur devons, sont un
véritable joyau de l’art
gothique.
©
Editions du Net, 2012
Théophile Klem
Collection privée
Photo:
F. Walgenwitz
Saint-Paul
Eglise
St-Joseph de Colmar
«L’aventure
de l’atelier Klem se situe au terme d’une longue
évolution de la société, comme
à la fin d’un monde, écrit Jean-Jacques Erny.
Les boiseries de Saint-Martin de Colmar et
de la cathédrale de Metz sont un peu comme le
«chant du cygne» de cette
aventure».
Au début du XXème
siècle et notamment
après la guerre de 14/18, les styles
«néo» tombent en disgrâce. Les
mentalités,
les goûts changent. Le style sulpicien et
l’académisme sont décriés.
Les techniques
évoluent.
Cependant, Jean-Baptiste Erny reste
très proche du style gothique
«avec un sens
poussé du décor très
élaboré
et sa prédilection pour les thèmes
anecdotiques.» Sa génération,
héritière
du gothique, lui est restée fidèle parce
qu’il est
synonyme de société ordonnée,
structurée, hiérarchisée…. «Ses sculptures, estime son
petit-fils,
Jean-Jacques, relevaient, je crois, de la
décoration plus que de la statuaire. Dans ses
œuvres, la feuille d’acanthe de
style gothique côtoyait les animaux chimériques
familiers de l’art
médiéval.». La
simplification, pour ne pas dire la révolution de
l’Art Déco des années 1925,
déroutent le grand-père Erny…
Photo:
F. Walgenwitz
Dessin préparatoire
Collection privée
Photo:
F. Walgenwitz
Dessin préparatoire
Fonds
baptismaux
Collection privée
En 1939, la déclaration de la guerre,
provoque un certain bouleversement: ses fils étant partis
à la guerre, son
épouse, sa fille, son gendre étant
allés se réfugier dans le sud-ouest de la
France, il reste seul (Hussmaischter)
dans la maison familiale. D’autre part, dès cette
année, son fils Albert, âgé
de 33 ans, prend la relève en tant que chef
d’atelier. Jean-Baptiste
n’abandonne pas le sanctuaire pour autant…Il y
vient régulièrement, donnant
discrètement son avis. Il demeure la
référence!...Son amour du métier le
pousse, parfois, à proposer sa participation; par exemple,
pour réaliser une
sculpture sur le pressoir d’un caveau d’Eguisheim.
Il avait alors 80 ans…
Installé en 1915-16, son atelier a
vraiment démarré après la guerre.
Pourtant, l’horizon va s’assombrir assez
vite. L’industrie de l’ameublement va
détrôner la sculpture. Les années 1925
vont balayer tout ce qui était décor
traditionnel. A partir des années 30, il
faudra s’adapter, «faire
du mobilier: des
chaises à dossier sculpté, des lustres
à gargouilles, inspirées de celles qui
avaient été exécutées pour
les églises, et des clés de tonneaux
très
travaillées pour les gens du vignoble. Grand-père
[fera] aussi des bahuts Henri
II – style issu de la Renaissance – de grande
qualité, avec des dessins
originaux.»
La
grande dépression des années 1929-31, la
possibilité d’acheter des statues sur
catalogue, les excès des minimalistes qui font du
passé table rase, ont jalonné
le déclin de la noble profession de sculpteur…Le
chômage devenait considérable.
Mais, témoigne Jean-Jacques Erny, «une évolution profonde
s’est opérée. Nous
avons appris à puiser à des sources multiples: le
monde est désormais à notre
porte avec des cultures que nous découvrons encore. Nous
avons renoué avec les
cadeaux de la nature: une belle pierre, un bois vivant, une douce
laine. Nous
savons aujourd’hui que la qualité d’un
objet ne réside pas seulement dans son
aspect mais aussi dans la réponse qu’il apporte
à un besoin.»
Albert Erny
(1906-1999)
Photo: J-J Erny
Albert Erny
Par
Jean-Jacques Erny, plâtre
Albert Erny, né en 1906, le 10
février, fait son apprentissage auprès de son
père. Il suit volontiers les
cours de dessin et de modelage de Mr Duchmann, un ancien de
l’atelier Klem. En
1931, il se marie avec Odile Zimmermann. Trois enfants naissent de
cette union:
Jean-Jacques, Janine et Claude.
En 1939, il prend la direction de
l’atelier. Il travaille seul durant la guerre, mais,
après 1945, il reprend des
collaborateurs ayant ajouté une activité
d’ébénisterie à celle de
sculpteur
comme le fit son père avant lui, face à la
difficile conjoncture des années 30.
Photo:
J.-J. Erny
Le Tonnelier
Photo:
J.-J. Erny
Verrou de tonneau: les éclaireurs
Réf.
biblique: avant l’arrivée en Terre Promise,
Moïse envoie des éclaireurs. Ils
rapportent de beaux fruits qu’ils ont trouvés dans
leur future patrie
Photo:
J-J Erny
Agriculteur
détail
Photo:
J.-J. Erny
Jumelage: Eguisheim avec une commune champenoise
En tant que sculpteur, il travaille
beaucoup pour les vignerons, sculptures statuaires, mais surtout,
verrous de
tonneaux, décors divers pour les caveaux,
écussons…Une belle opportunité lui
est offerte en 1954, quand un restaurateur alsacien établi
à Paris le sollicite
pour décorer sa brasserie: «L’Alsace aux
Halles». Par la suite, il décore «Chez
Jenny» situé près de la
République et la «Taverne alsacienne»,
rue de Vaugirard.
Trois établissements qui ont disparu depuis…Ce
qui permet de soulever le
problème de la pérennité des
œuvres d’un sculpteur. «J’ai
vécu la disparition de pièces pour lesquelles
nous avions mis
beaucoup de temps et fait de nombreuses
recherches», déplore Jean-Jacques Erny.
Chez «Jenny», il représente Colmar
et ses hommes célèbres de Schongauer à
Hansi, en passant par Grünewald…, les
provinces françaises et un Bacchus
particulièrement expressif, le tout
exécuté
avec une minutie remarquable. En Alsace, ce fut par la suite le
restaurant «A
l’Arbre vert» d’Ammerschwihr, le caveau
d’Eguisheim et bien d’autres.
Photo:
J-J Erny
Présentation de Colmar
Photo:
J-J Erny
Schongauer
Photo:
J-J Erny
Linteau de porte
Photo:
DN
Bacchus
Photo:
J.-J. Erny
Panneau
Brasserie
alsacienne à Paris: «L’Alsace aux
Halles», 1954/55
Il reçoit des commandes de bustes de
personnalités régionales et locales qui sont
sculptées en bois, coulées en
bronze ou en plâtre
Photo:
J-J Erny
Albert Erny au travail
Modelage
du buste d’Albert Schweitzer
Photo:
J.-J. Erny
Albert Schweitzer
Bois
Mais c’est dans l’Art
sacré qu’il s’exprime
le plus souvent. Le sacré, motivation première de
l’Art. L’Art sacré, vision du
monde transfiguré, du monde de
l’esprit…Au fil des années, il
réalise plusieurs
dizaines de grandes statues: Christs, Vierges, divers saints. Vers
1950, il
sculpte une vierge pour le pèlerinage des Trois Epis. Plus
tard, les
sollicitations venant de partout, il œuvre en Sarre,
à Paris, à Marseille, etc…
Photo:
J.-J. Erny
Copie de la Vierge de Notre-Dame de Paris
Réalisée
à l’âge de 17 ans
Photo:
J.-J. Erny
La Vierge des Trois Epis
Réalisée
vers 1950
Photo:
J-J Erny
Vierge à l’Enfant
Photo:
J-J Erny
Christ en Croix
Photo:
J-J Erny
Saint Dominique
Sarreguemines
Photo:
J-J Erny
Saint François
Strasbourg
A
partir de 1958, son fils
Jean-Jacques collabore avec lui. Des projets dessinés par le
fils, sont
exécutés par le père. Telle cette
Vierge
présentant et offrant au Monde
l’Enfant Jésus, d’une grande
simplicité
d’exécution, style parfaitement adapté
à l’église de Burnhaupt-le-Haut,
érigée en 1925, elle-même sobre et
dépouillée.
Le geste de Jésus, les bras en croix, est à la
fois un
appel et la
préfiguration de la crucifixion. Malgré le
caractère douloureux de cette
évocation, les traits du rédempteur sont
paisibles,
sereins. Ce souci de la
concordance avec l’environnement architectural et
l’originalité de la mise en
œuvre, sont deux marques essentielles de la conception de l’Art
sacré d’Albert et de Jean-Jacques.
Photo:
F. Walgenwitz
Vierge présentant et offrant au monde
l’Enfant Jésus
Eglise
de Burnhaupt-le-Haut
Ensemble, ils réalisent plusieurs
Chemins de Croix, entreprises ô combien
considérables qui, à travers les
siècles et les contrées du monde
chrétien se sont manifestées sous des aspects
bien différents, notamment marquées par la
dramatisation.
Dans sa réalisation de Grussenheim et
celle, commune aux deux sculpteurs, de Cossonay, près de
Lausanne, Albert Erny
fait en sorte que son Chemin de Croix ne soit pas la copie et
l’imitation de
mille autres. La représentation du Christ
n’étant pas un portrait, «mais
une vision de notre humanité idéale
révélée par sa Parole, une image
structurante qui nous modèle»
(Dostoïevski). La Passion étant une
remémoration qui ne saurait être une
répétition, ni une reproduction, chaque
station doit être, à la fois un objet
esthétique et un objet habité,
subjectivé.
Albert a mis l’accent sur
l’acceptation du Christ devant le sacrifice que lui a
infligé la misère de
l’homme. «Les attitudes
de la figure du
Christ dans toutes les stations du calvaire sont celles du Fils de Dieu
qui
humblement accepte la condamnation, la croix, les chutes, les actes de
charité
de ceux qui croisent la voie douloureuse.» (Article
de presse) La souffrance n’est pas
glorifiée et
divinisée mais plutôt l’Amour qui la
porte et la transforme. «Ma vie, on
ne me la prend pas. C’est moi
qui la donne» dit Jésus
Le contemplateur, par
l’évidente
identification des protagonistes, est mis en osmose avec le sujet
représenté
afin que celui-ci soit
perceptible, sans
détails inutiles sans fastidieux discours
d’accompagnement, On regarde ces
figures sculptées, mais ce sont elles qui nous regardent.
Plus que des
messages, ce sont des messagers.
Attardons-nous enfin aux XIVème et
XVème stations. Elles sortent
délibérément de la tradition. La mise
au tombeau
est symbolisée par la descente du Christ aux limbes, un
croissant presque fermé
où Adam et Eve attendent la rédemption. La
XVème, qu’Albert et Jean-Jacques
considèrent, à raison, indispensable, montre le
même décor; mais les cornes du
croissant sont écartées. Adam et Eve se sont
réveillés de leur torpeur et le
Christ les enlève vers son Royaume. Message
d’espoir. L’Humanité est
rachetée!...
Photo:
J-J Erny
XIVème Station
Photo:
J-J Erny
XVème Station
Albert Erny participe à de nombreuses
expositions régionales et locales dans le cadre
d’Associations comme les «Amis
des Arts» ou le «Cercle des Arts».
Constitué du «gratin» du monde culturel
colmarien des années 50-60, le Cercle des Arts permet de
mettre en lumière la
richesse de la vie artistique locale. Les sculpteurs Albert Erny et
Joseph Saur,
un ancien de l’atelier Klem, figurent parmi les artistes qui
ont marqué leur
époque.
Photo:
J-J Erny
Piéta inachevée
Jean-Jacques Erny
Photo:
J.-J. Erny
Jean-Jacques Erny, à l’oeuvre
Pour Jean-Jacques Erny, né le 25
août
1932, fils et petit-fils de sculpteur, la voie était toute
tracée, la tradition
établie, un talent artistique allant de pair avec une
vocation authentique.
Parallèlement au cursus scolaire en
vigueur, il suit des cours auprès de Paul Schwartz-Saile,
artiste-peintre,
ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts
qui lui enseigne les bases du dessin. De
1951 à 1955, il fréquente la
vénérable et prestigieuse Ecole Boulle,
fondée en
1886 et qui demeure, aujourd’hui, une des plus grandes
écoles d’art et de
design d’Europe. Il y bénéficie de la
formation dispensée par d’excellents
maîtres, tant en dessin, en modelage, en histoire de
l’art, qu’en pratique de
l’ébénisterie. Il profite bien
évidemment des immenses richesses des musées
parisiens et goûte sans modération à la
vie culturelle de la capitale,
particulièrement dynamique à cette
époque.
Mais, c’est à Colmar, aux
côtés de son
père qu’il se forme aux subtilités de
la sculpture et aux arcanes de
l’artisanat d’art.
En 1962, il épouse Marcelle Forrer.
Ils eurent la joie d’accueillir cinq filles.
A partir de 1958, et pendant une
quinzaine d’années, il œuvre avec son
père, Albert. Leur entente est parfaite.
Les réalisations qui sortent de leurs mains, notamment les
Chemins de Croix,
sont d’une cohérence exemplaire.
L’extraordinaire impression de pureté, de
sobriété, de grandeur qui en émane,
est le gage d’une connivence sans faille.
Ensemble, ils apprécient la conjoncture favorable des 30
Glorieuses, qui, pour
le père, est une revanche sur les années
difficiles de 1930
Photo:
J-J Erny
Vigneron aux vendanges
Photo:
J-J Erny
Composition pour l’accueil en Alsace:
Haut-Rhin
En 1973, Albert transmet la gouge
à son fils. Mais Jean-Jacques
n’est pas seul!
Marcelle, son épouse qui avait depuis longtemps
sacrifié son métier
d’assistante sociale, s’occupe désormais
de comptabilité, de secrétariat et de
tout le travail administratif.
Comme son père, Jean-Jacques se
partage entre la pratique artistique de la sculpture et celle,
artisanale de
l’ébénisterie, indispensable pour
rentabiliser l’entreprise. Mais, précise
Jean-Jacques Erny: «Si
l’ébénisterie
représentait davantage en terme de chiffre
d’affaires, la réalisation d’une
statue implique un travail de recherche, de dessins
préparatoires et de longues
discussions…Et puis, on ne travaille pas en continu. La
sculpture requiert une
approche progressive. On s’arrête, puis on reprend,
mécontent un jour de ce
qu’on a fait la veille.»
Photo:
J-J Erny
Christ en Croix
Eglise
de Kingersheim
La sculpture statuaire s’exerce
surtout dans le domaine de l’art sacré. La vie
religieuse évolue profondément
en lien avec les mutations sociétales, mais
également parce que Vatican II
(1962-1965) est passé par
là…L’objectif de cette
réforme était de désencombrer
le dogme de certaines pratiques superflues, de le nettoyer
d’un certain
folklore pour une participation plus effective aux
célébrations. La langue
vernaculaire rend la liturgie plus accessible. L’autel,
dépouillé, fait face
aux paroissiens, le curé est descendu de la
chaire… «Les
œuvres des artistes accompagnent ce mouvement. Pour le sculpteur, chaque œuvre
témoigne de
ce renouvellement», affirme Jean-Jacques Erny.
Ainsi,
la crèche sculptée dans le
tilleul, en 1980, destinée à
l’église de
Habsheim, répond à cet état
d’esprit: «Pas de
folklore, pas de fioritures, pas
d’attroupements de santons autour de l’Enfant
Jésus. Je me suis limité à
l’essentiel dans le dépouillement et la
sobriété pour bien me situer dans la
note actuelle de l’Eglise» La
nativité destinée
à Murbach, répond aux mêmes
critères.
Photo:
J-J Erny
Crèche de Habsheim
Photo:
J-J Erny
Crèche de Habsheim
Les
rois mages
Photo:
J-J Erny
Nativité
Murbach
Ainsi le Chemin de Croix installé dans
la chapelle de l’hôpital de Moosch. Tout accessoire
est supprimé. Il s’agit
d’aller à l’essentiel,
c’est-à-dire au message, à
l’idée personnelle que le
sculpteur se fait de l’événement
à représenter. Car le sujet sacré
conduit
immanquablement à la réflexion
métaphysique. «J’aime
que l’œuvre soit suffisamment lisible pour
elle-même […] Je
suis un peu prédicateur en cela.» Le
Christ est rendu à sa solitude, le
Christ mis en croix est entouré d’autres croix «cette station, je l’ai voulue
traditionnelle
comme la souffrance», le Christ mis au tombeau,
raidi par les coups
saccadés du burin est «semblable
à la
pierre» La XVème, nécessaire
à l’esprit de l’œuvre, selon
Jean-Jacques,
comme elle l’était pour son père «enlève
le Christ à l’élément
minéral». La cohérence avec
le cadre qui l’accueille,
en l’occurrence l’ambiance calme, sereine,
dépouillée de la chapelle moderne
dont M. Erny ont eux-mêmes réalisé la
décoration, est scrupuleusement
respectée. Non seulement elle met
l’œuvre en valeur, mais surtout, elle
facilite la lecture du message. Comme l’icône,
l’objet sculpté est une école du
regard.
Photo:
F. Walgenwitz
Chemin de Croix, IVème
station
Chapelle
de l’hôpital de Moosch
Photo:
F. Walgenwitz
Chemin de Croix XIIème
station
Chapelle
de l’Hôpital de Moosch
Photo:
F. Walgenwitz
Chemin de Croix XVème
station
Chapelle
de l’hôpital de Moosch
Photo:
F. Walgenwitz
Chapelle de l’hôpital de
Moosch
Pour le sculpteur, chaque œuvre «a quelque chose à
dire». Cela est
certes vrai pour le sacré, le Verbe se faisant message.
Mais, pour le profane
également, qui doit susciter sentiment de beauté,
émotion…Dans tous les cas, la
domination du langage plastique ne doit pas étouffer
l’expression sensible, la
part de l’aventure créatrice.
«On peut
exercer la profession d’artisan comme une recherche, comme un
art. Les deux
formes ne s’excluent pas, elles cohabitent.»
Selon
la prédiction de Nietzsche, la
vérité de l’œuvre
d’art se trouve
désormais dans l’artiste. Mais comment
l’être
humain pourrait-il tirer de lui-même, sans
référence, à un dehors reconnu, plus
important que lui, le matériau d’une grandeur
moderne?
Jean-Jacques Erny a
souscrit à cette objection. «La
double
formation à l’Ecole et auprès de son
père, la connaissance des anciens m'ont
permis d’emprunter en diverses occasions des chemins
personnels.»
L’art est essentiel pour ce
qu’il
révèle. C’est aux sources de la culture
qu’il trouve son inspiration, contrairement
aux prétentions de l’idéologie de la
«table rase», qui s’exprime de
façon si
répétitive dans l’avant-gardisme.
Ainsi, c’est en puisant dans son patrimoine
culturel que Jean-Jacques Erny a pu donner sens à sa
crèche de Habsheim: «Les
trois rois constituent un groupe
brillant dont l’éclat contraste avec
l’humilité du berger. Il y a là, comme
il
est dit dans un très vieux Noël, le roi
d’Arabie, le roi de Saba et le roi
d’Ethiopie. Des - étrangers étranges - selon
le sculpteur, et qui incarnent la science, la
puissance,
mais aussi la sagesse». (Article de presse)
Dans le cadre du 1% artistique que
doit comporter tout projet de construction d’un
bâtiment public, Jean-Jacques
Erny a été plusieurs fois sollicité
pour réaliser des éléments
décoratifs.
Ainsi pour l’école maternelle de Bergheim.
Photo:
J-J Erny
Elément décoratif
Ecole
maternelle de Bergheim
La mythologie grecque qui a marqué
comme nulle autre la culture européenne, est pour le
sculpteur une mine
inépuisable d’inspiration. Ses grands mythes
proposent sur un plan proprement
philosophique une pléiade de leçons de vie et de
sagesse, à l’instar de
l’heureux destin de Philémon et Baucis,
à qui Zeus accorda de mourir ensemble,
transformés en bois, Philémon en chêne,
Baucis en tilleul, leurs feuillages
entremêlés pour
l’éternité. Jean-Jacques Erny en a
conçu un arbre de vie
propice à la méditation.
Photo:
J-J Erny
Philémon et Baucis
La littérature, elle aussi, est pour
l’artiste plasticien une source prodigieusement
variée de thèmes qui sont
autant de messages, de divertissements, de passions
d’expériences…Nous sommes
redevables à Jean-Jacques Erny de nous y inviter en
compagnie de l’humaniste
Rabelais, en cette période où le
«panurgisme» est toujours
d’actualité. Ce
bas-relief a la vivacité, le dynamisme d’un
instantané cinématographique.
Photo:
J-J Erny
Les Moutons de Panurge
D’après
Rabelais, panneau pour un restaurant
Quelques œuvres non figuratives «témoignent d’un
intérêt pour les formes libres
issues d’une trame
géométrique.»
Elles mettent en valeur les veinages, les effets de teintes des
essences
sélectionnées par le sculpteur: le tilleul, bois
statuaire favori, bois
homogène «qui
répond bien à l’outil»,
l’iroko, bois exotique, le noyer, le chêne au grain particulier et
aux vertus ornementales que Jean-Jacques Erny
aime mettre à profit, le merisier…
La composition «Jeu de Cercles»
et le
«Trophée», abstraits,
subjectivés, ont l’esthétique de la
sagesse, synonyme de
plaisir des yeux et d’émotion à offrir.
«Il
n’y a pas d’art
sans rapport à une
transcendance», dirait Luc Ferry. Nul besoin de «commentaires verbeux».
C’est l’œuvre qui donne la valeur
à la
signature et non l’inverse.
Photo:
J-J Erny
Composition: Jeu de Cercles
Photo:
J-J Erny
Trophée
Parmi ses travaux
préférés,
Jean-Jacques Erny place les portraits modelés dans la terre
glaise ou coulés
dans le bronze «avec
l’ambition de rendre
quelque chose de non
visible». Il
y réussit parfaitement par ses bustes. Or, point de
repentir…Tout geste est
définitif. «C’est
la raison pour
laquelle, lorsque je travaillais sur les bustes, je les
réalisais d’abord en
terre, pour attraper tout ce qu’il y avait à
prendre dans la physionomie de
quelqu’un.» Prenons
l’exemple du bronze intitulé:
«Personnalité strasbourgeoise».
L’expressivité de
ce visage d’homme mûr, prodigieusement
animé, ce supplément d’âme
qui émane de
lui, sont le fruit de «nombreuses
rencontres personnelles». Il faut
connaître la personne de l’intérieur, il
faut avoir conversé, réfléchi
ensemble, confronté ses opinions, avoir ri
ensemble… «C’est
un portrait, c’est
presque comme une démarche amoureuse. Il faut être
en sympathie avec la
personne que l’on a en face de soi. Il faut la rendre en ce
qu’elle a de
meilleur.» Les bustes d’Albert,
d’Odile, de Marcelle, de Claude, ont ces mêmes
vertus.
La
proclamation de Théophile Gautier prend ici tout son sens:
«Tout passe. L’Art
robuste
Seul, a
l’éternité;
Le buste
Survit
à la cité»
Photo:
J-J Erny
Personnalité strasbourgeoise
Bronze
Photo:
J-J Erny
Odile ERNY
Photo:
J-J ERNY
Marcelle ERNY
Photo:
J-J Erny
Claude ERNY, 5
ans
Bois
Vers la fin de sa carrière, en 2012,
à
l’initiative Pantxika de Paepe, conservatrice en chef du
musée d’Unterlinden, Jean-Jacques
Erny a eu la joie d’être appelé
à traduire en bas-reliefs l’ensemble du Retable
d’Isenheim. En somme, la technique du Braille,
appliquée à l’œuvre a permis
de
lui octroyer la troisième dimension Le Musée
d’Unterlinden avait entrepris un
long travail pour rendre certaines œuvres accessibles aux
malvoyants. Aidé par
deux confrères, le sculpteur releva le défi et
restitua en bas-reliefs, à
échelle réduite, l’ensemble de
l’œuvre de Nicolas de Haguenau et de Mathias
Grünewald. Quatre années de travail furent
nécessaires.
Photo:
F. Walgenwitz
Retable des Antonins d’Issenheim
La
Crucifixion
Photo:
F. Walgenwitz
Retable des Antonins d’Issenheim
Annonciation,
Concert des Anges, Nativité, résurrection
Photo:
F. Walgenwitz
Retable des Antonins d’Issenheim
L’Annonciation
Photo:
F. Walgenwitz
Retable des Antonins d’Issenheim
Saint
Antoine, patron de l’ordre
Jean-Jacques Erny a formé à la
sculpture une dizaine de jeunes à travers des contrats
d’apprentissage par
alternance. Sa fille, Sophie, fut l’une d’entre
eux. Elle continua par la
Faculté d’Arts Plastiques et une formation en
art-thérapie.
Photo:
J.-J. Erny
Jean-Jacques Erny, conseillant un de ses
élèves
Photo:
F. Walgenwitz
Œuvre de Sophie Erny
Jean-Jacques Erny
se dit «curieux».
Il a l’ambition «de
rendre quelque chose de non
visible», d’accéder
à
l’indicible. Au-delà du plaisir de
l’œil, de l’harmonie, de la
délectation que
procure l’art profane, par l’art sacré,
il exprime les valeurs suprêmes de la
civilisation. Ses statues n’imitent pas la vie, chacune
d’elles exprime la
sienne: elles se regardent de l’intérieur comme le
disait Malraux de l’aura des
statues romanes.
L’acte de créer ne le conduit
pas à la
solitude, mais au dialogue, à la connivence.
L’amateur d’art devient un
complice, voire un ami. A présent, il est «conscient
d’avoir beaucoup reçu, fait de belles rencontres
parmi ses maîtres, ses collaborateurs…»
Cette gratitude honore
Jean-Jacques Erny. La reconnaissance est la mémoire du
cœur. Son adhésion à la
foi chrétienne qui lui a insufflé
l’esprit de responsabilité et
d’engagement,
l’a rendu sensible à la parabole des talents dans
ce qu’elle a de primordial: «Pourvu
que j’aie su faire fructifier tous
ces «talents» que j’ai
reçus»
Photo:
J-J Erny
Saint Arbogast (Herrlisheim 67)
Le
peuple cherche Arbogast pour être son
évêque
Photo:
J-J Erny
Saint Albert le Grand
Photo:
J-J Erny
Christ en gloire dans une mandorle
Eglise
St-Joseph de Colmar
Bibliographie
-
Collectif – Le
Travail des Sculpteurs – Les racines du Savoir,
Gallimard – 1993
-
Mary-Jane Opie – La
Sculpture – Passion des Arts, Gallimard –
1995
-
Karine Delobbe – Histoire
d’un Art: La Sculpture – Ed. PEMF
– 2002
-
Robert Heitz– Etapes
de l’Art alsacien XIXème et XXème
siècles – saisons d’Alsace
N° 47, 1973
-
Gabriel Braeuner –
L’Alsace au temps du Reichsland. Un âge
d’or culturel – Ed.
belvédère – 2011
-
Janine Erny (4) – Théophile
Klem (1849-1923). Un maître de l’art
sacré – Editions du
Net, 2012
-
André Malraux – La Tête d’obsidienne
–Gallimard, 1974
-
Luc Ferry et André Comte-Sponville
– La Sagesse des Modernes
– Robert Laffont
– 1998
-
F. Rihn - Jean-Jacques
Erny, sculpteur. – Almanach St-Joseph, 2022
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