Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Bernard Ambielle
L'Art,
sur le chemin qui a du coeur...
Devant la base aérographe de "Notre Dame"
Le monde appartient aux personnes créatives. Elles estiment, que la vie et ses révélations multiples doivent être vues comme une œuvre d’art. Bernard Ambielle appartient assurément à cette élite bénie des dieux. Par la diversité de ses expériences, sa curiosité intellectuelle, son ouverture aux émotions et aux fantasmes, il sait nous amener à partager l’émerveillement que provoque sa capacité à ré-enchanter ce monde qui en a tant besoin…
Bernard Ambielle est né à Strasbourg, en janvier
1951. Très
tôt, il se découvre une passion pour le dessin. Si
bien, qu’à l’âge de quatorze
ans, il casse sa tirelire pour acheter
sa première boîte de peinture à
l’huile. Se pose alors le problème que
rencontre tout artiste en herbe: sa vocation va-t-elle être
agrée? «Je
ne peux pas dire que j’ai reçu
beaucoup de soutien de mon environnement familial, mon père,
animé d’un esprit
imaginatif et inventif souhaitant plutôt me voir
m’orienter vers les sciences.»
Dessin réalisé à l'âge de 15 ans... Thème prémonitoire Pourtant, à l’âge de seize ans, en octobre 1967, il entre à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, comme élève libre, étant trop jeune pour passer le concours. «Avec une grande soif d’apprendre», il fréquente l’atelier de peinture dirigé alors par Louis Wagner (1918-1981), paysagiste, qui excellait aussi dans les compositions décoratives et poétiques. L’année suivante, il passe le concours avec succès. Il s’inscrit à l’atelier de gravure qui l’impressionne avec ses grandes presses à litho et ses odeurs d’encre, pour finir dans l’atelier d’illustration, nouvellement créé. Cependant, il quitta brusquement l’école « Ayant lié une relation étroite avec une élève de ce cours, originaire de Colmar, son père, mis au courant de cette relation et la désapprouvant, ne trouva rien de mieux à faire que de l’expédier dans un coin retiré de Bourgogne, pour suivre un cours de céramique. Je n’eus donc pas d’autre choix que d’abandonner mes études pour la suivre.» Elle n’était pas libre, la majorité, à l’époque était de 21 ans!... «En vous disant cela, je réalise que ma vie a été ainsi marquée, du moins au début, par de nombreuses ruptures aussi bien dans mon travail que dans ma vie personnelle.» Toujours est-il que Bernard Ambielle pratique son art en s’adonnant à la technique du dessin à l’encre de Chine. A cette époque, il manifeste un vif intérêt aux civilisations anciennes, dont notamment l’Epopée de Gilgamesh, geste sumérienne vieille de quatre mille ans, qui, dans sa quête de l’immortalité, symbolise l’effort de l’Homme pour acquérir et conserver les bienfaits de la civilisation. Dès l’âge de dix-huit ans, il se passionne pour la métaphysique, touché par ce besoin qu’ont les hommes de donner un sens à leur vie et de voir ce qu’il y a de l’autre côté du miroir. Cet intérêt se manifeste dans le thème des «Etres Poussière» qui avait l’ambition de raconter d’une façon poétique la création du monde et l’apparition de ces fameux êtres, c’est-à-dire, nous-mêmes. L’histoire des «Etres Poussière», série de dessins, terminée «là-bas», en Bourgogne, fera l’objet de sa première exposition à Colmar, en juillet 1970, dans le hall du cinéma Rapp. Une vingtaine de dessins à la plume, jugés extraordinaires par les critiques, parce que ce sont «des œuvres verticales comme des cathédrales où le surréalisme le dispute au symbolisme, parfois hiératiques mais toujours hallucinantes, fantasmagoriques, au graphisme très serré, pointilliste, fouillé…mais témoignant d’une technique parfaitement assimilée. Incontestablement l’une des expositions les plus intéressantes qu’il a été donné de voir depuis bon nombre d’années à Colmar.» Un coup de maître!... Les thèmes visités constituent un monde étrange dans lequel les critiques distinguent «Le Condor passe» inspiré par la fascination qu’éprouve Bernard Ambielle pour les civilisations disparues, le condor étant un oiseau mythique et vénéré pour le peuple Inca, ainsi que des œuvres dans lesquelles le jeune artiste aborde l’abstraction pure, œuvres d’une extraordinaire intensité et d’une sensibilité «latente, presque chaste». Nous y reviendrons! Par cette première exposition, Bernard Ambielle s’affirme comme un virtuose incontestable du Noir et Blanc.
Or, cette année-là, il découvre, avec
ravissement, les
illustrations de Robert Beltz (1900-1981). Il est
impressionné par la force
spirituelle qui sous-tend l’œuvre de ce prestigieux
artiste, cette parenté
d’esprit et de cœur qui l’unit aux
auteurs qu’il illustre. D’où, une
incomparable harmonie qui règne entre le texte et les
illustrations. Il est
frappé par l’extraordinaire qualité de
ses gravures sur bois, servi en cela par
des graveurs exceptionnels, tel Gilbert Poilliot, à qui il a
confié un de ses
chefs d’œuvre: «Les Contes des Bords du
Rhin» d’Erckmann-Chatrian, publiés en
1951, que Bernard Ambielle affectionne particulièrement.
Robert Beltz Gravure extraite des "Contes des Bords du Rhin"
Par ailleurs, se révèle à lui «la puissance poétique et mystique» de Gustave Doré (1832-1883) rare artiste alsacien de renommée mondiale, magicien de la lumière, lui aussi, illustrateur émérite. Stimulé par ces éminentes références, il est amené à prendre cette décision: «Je vais graver sur bois!...» Or le bois nécessaire à la finesse du travail que le graveur se propose de faire est difficile à trouver et onéreux. Il s’agit de bois fruitier choisi pour sa densité et sa dureté et découpé dans le sens du fil. Il va donc devoir se contenter du linoléum qui permet aussi, heureusement, des réalisations très fines. Inspiré
par ses deux illustres parrains, Robert
Beltz et Gustave Doré, Bernard Ambielle
créée une œuvre remarquable et
remarquée à la Galerie 31 (31, rue des Bateliers
à Strasbourg), au printemps
1971. Il s’agit de son interprétation
d’un des contes les plus populaires de
Charles Perrault: «Le Petit Poucet», un livre en
feuilles sous emballage toilé,
sur papier vélin d’Arches en soixante pages (41x31
cm), réalisé à la main et
imprimé sous presse. Il se compose de
vingt-deux gravures sur lino d’après des dessins
de Françoise Braun, sa
compagne, qui a retranscrit le conte lui-même à la
plume avec une encre moirée
aux teintes d’autrefois. Vignettes, guirlandes et culs de
lampe agrémentent le
texte par de très belles recherches coloristes.
Présentation du "Petit Poucet" Françoise Braun, Retranscription du conte à la plume avec une encre moirée Françoise Braun, Paysage de Françoise Braun qui a décidé, un moment donné de signer ses oeuvres "Baumgarten" et qui est, aujourd'hui installée en Provence. Episodes du conte du Petit Poucet Mais, pourquoi Bernard Ambielle a-t-il fait le choix du Petit Poucet, plutôt que celui du Chat Botté ou de Cendrillon? Est-ce en faveur de la moralité qui s’en dégage et que Charles Perrault a lui-même explicitée: celui qui est faible et méprisé peut, cependant, faire le bonheur de sa famille? Est-ce la philosophie du compromis qu’il semble justifier: la violence existe, il faut s’en accommoder? Est-ce le parcours initiatique que le conte propose: le passage de la faiblesse au pouvoir que les bottes de sept lieues symbolisent? Dans un autre registre, est-ce le fait que Gustave Doré, le graveur adulé, ait lui-même illustré ce conte? Bernard Ambielle a certes été sensible à tous ces aspects humains, psychologiques, philosophiques du récit du Petit Poucet, mais la raison prédominante de sa préférence est l’environnement dans lequel l’intrigue se déroule: c’est-à-dire la forêt; la forêt, tour à tour, accueillante et rassurante, sombre et inquiétante, les bois sacrés des rêves ancestraux, des souvenirs enfouis, peuplés de mythes, de symboles. C’est la forêt vosgienne qui propose à l’artiste une multitude de formes, de structures, de réseaux, de rythmes, dans laquelle il fait évoluer un Petit Poucet à la morphologie simplifiée, que le critique Roger Kiehl compare à «un petit ectoplasme blanc, vague embryon lunaire ou martien, méditant ses coups à l’abri de sa taille minuscule. Peut-être était-ce pour le détacher du monde réel?» C’était effectivement l’intention de Bernard Ambielle, car son héros est une création symbolique, en pleine métamorphose. Ce travail «artisanal», ainsi que l’annonce l’affiche de l’exposition, a été réalisé à partir de l’automne 1971, en collaboration avec Françoise, sa camarade de Colmar, dans le cadre enchanteur des Cévennes où ils se sont retirés.
Par la suite, il tente d’illustrer d’autres
thèmes qui lui
sont chers, en particulier «Les Chevaliers de la Table
Ronde». Mais, dit-il
aujourd’hui «la
magie est passée et cela
n’aboutit à rien. Naissent ensuite des gravures
d’inspiration métaphysique,
telle PB 04, exposée à la maison des
Métiers d’Art, place Saint-Thomas à
Strasbourg. Et, finalement, je recevrai en 1975, la commande
d’une gravure sur
bois d’un cercle de graveurs mulhousien.»
Gravure PB 04 Le temps de la gravure est terminé. Bernard Ambielle va, dès lors, se tourner vers la couleur et la peinture sous verre. Rappelons que la peinture sous verre que nous avons découverte dans une précédente monographie (consacrée à Michèle Bruel-Rupp), est une technique ancienne et extrêmement difficile qui consiste à peindre au revers d’une plaque de verre que l’on retourne au fur et à mesure pour voir évoluer l’image en gestation. La peinture à l’huile étant appliquée directement sur le verre et vue à travers lui, les couleurs du tableau acquièrent une puissance et un éclat qu’aucun vernis dans la peinture sur bois ou sur toile ne saurait égaler. De plus, les couleurs gardent leur fraîcheur et leur luminosité, alors que les vernis jaunissent avec le temps. L’invention fondatrice de la technique moderne est celle du verre plat, totalement transparent. Celui-ci est utilisé dès le 16ème siècle par les verriers vénitiens et, à partir du 17ème, par les verriers lorrains. La qualité du verre étant une des conditions nécessaires à la réussite du tableau, Bernard Ambielle y est particulièrement sensible. «A l’époque, il était encore relativement facile de trouver chez les brocanteurs des encadrements datant du XIXème siècle (période Louis Philippe), avec de vieilles gravures protégées par du verre soufflé dont la caractéristique, outre le fait d’être très mince et donc très fragile, était une très grande brillance due aux irrégularités de sa surface. Rien à voir avec le verre actuel.»
Après «une période de
tâtonnements», il a
l’opportunité, grâce
à Maître François Lotz,
d’exposer
ses premières œuvres sous verre, dans son
Musée de
l’Imagerie populaire
nouvellement créé à Pfaffenhoffen,
accompagné de Françoise Braun (devenue
Baumgarten), elle-même peintre sous-verre de grand talent.
«C’est
là que nous fûmes remarqués par un
photographe allemand, Max
Seidel (1904-1993), auteur de livres d’art, qui cherchait de
la documentation
dans le but de réaliser un prochain livre
consacré à la peinture sous verre
dans le monde.
"Hinterglasbilder" de Max Seidel Automne, Peinture sous verre Le Rêve éveillé, Peinture sous verre
Intéressé par mon travail, il me proposa d’acquérir un certain nombre de mes peintures, sur une période d’environ quatre ans, afin de les réunir dans une grande exposition qui se tint à Garmisch-Partenkirchen, en 1978.» Alors que dans ses premières productions il abordait des sujets classiques traditionnels, tels des natures mortes, très vite, sous l’impulsion de Max Seidel, les thèmes devinrent de plus en plus complexes, tendant vers un symbolisme exacerbé,
Cependant, en 1980, Bernard Ambielle abandonne la peinture
sous verre. D’abord, parce que les formats sont
limités; les plus grands qu’il
ait réalisés tournent autour de 70 x 55 cm. Mais
surtout, parce qu’il vient de
découvrir un nouvel outil de travail:
l’aérographe, une sorte de pistolet à
peinture miniature que l’on utilise essentiellement avec de
l’encre et qui
permet des effets inédits.
L'Aérographe Pistolet à peinture miniature. Idéal pour un travail de précision sur des détails, des dégradés, des tracés très fins, inférieurs à la taille d’un cheveu. L’aérographe à double action peut non seulement moduler le débit d’air, mais également le débit de peinture. Il est servi par un compresseur à réserve d’air. Bernard Ambielle précise que l’aérographe, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne permet pas de travailler plus vite, mais autorise des effets impossibles à réaliser avec un pinceau. Il contribue à une luminosité exceptionnelle, notamment avec la peinture à l’huile. C’est le peintre suisse, HR Giger qui, avec son immense talent, a vulgarisé l’usage de l’aérographe dans les années 1970.Notre Dame - Base aérographe «Je vais l’adapter à la peinture à l’huile, explique-t-il, et bientôt apparaîtront de nouvelles peintures inspirées toujours de thèmes métaphysiques mettant en scène des mondes imaginaires ou abstraits.» Roman 83 Les oeuvres de cette période, telles "Roman 83", seront exposées à Paris, dans la galerie Bijan-Aalam, où Bernard Ambielle aura le privilège de figurer aux côtés du regretté peintre suisse H.R. Giger, disparu il y a peu, auteur des décors et du célèbre Alien du film de Ridley Scott, puis, par la suite dans la galerie Râ, rue de Turbigo, spécialisée dans le visionnaire. «Cependant, avoue Bernard Ambielle, je ne rencontre pas le succès escompté. Je terminerai donc le cycle de ces peintures par une exposition à la galerie Aktuarius, à Strasbourg, à l’automne 1984.» Episodiquement, par la suite, inspiré par une belle vitre ancienne, il y reviendra pour réaliser, par exemple, ces iris et cette coupe de fruits qui datent de l’an 2000.Les Iris Coupe de Fruits Les thèmes métaphysiques, les allusions philosophiques, les interrogations existentielles, les métaphores poétiques, qui véhiculent le symbole, notre jeune artiste les puise dans ses lectures. A l’âge de dix-huit ans, il découvre les écrits de Georges Gurdjieff (1866 ou 1872 - 1949). Il est intrigué par l’élément le plus original de l’enseignement que le gourou ait apporté à l’Occident (en 1915) et qui synthétise en une seule figure sa complexité. Il s’agit de l’ennéagramme que certains font remonter jusqu’à Pythagore, vers 600 avant J.-C. L'Ennéagramme Ce symbole, cercle divisé en Neuf est l’expression de deux lois fondamentales dans l’Univers: la loi de Trois, représentée par le triangle 9.3.6 et qui incarne les trois forces: Affirmation, Négation, Conciliation, à l’œuvre dans tout phénomène, souvent personnifiées par les triades divines et la loi de Sept ou d’Octave qui ordonne les jours de la semaine, les couleurs du prisme lumineux, les notes de la gamme musicale… Sur le plan psychologique, l’ennéagramme définit 9 types de personnalités. D’après Gurdjieff, il nous enseigne comment découvrir nos forces, accroître les ressources insoupçonnées qui sont en nous, par quels chemins, par quels courants d’énergie... C’est devenu une technique de développement personnel. Bernard Ambielle a tenté de représenter ces lois dans son œuvre. Il a notamment été subjugué par la lecture des «Fragments d’un enseignement inconnu» du propagateur des idées de Gurdjieff, Piotr Ouspensky, (1878-1947), qui utilise la géométrie dans ses réflexions sur la psychologie et les «dimensions supérieures» de l’existence. Lecture passionnante qui tend à prouver que par la connaissance de soi-même, l’homme, ce tissu d’habitudes inconscient, cette machine irresponsable peut accéder à un état supérieur de conscience et vivre plus fort et plus haut, au-delà du Bien et du Mal!...
C’est l’occasion de
revenir à l’épopée des
«Etres
Poussière», issue directement de
l’imagination de
Bernard Ambielle. Elle reprend la Loi de Trois inspirée par
l’ennéagramme à
Georges Gurdjieff. En effet, à l’origine, selon sa
version, le Maître du Monde
crée trois filles: Bien, Mal et
Conciliation. Mais le monde qui en émane, connaît,
à l’instar de celui de la
mythologie grecque, l’hubris qu’il faut combattre
pour
accéder à la
sérénité.
Elle se manifeste en métamorphosant le corps des
élus en
statues de pierre
immortelles. Des roches conservent la trace du passage de ceux qui sont
en quête
d’éternité. Tout, dans
l’Univers devient
énergie en mouvement, un mouvement
perpétuel auquel répondent les danses
sacrées que
les Etres Poussière exécutent
dans la lumière de leur créateur, Bernard
Ambielle.
Les
Statues de Pierre ImmortellesEn quête d'Eternité L'Energie en mouvement
«Toute cette littérature, nous confie Bernard Ambielle, m’avait beaucoup influencé et j’avais maladroitement tenté de l’appliquer à mon travail artistique. Par la suite, je m’éloignais un peu de cette pensée métaphysique pour m’intéresser à un auteur contesté, Carlos Castanéda, anthropologue, censé avoir été initié par un sorcier yaqui aux mystères de l’Univers et dont les écrits, mélange de réalité et de fiction, ont été qualifiés par certains de «roman poétique» et dont j’ai retenu surtout le fameux «il faut suivre le chemin qui a du cœur». N’empêche que cette œuvre (il a écrit plusieurs livres que j’avais dévorés à l’époque) a beaucoup influencé le symbolisme dans mes peintures sous verre, post natures mortes.
Elle
a eu, en outre, le mérite de mettre en lumière
une culture méconnue, celle des
Amérindiens.»
Le sourire de l'Enchanteuse, 1980 Peinture sous verre (40 x 50 cm) Durant toute cette période, Bernard Ambielle signe ses oeuvres "Roman" du nom et en hommage à son grand-père maternel originaire de Vénétie. Le Sourire de l’Enchanteuse dont le thème intemporel traite de l’illusion qui régit le monde et notre vie quotidienne, est manifestement inspiré des lectures d’Ouspensky – Gurdjieff. Ce tableau est chargé de symboles dont l’auteur ne se souvient plus avec précision, bien qu’il ait, à l’époque, tout noté sur un calepin. Toujours est-il que «le double regard, la gueule aux dents acérées que dissimule un sourire avenant, tout cela n’a pour but que de tromper le malheureux dont l’âme sera dévorée par l’enchanteuse et viendra nourrir la faim insatiable de la lune, selon certaines traditions. La lune, dont on distingue les cratères en haut du tableau.» Ce qui nous renvoie aux fameux Fragments d’un enseignement inconnu qui prétendent que toutes nos actions sont le résultat d’influences planétaires. Or, les Fragments enseignent la méthode susceptible de déjouer le piège. Elle consiste à transformer l’homme automate, endormi, en homme conscient et libre. C’est l’éveil selon le précepte socratique: «Connais-toi, toi-même» Ce que Bernard Ambielle semble en avoir retenu, c’est que chacun doit s’initier soi-même. Les systèmes et les écoles peuvent indiquer les méthodes et les voies, mais aucun système, aucune école ne peut faire pour l’homme le travail qu’il doit faire lui-même. «J’ai vite compris que j’étais comme un aveugle qui veut parler de couleur ou comme un sourd qui va discourir sur la musique. Car ces lois qui se manifestent autour de nous et en nous, sont très complexes…Quoi qu’il en soit, supposons que nous arrivions à une parfaite maîtrise de ce qui pourrait être un solfège de la peinture (et qui, peut-être dans un passé lointain a été enseigné), un bon musicologue expert en solfège, ne fera pas forcément de la bonne musique. Il manque d’autres éléments, à commencer par la dimension émotionnelle et, ensuite, ce que l’on désire transmettre.» L’introspection à laquelle il s’est livré, lui a fait retrouver son enfance. C’était le monde du désir et non celui des automatismes, celui de la créativité et non celui de la tyrannie des habitudes, celui de l’émotion et non celui du jugement. « A peine avais-je mis de côté tout ce fatras de connaissances, des émotions très vives venues de l’enfance jaillirent en moi que je traduisais bientôt en peintures. J’avais retrouvé la simplicité. Ces émotions étaient liées à la période de Noël (Nous habitions à Strasbourg, à deux pas du centre-ville et de son marché de Noël), aux jardins ouvriers de mon enfance, aux marchés et aux foires (mes parents étaient marchands forains) ou, tout simplement au chant d’un merle au crépuscule.» C’est ainsi que se déclencha en lui «la Grande Rupture» qui n’a pas consisté seulement en un changement radical sur le plan pictural, mais aussi sur le plan intellectuel et philosophique, de même que sur le plan personnel. «Un moment donné, j’ai éprouvé une grande lassitude de ce «savoir» accumulé au fil des années mais que je ne comprenais pas vraiment. Savoir ne signifie pas comprendre. Et j’ai décidé de repartir de zéro en mettant tout cela de côté.» Bien qu’il insiste sur la «lassitude» qu’il éprouva envers «ce fatras de connaissances», la transition ne fut pas évidente. Impossible de faire du passé table rase… car Bernard Ambielle reste convaincu que le but de l’art n’est pas simplement décoratif et esthétique et que certaines œuvres du passé recèlent des secrets que nous ne sommes pas en état de percevoir. Il n’a pas complètement renoncé à percer ces secrets oubliés. Dès 1985, il rencontre un succès immédiat lors d’une première exposition à Strasbourg. Elle sera bientôt suivie d’autres, collectives et personnelles à la galerie «L’Empreinte», place St-Etienne, aujourd’hui, disparue. Les DNA saluent un art «résolument naïf» et estiment qu’ «Ambielle semble avoir trouvé sa voie par une juste concordance entre sa conception optimiste de la vie et la figuration qui l’illustre. Puisant dans les souvenirs heureux de son enfance – nombre de toiles rappellent certains quartiers pittoresques de sa ville natale – il voit les hommes et les choses sous un jour serein. Les jardins regorgent de fleurs et de fruits, ses maisons coquettes fleurent bon le charme d’antan. De la campagne et de la ville émane une même douceur de vivre.»
Une humanité simple et tranquille, vaquant à ses
occupations quotidiennes, est traduite par une méticuleuse
application. «Excellent
coloriste, Ambielle varie les
nuances à l’extrême. Il apporte
à ses sujets richesse et densité par des tons
subtils, savamment dosés.»
Le Marché aux Oignons, 1985 Aux Abords de la Ville, 1986 Rue des Lilas, 1986
Au début de 1986, se présente à lui
l’opportunité
de travailler avec la société parisienne
«Art Vivant» qui lui propose de
diffuser ses œuvres en Extrême Orient, plus
précisément à la galerie Bijutsu
Sékaï à Tokyo. «Cette collaboration se
montra très fructueuse et me permettra de progresser
rapidement dans mon travail.»
reconnaît Bernard
Ambielle. Le Tableau «La Biche au Bois» de 1988,
illustre le mieux à ses yeux
la période japonaise.
Bernard Ambielle à la galerie Bijutsu Sékaï de Tokyo La Biche au Bois (55 x 46 cm) Nu accoudé Nu de dos Etude C’est alors, entre 1988 et 1990, que s’ouvre dans la vie et l’œuvre de Bernard Ambielle une parenthèse douloureuse. Comme beaucoup de peintres provinciaux l’ont fait avant lui, il tente l’aventure parisienne où il croit pouvoir compter sur de nombreux amis et connaissances; Paris, épicentre de tous les événements marquants, Paris source inépuisable d’inspiration mais, Paris avare en conditions de travail satisfaisantes… L’aventure s’avère décevante. Elle se termine par une expo qui, mal préparée, mal organisée, sera un échec. Plus grave, déplore-t-il: «L’aventure parisienne m’a asséché, j’ai perdu mon inspiration et j’ai dû renoncer à utiliser mon pinceau magique, l’aérographe. A mes yeux tout au moins, mes peintures deviennent ternes…». S’ajoute à cela qu’au début de 1991, à l’international, les ventes baissent pour cause de guerre du Golfe… La collaboration avec «Art Vivant» prendra fin en 1994, et, d’ailleurs, cette société n’y survivra pas longtemps. La renaissance salutaire viendra en 1995, du mariage de Bernard Ambielle avec son épouse actuelle, Gabriella, originaire de Côme en Lombardie, rencontrée en 1992 en Pologne lors d’une campagne humanitaire. Elle va lui apporter un soutien précieux dans sa reconquête artistique.
La vie, décidément, est
faite de rencontres! Celle de Mario
Tapia a également compté dans la vie de Bernard
Ambielle.
C’est en 1996 qu’il
fait la connaissance de cet artiste, réfugié
chilien, ami
de Pablo Neruda,
qui, témoin engagé de son temps, fut un des plus
grands
poètes de langue
espagnole. Ils étaient invités par une commune du
Nord-Est italien pour couvrir
de peintures un immense mur de béton. Bernard Ambielle
était émerveillé par sa
façon de travailler car il peignait sans esquisses
préparatoires, directement
sur les murs comme sur la toile. Ses compositions, d’une
exceptionnelle
harmonie, traduisaient remarquablement son univers
latino-américain «si
poétique»…
Devenus amis, le soutien
que Mario Tapia lui a apporté, a beaucoup aidé
Bernard
Ambielle dans sa
reconstruction post-parisienne. «C’est
lui qui m’a redonné envie d’avoir envie»…
Mario Tapia Il reprend son aérographe dès 1997. «Mes tableaux retrouvent vite leur éclat d’antan. Les regards émerveillés du public, ce dont je suis le premier surpris, me signifient que j’ai retrouvé «le chemin qui a du cœur» cher à Carlos Castaneda.» Il renoue avec les expositions, notamment à Mulhouse en 1998, 1999, 2000. En décembre 1999, il reprend le cycle des expositions personnelles à Strasbourg qu’il avait abandonnées depuis plus de dix ans. «Le public strasbourgeois m’accueille chaleureusement», se souvient-il.
Sa créativité, stimulée par les
récents succès, conduit
Bernard Ambielle à une découverte
déterminante pour la suite de sa production artistique. En
effet, début
1999, après un séjour à Venise, il
décide
d’utiliser de la dentelle en pochoir
pour ses tableaux à thèmes vénitiens.
Technique
qu’il va aussitôt généraliser
à
tous les autres sujets qui lui sont chers.
Magie de Noël En 2000, s’ouvre une ère nouvelle, particulièrement florissante. En décembre est prévue une nouvelle exposition. Or, il faut qu’il trouve un sujet pour son affiche. C’est de cette réflexion que naîtra «la Ville en Fête» construite sur le thème des Marchés de Noël. Ce thème, éminemment populaire et intimement lié à notre culture, lui a été révélé en 1986 à Nuremberg, dont le Chistkindelmark l’avait fortement impressionné.
Nuremberg, le Christkindelmark, 1986 La «Ville en Fête» connaîtra un succès inattendu, à commencer par le poster qui en sera tiré. « Les gens font la queue devant la galerie pour acheter ce poster.Aujourd’hui encore, il reste très apprécié.» Avec, chaque année un sujet nouveau, bien d’autres posters suivront, dont plusieurs milliers de tirages seront vendus à l’Office du Tourisme de Strasbourg, désormais acquis à l’œuvre de Bernard Ambielle. Ville en Fête - Carte de voeux de l'UNICEF Ville en Fête - Affiche de l'Exposition - 2000 La «Ville en Fête», œuvre devenue emblématique, est sélectionnée par les DNA pour sa Une du 25 décembre 2002. Ce sera de nouveau le cas en 2005 pour «Place de la Cathédrale» Mais, surtout, elle acquerra une renommée mondiale ainsi que beaucoup d’autres tableaux célébrant Noël, quand le siège de l’UNICEF de Genève fera appel à Bernard Ambielle pour éditer des cartes de vœux en vue de sa campagne de décembre 2004. C’est une consécration et une grande satisfaction de savoir que son «Quai St-Nicolas», sa «Place du Marché», ses «Couleurs de Fête» etc… font le tour du monde des boîtes aux lettres… «Au cœur de la ville», sélectionné en 2006, qui représente la Place Kléber en 1865,« est très travaillé», reconnaît l’artiste car il a tenu à se documenter aux Archives et au Cabinet des Estampes de sa ville par souci de fidélité à l’authentique. Les dentelles anciennes qui agrémentent ce tableau, ressortent très nettement. «On dit souvent que la cathédrale est une dentelle de pierre. Les motifs de dentelle lui vont bien.»
Chaque année autour de 13 millions de cartes UNICEF sont
vendues en France seulement!... Ce qui représente 50% du
marché humanitaire.
Méditerranée (St-Tropez) (89 x 116 cm) - Huile sur toile
En 2008, il est invité à exposer ses
œuvres dans
la galerie que dirige Jacqueline Bricard, située dans un des
plus beaux
villages de France: Lourmarin, au cœur du Luberon. Un
écrin pour des artistes
talentueux venus de tous les horizons: serbes, croates, canadiens,
argentins,
brésiliens…, spécialisé
dans l’art naïf et poétique. «Tout un poème,
s’émerveille Bernard Ambielle, un vrai décor
à la Marcel Pagnol, je sens aussitôt que mes
tableaux
vont s’y plaire. Et à dire vrai, cette
collaboration s’est révélée
très
fructueuse jusqu’à ce jour.»
Affiche d'une exposition de Bernard Ambielle
La dimension internationale de la carrière de
Bernard Ambielle se déploie continument. Après
une seconde, quoique brève,
collaboration japonaise avec la galerie Art Yomiuri, centre
international pour
les actions culturelles, extension d’un grand journal nippon,
l’américain
Hasbro, éditeur de jeux très connus comme
Abalone, Cluedo, Monopoly, Trivial
Poursuite, présent à Kreutzwald en Moselle, le
sollicite de 2007 à 2012 pour
réaliser des puzzles à partir de certaines de ses
œuvres telle «Le veilleur de
Nuit». Ils sont diffusés aux Etats-Unis, au Canada
et au Mexique.
Un choix de puzzle par "Hasbro" Puzzle: Le Veilleur de Nuit Les expositions s’enchaînent et voient apparaître un nouveau type de tableau de format 120x120 cm. Ces tableaux sont conçus sur une base géométrique et abstraite, avec des lignes brisées très étudiées mais au final ils demeurent figuratifs. Ils transgressent les règles de la perspective et optent pour une interprétation délibérément libre de l’organisation urbanistique. Il en émane une poésie subtile à laquelle contribue la couleur qui suscite une ambiance proche du surréalisme. Notons que Bernard Ambielle n’utilise que les couleurs primaires et secondaires, plus le blanc et le noir. Donc, pas de couleurs tertiaires comme les ocres, les marrons… Le tout premier en 2008, «Couleurs de Fête» sera suivi de «Clair de Lune» en 2009 et de «Canal Grande» en 2010, pour les plus connus. « J’ai dû, ensuite revenir à des compositions plus classiques, mais dès que les conditions seront réunies, je reprendraicette exploration»
Car, au fil de sa marche vers la maturité
qu’il compte bien ne jamais atteindre, selon une confidence
qu’il fit à un
journaliste, «Parce
qu’il y a toujours
quelque chose à apprendre, à améliorer»,
il épure, modifie, imagine, perfectionnant sans cesse sa
méthode de travail.
Cette évolution perpétuelle
n’est sans
doute pas étrangère à la noble
habitude de Bernard Ambielle d’écouter de la
musique classique, en particulier celle de
Frédéric Chopin «dont certaines compositions,
d’une extraordinaire richesse et
profondeur, ont directement influencé ma
réflexion et mon dessin.» Couleurs de Fête Clair de Lune Canal Grande Les atmosphères idéalisées, merveilleuses, délicieusement nostalgiques auxquelles ses œuvres ont abouti, leur méticulosité, la lisibilité limpide des messages qu’elles transmettent, cette réussite en un mot, est le fruit d’une philosophie que Bernard Ambielle a fait sienne, une philosophie qui s’occupe moins de science et de savoir que d’être et de connaissance de soi. Elle est due également à la découverte d’une vérité essentielle: la relation avec le public, être en résonnance avec lui. Car la sensibilité propre à l’artiste, qui lui permet de capter des signes, des émotions impalpables, souvent liées à l’inconscient collectif, lui confère le rôle particulier qui est de transmettre et de rendre ces signes intelligibles (dans la mesure du possible, souligne Bernard Ambielle) au travers de son expression artistique et de sa technique, à un plus grand nombre et donc, son public.
Un public auquel cet
homme sensible est particulièrement reconnaissant. Car,
dit-il: «C’est
à lui que je dois d’avoir trouvé la
force de surmonter les nombreux obstacles qui se sont
dressés sur ma route et
qui m’a donné la motivation de poursuivre mon
chemin.»
Les œuvres de Bernard Ambielle
figurent dans de nombreuses collections publiques et privées en Europe, en
Asie, de même
qu’en Amérique du Nord. Christkindle's Märik, détail Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |