Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Auguste Cammissar
(1873-1962)
Auguste Cammissar
peint par Lothar von Seebach, 1920 - Huile sur toile - Collection
particulière © Brigitte Wilke Auguste Cammissar
appartient, avec Gustave Stoskopf, Lucien Blumer,
Hansi, Emile Schneider, Henri Beeke, Leo Schnug…
à cette génération qui,
après avoir été plongée
dans la léthargie
protestataire d’une vingtaine d’années,
consécutive à l’annexion de
l’Alsace-Lorraine a participé à la
renaissance de l’art en Alsace. Cette
renaissance, rappelons-le, a pour origines, d’une part, la
présence à
Strasbourg, à partir de 1875 de Lothar von Seebach qui
révéla à ses
élèves
l’impressionnisme français, d’autre
part, l’éclosion du groupe de
Saint-Léonard,
autour de la Revue Alsacienne
Illustrée, présentée en 1898, par
Charles Spindler, Joseph Sattler, Anselme
Laugel qui se passionnent pour le patrimoine de leur province, enfin,
la
création , en 1890, de l’Ecole des Arts
décoratifs de Strasbourg.
Lothar von Seebach, 1920 - Dessin au crayon et aquarelle - Collection particulière © Imprex - Haguenau Auguste Cammissar est né à Strasbourg le 10 juillet 1873. Il a habité dans sa ville natale au N°16 Goldgiessen (Rue de l’Or) jusqu’en 1939 Il ne la quitta qu’en 1939, lors de l’évacuation de Strabourg pour cause de «Drôle de Guerre».On comprend que Strasbourg compta beaucoup dans sa vie. Il est le fils aîné d’une famille de sept enfants. Son père, Auguste, est originaire de Rheinzarbern, dans le Palatinat. Il est verrier, métier d’art qui ne manquera pas d’avoir une influence bénéfique sur son fils. Deux de ses frères s’illustreront dans l’expression artistique: Charles, flûtiste renommé, qui se produira à l’orchestre municipal de Strasbourg et Rodolphe, graphiste et artiste peintre qui s’établira en Bade-Wurtemberg. Une solide pratique de
l'art du vitrail
Dans la lignée de son père, le jeune Auguste s’oriente vers l’artisanat. Il entre en apprentissage chez un verrier strasbourgeois où il découvre l’art du vitrail. Dans ce domaine, il se donne une solide pratique qui fera de lui un spécialiste incontesté. Oeuvrant en collaboration avec Paul Braunagel, son talent de verrier est reconnu et proclamé dans la Revue d’Alsace de 1903, par Anselme Laugel, mécène et grand expert de la culture alsacienne: «Par le bonheur de la composition, par l’éclat de la couleur et par la manière ingénieuse dont ont été utilisés les verres, ces vitraux font honneur à notre jeune compatriote». Vitrail
réalisé par Auguste Cammissar et Paul braunagel
pour leur ami Lucien Blumer – (Maison du 11 rue des Bateliers)
Ouvert à la vie artistique
alsacienne, Cammissar adhère tôt au Cercle de
Saint – Léonard dont il côtoie les
créateurs: Charles Spindler et Anselme Laugel. Il participe
aux Dîners des 13,
inspirés par ce dernier, dont le but était de
faire se connaître ses amis et de
soutenir la carrière débutante de Spindler. Il
fréquente aussi le fameux
Kunschthafe à Schiltigheim, initié par un autre
mécène, fabricant de foie gras,
Auguste Michel. Autour de ce célèbre Stammtisch,
les idées bouillonnent et on y
parle Français. Braunagel en est un des piliers. Il faut
dire que Spindler
s’entoure d’artistes et d’artisans
d’art afin de susciter un mouvement d’art
industriel à l’image de ce qui se fait en
Allemagne.
Lothar von Seebach et les académies allemandes
Comme d’autres jeunes artistes de sa génération, tels Lucien Blumer, Hans Mathis et Lucien Haffen, Cammissar fréquente l’atelier du baron Lothar von Seebach, ouvert en 1883. Il est admiratif de ce qui caractérise sa facture impressionniste (selon Robert Heitz), c'est-à-dire: sa passion de saisir le mouvement, son jeu de l’atmosphère, sans sacrifier pour autant la forme et le dessin, ce qui le rapproche d’Edgar Degas et ce qui permet à Cammissar de dire qu’il est l’un des plus remarquables dessinateurs qu’il ait connus. Stéphanie Arnold-Marbach nous rappelle d’ailleurs que les deux hommes ont respectivement exécuté des portraits l’un de l’autre. Nous en avons la preuve sous nos yeux… Auguste Cammissar poursuit sa formation artistique en fréquentant la Kunstakademie de Karlsruhe. Il suit les cours de Leuger et de Carlos Grethe. Ce dernier est connu pour l’excellence de ses marines. Grethe l’initie à la technique des arts décoratifs et à la peinture proprement dite. Puis, il se perfectionne lors de séjours à Vienne et à Munich qui était alors la capitale artistique de l’Allemagne.
Dès
l’âge de vingt et un ans, en 1894, il est
appelé à seconder le peintre et
architecte munichois Anton Seder (1850-1916), nommé
professeur et premier
directeur de l’Ecole municipale des Arts
décoratifs Crée par le maire de
Strasbourg Otto Back, cette Kunsgewerbeschule est destinée
à promouvoir les
arts appliqués et à assurer
l’enseignement des arts graphiques, de la peinture
et de la sculpture. «Pépinière
de jeunes talents, l’école et
l’effervescence
autour d’elle, vont imposer Strasbourg comme foyer et centre
artistique de
premier plan dans un Reich qui voit éclore une forte culture
alsacienne.» (*)
Une fidélité de 40 ans à l'Ecole des Arts Décoratifs De 1896 à 1940, il exerce en tant que professeur titulaire dans cinq sections d’arts appliqués, soit une fidélité de quarante-quatre ans. Parmi ses nombreux et prestigieux élèves notons Allenbach, Untersteller, Ehrismann, Solveen, Kamm, Luc Hueber, Gachot, ces trois derniers rejoindront le «Groupe de Mai». Tout au long de sa vie d’artiste, il prouvera son intérêt, son attachement sincère à ses anciens élèves. «Il aimait les jeunes. Pour rien au monde il n’aurait manqué la distribution des prix de sa chère école des arts décoratifs. Bien qu’il en eût été éloigné par l’âge, le tempérament et sa formation, c’est avec passion qu’il suivait les travaux de la jeune peinture sachant distinguer le vrai de ce qui n’était que mode et charlatanisme.» (**) Son activité principale, à cette époque se concentre sur des projets décoratifs pour l’orfèvrerie, la broderie et surtout le vitrail. En 1900, il se rend à Paris pour étudier la technique du verre opalescent (aux reflets d’opale, laiteux, bleuâtres), technique récente présentée au public parisien lors de l’Exposition Universelle de 1889. Selon Camille Hirtz, ses vitraux sont alors composés uniquement de verres liés par des résilles, sans être peints. Et ce, dans le plus pur esprit «modern style».© La Nuée Bleue
Il est chargé de la copie des vitraux de l’église Sainte Madeleine, actuellement exposés dans les musées de Strasbourg. Mais, son chef-d’œuvre est incontestablement le grand vitrail de 4m x 5m, réalisé pour le lycée de jeunes filles, rue des Pontonniers à Strasbourg, construit par son ami, l’architecte Oberthur. Ce vitrail, élaboré comme bien d’autres en collaboration avec Paul Braunagel, représente la «Riesenfraülein von Burg Nideck», conçue par le poète romantique franco-allemand, von Chamisso. Cette œuvre sera malheureusement détruite par un bombardement aérien en 1944 ainsi que les peintures «Entrée de l’empereur Maximilien» de Léon Schnug et «Le Serment devant la Cathédrale» de Jordan. Les honneurs et la renommée
Ses tableaux ont été exposés à Paris en 1907, puis en 1932 à la galerie Bûcheron, dans le cadre de «L’Alsace vue par les artistes», mais aussi à Anvers, Zürich, Bâle, Turin, Cologne, Leipzig, Saint-Louis des Etats-Unis où il fut médaillé en 1907. Il a participé à de nombreuses manifestations régionales, le plus souvent collectives, parmi lesquelles il convient de retenir, à Strasbourg, l’exposition à la société des Amis des Arts, en 1904, son exposition à la Maison d’Art Alsacienne de 1907, celle du «Verband der Kunstfreunde in den Ländern am Rhein» en 1909, celle, mémorable qu’il organise en 1953 pour son 80e anniversaire, à la galerie Aktuaryus,.à laquelle il est resté très fidèle, ne manquant aucune de ses expositions de printemps.
En
1962, suite à un accident de voiture, survenu peu avant les
fêtes de Noël,
Auguste Cammissar est hébergé, avec son
épouse, dans une clinique
strasbourgeoise. Malgré son âge, son humour, sa
santé physique et intellectuelle ne sont
guère affectées par ce traumatisme.
Il a fallu, malheureusement, qu’une broncho-pneumonie
s’abatte sur lui pour
vaincre sa vaillance. Il s’éteint dans la
soirée du 27 décembre 1962, au seuil
de sa 90e année. «C’est le
doyen des peintres qui nous quitte et
un des derniers témoins actifs de la vie artistique de notre
province d’avant
la première guerre mondiale»,
écrit Roger Kiehl dans les Dernières
Nouvelles d’Alsace, du 29 décembre.
Cécile sur la Banquette, Huile sur toile © Photo F. Walgenwitz
La naïveté émouvante et sincère du détail
Ce qui fait le charme et la valeur de l’œuvre peinte d’Auguste Cammissar, c’est l’éclectisme de sa thématique qui exprime les différentes facettes de son talent. Ses intérieurs sont obtenus à partir d’une palette «discrète où les bleus, les gris, les tons mauves, suaves, chantent en sourdine; intérieurs qu’égaye la tache alerte d’une robe de fillette ou, dans un coin, le miroitement atténué de la faïence blanche d’un poêle alsacien». (***) Ses fleurs, ses natures mortes sont éclatantes de fraîcheur et de probité candide…Ses paysages urbains sont tournés vers les vestiges du passé, témoins de la riche histoire de l’Alsace. Ceux de Strasbourg d’abord: la rue de l’Ail ou la nouvelle percée du quai Saint-Thomas, cités par Marc Lenossos, ce cher Strasbourg qu’il doit délaisser après le passage fatal des démolisseurs. Puis, ceux de Riquewihr et de Ribeauvillé, villes plus soucieuses de la sauvegarde de leur patrimoine…Ribeauvillé où il s’est réfugié en 1939. « Certes, il ne dédaigne pas le pittoresque un peu théâtral de nos villages alsaciens. Comme les autres, il sait camper un pignon, éclairer un pan de mur, évoquer la silhouette d’un donjon. Il sait se servir de la beauté tragique ou sereine d’un contre-jour. Il en abuse même un peu quelquefois, mais personne ne se sent le droit de le lui reprocher. Il a, derrière lui, plus de quarante ans de métier et d’expérience », écrit Marc Lenossos en 1932. Ses coins de jardins fleuris, ses vues sur les bords du Rhin par un matin pâle et brumeux ou un soir aux teintes mordorées, sont eux aussi les traits authentiques du visage de l’Alsace. Par sa vision personnelle, par sa manière propre de sentir, de percevoir les composants d’un paysage et de les traduire, « il ajoute un élément nouveau à la production de nos peintres locaux: la naïveté émouvante et sincère du détail » (***). Il renouvelle d’anciens thèmes.
Ses
œuvres connues du public sont perçues comme
très travaillées. Leur minutie leur
confère une valeur documentaire. Et, pourtant, ses
aquarelles, ses pochades,
découvertes par les intimes qui ont eu accès
à son atelier, révèlent une
spontanéité et une prise de risques
extraordinaires. Dommage qu’il n’ait jamais
voulu exposer ces études, ces «notations»,
preuves d’une virtuosité impressionnante.
Paysanne assise, 1916 – Huile sur toile - Collection particulière © O. Henry De l'impressionnisme à un fauvisme modéré Auguste Cammissar a beaucoup évolué. Il s’exprime d’abord, par ses magnifiques vitraux, dans le pur style 1900, le Jugenstil, associé à son ami Braunagel. Il participe ainsi, dans le cadre du cercle de Saint-Léonard, au mouvement international de rénovation des arts décoratifs et à la conservation de l’identité culturelle de la région. En tant que peintre, il traverse une première période, qu’Auguste Wackenheim qualifie de classique, pré-impressionniste, dont témoigne la «Paysanne assise», en costume alsacien (1916). Par la suite, il prône l’impressionnisme à l’adresse de ses élèves de l’école des arts décoratifs. Dans l’univers des adeptes de ce grand mouvement, typiquement français, on classerait Cammissar dans la galaxie des dessinateurs. Un critique a dit de lui qu’il est «un dessinateur habile». Lui-même a retenu de son maître impressionniste, Lothar von Seebach qu’il fut «un des plus remarquables dessinateurs». Par ailleurs, il a fait sienne la leçon de Manet: traiter les ombres non plus par le clair-obscur, mais en employant des touches de couleurs. Point de remplissage en brun ou en gris, mais de la couleur partout…. Selon Robert Heitz, c’est quand il découvrit les charmes du plein air, qu’il produisit ces paysages qui le caractérisent: «Paysages d’une charmante fraîcheur et d’un lyrisme lumineux rappelant l’impressionniste Alfred Sisley.» La comparaison avec Sisley tient davantage par la facture affinée de la période tardive de celui-ci plutôt que par le souci de la composition. On peut également faire allusion à la «Balançoire» de Renoir, dans «Ruth assise» dont les taches de soleil sont éminemment impressionnistes…
Ruth, assise, 1918 - Huile sur toile - Collection particulière © Imprex - HaguenauDans «L’enfant au berceau» et «Portrait de ma fille», Camille Hirtz le voit évoluer vers Bonnard, le nabi intimiste et admirable coloriste, grâce à «une matière plus généreuse, une tonalité plus rare, des détails moins concrets» Vers 1920, «Port en Bretagne» étonne par une composition très élaborée qui comporte des aplats de couleurs pures dont «la hardiesse des voiles vermillon sur un ciel bleu de Prusse au-dessus d’une mer d’ocre-jaune» fait penser à Gauguin et à l’Ecole de Pont Aven. Camille Hirtz y voit une manifestation du fauvisme, «un fauvisme modéré», certes…Reconnaissable par l’absence de modelé En fait, Auguste Cammissar est resté très personnel tout au long de sa longue carrière. Il avait l’habitude de dire: «Je ne suis d’aucune école. Je me laisse guider par mon inspiration. Je suis avant tout coloriste».
La
forte prédominance des paysages dans sa
thématique fait d’Auguste Cammissar un
peintre de l’Alsace, en contact étroit avec la
nature. «Ce
travailleur, probe et
consciencieux n’est au fond qu’un grand sentimental
…il a gardé une fraîcheur
d’impressions, juvénile et candide.
C’est ce qui fait sa personnalité, c’est
ce
qui lui a conquis l’estime d’une imposante phalange
de connaisseurs et d’amis.» (***)
Riquewihr – Huile sur toile © La Vie en Alsace
Sources:
- Stéphanie Arnold-Marbach - Auguste Cammissar (1872–1963) – Musées de Haguenau – Plaquette de l’exposition de 2013 - Marc Lenossos – Physionomie d’artiste: Auguste Cammissar – La Vie en Alsace, 1932 (***) - Me François Lotz – Artistes Alsaciens de jadis et naguère (1880–1982) Editions Printek, Kaysersberg - Auguste Wackenheim – Auguste Cammissar, l’impressionniste alsacien – Coupure de presse - Camille Hirtz – Auguste Cammissar, doyen des peintres alsaciens – Coupure de presse - Roger Kiehl – Mort d’Auguste Cammissar – DNA, 29 décembre 1962 (**) - Michel Loetscher et Jean-Charles Spindler – Spindler, un siècle d’art en Alsace – Editions: La Nuée Bleue – 2005 (*) - Robert Heitz – Etapes de l’Art alsacien, 19 et 20èmes siècles – Saisons d’Alsace N° 47, 1973 - Roland Oberlé – Un maître de l’impressionnisme, Lucien Blumer – Editions: Hirlé, 2010 - Brigitte Wilke – Les travaux et les jours, Lothar von Seebach – Editions: La Nuée Bleue, 2003 - Hélène Braeuner – Les Peintres Alsaciens, autour de l’Impressionnisme – Editions: La Renaissance du Livre, 2003
Arbre en V – 1906 - Gouache sur carton - Collection particulière © Imprex, Haguenau Maison
sous la neige, 1917 – Aquarelle - Collection
particulière Bergheim,
1910 – Huile sur toile - Collection
particulière Cécile
assise, 1916 – Gouache sur carton - Collection
particulière Vue sur la cathédrale en hiver – Huile sur toile - Collection particulière © Imprex Haguenau Eglise
Saint-Georges à Haguenau – Huile sur
toile - Musées de Haguenau La
forêt – Huile sur toile -
Collection particulière Bergheim,
la fontaine – Huile sur toile
- Collection particulière Fleurs
– Huile sur toile - Collection particulière Ruth
dessine
– Huile sur toile - Collection particulière Moissons – Aquarelle Jardins – Huile sur toile Papier-peint
– Etude pour un papier-peint panoramique
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |