Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Arthur Schachenmann
(1893 - 1978)
Arthur Schachenmann est avant tout un amoureux de la nature. Il vit avec elle une relation d’immédiateté. En communion. Avec sa sensibilité du moment. Ce qui aboutit à une œuvre féconde et variée, toujours en évolution, jamais figée. La main qui tient le pinceau est guidée par le cœur, un cœur généreux. L’œuvre est à l’image de l’homme. Générosité des couleurs, symphonie chromatique révèlent le caractère secret, magique d’un paysage. La métamorphose qui sublime les paysages de Schachenmann témoigne du plaisir qu’il ressent à immortaliser les bonheurs simples. |
Autoportrait,
vers 1921, - 32.5 x 22.5 cm
- Huile sur Toile - Musée Sundgauvien d'Altkirch © Musée sundgauvien d’Altkirch
Arthur Schachenmann est né le 23 novembre 1893, à Altkirch, d’un père suisse, originaire de Schaffhouse, établi comme pâtissier dans la petite capitale sudgauvienne et d’une mère native de Grentzingen. Son nom de jeune fille, Fega, atteste son origine espagnole. Arthur devait l’emprunter pour signer ses premières œuvres parisiennes, le nom – Schachenmann - étant trop difficile à prononcer. D’ailleurs, certains de ses amis parisiens ne l’appelaient-ils pas «Charlemagne»?
La révélation de la beauté de la nature
Son enfance fut une période heureuse, insouciante. Dès l’adolescence, la fréquentation de l’école d’Altkirch et du lycée de Belfort, lui fit prendre conscience de sa vocation artistique et des exigences de celle-ci. En fait, c’est la révélation de la beauté et de la grandeur de la nature et du merveilleux agencement de son harmonie, apportée par la pédagogie inspirée d’un professeur d’histoire naturelle qui en provoqua l’éclosion. «Oui, à partir de ce moment là, je crois, a commencé ma grande passion pour la nature. J’ai tout de suite été attiré par les mystères de la forêt. J’aimais le «vertical» des arbres et «l’horizontal» des paysages, lignes indispensables dans la construction d’un tableau.» Ses prédispositions pour la création artistique s’expliquent aussi par l’exemple de son père dont le talent plastique se révéla à lui et par le tempérament serein et plein de fantaisie de sa mère. Elle lui a également transmis son inclination pour la bonne cuisine. Ses recettes rustiques de «Haasapfaffer» ou de «Baeckaenôffa», il les tient de Clémentine, sa mère, un fin cordon bleu. Plus tard, il affirmera que la bonne cuisine, c’est comme la peinture: une question d’harmonie. L’une et l’autre participent de la même sensibilité créatrice. Pierre Krafft raconte: «S’il aime à déguster civet de lièvre ou faisan, il aimera, auparavant, les peindre avec toutes les prémices joyeuses du peintre gourmand (pardon gourmet!). C’est ainsi qu’un jour de «vache maigre», en 1919, à Paris, n’ayant trouvé qu’une seule et dernière pomme dans son buffet de cuisine, il l’a d’abord immortalisée sur la toile, avant de la croquer.»
Sensible aux impressionnistes et à Cézanne
Bien que l’Alsace soit alors, et ce, depuis 1871, rattachée au Reich allemand de Guillaume II et soumise à une germanisation systématique, le jeune Schachenmann a la possibilité de se frotter aux influences françaises. En effet, c’est à Paris, en 1911, que sa formation de peintre débute. Il fréquente de nombreux ateliers et académies privées, visite le Louvre et les autres musées de la capitale. Il y découvre Rembrandt, Delacroix, Courbet et les Impressionnistes auxquels il s’intéresse particulièrement. Il est sensible aussi à Cézanne dont la conception de la nature se distingue fondamentalement de celle de ses compagnons de route qui ne retiennent que les impressions fugaces. Il est en accord avec Cézanne qui s’efforce de trouver dans la nature un ordre supérieur et durable qu’il exprimera en peinture par la couleur. «Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude», disait le maître d’Aix. A cette époque, il a connu également l’expressionnisme allemand «qui allait faire éclater formes et couleurs au nom du sentiment.» (Charles Wentnick) Si la guerre de 14-18 a brutalement interrompu ce bel élan et ramené le jeune Schachenmann à Altkirch, elle eut pour effet bénéfique la rencontre avec Robert Breitwieser, son cadet de six ans. Breitwieser l’invite à l’accompagner à l’Ecole municipale de Dessin. Mais, au bout de quelques jours Schachenmann abandonne. «Je n’ai jamais aimé le dessin académique, ni les plâtres. Homme libre, je n’ai jamais pu me plier à la rigidité d’une discipline scolaire.», dira-t-il plus tard. Parole d’autodidacte convaincu, proclamée sans ambages….Mais les deux jeunes artistes sundgauviens restent liés et travaillent ensemble durant ces années difficiles.© Editions Avant et Après En 1919, Schachenmann, accompagné de son ami, retourne à Paris. Ils partagent une chambre commune à l’hôtel de Strasbourg, près de la gare de l’Est. Fascinés par la vie parisienne, la richesse et la variété des spectacles (l’opéra avec Wagner, les concerts, les revues), la facilité des échanges d’idées, ils vivent ensemble une période exaltante. En 1927, ils font la connaissance du maître altkirchois, Léon Lehmann, « le plus grand de tous, le modeste, le silencieux, qui fréquente, dans l’atelier de Gustave Moreau, Georges Rouault, Henri Matisse etd’autres célébrités du fauvisme.». (*) Une amitié indéfectible s’établit entre eux. Un esprit libre Avec eux, Schachenmann assiste, en ce début des années folles à l’évolution la plus débridée que l’histoire de l’Art ait jamais connue auparavant…Cependant, tout en faisant preuve d’une sensibilité impressionniste, Schachenmann évite toute affiliation, refuse toute théorisation. Qu’importent les commentaires peu amènes comme, par exemple celui de Picasso qui lui est présenté par le directeur de la galerie Chéron, faubourg Saint-Honoré, où il expose pour la première fois des paysages du Sundgau, des sujets de cirque et de tauromachie, et qui se contente de dire: «Oui, c’est pas mal…» Et si, dans les années 20-30, il adhère au «Groupe des Onze», ce n’est pas pour se soumettre à un courant, mais en esprit libre. D’ailleurs, ce mouvement n’a pas vocation d’embrigadement. Il est composé de jeunes peintres qui ont en commun un échange sincère et respectueux entre leur sensibilité et la nature qu’ils considèrent avec lucidité, «sans ésotérisme ni effets faciles». (*) Notons, dans ce groupe, la présence de René Jourdain (1896-1968), peintre, poète et littérateur altkirchois qui a rédigé la préface d’un recueil de lithographies de Schachenmann: «Paysages du Sundgau». René Jourdain, véritable mécène, organise alors, dans son «château», des soirées qui sont entrées dans l’histoire locale sous le nom de «Soirées d’Altkirch». Se retrouvent là, dans une ambiance spirituelle stimulante, Frédéric Hoffet, l’auteur de la psychanalyse de l’Alsace, les poètes Jean-Paul de Dadelsen et Nathan Katz, le peintre Léon Lang… En 1939, Arthur Schachenmann doit quitter Altkirch pour se réfugier à Schaffhouse où il obtient le droit de cité. Cependant, dès la fin de la guerre, il y revient régulièrement car il avait gardé son atelier au n° 8, rue Hommaire de Hell, sa maison natale.qui domine les toits pointus de la vieille ville. (Voir: «Toits d’Altkirch vus de ma fenêtre».)Toits d'Altkirch vus de ma fenêtre, 50 x 64 cm - Huile sur toile © François Walgenwitz
Désormais, sa thématique paraît dictée par le lieu de résidence et les relations affectives qu’il entretient avec lui. A Schaffhouse, il se plaît surtout à peindre des intérieurs, des natures mortes qui attestent la tendance intimiste d’un homme discret, d’une grande vie intérieure. A cet égard, selon Daniel Schoen, «Il y a des tableaux qui veulent vivre pour le public, pour se faire voir; il y en a d’autres qui ont leur vie propre, qui vivent pour eux. Ce sont ceux-là les bons.» Arthur Schachenmann aurait probablement souscrit à cette assertion... Mais c’est le Sundgau qui sera de plus en plus son lieu de prédilection. «Et, jusqu’à la fin de ses possibilités, ses collines, ses champs, ses mystérieux sous-bois, ses villages et les fleurs rustiques de ses jardins continueront d’alimenter sa vision créatrice. Il ne sortait jamais sans un carnet et un crayon en poche dessinant, croquant d’un trait nerveux et hachuré tout ce qui s’offrait à lui. Puis, une fois revenu dans le calme méditatif de son atelier, encore tout imprégné de toutes les sensations de couleurs, de lumière et d’odeurs enregistrées sur place, il les traduisait sur sa toile, ou sur ses papiers qu’il meublait selon ses propres lois.» (*) Si l’exposition itinérante de 1931, en compagnie d’autres peintres alsaciens dont Robert Breitwieser et Lutz Binaepfel, à travers les grandes villes allemandes, lui apporte une certaine notoriété, celle, rétrospective, organisée en son honneur, en octobre 1971, par la galerie Marbach à Mulhouse, peut être considérée comme une consécration officielle de son immense talent. Les ventes de tableaux vont bon train, notamment en Suisse où la rémunération s’avère supérieure du fait d’un mécénat plus actif et plus clairvoyant. C’est la raison pour laquelle ses meilleures œuvres sont dispersées chez les collectionneurs, particulièrement friands de ses dernières créations, bien que certaines soient conservées dans les musées de Berne, Zurich, Schaffhouse, Strasbourg, Belfort, Mulhouse et Altkirch qui vient récemment d’acquérir dix-sept tableaux.
Tel Prométhée enchaîné…
Après 1965, la fatalité s’acharne sur lui, lui ôtant la vue. Tel Prométhée qui apporta sur terre le feu du ciel, il souffrait cette grande injustice qui l’empêcha à jamais de charmer et captiver les yeux et le cœur des hommes par la splendeur de ses créations… «Dans la nuit noire qui à présent l’enveloppe, ce destin tragique le frappe d’autant plus durement à un moment où – pour la première fois peut-être de sa longue existence – il se sentit en pleine possession de son métier; au zénith, en quelque sorte, de son art et de son talent. Son tourment ….c’est d’être à présent «obsédé par tant de paysages intérieurs, dans le silence et les profondeurs secrètes de son âme.» (*)
Une âme sensible, généreuse et…hédoniste.
Son âme sensible exprime, grâce à la maîtrise de toutes les techniques, huile, aquarelle, pastel, sanguine lavis, lithographie…les émotions vécues, ressenties devant la nature. Dans toutes ses œuvres, il nous fait part de son émerveillement devant ce que lui offre la vie au quotidien. Il nous livre son propre regard. Arthur Schachenmann est un artiste sincère, fidèle à lui-même, indépendant par rapport aux différents courants, notamment en ce qui concerne la peinture d’atelier, souvent inféodée à la mode. Dans cette démarche individuelle, on peut remarquer une sensibilité impressionniste, en opposition aux mouvements expressionniste allemand et cubiste français. C’est dans la voie de la solitude qu’il a trouvé son originalité. Le plaisir et la générosité sont la double marque de son génie. «Généreux, ces paysages sundgauviens, aux courbes harmonieusement amollies, éclairées par un soleil doux, paysages qui l’ont vu grandir, qui l’ont formé et auxquels il est resté attaché au point de faire partie de sa nature la plus intime…Terroir natal dont il a saisi et traduit tout le charme et toute la douceur, tout en évitant soigneusement les thèmes faciles et les sites d’un pittoresque conventionnel et médiocre. Généreux aussi, ces innombrables bouquets de joies, ces fleurs dans lesquelles il est arrivé à une véritable virtuosité de couleurs, tantôt chaudes, vives et chatoyantes. Audaces chromatiques…Et pourtant, rien de choquant dans ces explosions colorées, organisées selon ses propres lois où tous les rapports de tons entre eux, leurs valeurs, tout n’est qu’harmonie colorée.» (*) Harmonie renforcée par la rigueur dans la composition de ses paysages, de ses intérieurs, de ses natures mortes et de ses portraits L’artiste ne nous cache pas son plaisir de peindre, il prend indéniablement plaisir à nous offrir cette harmonie, cet équilibre, « cette musicalité, cette amitié des tons entre eux quis’appellent, s’opposent et se répondent indissolublement…» (*) Ce plaisir de peintre, nous l’avons dit, il l’apparente à la gastronomie: «Un bon tableau est comparable à un repas amoureusement préparé» affirme-t-il avec délectation…Si les ingrédients n’ont guère varié: paysages, étangs, forêts, bouquets, scènes de genre liées à son enfance, la façon de les accommoder s’avère changeante. La «carte» est souvent renouvelée comme il sied à un hédoniste! Prenez «La route du Sundgau» (1920). Une douce lumière accompagne un chemin rassurant au tracé précis, qui sait où il va. Prenez «La forêt en hiver»(1923), le plus troublant, le plus énigmatique de ses tableaux…qui mérite d’être analysé à part. Prenez le «Chemin sous bois en automne» (vers 1965) De ce sous-bois automnal, les mille et une nuances prolongent agréablement notre contemplation. Le plaisir n’est pas le même!
Route
du Sungau, 1920 - 22.5 x
29.1 cm - Huile sur carton - Coll. Art de Haute Alsace
© Art de Haute Alsace Forêt en hiver, 1920 env. - 55 x 46 cm - Huile sur toile - Coll. Art de Haute Alsace © Art de Haute Alsace Chemin sous bois en Automne, vers 1965 - Huile sur toile - Coll. Art de Haute Alsace © Art de Haute Alsace Mais, attablons-nous devant «L’Etang Muller». Il y a dans cette fougue, cette spontanéité, cette matière vigoureusement appliquée, une évidente gourmandise, une envie irrépressible de croquer, dans toute l’acception du terme, le paysage choisi. © François Walgenwitz Et J. Turlot a raison de dire que «l’artiste nous fait part de son plaisir de peindre. La sensualité très marquée de son œuvre s’exprime par des moyens simplifiés…parfaitement maîtrisés.» Bibliographie:
- Pierre Krafft – Arthur Schachenmamm, peintre du terroir sundgovien et magicien de la couleur – Saisons d’Alsace N° 48, 1973 - Me François Lotz – Schachenmann Arthur – 1893-1978 – Artistes Alsaciens de jadis et de naguère (1880-1982) – Editions Printek - Mme Gabrielle Claer-Stamm – Arthur Schachenmann, peintre altkirchois – Annuaire de la Société d’Histoire du Sundgau - 1995 - Roland Fischer – Schachenmann, chantre du Sundgau – L’Alsace – 24 mai 1987 - Art de Haute Alsace – Schachenmann, approche biographique, Schachenmann, aujourd’hui - 1987 - Art de Haute Alsace – Donateurs et mécènes - 1992 - Art de Haute Alsace – Peintures de 1900 à 1945 – Exposition au musée des Beaux arts de Mulhouse, juin-septembre 2010
-
Charles Wentink – Histoire
de la Peinture européenne –
Marabout Université – 1961
Portfolio Robert Breitwieser au chapeau mou, 1920 env. - 27.5 x 22 cm - Huile sur carton - Coll. Art de Haute Alsace © Art de Haute Alsace Soirée carnavalesque, 1924 - 50 x 65 cm - Huile sur toile - Coll. Art de Haute Alsace © Art de Haute Alsace Verger en hiver, 1930 env. - 46 x 55 cm - Huile sur toile - Coll. Art de Haute Alsace © Art de Haute Alsace Hiver dans les Vosges - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Colline - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Paysage - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Franken - Encre sur papier - 31.5 x 39.5 cm - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Nature morte aux pommes - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Bouquet au vase bleu - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Bouquet aux deux vases - Huile sur toile - Musée sundgauvien d'Altkirch © François Walgenwitz Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |