Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
L'âme de
l'Alsace révélée par nos
artistes-peintres
Tomi Ungerer ©
Mon
Alsace – Editions La Nuée bleue, 1997
L’Alsace a-t-elle « une
âme qui s’attache à notre âme
par la force d’aimer ? » Oui,
assurément ! Encore faut-il que la
nôtre la reconnaisse, la comprenne,
l’affectionne…Car elle vit en nous.
C’est
nous qui la portons. Or, combien sommes-nous encore?
Les Vosges, l’Ill et le Rhin qui
accompagnent l’Alsace du
Sud au Nord, lui donnent un sens, une identité
géographique remarquable,
ordonnée, évidente, corroborée par la
« poussée immobile
qu’exerce le
pays vers la frontière de l’Est »
(6) :
ballons tonsurés bordés de hautes futaies,
collines couvertes de vignobles,
« plaine comblée de tous les
dons de la terre ».
Le grès, « pierre
d’Alsace par excellence »
(1),
présente de Lucelle à Wissembourg, en passant par
Murbach, Colmar, Strasbourg,
confère à la petite province un autre facteur
d’unité, non seulement
géographique, mais également culturel. « Rose
ou rouge, jaune ou ocre,
il raconte une histoire qui est celle du pays d’ici. Il
nourrit la vigne, il
sculpte les légendes. » (1)
Ce corps, si harmonieusement bâti,
possède bien une âme,
mais ce n’est pas là son seul talent, son unique
vertu, la seule justification
de ce noble attribut.
L’âme alsacienne, ce Heimatsgefühl,
mot qui désigne
avant tout le sentiment d’attachement au pays natal, a une
signification réelle
bien plus étendue. Le mot allemand
«Heimat» contient l’évocation
tout ensemble
du foyer, de la maison natale, du terroir et de
l’intimité familiale. Le Heimatsgefühl
n’est pourtant pas uniquement le sentiment instinctif qui
rattache l’Alsacien
aux signes extérieurs qui évoquent le pays natal,
mais il exprime pour lui
également tout le complexe des acquisitions morales,
spirituelles, culturelles
et matérielles accumulées à travers
les âges
Les aléas de son Histoire ont
condamné l’Alsace à rester
fidèle à elle-même. Laissée
exsangue après la guerre de 30 ans (1618-1648), longtemps
inscrite de façon vivante dans les mémoires
paysannes, notamment sous la figure
des Suédois et autres bandes de lansquenets. Puis, ayant
changé 5 fois de
nationalité en un siècle et demi, elle a su tirer
d’évidents bénéfices
d’une
situation complexe et, ô combien douloureuse, notamment entre
1939 et 1945,
avec le drame de l’incorporation de force. La
position géographique de l’Alsace, son destin
national et l’identité incertaine
de ses habitants ont eu pour effet de susciter en eux un
impérieux besoin de
retrouver leurs racines et de valoriser la culture et
l’histoire locales. De
nombreuses sociétés d’histoire locale
fleurirent partout en Alsace après 1870.
De ce fait, « l’Alsace semble
bien être la seule région de France à
bénéficier d’une
dénomination spécifique pour les ouvrages
littéraires ou
scientifiques qui la concernent : l’alsatique. Cette
originalité a
contribué à enraciner le sentiment commun selon
lequel il y aurait en Alsace
une production et une consommation d’histoire
régionale supérieure à celle des
autres régions du pays. Au milieu du XIXème
siècle déjà, les Alsaciens
instruits et les bibliophiles s’efforçaient de
réunir la collection la plus
complète possible
d’alsatiques. » (2) Léo Schnug (1878-1933) Aquarelle
sur papier (67x36,5 cm), Musées de Strasbourg Collection:
Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg
Par
son penchant pour le passé germanique et sa nostalgie
du Moyen-Age, Léo Schnug est le continuateur des romantiques
littéraires
allemands. « Guillaume II raffolait de sa
manière néogothique et
appréciait sa vision de l’Alsace revue par les
soldats en armures et les
lansquenets, au gré des légendes germaniques de
toujours. » (1)
Ce tableau est un dévoilement.
Dévoilement de la condition
de lansquenet (Landsknecht), telle qu’elle s’impose
réellement, en dehors des
faits d’armes, en dehors des brèves exaltations
épiques. Tout concourt à un
sentiment de renoncement à cette vie d’aventures
faite de pillages et
d’exactions qui était probablement la leur. Ils
n’ont en commun que le chemin
boueux qu’ils suivent, mais, chacun pour soi, perdus dans
leurs sombres
méditations.
Louis-Philippe Kamm (1882-1959) Plume,
aquarelle
Louis-Philippe Kamm, peintre réaliste,
observateur
sensible, régionaliste convaincu, sentait
profondément la vie paysanne. Il a
saisi la chance de voir vivre l’âme alsacienne qui
se manifestait non seulement
par ses coutumes, ses pratiques religieuses et le port du costume
traditionnel,
mais aussi dans les épreuves qu’elle eut
à traverser
En septembre 1939 on évacue vers le
Sud-ouest environ 300
000 Alsaciens habitant le long de la frontière. Pour
certains l’absence durera
six mois, pour d’autres elle durera plus de cinq
ans…
C’est le sort que connut Camille Claus.
Evacué avec sa
famille, il part en exil vers la Vendée. En chemin, son
père décide de
s’installer pour quelque temps dans un village vosgien du col
du Bonhomme. Ces
mois passés sur les sentiers de montagne, à
s’émerveiller devant les beautés de
la nature, suggèrent au jeune réfugié
d’acheter une boîte d’aquarelles et un
bloc à dessin. « Et je
n’ai plus jamais pu m’en passer. »
Sans doute a-t-il ressenti le besoin impérieux de fixer,
d’immortaliser les
ultimes images de sa petite patrie dont il était
chassé et qu’il ne reverrait
peut-être plus.
Alfred Doll (1911-1981) Aquarelle
Alfred Doll a consacré sa vie
professionnelle à l‘administration.
Il a été notamment employé au
ministère de la Construction après 1945. En tant
que tel, il fut le témoin attentif et bouleversé
des villages martyrs de la
Seconde Guerre Mondiale. Pour mémoire, le 18 juin 1940, un
bombardement aérien
allemand de représailles détruisit 107 maisons,
70 granges, ainsi que le
clocher de l’église et la mairie de Wihr-au-Val
dont les archives partirent en
fumée…
Robert Heitz Encre
aquarellée
En 1940, sous l’impulsion de Joseph Rey,
futur député et
maire de Colmar, Robert Heitz se lança dans la
Résistance. Il travailla avec le
« colonel Rémy ». Cela
fonctionnait bien jusqu’en 1942 quand, coup
sur coup, Joseph Rey, Robert Heitz et les autres membres du groupe,
dénoncés,
passèrent devant le tribunal de guerre du Reich,
après un douloureux stage au
camp de Schirmeck.
Quand Robert Heitz évoque cet
épisode de sa vie politique, il
tient à préciser que « Par
un phénomène curieux, partiellement
inavoué,
et qui peut se comparer à l’état
d’esprit de l’Alsace en 1914, nous nous
repliions sur des réalités alsaciennes.
C’est pour elles que nous nous
battions, plutôt que pour la France que nous ne pouvions
nous empêcher
de mépriser ». Et, plus
loin : « C’est
en souvenir du
caractère avant tout alsacien de notre résistance
que
j’ai usé jusqu’à
l’extrême limite, de mon crédit de
déporté, pour freiner
l’épuration –
parfois
contre mon sentiment intime. »
Après 34 mois de déportation, il est
rentré à Strasbourg le 23 avril 1945.
Après la Libération, il fallut
8 ans de « méandres
courtelinesques » pour que le cas de Robert Heitz,
dans le cadre de la
« liquidation de la
résistance » si curieusement
nommé, c’est-à-dire
la reconnaissance de ses activités de résistance
soient définitivement établis
par une invraisemblable attestation certifiant « la
relation de cause à
effet » entre sa condamnation à mort et
son activité de résistance.
Camille Hirtz (1917-1987) Huile
sur toile Collection
Musée historique de Strasbourg
Alors que, démobilisé en 1940,
il réintègre l’Ecole des
Arts Décoratifs de Strasbourg, et entame un
épisode prometteur sous la conduite
de L.-P. Kamm, il est, en 1943, incorporé de force dans la
Wehrmacht. Comme la
plupart des Alsaciens, il est envoyé sur le front russe, la
pire des
affectations. En 1944, il s’évade et se rend aux
Russes qui, ne comprenant pas
la différence entre un
« Malgré-Nous
alsacien » et un Allemand,
l’internent successivement dans le camp de Karaganda, au
Kazakhstan, puis dans
le tristement célèbre camp de Tambov,
jusqu’en novembre 1945, d’où il revient
en piteux état.
Camille Claus
Lui aussi
est intégré dans le camp de Tambov où
il arrive en juin 1945. Dès le 1er
jour, il est convoqué par le chef de camp qui, sachant
qu’il est
artiste-peintre, le dirige vers la baraque des
« intellectuels ». Il
profitera indéniablement de cette discrimination. Il accepte
de dessiner, du
matin au soir, des portraits de Staline, de Tito et d’autres « bonzes
de l’église marxiste ».
S’étant laissé prendre au jeu, il rate
le
convoi qui devait le libérer. « J’étais
persuadé que mon existence ne
dépendait ni des Russes, ni d’un retour plus ou
moins proche, ni de quelque
autre facteur que l’exercice de la
peinture ».
Rentré, enfin, le 3 décembre
1945, il lui a fallu de longs
mois pour se réadapter à ce monde
civilisé. « Je me mis tout de
suite à
peindre des tableaux dramatiques, violemment contrastés,
expressionnistes.
C’est dans ces toiles que j’exprime tout ce
que j’avais vécu et que je
vivais encore ». Simone Morgenthaler, son
amie, témoigne : « Vous
n’avez, à votre libération plus pu
parler tant le traumatisme était profond.
Vous vous êtes enfermé et vous avez
peint : j’ai vu les tableaux nés
alors, terrifiants qui montrent l’horreur et le
désert affectif qui vous
habitaient. »
Robert Gall (1904-1974) Lithographie,
crayon
Robert Gall était avant tout un peintre
décorateur
d’églises. Dès avant 1939, ses fresques
lui avaient valu une solide réputation.
Cette activité fut considérablement
favorisée par les nombreuses
reconstructions d’édifices religieux
détruits pendant la bataille de la poche
de Colmar en 1944-45. Telle cette chapelle d’Ammerschwihr
qu’il représente dans
une composition particulièrement saisissante de
réalisme, une ultime blessure
faite à l’âme alsacienne. (Elle a
également inspiré une aquarelle à
François
Fleckinger)
« Après
l’annexion à l’Allemagne, en 1871, une
grande partie de l’élite intellectuelle et
sociale, ayant opté pour la France,
avait dû quitter l’Alsace où
régnait ce que politiquement on a appelé
« La
paix des cimetières ». La vie culturelle
était morte. » (3)
Une
nouvelle génération a grandi qui ne pouvait pas
se contenter d’une protestation
vaine, décidée à revendiquer
« sa place au soleil ». Elle fera
l’identité culturelle de la petite province.
Charles Spindler occupe une place
prépondérante dans ce formidable essor, non
seulement comme artiste-peintre et
marqueteur, mais surtout comme animateur.
Charles Spindler (1865-1938) Aquarelle
rehaussée de gouache et de crayon, 1900
Cela a commencé, nous raconte Robert
Heitz (3) comme un
conte de fées. « Au pied du Mont
Sainte-Odile, sur un idyllique coteau
placé sous le vocable de Saint-Léonard, habitait
un homme cultivé aux dons variés,
qui s’appelait Anselme Laugel. Tout comme son voisin,
l’artiste peintre Charles
Spindler, il se passionnait pour les paysages, les coutumes, les
costumes du
pays. Ensemble, les deux amis parcouraient la campagne, accumulant
notes et
croquis, rassemblant ce qu’il subsistait d’art
populaire. Bientôt, le petit
groupe de maisons devint un lieu d’attraction pour les jeunes
artistes,
écrivains et savants ». Le Groupe de
Saint-Léonard était né. Cour
de
la maison de Charles Spindler Aquarelle,
1913
De leurs travaux est issue, notamment, la Revue
alsacienne
illustrée, revue de très haut niveau qui
s’inscrit dans la mouvance de l’Art
Nouveau (Jugenstil), qui s’intitule en allemand : Illustrierte
Elsässische Rundschau. La
revue veut rassembler les détails familiers de
notre vie passée, parler des moments illustres, signaler
à l’attention publique
nos artistes, nos savants et nos écrivains, donner un
tableau
complet de
l’activité intellectuelle de l’Alsace.
Elle doit
permettre à ses lecteurs
alsaciens de prendre conscience de leur appartenance à la
nation
alsacienne
considérée comme
« peuple », ce
qui, à l’époque, était loin
d’aller
de soi. C’est bel et bien une idée
neuve !...
L’esprit du projet, du point de vue
politique, est
clairement indiqué dans la vignette frontispice que comporte
chaque livraison
de la Revue. Elle représente, par exemple, dans un premier
temps, une
Alsacienne accoudée à sa fenêtre, le
visage reposant sur son poing dans une
attitude très mélancolique. De l’autre
main, elle écarte un rideau découvrant
un paysage d’Alsace. Elle a très nettement et
incontestablement le regard
tourné vers l’ouest, vers la France, la patrie
perdue
La Revue va jouer un rôle
décisif dans la constitution de
l’Alsace comme entité politique. Elle devait
nourrir aussi bien une
« alsacianité »
française sous l’annexion qu’une
« alsacianité »
autonome après le retour de l’Alsace à
la France. En
tout cas, une
« alsacianité »
soucieuse de maintenir la
paix !... Charles Spindler n’avait-il pas dit
à Paul Deschanel , peu
avant la Grande Guerre, « Français
nous sommes et le resterons. Quand
on le fut on le demeure. Mais s’il fallait le redevenir
légalement au prix
d’une tuerie, non,
ça…jamais. » Collection,
musées de Strasbourg
Dans le cadre de l’essor de la vie
associative, outre la
remarquable vitalité des sociétés
d’histoire ou la création du Club Vosgien par
les Allemands en 1872, est fondé, en 1898, le
« Théâtre
alsacien »
par plusieurs jeunes alsaciens dont Gustave Stoskopf, Ferdinand
Bastian, ou
l’Allemand Julius Greber. La première
pièce est une adaptation de l’Ami
Fritz d’Erckmann-Chatrian suivie de D’r
Herr Maire de Stoskopf. Leur
succès entraîne la naissance de
théâtres alsaciens dans la plupart des villes
grandes et moyennes. Le théâtre alsacien devient
un des promoteurs de la
culture alsacienne.
Cet engouement pour le mouvement associatif
n’existe ni en
France ni en Allemagne. Il s’agit donc d’une
spécificité alsacienne. « Dans
le dispositif culturel, le théâtre occupait une
place
privilégiée. Il était un
élément indispensable à la
réussite des
soirées récréatives et permettait
à
l’association organisatrice de réunir les finances
nécessaires à son
fonctionnement. On jouait un répertoire en dialecte ou en
allemand. » (2)
En collaboration avec Anselme Laugel, Charles
Spindler fait
paraître, en 1902, un livre très
recherché par la suite, consacré aux Costumes
et Coutumes d’Alsace. Cet ouvrage exceptionnel
contribue à une meilleure
compréhension du patrimoine culturel alsacien et surtout
à une meilleure
connaissance du costume alsacien. Il s’agit d’une
sauvegarde hautement
nécessaire. Laugel se rendait compte que non seulement les
costumes et les
coutumes étaient en voie de disparition mais que tout un
mode de vie et toute
une ambiance traditionnelle de l’Alsace allaient changer et,
cela, assez
rapidement. C’était la toute dernière
limite pour fixer l’aspect du costume
traditionnel tel qu’il était encore
porté au début du siècle
Les gouaches de Spindler
s’avèrent très vivantes,
l’artiste
ayant saisi sur le vif la physionomie des modèles ainsi que
les détails des
costumes. Ce sont de véritables portraits. Aquarelle,
vers1920
Henri Loux (1873-1907)
L’œuvre d’Henri Loux
constitue un témoignage essentiel,
unique, de ce qu’il a découvert autour de
lui ; un travail minutieux,
respectueux des particularismes de l’Alsace qu’il
n’a cessé de parcourir pour
mettre en lumière ce qui subsiste de
l’âme alsacienne de son époque. Son
amour
de l’Alsace, son profond attachement à Sessenheim,
son village familial, et
l’intime conviction d’avoir une mission
à accomplir envers sa province
natale : magnifier, immortaliser l’Alsace de 1900,
défendre les signes
tangibles de son identité, suspendre le vol du
temps…sont les sources de sa
motivation.
Dans ses mises en scène, costumes et
environnement rural se
mettent mutuellement en valeur. Ils sont en quelque sorte
consubstantiels.
C’est là, un des aspects de l’art de
Loux les plus appréciés. Pour Henri Loux, le
costume n’a de sens que porté dans le cadre de vie
ou de labeur quotidien. Il
est lié à l’art de vivre.
Conscient de toucher un large public, de
pénétrer dans
l’intimité de son peuple, il va prouver que
l’art est fait pour tout le monde
et il va le mettre à la portée de tout le monde. « Le
but, ô combien
noble étant de relever l’idéal du
peuple. Il était sans doute fréquent que les
convives commentant les images du service Obernai se prennent
à témoigner de
tel ou tel souvenir commun, avant de rendre à
l’assiette sa vocation
gastronomique » (8)
Pas moins de 15 villages sont
représentés dans les
assiettes du service Obernai qui compte 56 motifs. Ils sont
situés
essentiellement dans l’Outre Forêt, la Pays de
Hanau et le Kochersberg. Ce sont
les plus typiques parmi les milliers de localités
nichées au creux des vallons
de « ce beau jardin ». Ils
permettent à Henri Loux d’illustrer les
activités, les scènes les plus vivantes, les plus
caractéristiques de la vie à
la campagne.
Le costume traditionnel était un label
culturel, un
signifiant social, un identifiant parfaitement reconnaissable. Les
critères
religieux étaient les plus influents. Henri Loux le prouve
avec, pour les
femmes catholiques, la coiffe rouge, portée encore
aujourd’hui à la Fête-Dieu
de Geispolsheim, ailleurs, leur coiffe est blanche ou
colorée de fleurs à
bouquets tissés, aux rubans de couleurs. Leur jupe ou leur
tablier est rouge,
couleur populaire obtenue à partir de la culture de la
garance. Notons qu’après
le mariage, la coiffe catholique devient noire… tandis que
le costume de la
jeune femme protestante se distingue par une coiffe noire dont les
rubans,
noirs également, contrastent avec la blancheur de la
collerette. Leurs jupes
sont noires, vertes, violettes ou brunes. Elles portent volontiers des
tabliers
de lin fin ou de soie, plus courts que ceux des catholiques. Elles
affectionnent le bleu, signe d’opulence, issu du pastel plus
difficile à
produire que la garance. La femme protestante mariée se
reconnaît dans sa tenue
quelque peu sévère : bonnet noir
surmontant une jupe noire…Côté hommes,
le
majestueux tricorne, porté par les protestants
âgés de Hunspach et
d’Oberseebach, est un autre signe distinctif.
« En Alsace, la religion
est toujours demeurée une
affaire publique, donc aussi juridique, politique. C’est le
statut
confessionnel qui a longtemps fondé
l’identité la plus précise
et la
plus intime de l’Alsacien. » (4)
Les
événements de 1970-71 provoquèrent un
repli des Alsaciens sur eux-mêmes. Privés
de leur nationalité déjà ancienne, ils
étaient à la recherche d’une
identité,
ce fut la communauté confessionnelle.
Pour les protestants alsaciens, et notamment les
luthériens, l’allemand est demeuré la
langue religieuse. Or le luthérianisme
est né en Allemagne. La bible de Luther, le
véritable créateur de l’Allemand
littéraire, est un chef-d’œuvre que les
protestants d’Alsace considèrent comme
un bien inaliénable. Alors que les catholiques alsaciens
étaient plutôt tournés
vers la France, pays d’obédience romaine, tout en
assurant leur indépendance
par rapport au clergé français.
Nous touchons là, à deux
dualités alsaciennes explicitées
par Frédéric Hoffet dans sa précieuse
« Psychanalyse de l’Alsace »,
celle de la langue et celle de la religion. Cette dernière
étant
considérablement atténuée par la
pratique du simultaneum proposé par Louis XIV,
c’est-à-dire, le partage fraternel de la
même église, garantissant la paix
confessionnelle, à l’image d’un village
où les deux presbytères se dressent à
gauche et à droite de l’église, dans le
même enclos.
. Edouard Hirth (1885-1980) Son
temple et son église catholique (Musée
d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg)
Jean-Jacques Helwig Photographe
plasticien Temple
de Khülendorf, unique édifice religieux
à colombages
Guy Untereiner
Le judaïsme est une composante de la
richesse
multiculturelle alsacienne. La présence juive a
marqué l’histoire de l’Alsace
depuis un millénaire de façon ininterrompue. Il
s’agissait d’un judaïsme
essentiellement rural avec une forte implication dans la vie locale. A
tel
point qu’il en résulta une
interpénétration linguistique
étonnamment féconde
avec le judéo-alsacien aux hébraïsmes « si
pittoresques, si parfumés,
[…] malheureusement condamnés à
disparaître à plus ou moins longue
échéance » (1)
Et, c’est dommage,
car le judaïsme est une part inaliénable de
l’âme alsacienne. « Le
judaïsme appartient au passé de l’Alsace,
à son patrimoine, à son avenir
aussi. » (1)
La cohésion de la famille juive est mise
en évidence dans
tous les récits consacrés au judaïsme.
C’est elle qui fait perdurer la religion
juive et qui explique le respect assez scrupuleux des
préceptes religieux,
notamment par la paysannerie juive.
D’une
façon générale, les valeurs classiques
héritées du passé sont
marquées par la religion : famille, droiture,
fidélité à la parole
donnée, sobriété,
piété et, ardeur au travail.
C’est le cas des masses paysannes qui
constituent le gros
de la population alsacienne jusque vers 1945. Le dialecte est leur
langue et le
français n’y a progressé que lentement,
voire péniblement. « Rien
n’est plus différent d’un paysan
qu’un paysan alsacien. […]
Lent et
réfléchi, il organise son travail de
façon remarquable, selon
Frédéric
Hoffet. Cependant, « le manque
d’argent et surtout l’abondance de la
main-d’œuvre, rendent superflue la
mécanisation ; la campagne en faveur du
remembrement n’eut guère plus de
succès. Paradoxalement, les exploitants ne
pensaient nullement être en retard sur le plan
économique. Au contraire, parce
qu’ils passaient pour particulièrement laborieux,
ils étaient persuadés d’être
parmi les meilleurs et les plus aisés. Cette conviction ne
les incitait pas à
innover. » (2)
Lucien Blumer (1871-1947) Huile
sur toile Louis Philippe Kamm (1882-1959) Huile
sur toile, 1921 Musées
de Strasbourg
Frédéric
Fiebig Huile
sur carton
René Kuder (1882-1962) Aquarelle,
1929
Jean-Paul Ehrismann
Le savoir-faire alsacien, autre dimension
essentielle de
son âme, s’est exprimé dans tous les
domaines, agricole, artisanal, industriel.
Et, c’est parce que l’Alsace a su fournir
régulièrement aux entreprises une
main d’œuvre qualifiée dont elles
avaient besoin, que l’Alsace a réussi à
poursuivre sa croissance. C’est particulièrement
vrai pour l’impression sur
tissu. L’avance de l’Alsace en matière
de scolarisation, puis dans le domaine
de l’enseignement professionnel, notamment par
l’apprentissage, ainsi que les
bienfaits d’un important système de protection
sociale ont fait des Alsaciens
des privilégiés par rapport aux
Français des autres départements.
Plusieurs de nos artistes ont
témoigné de cette heureuse
situation, chacun à sa manière et selon son
tempérament. Hansi © La Nuée bleue – Une vie pour l’Alsace, 2006 Dessins
industriels par Hansi en apprentissage à Lyon « Au
sortir du lycée, comme mes parents n’approuvaient
pas mon désir de faire de la
peinture, j’ai dû comme tant d’autres,
faire le détour par l’art appliqué, le
dessin industriel. » Maurice Ehlinger (1896-1981) Gouache
Lothar von Seebach (1853-1930) Huile
sur toile Eugène Noack (1908-1985) Aquarelle
L’Alsace a montré au cours des
siècles une faculté
créatrice prodigieuse. « Travaillant
aux confins de deux nations ayant
apporté des valeurs essentielles à la
civilisation européenne, l’Alsace a toujours
su tirer des grands courants internationaux les leçons
profitables à son propre
génie et a vu naître ainsi sur son sol
quelques-uns des chefs d’œuvres les plus
précieux du patrimoine commun. »
(5)
Le patrimoine artistique et monumental que le
génie
alsacien a construit au cours des siècles et qui, du nord au
sud, sans
discontinuité territoriale, déploie des
trésors prodigieux, constitue un des
thèmes favoris de nos artistes-peintres :
châteaux féodaux, églises et
chapelles, romanes ou gothiques, villages pittoresques de
l’Outre-Forêt, du
Pays de Hanau, du Kochersberg, du Vignoble, du Ried et du Sundgau.
Sites
enchanteurs, terres de légendes d’un romantisme
toujours séduisant. Sans
oublier les villes, notamment celles qui formèrent la
Décapole, témoins de
l’âge d’or d’avant la
Révolution où elles jouissaient d’une
véritable
indépendance garante de prospérité et
d’embellissement.
Alfred Selig (1907-1974) Mine
de
plomb
Henri Loux Kazem Rezvanian Huile
sur toile
Emile Stahl (1847-1938) Aquarelle
Robert Kuven (1901-1983) Aquarelle
Henri Bacher (1890-1934) Gravure
sur bois Lucien Blumer (1871-1947) Huile
sur toile François
Fleckinger (1907-1993) Huile
sur toile
Kazem Rezvanian Huile
sur toile
Jean-Jacques Helwig Composition
photographique
L’Alsace a toujours, et malgré
tout, eu le sens de la fête,
favorisé par son goût pour les associations et la
pratique de la promenade
dominicale et de la gymnastique. « Ces
caractéristiques semblent
originales par rapport au reste de la France et rapprochent l’Alsace
du
monde germanique sans l’y assimiler totalement. »
(2)
Soirées théâtrales en hiver, Kilbes et
Messti, Gartenfest et Waldfest en été.
Il n’était pas de dimanche sans fête ici
ou là, surtout après 1871…
Et, ce n’est pas fini.
Aujourd’hui, si on consulte les
Estivales des DNA et la Ronde des fêtes,
de l’Alsace, on constate,
avec Gilles Pudlowski, « qu’il y
a plus de jours de fête que de
jours dans l’année ».
Elles sont innombrables et dédiées à
tout ce que
le patrimoine de l’Alsace peut nous offrir. Cela va de la
Foire aux Vins de
Colmar à la fête de la Bière
à Schiltigheim, de la fête des
ménétriers de
Ribeauvillé au Mariage de l’Ami Fritz de
Marlenheim, de la Streisselhochzeit de
Seebach à le Fête-Dieu de Geisbolsheim. Et
beaucoup plus, car il y a affinité !...
Arthur Schachenmann (1893-1978) Kilbi Huile
sur toile
Huile
sur toile ©
Association « Art de Haute
Alsace »
Authentiques, autant que folkloriques, les
fêtes sont
l’occasion de se rencontrer, de se costumer, de chanter et
surtout de s’asseoir
pour manger et boire ensemble. Car l’Alsacien est gourmand. « Il
n’est
pas d’écrivain ou de peintre alsacien qui ne se
vante de tenir sa fourchette
aussi bien que son stylo ou sa palette, son verre de quetsche que son
couteau à
découper le kougelhopf. Parmi les peintres les plus
contemporains […] nombreux
sont les motifs d’illustrations gourmandes, les natures mortes… »
(1) Christiane Ancel Huile
sur toile Luc Hueber (1888-1974) Huile
sur toile Michel Charvet
Huile
sur toile
La fête alsacienne, c’est le
rire et la
bonne humeur, un particularisme qui est un atout dans la vie !
Nous sommes
convaincus que la joie d’un individu fait le plaisir
d’un autre. « La
table est un peu la scène d’un
théâtre où chacun tient son
rôle. La nappe tient
lieu de rideau. Il faut de l’animation »
Les circonstances de l’Histoire ont appris
aux Alsaciens à
se forcer à rire. La souffrance les a rendus sereins, les
déchirements,
philosophes. Si bien qu’ils ont appris à se moquer
d’eux-mêmes. Avec
humour !.... « L’estime
qu’un peuple se porte est
proportionnelle à sa capacité
d’autodérision » dit
Stéphane Kramer.
Les Alsaciens le prouvent avec le Hans im Schnogaloch,
jamais content.
Comme lui, ballotés par l’Histoire,
gâtés par la richesse de leur province,
mais jamais contents de leur sort. Non seulement l’Histoire a
appris aux
Alsaciens à rire, mais elle les y a forcés chaque
jour, affirme Frédéric
Hoffet. « Ainsi l’humour alsacien
qui s’exprime si admirablement chez
les grands satiristes de la Renaissance et les auteurs de dialecte »
constitue un de ses plus remarquables particularismes.
Tomi Ungerer (1931-2019) Crayon
aquarelle
Aquarelle Michel Charvet Huile
sur toile Huile
sur toile
Au-delà d’une histoire
douloureuse, l’Alsace s’est
définitivement installée dans sa vocation de
trait d’union entre deux nations
voisines réconciliées. Aujourd’hui, le
Rhin n’est plus une frontière.
« C’est
l’arête principale d’une Europe charriant
richesses et culture »
(7)
Il en résulte une vision hors du temps
d’une Alsace
heureuse, décidée à
perpétuer sa beauté. Nous la retrouvons dans
l’œuvre de nos
artistes peintres tels Nicole Hellé dont les tableaux
allient la réalité au
rêve, Bernadette Zeller qui a poussé la porte de
la maison sundgauvienne pour
nous faire découvrir l’âme
même de son Sundgau, Jean-Paul Ehrismann, héritier
de l’âme profonde de
l’Outre-Forêt qu’il fixe et ressuscite
telle qu’elle se
manifeste dans des scènes traditionnelles empreintes de
force tranquille,
Georges Ratkoff qui se délecte d’une Alsace en
paix avec elle-même, qui a fait
le choix du bonheur, d’une province heureuse dans sa
sérénité, son insouciance.
Une version enchantés de la vie alsacienne.
Nicole Hellé Acrylique
sur toile
Bernadette Zeller Aquarelle Jean-Paul Ehrismann Georges Ratkoff Aquarelle Aquarelle Aquarelle Bibliographie
- Gilles Pudlowski – Dictionnaire amoureux de l’Alsace – Plon, 2010 (1) -
Bernard
Vogler – Histoire culturelle de
l’Alsace – La Nuée bleue, 1994
-
Alfred
Wahl et Jean-Claude Richez – La Vie quotidienne
en Alsace 1850-1950 – Hachette, 1993 (2) - Laurence Turetti - Quand la France pleurait l’Alsace-Lorraine – la Nuée bleue, 2008 - Frédéric Hoffet – Psychanalyse de l’Alsace – Flammarion, 1951 (4) - René Bazin – Les Oberlé – Calmann-Lévy, 1948 - Saisons d’Alsace N° 47 de 1973 – (3) - Hans Haug – L’Art en Alsace – Arthaud, 1962 (5) - Victor Beyer – Images d’Alsace -Arthaud, 1956 (6) - Stéphane Kramer - Hopla Geiss !- illustrations de Guy Untereiner – Ed. Pierron, 2008 - Tomi Ungerer – Mon Alsace – Ed. La Nuée bleue, 1997 - Tomi Ungerer – L’Alsace côté cœur – La Nuée bleue, 2004 (7)
-
Paul-André
Befort et Fernand gastebois – Henri
Loux a mis l’Alsace dans nos assiettes – Ed. DNA (8)
-
Hansi
– Une vie pour l’Alsace
– La Nuée
bleue, 2006 |