Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Alfred
& Daniel Selig
Une émouvante confrontation.
C’est l’histoire étonnante et émouvante d’un père et de son fils, artistes peintres reconnus. Alors que l’un fut le premier guide de l’autre, ils ont suivi des chemins diamétralement opposés, tant les divergences sont grandes dans leur style et leurs sources d’inspiration. Cependant, de tempérament très proche, attachés à leur liberté, ils ont vécu en bonne entente, cultivant une connivence fondée sur une estime mutuelle. Daniel Selig est né à Colmar, le 15 mai 1942. Sa mère, née Marguerite Hilfiger, est la fille du parfumeur Meinrad Hilfiger, coiffeur et gantier établi à l’angle de la rue des Juifs, aujourd’hui, rue Berthe Molly et de la rue Corberon. Son père, Alfred, né le 7 janvier 1907 à Colmar, apprend très jeune le métier de peintre à l’Ecole pratique des Arts appliqués de Colmar, nouvellement créée qu’il fréquente de 1923 à 1926. Il est l’élève de l’excellent dessinateur, Alphonse Klebaur (1884-1970).Alfred Selig: un remarquable témoin du patrimoine Alsacien
De 1926 à 1929, Alfred Selig suit les cours de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris et s’inscrit à l’Ecole supérieure de dessin ainsi qu’à l’Académie Colarossi. Pendant cette période il entreprend des voyages d’études à Munich, aux Pays-Bas, dans le sud de la France, en Italie, voyages qu’il poursuivra tout au long de sa carrière. Il effectue son service militaire en Tunisie d’où il rapporte, en 1932, des œuvres remarquables, sans doute les meilleures de sa production. Ce sont des huiles et des aquarelles orientalistes. Les ombres et les lumières de ses paysages et de ses scènes de genre sont réparties au couteau avec une pâte généreuse. Allant à l’essentiel, Alfred Selig leur confère une simplification que ne renieraient pas les nabis…Ces peintures et esquisses de voyage reflètent une liberté d’expression dont témoigne Bizerte (1930) © F. Selig
Le Frankenbourg - 1957 - Huile sur toile (65 x 81 cm) © F. Selig
Il excelle aussi dans les travaux graphiques, essentiellement la lithographie. Les bibliophiles apprécient sa série de sept lithographies «Terre d’Alsace» (1950) qui présentent, entre autres, la petite chapelle votive de Kaysersberg, les remparts de Thann, le clocher vrillé de Niedermorschwihr, les ruines et les rochers d’Obersteinbach, la romantique…Citons également les douze lithos de Ribeauvillé réalisées avec son ancien professeur, Alphonse Klebaur et Jehanne Schira, ses amis. N’oublions pas la série exhaustive de dessins des ruines des châteaux forts alsaciens que la bibliothèque de Colmar a achetés Il participe à l’illustration de divers ouvrages. Il réalise une cinquantaine d’affiches dont beaucoup sont conservées à la Bibliothèque des Dominicains de Colmar. Ses quarante ex-libris sont appréciés des collectionneurs pour la vigueur de leur dessin, la qualité de leur composition, l’originalité des sujets. Ils ont été souvent primés.Ex-libris - Gravure sur bois © F. Walgenwitz
Il adhère à plusieurs associations artistiques régionales: l’AIDA (Association des Artistes Indépendants d’Alsace) dont il fut membre fondateur, le Cercle des Arts de Colmar dont il fut co-fondateur et vice-président, la Société Schongauer de Colmar, l’Académie d’Alsace…En conséquence, il participe à de nombreuses expositions collectives à Colmar et à Strasbourg avec Jehanne Schira, François Fleckinger, Paul Blazi, Arthur Boxler, Charles Zeyssolff. Il organise également des expositions individuelles, notamment avec son fils Daniel en 1960, 1970, 1971, et 1973. Après son décès en 1974, la ville de Colmar a rendu hommage à son œuvre par deux expositions rétrospectives en 1975. Sa belle-fille Françoise Selig organisa plusieurs autres expositions consacrées à Alfred et Daniel, notamment à Colmar en 1978, 1979 et 1982, aux Trois Epis, à Eguisheim et à Metz en 1993. Son intense activité au lycée technique de Colmar lui valut d’être distingué des Palmes académiques. Il était, par ailleurs, titualaire de la médaille de la Résistance Française. Sa peinture a été récompensée par le Grand Prix international de peinture de Deauville en 1965 et la même année par le 1er Grand Prix de la Côte d’Azur. De ses œuvres ont été acquises par les musées de Colmar et de Strasbourg ainsi que par les bibliothèques municipales de Colmar et de Mulhouse
Alfred Selig est resté hors de tout système
«Il ignore les
amours de rencontre» dit
très justement Roger Kiehl. Le solide métier
acquis aux Beaux-Arts de Paris,
son sens aigu de l’observation, sa sensibilité
poétique, son tempérament
fougueux lui valent d’être reconnu. Il est
notamment recherché pour l’ambiance
juste de ses paysages: l’âpreté de la
montagne, la mélancolie d’un sous-bois,
l’atmosphère d’un orage,
l’angoissante vision d’un sommet
neigeux… pour la
vigueur de ses aquarelles traitées en prise directe qui sont
d’une rare
spontanéité et pour
l’élégance et la
vérité de ses coloris adaptés au
sujet:
puissance du «Hohneck»,
subtilité des
nuages dans «La Mare», éclairage cru
dans «Colmar sous l’orage»…
Père et fils unis dans la même passion Quel bel exemple pour le petit Daniel. Ses premiers pas le conduisent, instinctivement, à «s’accrocher aux pattes des chevalets, de jouer avec les pinceaux de papa avant de réaliser des fresques qui devaient tout à l’art brut sur les murs de sa chambre d’enfant. Mais, trêve de plaisanterie, dit l’auteur de l’article de presse, un peintre a engendré un autre peintre!...». De fait, Daniel grandit dans un contexte des plus favorables. Mais, au commencement il y a une hospitalisation! A six ans, il est atteint d’une diphtérie. Pour le distraire, ses parents lui offrent une boîte de couleurs. Et «c’est tout naturellement qu’il s’essaie à la peinture de grand format en barbouillant la couette de lit comme une toile géante.» (1)
Convaincu d’une vocation naissante,
son père lui installe un chevalet dans son immense atelier.
Là, chacun dans son
espace réservé, le père et le fils
travaillent, ou plutôt s’adonnent à leur
plaisir en toute liberté. Certes le jeune enfant
s’imprègne du savoir-faire de
son géniteur, sans qu’on puisse en conclure
qu’il fut son maître. Il joue
assurément le rôle de catalyseur, ce qui fait dire
à certains que Dany est un
autodidacte… A dix-huit ans, un 1er
Grand Prix !
Son engouement pour la peinture ne l’empêche pas de poursuivre de brillantes études de médecine après avoir été «à bonne école» au célèbre lycée Kleber. Et ce, à l’instigation de sa maman qui estime qu’un artiste dans la famille, ça suffit!... «La peinture ne nourrit plus son homme à l’heure actuelle…»Pour autant, le père ne reste pas en retrait qui encourage son fils à participer aux expositions auxquelles il s’inscrit lui-même. Alors qu’il est encore étudiant, ils se présentent ensemble au Grand prix de Deauville. Daniel qui a dix-huit ans, et vient de réussir brillamment son baccalauréat, est, à sa grande surprise sélectionné avec une gouache abstraite. Ecoutons-le exprimer son étonnement et son ravissement au journaliste des Dernières Nouvelles de Colmar venu l’interviewer «Certes, je ne m’y attendais pas. J’avais envoyé à tout hasard une gouache intitulée «Le Marin ivre» de composition abstraite à la galerie René Borel de Deauville où avait lieu au mois d’août la 11ème exposition internationale de peinture. Et puis, soudain, ce fut l’heureuse nouvelle; j’étais retenu avec quelques rares privilégiés pour la finale…Et, par la même occasion, invité à participer à la grande exposition internationale qui se déroulera en Septembre à Copenhague.» En 1965, une huile sur toile «Aux Alentours de l’Espoir» est récompensée du 1er Grand Prix de peinture de la Côte d’Azur, une œuvre dont «l’harmonie du coloris égale la perfection de la recherche» affirme le Président du jury. La même année, «Evocation antique» lui ouvre les portes de la grande finale internationale de Deauville à New-York. Il y expose avec son père, au milieu de 157 artistes venus de 21 pays. Une autre toile abstraite «Lumière sous-entendue» lui vaut la même année le 2ème Grand Prix internationale de Deauville.Evocation Antique - 1963 - Huile sur toile (65x92cm) © F. Walgenwitz Lumière sous-entendue - 1964 - Huile sur toile (54x65cm) © F. Selig Aux alentours de l'Espoir - 1965 - Huile sur toile (64x84cm) © F. Walgenwitz Daniel
vient de vivre là un véritable
adoubement. Et la participation régulière aux
expositions internationales qui
s’ensuivent le confirme dans sa voie. Il sait qu’il
peut désormais poursuivre
ses études tout en assouvissant sa passion: la peinture. Ses
études de médecine
menées à bien il installe son cabinet
d’allergologue à proximité
immédiate du
théâtre municipal de Colmar. Le 2
décembre 1967, il épouse Françoise
Haumesser
qui sera sa muse, sa complice, sa public
relation… Elle est originaire de Holtzwihr
où le couple se rend souvent, le
week-end. Daniel peint le samedi – pour ne pas être
taxé de peintre du…
dimanche - Elle lui donnera en 1978, une
fille, Catherine qui se lancera dans la création de parfums
perpétuant ainsi la
tradition familiale initiée par son
arrière-grand-père Meinrad Hilfiger. (En
2010, elle crée une fragrance «racontant le
Sud», baptisée «Evocation antique»,
beau
témoignage d’un profond amour filial.)
Françoise et Daniel, un couple lumineux.
Françoise et Daniel, «couple lumineux» fréquentent les salles de concert, les théâtres, aiment le jazz classique de l’époque: Miles Davis, Oscar Peterson, Duke Ellington, Dizzie Gillespie. Ils voyagent beaucoup. «Ah, les voyages avec Daniel! C’étaient d’abord des heures et des heures d’exigeantes et fatigantes découvertes. Dans une ville, ce n’était pas un musée mais tous les musées, ce n’était pas telle ou telle facette d’un artiste qu’il nous invitait à découvrir, c’était l’homme complet… Infatigable, insatiable, intarissable, incollable!...Il fallait souffrir avant d’accéder au paradis, au bon restaurant qu’il célébrait avec la même gourmandise que celle qui avait précédé sa longue marche vers la connaissance.» Il aime lire. Sa bibliothèque est révélatrice de son art. Lire les livres qu’il lisait, réciter les poésies qu’il aimait, écouter sa musique est indispensable pour le comprendre. Sur ses étagères trônent Henry Miller, Boris Vian, Pauwels et Bergier, Le Matin des magiciens, Maurice Nadeau, Histoire du surréalisme, Georgio de Chirico, Hebdomeros, Léonor Fini, André Breton, Ernst Fuchs, son maître…1974, fondation du Groupe Art Recherche En 1974, il fonde avec Marcel Helfer, Frédéric Schicke et Paul Flickinger le «Groupe Art Recherche» - le GAR.-. La plaquette éditée à l’occasion de l’exposition à l’Institut français de Vienne, la ville d’Ernst Fuchs qui soutient cette démarche précise: «Ce groupe d’artistes ne s’est pas constitué autour d’un programme ou d’un manifeste. Il est composé d’artistes peintres, sculpteurs, céramistes qui, issus de l’association colmarienne «Cercle des Arts», se sentant des affinités et, s’étant tous, dans leurs travaux, éloignés de l’art traditionnel, mais chacun à sa manière, ont décidé de se regrouper pour organiser en commun des expositions de groupe (…) Bien que chacun des artistes du groupe suive sa propre voie en restant fidèle à sa thématique personnelle, un besoin commun de recherche, d’avancer vers de nouvelles expressions les réunit. Les travaux de ces artistes sont tous plus ou moins emprunts d’imaginaire; aussi bien les productions figuratives stylisées ou «surréalisantes» que les abstraites. L’imaginaire, de nos jours, est bel et bien l’une des rares portes encore ouvertes aux chercheurs en art (…). Seule l’imagination est sans limite…» En 1960, Daniel Selig se fait connaître par une œuvre abstraite. Si, alors, on lui avait posé la question habituelle des critiques: «Comment en êtes-vous arrivé là?», il aurait répondu: «Mais, je suis parti de là!...» En effet, s’il a parcouru l’histoire de l’art au moyen de ses lectures et de ses visites de musées, il a d’emblée opté pour le mode d’expression de son temps. Pourquoi? Voilà la question…ô combien difficile. Marcel Brion, de l’Académie française, préfacier de l’ouvrage autobiographique d’Ernst Fuchs met en garde le critique qui oserait la réponse péremptoire: «Il est toujours arbitraire et souvent absurde lorsqu’on se laisse conduire les yeux fermés par l’esprit de système, d’essayer de rendre compte des voies suivies par la création, ses tours et détours, ses impasses et ses chausse-trapes. L’œuvre d’art ne gagne rien à être explorée par de semblables méthodes dont les démarches sont fréquemment d’une enfantine naïveté. Rien ne dirige plus efficacement l’approche de l’œuvre d’art que le précepte taoïste de Tchouang-Tseu: vomis ton intelligence….» A l’instar de celles de Fuchs, les oeuvres de Daniel Selig ne doivent pas être mises à l’épreuve de la pierre de touche de l’intellect. «Tout au contraire doit-on les aborder dans la région sub-logique où elles demeurent…»
La plus élémentaire prudence nous
commande de partir de ce que Daniel Selig a dit, lui-même, de
son art. Or, la
plaquette de l’exposition viennoise du GAR à
laquelle il a amplement contribué,
nous livre une clé essentielle; le principe de base de son
art: l’imagination! «Tout a été
fait, toutes les techniques ont
été essayées, seule
l’imagination est sans limite.», cette
imagination qui a été
érigée en droit
par Albert Thomas et Robert Heitz, de la
génération précédente,
créateurs du Groupe de la Barque en 1930, animés
par la volonté de sortir du cadre
régional… " Sur les chemins tournant du sous-sol de l'inconscient "
Ainsi, et tout d’abord, l’œuvre de Georges Mathieu et son credo qu’il a exprimé dans son discours d’installation du peintre alsacien Alfred Giess à l’Académie des Beaux-Arts, en 1976 où il justifie son art par «cette immense soif d’aventure, de conquête, de liberté (qui) est plus que jamais en nous» dont l’esprit se vivifie de l’intérieur et qui s’exprime dans l’abstraction lyrique. Où le rôle de l’imagination et de la spontanéité se révèle essentiel parce qu’il accorde un droit de cité total à l’improvisation, à l’inconnu et au risque. Ainsi, également, le paysagisme abstrait de Maria Elena Vieira da Silva et ses ambiguïtés spatiales, «allégories d’une quête éternelle de connaissance et d’absolu», Ainsi, les rêves «photographiés» de Salvador Dali, son univers métaphysique peuplé de visions fiévreuses et de psychoses de terreur, ses rencontres paradoxales voire absurdes…
Ainsi la poésie surréaliste que Daniel Selig
apprécie
comme un «refuge
des puissances
souterraines de la conscience, des forces psychologiques non
domestiquées.».(6) Il
l’estime parce
qu’elle exige une liberté totale inconditionnelle,
parce qu’elle se lance à
corps perdu dans l’inconnu, son principe actif
étant l’automatisme psychique,
dictée de la pensée libérée
de toute préoccupation esthétique et morale. Il
apprécie sa spontanéité,
l’absence de contrôle dans sa genèse. Il
a sûrement
aimé «Le
Sens magique» de Malkolm de
Chazal, et «LesEspaces
de Sommeil» de Robert Desnos. Mais,
c’est Joyce Mansour qui
l’a le plus marqué puisqu’elle lui a
inspiré les… «Machinations aveugles».
Les machinations Aveugles - 1968 - Huile sur toile (65x54cm) © F. Walgenwitz Il ressent une empathie certaine pour Giorgio de Chirico, sa «peinture métaphysique» sa découverte des forces motrices secrètes de l’angoisse métaphysique, née de la combinaison d’objets connus mais placés dans une ambiance surréelle, la mélancolie et le calme mystérieux de ses places où l’homme n’apparaît que sous forme d’ombres et surtout son «Hebdomeros» qu’il a lu (et moi, longtemps après lui…): le fantôme paisible, le spectre lumineux de Georgio de Chirico. Un livre qui exige qu’on le «regarde» ainsi qu’on regarde un tableau, «Hebdomeros qui a fait graver au pied de son lit une image de Mercure oneiropompe, c’est-à-dire conducteur de rêves. Si bien que les nuits, le visage plongé dans les mains, il voyait le mur du fond qui s’ouvre comme le rideau d’un théâtre et alors, apparaissaient des spectacles tantôt effrayants, tantôt sublimes ou charmants: les rêves.».(4) Daniel Selig en a fait un tableau remarquable…
Enfin Daniel Selig cultive une admiration sans bornes et
sans fin pour l’extraordinaire Ernst Fuchs, un homme
d’une sensibilité hors
normes, d’une intelligence lumineuse, limpide. Il partage et
fait siennes les
idées de Fuchs qu’il rencontre le 3 novembre 1980,
à Vienne, en Autriche où il
expose avec son Groupe Art Recherche au Centre International de
l’ONU, puis en
mars – avril 1981 pour l’inauguration des locaux de
l’Institut français de
Vienne, au palais Clam Gallas. Deux dates, deux
événements de première
importance dans la vie artistique de Daniel Selig. Fuchs, reconnu
internationalement pour son œuvre et pour son Ecole viennoise du
réalisme fantastique, lui apporte son soutien.
Fuchs, qui, entraîné dans l’espace
obscur de la Psyché, se laissait emporter
vers des motifs inconnus qui cherchaient à
s’exprimer et qui développaient cet
automatisme qui caractérise le surréalisme, Fuchs
qui, plongé dans les
profondeurs encore inconnues de son imagination,
considérait, lui aussi, le
rêve en tant que dictée poétique,
Fuchs, enfin, en qui les images surgissaient
sans ébauche préalable, sans plan et qui
travaillait spontanément, ce qui
excluait toute préparation.
Alors qu'en est-il de l'oeuvre de Daniel Selig ?
La toile «Le Marin ivre», de facture abstraite,
expression de graphisme linéaire, témoigne
d’une recherche de composition faite
d’une expérience jugée au-dessus de son
âge. Cette œuvre affirme son
tempérament et annonce son penchant vers le
surréalisme. L’art abstrait qui l’a
révélé à la critique sera
effectivement pour lui un domaine de recherche
fructueux. Sa palette, d’abord réduite au quasi
camaïeu d’ «Evocation antique»
et de
«Lumière
sous-entendue», qui porte
bien son nom, s’enrichit d’un coloris
plus varié avec «Aux Alentours de
l’Espoir», mais encore lourd et
chargé, un tableau structuré de «traits tracés au noir
dans une ambiance de
notation calligraphique, presque
musicale.» (1). Ensuite, Daniel Selig aboutit
à des contrastes lumineux du plus bel
effet avec «Dans
les plaines nocturnes le feu cherche l’aurore»
(1965) de facture inédite.
Tandis qu’«A
l’horizon des fièvres volcaniques»
(1967) exprime un dynamisme qui rappelle celui de Georges Mathieu,
allié à un
savant équilibre des couleurs. A l'horizon des fièvres volcaniques - 1967 - Huile sur toile - (64x84cm) © F. Walgenwitz
Dans les années 70, ses œuvres abstraites
évoluent vers une affirmation de plus en plus frappante de
sa personnalité.
Dans «Féroce
et baroque», la
structure est assurée par la couleur elle-même et
dans «L’Unique
Lumière», par un discret
cloisonnement de ses arabesques.
L’abstraction lyrique de Daniel Selig, appuyée par
des appellations
évocatrices, ira vers une exubérance bien
accueillie par les critiques avec «Foisonnement»
(1977) et «Vitalité
limpide» (1980). Elle
atteindra aussi une élégance unanimement
saluée dans ses très esthétiques
aquarelles qui sont à placer à part dans les
possibilités d’expression de
Daniel Selig.
Féroce et baroque - 1970 - Huile sur toile (116x89cm) © F. Selig Mais
les recherches dans l’expression de son art
se poursuivent aussi et surtout dans sa peinture figurative
à caractère
surréaliste plus récente et plus
profondément
explorée. Nanti du
très riche fonds culturel puisé chez Georges
Mathieu, Marx
Ernst, Salvador Dali, Giorgio de Chirico, André Breton,
Ernst Fuchs…et,
forcément influencé par sa formation de
médecin, Daniel Selig s’engage dans un
surréalisme qui surprend et heurte les spectateurs par ses
compositions tourmentées.
Notamment par sa toile présentée en 1968:
«Toi,
la Nuit», remarquée pour son
réalisme aigu
et son symbolisme ésotérique
apparentés à Dali. «Sur fond bleu noir, ce corps en
décomposition, squelette d’une part,
nerfs d’autre part, attitude orgueilleuse encore de la
tête, s’impose par son
lugubre attrait. D’autre part, sortant d’une
draperie rouge, deux mains tiennent
un œuf, germe d’un être de vie: mort et
résurrection! L’œuvre est ardente et
douloureuse, le dessin acéré et les couleurs
réalistes visent à
l’introspection. Inspiration médicale et
philosophique, à la fois.» Ce
n’est pas peu en conclut le critique de
«L’Alsace».
Toi, la Nuit - 1968 - Huile sur toile (105x89cm) © F. walgenwitz Certains aspects déconcertent un public qui ne saisit pas très bien les audaces du créateur. On parle de réalisme outré, de compositions insoutenables, de teintes vénéneuses…. C’est que Daniel Selig, de par sa formation médicale, est, indéniablement orienté vers des recherches anatomiques. La lecture de ses œuvres demande un temps d’imprégnation, de méditation, ce sont des œuvres qui donnent à réfléchir, qui forcent à réfléchir! C’est que «Daniel Selig ne cache pas les choses sous des rubans, des guirlandes ou des bouquets de fleurs innocentes. Chez lui, la forme violente devient source de fantastique. Elle inquiète et trouble l’homme» (3) Surréaliste, Daniel Selig cherche à exprimer les fluctuations de l’inconscient. La réalité devient mythe, magie. Le rêve prend la place du réel et le transcende par la poésie. La genèse de ses tableaux doit tout à la spontanéité, à l’absence de contrôle. Daniel Selig se place devant une toile vierge, trace l’ébauche d’une esquisse qui, petit à petit, prend forme et sens, à la manière d’un «rêve éveillé». Quand tout est en place, «il contourne avec la minutie d’un moine copiste chaque nuance colorée.» (2.) On ne peut pas dire que ce soit une écriture automatique, «puisqu’il y a le filtre du jugement, du goût et la recherche d’une construction en lignes de forces.»(1) Cette recherche explique le contraste qui caractérise l’œuvre de Daniel Selig entre les effets imaginaires, oniriques, par définition irrationnels et la rigueur de la construction, de la «manière». Daniel Selig montre que la composition d’une toile est déjà une première affirmation des qualités d’un artiste et que le dessin, comme le disait Ingres, est la probité de l’art, ce par quoi, une œuvre atteint à une clarté et à un équilibre intérieur. La légèreté et la finesse du trait aux mouvements ronds, allongés confère à ses huiles et aquarelles une élégance, une esthétique qui atténuent les effets provocateurs de ses hallucinations. Chercheur consciencieux, il crée des couleurs tendres, soumises au thème déterminé, qu’il oppose à des teintes chatoyantes, voire violentes. La magnificence de ses gammes est d’une classe exceptionnelle.
La profondeur de ses compositions est suggérée
par le
seul moyen des valeurs coloristes grâce, notamment, au
passage de l’huile aux
couleurs acryliques dans les années 1980. Posées
au pinceau, elles sont ombrées
à l’aérographe qui donne aux courbes
féminines un relief tout en douceur,
caressant…
Genèse de l'oeuvre © F. Selig La femme sublimée par le surréalisme Si, très vite, se manifestent certains signes distinctifs dans l’œuvre de Daniel Selig, et tout particulièrement la rigueur de la construction, le raffinement des couleurs et le fin graphisme qui souligne chaque tache, une autre constante, la plus significative, est le thème de la femme. Omniprésente. Obsessionnelle. La femme aux formes généreuses, sculpturale, contorsionnée, aux expressions intrigantes, déshabillée jusqu’à l’os, mais la femme sublimée par le surréalisme, libérée du libertinage teinté de misogynie et dont l’érotisme «tend à identifier la dictée du désir à celle de l’inconscient, à faire de l’amour un équivalent de la métaphore onirique qui est à l’origine de toute création.» (7). L’érotisme ne devient amour que lorsqu’il crée…C’est le cas de l’œuvre de Daniel Selig qui a sans doute applaudi au Second Faust de Goethe lorsque le chœur mystique proclame: «L’Eternel Féminin nous attire vers le Haut.» Nous venons de découvrir deux tempéraments proches par leur fougue, leur spontanéité, leur intense vie intérieure, leur amour de l’art. Ils se sont exprimés dans des domaines, des mondes étrangers l’un de l’autre: Alfred qui vit avec les yeux, peignait des paysages vrais mais poétisés, Daniel qui vivait par son psychisme, pour qui l’acte du tableau n’est pas de mémoire mais de fabulation. Venant de l’un ou de l’autre, l’œuvre d’art est avant tout sensation. Ils lui ont donné le meilleur d’eux-mêmes.
Daniel Selig décède
prématurément en 1990, à
l’âge de 48
ans. Françoise, la belle-fille et
l’épouse, veille avec amour et
dévotion sur l’œuvre du
père et du fils trop tôt
disparus. Elle est leur gardienne passionnée. Elle assure
leur pérennité.
Le
Couple -
1989 - Huile sur toile
(27x22cm) © F. Walgenwitz
Daniel Selig a participé à de nombreuses
expositions de groupe (41 entre 1960 et 1990), à Colmar,
Strasbourg, Cannes,
Nice, paris, Vienne, en Autriche, Fribourg, Lucerne,
New-York…Il a
organisé six expositions personnelles,
en 1965, à Deauville, à la galerie Borel, en
1969, 1973, 1974, 1978, à Colmar
et en 1973 à Strasbourg Trois
rétrospectives lui ont été
dédiées après son
décès en 1990: en 1991 à Colmar,
en 1992, à Strasbourg et en 1999, à Kaysersberg,
ainsi qu’une exposition
privée, en 1993, Galerie «Arts Gambetta»
à Metz.
Bibliographie:
- Daniel Selig (1)– textes d’Emmanuel Honegger, de Francis Gueth, Fabienne Schweitzer et Gabriel Braeuner - Le Verger Editeur - Coupures de presse – Textes de Y. Hobel, (2) de Paul S. Picard, d’Edouard Dabrowski, (3), de René Spaeth de Roger Kiehl, - Selig Alfred – Selig Daniel – Me François Lotz – Artistes alsaciens de jadis et naguère –Editions Printek – Kaysersberg - Giorgio de Chirico (4) – Hebdomeros – Collection «L’Age d’Or» - Flammarion – 1964 - Ernst Fuchs (5) de Draeger – Préface de Marcel brion de l’Académie française – Draeger Editeur – 1977 - La poésie surréaliste – Jean-Louis Bedouin (6) – Seghers Paris – 1964 - Erotisme du surréalisme – R. Benayoun (7) – Jean-Jacques Pauvert – 1978 - Dictionnaire des Symboles – J. Chevalier et A. Gheerbrant - Qu’est-ce que la philosophie – Gilles Deleuze et Felix Guattari – Editions de Minuit – 1991 - Histoire de la peinture européenne – Charles Wentinck – Marabout Université – 1961 - Saisons d’Alsace – Etapes de l’Art alsacien par Robert Heitz - 1973 Portfolio Alfred Selig Alfred Selig © TAC Tunisie - 1929 - Aquarelle (25x33cm) © F. Selig Riquewihr - Gravure sur bois © F. Walgenwitz
Daniel Selig Dans les plaines nocturnes le feu chercha l'aurore - Huile sur toile (86x116cm) - 1965 Collection particulière © F. Walgenwitz Entrée libre - Huile sur toile (21.5x26.5)cm - 1965 © F. Walgenwitz Tryptique ouvert - Huile sur bois - 1979 - (51x67cm) © F.Walgenwitz Aquarelle © F. Walgenwitz Femme aux cheveux d'or - 1982 - Huile sur toile - (33x24cm) © F.Selig Le Cri vertigineux de la Confusion des Corps - 1988 - Acrylique - Huile sur toile (175x165cm) - © F. Selig Daniel Selig dans son atelier en 1985 © Studio A Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |
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