Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frLe Buste de Robert Heitz
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Dans une étude approfondie et du plus haut intérêt que Robert Heitz a consacrée à la sculpture (Artistes d’Alsace – Le sculpteur René Hetzel – Les portraits – DN, 1946), l’auteur nous explique comment René Hetzel, après s’être converti au style classique, rigoriste, s’est adapté aux exigences de l’art du portrait. Au-delà de la difficulté technique qu’il maîtrise parfaitement «n’est-il pas un peu paradoxal de vouloir fixer dans la pierre ou le bronze ce qui existe au monde de plus fugitif, de plus ondoyant: l’expression d’un visage humain?», s’interroge Robert Heitz.
Les sculpteurs de tendance «baroque», jusqu’à Carpeaux et même Rodin, ont réussi par on ne sait quels tours de force, à évoquer dans leur matière incolore et rebelle, le caractère personnel du regard, «ce miroir de l’âme». Par ailleurs, ils ont exploité les contrastes d’ombres et de lumière, opposé la rugosité de la matière au brillant des polissures. Selon Robert Heitz rien de tout cela chez René Hetzel. Fidèle aux leçons des Grecs d’avant le baroque hellénistique, refusant tout maniérisme, «renonçant ainsi, dans l’intérêt supérieur du style, aux moyens les plus commodes du portraitiste, Hetzel joue la difficulté. Sa réussite n’en est que plus remarquable.»
Elle est faite de l’alliage entre un don exceptionnel «de faire ressemblant» et une immense part de travail méthodique. «Ses figures ne sont pas exactes, mais elles sont vraies, constate Robert Heitz, admiratif, d’une vérité criante, allant parfois bien au-delà de l’apparence extérieure, et même contre cette apparence, jusqu’à mettre à nu ce qui est derrière le masque dont chacun de nous, volontairement ou non, s’affuble dans la vie de tous les jours.» Il lui semble que Hetzel «moins peut-être par une analyse consciente que par une intuition qui peut se passer du raisonnement […] va jusqu’au fond d’une âme, avec une indiscrétion ingénue. C’est là la marque du grand portraitiste!...»
L’impression de vie qu’on éprouve devant ses bustes est vérifiée quand on tourne autour. C’est le conseil que donne Robert Heitz: «Vous y verrez apparaître successivement deux, trois aspects psychologiques différents – tels précisément qu’ils apparaissent à l’observateur le plus attentif du modèle vivant […] Et quelle richesse de types humains, mais aussi quelle richesse de moyens plastiques» renouvelés pour chaque modèle. Les détails matériels sont exprimés, ils ne sont pas imités. Aucune prétention à la virtuosité, juste l’essentiel!... «Un style sobre, sans froideur.»
C’est l’après-midi, après s’être acharné sur de gigantesque blocs de pierre, pour se délasser qu’il modèle ses portraits, délaissant le burin pour l’ébauchoir. «Pour se délasser». C’est une façon de parler, précise Robert Heitz, qui, au cours de diverses séances de pause, a eu tout loisir de voir René Hetzel en action. Ecoutons-le:
«Coincé
entre un bloc de calcaire où s’étire
voluptueusement un cops splendide, et
l’escabeau où il est assis, ses genoux contre les
vôtres, vous le voyez
brusquement foncer sur vous, des yeux impitoyables fouillant les
vôtres.
Brusque recul. Nouvelle attaque. Son nez touche votre front, vos
oreilles. En
même temps vous avez l’impression que ses yeux, qui
continuent à vous fixer, ne
vous regardent plus. Fébrilement ses doigts
pétrissent des bouts d’argile, son
grattoir râcle le bloc gluant et gris où
commencent à se dessiner vos formes.
Ebouriffé, le masque crispé, tordu par
l’effort, il lutte avec une vision
encore incertaine, avec cette vérité profonde
que, par un réflexe de défense,
son modèle tend à lui cacher (lui refuser?) De tous
ses sens, on dirait de tous ses
muscles, il s’y accroche; il ne vous lâchera plus
avant que vous ne lui ayez révélé
vos secrets. Le bloc de glaise devant lui, qui reproduit les traits de
votre
visage, mais qui n’est encore qu’une chose
inanimée, il le regarde d’un œil
farouche, comme un ennemi. Cela dure trois, quatre séances.
Alors, subitement
il se détend, laisse éclater sa satisfaction:
«enfin, j’ai trouvé!».
Fiévreusement la main, l’ébauchoir,
grattent et râclent et creusent, et
miraculeusement la bouche se met à sourire, la narine
à frémir, la matière se
met à vivre. Le reste n’est plus qu’un
jeu et s’accomplit dans la joie.
L’artiste ne fonce plus sur vous, il ne tourne plus autour de
vous comme le
vautour autour du poussin, il vous regarde avec bienveillance, il
caresse joues
et menton de votre effigie, tel qu’en vous-même il
vous a changé, et il chante
les plus belles chansons de DUPARC et de FAURE…»
« Ne pas sacrifier à une doctrine ce qui en art est tout de même essentiel:
le sentiment humain ».
Merci,
cher Robert HEITZ
Photo: Ringier Robert Heitz en 1946
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faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.