Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frRobert Kuven
(1901-1983)
Sondersdorf - Dessin
aquarellé
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Ce croquis aquarellé est représentatif de l’œuvre de Robert Kuven pour quatre raisons majeures: le soin particulier apporté à la composition, l’équilibre entre l’animation et l’immobilité, la parfaite maîtrise de l’aquarelle et l’inachèvement volontaire du tableau.
Tout d’abord, on est sensible à l’effet de la composition sur la perspective, la profondeur de champ. La rupture d’échelle entre le groupe isolé du premier plan, le coq et ses trois Leghorn et la silhouette du paysan occupé auprès de sa vache, est d’une efficacité astucieuse. C’est le triomphe de la spontanéité, du déclic, c’est l’éclair du génie. Les sujets essentiels de la scène occupent le terrain de façon naturelle, claire, aérée. Ils fixent le regard sur trois thèmes, chiffre idéal: la ferme les gallinacés, la charrue.
L’imposante toiture largement en surplomb des granges et des étables, au coloris vigoureux, pesant, coiffe des murs exécutés dans une palette réduite, tout en nuances, sobre, à l’image de cette contrée du Jura alsacien. L’atmosphère recherchée en est significative ainsi que le classicisme qui s’en dégage: unité de temps, de lieu, d’action. L’œil n’est pas dissipé par une quelconque anecdote.
Seule la technique de l’aquarelle pouvait rendre cette ambiance. Seules les couleurs délavées, jouant sur les demi-tons peuvent faire naître tant de fraîcheur. Rappelons les exigences de l’aquarelle qui ne tolère aucun repentir. «Il y a lieu de jeter les premiers essais par centaines…donc de recommencer souvent sans jamais corriger.»
Enfin, et c’est là que réside l’originalité, la marque du génie de Kuven, ce tableau, volontairement inachevé met le papier vierge au service de la couleur qui, grâce à lui, s’affirme librement. Le support blanc fait partie intégrante de l’œuvre. On peut parler de magie du blanc; un blanc caméléon…qui est incontestablement blanc quand il est neige ou nuage, mais que l’on voit rose ou bleuâtre quand il est ciel, vert pâle quand il est sous-bois, gris beige quand il est terre battue, et, dans d’autres scènes, miroitement du soleil sur la mer, smog en Angleterre, épiderme satiné quand il caresse le dos d’une femme nue…lumière dans toutes ses affectations. Il est matérialisé par l’extrême finesse des lignes qui courent sur la feuille, arabesques nerveuses. Certaines délimitent une frondaison, d’autres vibrionnent de façon aléatoire.
Tout est dans la suggestion, dans la supposition; sur l’œuvre concrète, le contemplateur greffe la sienne virtuelle. Considération hautement philosophique inhérente à la vie…Cette poésie de l’inachevé n’est pas sans rappeler Berthe Morisot ou, dans le domaine plus lointain de la littérature, Stépan Zweig qui laisse toujours son lecteur finir lui-même ses nouvelles comme s’il lui donnait un marchepied pour le rêve…Photo: ALSATIA
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.