Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr"La grande partie" entre Cappelmans et Gambrinus
(Les contes des bords du Rhin)
Photo : F. Walgenwitz |
Van Marius, fameux peintre
hollandais de marines, avait fait l’esquisse de « La Pêche miraculeuse »,
mais il mourut prématurément, victime du « genièvre ». Son fantôme,
sous l’aspect d’un coq noir, apparut à son ami Cappelmans et lui demanda de
finir ce qui devait être son chef-d’œuvre. Or, il s’agissait, d’abord, de le
reprendre à Hérode van Gambrinus qui l’avait suspendu au fond de sa taverne
« Le Pot de tabac » à Osterhaffen, le plus riche en bières fortes et
liqueurs spiritueuses de Hollande. Cappelmans accepta !...
Nous sommes dans la grande salle du « Pot de
tabac ». Sous les poutres brunes du plafond, sont suspendus, au milieu
d’un nuage de fumée bleuâtre, des jambons, des harengs, des andouilles. Des
dizaines d’hommes font cercle autour d’une longue table-comptoir couverte de
bocks, de bouteilles, de nourriture.
Quand Cappelmans entra dans la taverne, Gambrinus savait ce
qu’il venait chercher : « La pêche miraculeuse » qu’il avait
gagnée « la cruche à la main ». Eh bien, lui dit Cappelmans, c’est la
cruche à la main que je vais te la reprendre. Et il accepta d’engager avec son
adversaire « la grande partie ». Les règles du combat sont simples,
le vainqueur sera celui qui aura bu la plus grande quantité de bière.
Vous dire le nombre de barils de bière forte qui furent
vidés dans cette bataille mémorable est impossible. Qu’il vous suffise de
savoir que la lutte dura deux jours et trois nuits…Cela ne s’est jamais vu.
Gambrinus est assis derrière son comptoir, à gauche, « les
yeux exorbités, son épaisse tignasse rousse ébouriffée et sa longue
barbe jaunâtre tombant à flots sur sa poitrine », est en train
de vider une énorme chope. En face de lui, Cappelmans, chapeau rejeté en
arrière, élégamment habillé, vide le sien. A son côté, face à nous, se tient
l’arbitre qui n’est autre que le bourgmestre, à l’importante perruque trônant
dans son fauteuil solennel.
Pour la première fois Van Gambrinus se trouvait face à un
adversaire capable de lui tenir tête. Aussi, la nouvelle s’en étant répandue
dans le pays, tout le monde accourut. La salle était comble, la taverne ne
désemplissait pas. A peine pouvait on s’y mouvoir ! Après l’ale on passa
au porter et du porter au lambic…
Le duel s’étant prolongé au-delà de ce qui est concevable,
le bourgmestre imposa la dernière épreuve : il demanda qu’on lui apporte
le fil et l’aiguille. D’après les règles de la grande partie, celui des
deux combattants qui sort victorieux de cette épreuve a le droit de choisir la
boisson qui lui convient, et de l’imposer à son adversaire. Gambrinus dut s’y
reprendre à deux fois, alors que Cappelmans prit l’aiguille et du premier coup
passa le fil. Il choisit le skidam que son adversaire ne supporte pas. Les
verres furent remplis et la lutte continua. Pour Cappelmans tout alla bien. Par
contre, Gambinus accusa le coup, sa face cramoisie se décomposa. Parfois, un
tressaillement nerveux lui faisait redresser la tête. Enfin, il s’écroula.
Cappelmans avait gagné « La Pêche miraculeuse ».
En y mettant tout son cœur et tout son génie, il en fit une œuvre sublime.
Quant à Gambrinus, certes anéanti, il avait gagné la renommée et l’immortalité
en devenant le symbole des amateurs de bière.
Exploitant la grande marge d’informulé du texte
d’Erckmann-Chatrian, Robert Beltz donne libre cours à son imagination pour
multiplier ces figures silencieuses, pressées les unes contre les autres avec
une sorte de minutie sensuelle et amusée qui leur attribue une présence et une
force évocatrice fascinantes.
Ces faces exorbitées, ébahies, stupéfaites, capturées par
l’enjeu de la grande partie, dont la chandelle allumée est le
point de convergence, confèrent à cette scène, à première vue tumultueuse, une
unité de construction, un ordonnancement prodigieux.
Cette gravure qui est la marque d’une puissance créatrice fantastique et néanmoins soucieuse d’authenticité, est celle d’un Alsacien, d’un homme du Rhin, « un humaniste de la plus solide et ancienne tradition. Ce qu’il est convenu d’appeler un homme de la Renaissance. » (*)
(*) Henry Lefèbvre, écrivain, éditeur de Henry de Montherlant
Photo : F. Walgenwitz La fin du terrible Hérode Van Gambrinus |
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.