Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr
Un méandre
de la Moder
Huile sur panneau sur une préparation spécifique à Marie Strieffler - Collection particulière - |
La tradition de
l’art
rhénan a conduit Philippe Steinmetz à
l’expressionnisme alors que l’influence
de Paris lui a fait adopter
l’impressionnisme. Les raisons de cette double orientation ne
s’expliquent pas
seulement par une correspondance esthétique du style au
sujet, mais, plus
profondément, par les «états
fonciers de la sensibilité»
de
l’artiste, ainsi que par «les
réactions
de celle-ci devant la
réalité
existentielle humaine» dont il est le
témoin conscient et concerné.
Cette dualité entre «le
motif passionnel» et le monde de
l’évasion vers la paix de
l’âme, a longtemps «interféré
négativement» dans l’existence
de Philippe Steinmetz «lancée
à la quête angoissée de
soi-même».
D’où, la nécessité de
trouver un équilibre, «de
trouver le point de convergence problématique où
l’énergie de ses deux pôles
d’inspiration pourrait enfin
s’intégrer.» En vieillissant,
a constaté
Claude Vigée lors de ses passages en Alsace, Philippe
Steinmetz a compris qu’il
pouvait se manifester tout entier, dérouler sa vie profonde.
«L’âme humaine
(ayant rejeté) les chaînes
oppressantes qui liaient son moi, enfin illuminé
à partir de ses profondeurs
intactes, annonçant peut-être une communion
nouvelle».
L’équilibre qui en
résulte, «cet instant de
grâce», le Ried, seul,
pouvait le lui offrir. Le Ried qui l’attirait
irrésistiblement. Le Ried qu’il
parcourut inlassablement, souvent en compagnie de son ami Paul Weiss,
choisissant des «endroits
délicieux pour
le promeneur: petits lopins de seigle presque mûrs, entre
deux marécages,
peupliers plantés par gros bouquets, ou en files, flaques
d’eau stagnant le
long des rivages couverts d’une pelisse de roseaux
à la crête grisâtre, aux
reflets argentés, qui brûlent doucement en agitant
leur plumage sous le soleil
de juillet.»
Nous voici devant un de ces endroits
de rêve. Séduit, Philippe Steinmetz a
posé son chevalet là, comme s’il avait
répondu à un appel de la nature, à une
invitation qu’elle lui aurait faite en
silence, le priant d’immortaliser sur le support pictural, sa
beauté, son
charme qu’elle savait menacés. Au premier coup
d’œil, l’artiste a compris
qu’il avait
découvert l’endroit idéal
pour exprimer toutes les facettes de son talent dans une composition
que la
nature originelle lui proposait spontanément.
Nous sommes d’emblée
captivés par la
puissante silhouette
d’un vieux saule, sculptée
de formes sombres, aux tons intrigants. L’image se lisant de
gauche à droite,
notre regard est guidé vers le lointain symbolisé
par une échappée de ciel
d’une blancheur diaphane qui place haut la ligne
d’horizon. Sur la rive opposée
de l’eau dormante, se présentent, dans un
alignement régulier, d’autres saules,
dont les frondaisons qui ont grandi en éventail, sont
parées d’un délicat bleu
pastel aussi surprenant que bienvenu. Leur fresque aux teintes rompues
se
heurte au flamboiement d’or fondu de ce qui, après
le coucher du soleil
redeviendra, probablement un bouquet de peupliers. Sensuel choc des
couleurs
dont Philippe Steinmetz a le secret!...Le miroir d’eau, ciel
inversé, sa
transparence, les vibrations de ses reflets, sont un
chef-d’œuvre de
vraisemblance, malgré ou plutôt grâce
aux touches impressionnistes du pinceau
qui attestent l’adhésion de l’artiste
à «une
sorte d’impressionnisme constructif, dépassant le
seul problème de la
luminosité pour arriver à créer une
structure plus compacte.»
(*).
Totalement libéré de toute
contrainte,
le tempérament de Steinmetz est bien sensible dans ce
jaillissement d’herbes au
pied du vieux saule et dans le jeu d’ombres et de
lumière qui anime les ramures
largement déployées de ce dernier. Ici et
là, de brusques petits coups de patte
griffent le paysage de leurs teintes vives
contrastées…La confrontation entre
l’expressionnisme de la rive gauche et
l’impressionnisme de la rive droite, se
mue en accord paisible au fil de la contemplation.
Ce jour-là, les dispositions d’esprit
de Philippe Steinmetz, autant que ses procédés
techniques, le destinaient à cet
impressionnisme constructif qui ne se contente pas de «se
produire dans l’espace
optique», mais qui, en floutant les contours, en
juxtaposant les taches de
couleurs attisées de lumière, permet de saisir la
vérité de l’instant, de
déceler la poésie de la nature…
…et
de savourer la jubilation que lui inspire le Ried sauvage, si cher
à son cœur.
Collection
particulière
Philippe Steinmetz s’accorde un instant
de méditation…
…préoccupé
de l’avenir du Ried.
(*) Roland Jacob – Philippe
Steinmetz, le Cézanne du Ried –
1995
|
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.