Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr
Soir d'été
Huile sur toile - Salon de 1930 |
La première impression que la contemplation de ce tableau nous suggère est, inévitablement, le thème baudelairien de «L’Invitation au voyage»:
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
La haute pergola dont l’élégance est coiffée d’une frondaison verte, glycine foisonnante ou chèvrefeuille odorante, donne sur un lac aux bords incertains. C’est le lac d’Annecy. Il fait nuit. La lune prête, momentanément, sa lumière blafarde qui perce un ciel tourmenté. Elle souligne un horizon lointain.
La table est mise. Table ronde, conviviale, forme idéale pour un repas intime. La porcelaine fine des assiettes et l’argent des couverts attendent les deux convives. Le cristal de la carafe promet un grand cru qui se partagera dans des verres finement ciselés. La faïence festonnée de blanc du compotier, offre ses fruits appétissants. Une céramique ventrue arbore des roses-thé. Le panier à pain et la cruche à eau fièrement dressée, complètent ce charmant décor, éclairé par la lumière douce, dorée, chaude que diffuse une lampe à pétrole, fin 19ème siècle, aux formes et aux proportions parfaites. La nappe, Jacquard, juponnante, tamise la lumière reposante et apporte une note définitive à l’impression de confort.
Une jeune femme, la maîtresse de maison, est debout, tournée vers le lac. Silhouette d’une rare élégance: la chevelure est soigneusement remontée, une longue robe de soie légère souligne discrètement ses formes sveltes. La taille est haute, réminiscence du Directoire et de l’Empire à la mode encore début vingtième siècle. Son avant-bras droit tient une écharpe assortie qui, telle une traîne, descend jusqu’à ses pieds, vaporeuse de légèreté. Le maintien est altier, il émane de cette personne la plus haute distinction.
Elle attend…
Plutôt que «Soir d’Eté», ce tableau pourrait s’intituler «Attente», tellement la notion du temps y est prégnante, émouvante, voire pathétique…Marqué par le sceau du temps, il nous fait forcément penser à Marcel Proust, contemporain de Rieder, dont la place des personnages est restreinte dans l’espace, mais considérable dans le temps, le temps perdu et…, retrouvé, Proust pour qui «une heure n’est pas une heure, mais un vase rempli de parfums, de sons, de climats, d’impatiences, de doutes, d’anxiété…»
La peinture n’est, certes, pas un art du temps. Celui-ci ne peut y être que fictif, suggéré par la culture, la littérature, notamment. C’est l’imagination de l’observateur qui le met en mouvement. Or, cette œuvre est particulièrement propice à le susciter. Elle a un passé, un présent et, surtout…un futur. Du fait que ce tableau se prolonge dans la durée, il comporte une puissance narrative forte. Il raconte. Il en dit plus qu’un long discours…Il évoque le milieu aisé de la haute bourgeoisie, il laisse deviner la domestique qui a soigneusement dressé ta table, il pose la question de savoir quel est l’état d’esprit de la jeune femme dont l’attention est tendue vers le large, vers la profondeur insondable de la nuit.
Il y a donc une intrigue… Ordre et beauté, luxe et volupté, assurément. Mais, calme? Pas forcément. L’attente qui se prolonge fait naître l’inquiétude. L’hostilité du paysage lacustre suggère la possibilité d’un dénouement tragique. L’épouse –ou l’amante- est-elle sereine, confiante, ou est-elle en train de se débattre entre les hypothèses plus ou moins menaçantes qui l’assaillent?
Quoi qu’il en soit, le spectateur qui quitte ce tableau n’en a pas fini avec lui. Son imagination, mise en éveil, va concevoir l’épilogue que lui inspire son tempérament, sa disposition d’esprit, qui incline à prendre les choses du bon ou du mauvais côté.
Marcel Rieder a, dans ce chef-d’oeuvre, atteint le plus haut degré de la puissance poétique de la peinture, à la fois par l’esthétique et par la richesse de l’évocation.
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Il
s’agit de la Villa des Fleurs à Menthon-St Bernard.
Elle
existe toujours
A
l’arrière-plan se devine le Roc de Chere
Sur
l’œuvre se trouve probablement Marion,
l’épouse du peintre
Marcel
Rieder a réalisé sa série des lacs
dans les années 1920
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.