Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frLucien Blumer
La Cour du Corbeau
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Voici la cour du Corbeau, située tout près du domicile de Lucien Blumer. «Elle est une des plus anciennes hostelleries d’Europe. Cette maison à colombages date de 1528. Elle est composée de dix bâtiments organisés autour de passerelles, coursives, recoins et escaliers. La Cour du Corbeau collectionne des détails aussi énigmatiques que charmants.» (Roland Oberle)
Lucien
Blumer traduit cette organisation par une composition et une
répartition des
valeurs savamment étudiées. Le
côté gauche, sacrifié,
schématisé, sert de faire
–valoir au corps de bâtiments, sujet principal. Le
haut, inachevé, dont la
teinte bleue rompue semble empruntée au ciel, donne un peu
plus d’air à un
ensemble solidement construit. C’est là, la
réponse au besoin d’espace vide que
l’amateur d’art aime voir se déployer
entre les volumes. Mais, cette solidité
est immédiatement mise en doute par
l’œil du contemplateur, car aucun des
éléments architecturaux n’est
d’aplomb. Ils sont solidaires dans leur
inclinaison de l’élégante tour, svelte,
élancée qui entraîne avec elle les
bâtiments accolés dans un irrésistible
élan vertical, accentué par les trois
étages de contreventements en forme de V. La diagonale que
trace la suite des
rebords de toitures, très sombres, soulignées de
rouge-orangé, allège la
monumentalité de l’ensemble.
En se précipitant vers le fond, cette diagonale renforce la puissance spatiale du tableau. Celle-ci réside également dans le rai de lumière qui court sur le sol en direction du point de fuite et qui est violemment contrasté par l’ombre portée du pan de mur juste suggéré. Par ailleurs, l’alternance de zones d’ombre et de lumière des façades y contribue efficacement. La simplification des formes et la fraîcheur des couleurs des éléments du fond absorbent le regard et créent l’illusion d’une profondeur.
La texture de ce tableau, la touche du peintre qui lui est personnelle et inimitable, reconnaissable au premier coup d’œil, est le fruit de l’évolution de l’artiste.
Elle s’est affranchie de l’influence de Lothar von Seebach. Lucien Blumer procède autrement. Il a, semble-t-il, d’abord posé les volumes, en l’absence de contours, dans leur teinte neutre, disons celle d’un jour gris. Un camaïeu de bistres, de bruns, de marron. Là-dessus, il a plaqué la lumière à francs coups de pinceaux de couleurs pures, laissant à l’œil du spectateur le soin de faire la synthèse, de reconstituer les nuances de vert des feuillages, de jaune des torchis, de rouge des pélargoniums, de rouille des toitures…Ce tableau n’est pas définitif. Il n’a rien de péremptoire. Il nous associe à son achèvement. Il reste vivant.
A travers lui, Blumer est-il impressionniste? Expressionniste? La question est oiseuse. Il est, avant tout lui-même avec son talent qu’il a su fructifier, avec sa sensibilité affinée avec l’âge… Il est lyrique!...S’il a peint ce coin du vieux Strasbourg, c’est parce qu’il l’aime. Il le traverse quotidiennement, en toute saison et ne s’en lasse pas. Et il en est ainsi des autres vues de sa ville ou de celles de Gertwiller et de Barr.
Consciemment ou inconsciemment, la cour du Corbeau, symbolise chez Lucien Blumer, «alsacien de cœur et de pensée» le concept d’ «Elsässertum» et correspond à la tendance si vivace dans l’entre deux guerres à se replier sur la Heimat. A cette époque, où la politique d’assimilation, génératrice d’autonomisme, suscite malaise et déception, le mouvement culturel alsacien se réfugie dans la contemplation du passé. C’est bien ce que nous faisons en ce moment, devant ce tableau. Nous sacrifions au culte de la petite patrie, d’une Alsace fermée, repliée sur son passé, ses villages, et cultivant ses traditions. «L’Alsace des 5 C (cathédrale, cigogne, coiffe, choucroute, colombages». Selon Bernard Vogler
L’Alsace éternelle!...Que, du moins, nous souhaitons telle et dont Lucien Blumer est le témoin émouvant.
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.