Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frJean Henninger
La jeune fille et la tortue
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La Jeune-fille et
la Tortue, quel beau sujet pour une
fable, allégorique leçon de vie! Ni Esope ni La
Fontaine ne les ont réunies.
Nous devons cette insolite rencontre à Jean Henninger qui en
a conçu trois
fontaines dont celle de la Place d’Austerlitz à
Strasbourg et celle dédiée à
Munich.
La tortue est, certes, familière aux
fabulistes; il est vrai que son symbolisme «s’étend
sur toutes les régions de l’imaginaire».
Le dôme de sa carapace s’apparente
à la voûte céleste; son ventre plat
rappelle la Terre. Entre les deux lui est
dévolu le rôle de médiatrice. De ce
fait, elle détient des pouvoirs de
connaissances, de divination. Sa longévité bien
connue l’associe à l’idée
d’immortalité. Campée sur ses solides
courtes pattes, elle évoque l’idée de
puissance, de stabilité, d’équilibre.
Voilà bien des aptitudes qui
justifient le choix de la tortue en
tant
que symbole. Pourtant ce n’est pas elle qui va nous fournir
le «motif secret»
de l’œuvre. C’est la
jeune-fille juchée sur son dos, affectueusement
penchée sur elle dans une
caresse reçue avec confiance, voire avec plaisir. Et
c’est dans ce geste, sans
doute, qu’est dissimulée la clé. Il
s’agirait de l’harmonie entre le règne
animal et le genre humain…Mais, ne devrait-on pas parler
d’harmonie retrouvée?
Car, si nous remontons à la source, à la
genèse du monde vivant, nous sommes
bien obligés de constater que le «vivre
ensemble» paraissait improbable.
Rappelons-nous ce que nous enseigne, à cet égard,
la mythologie grecque qui a
marqué comme aucune autre la civilisation occidentale.
Au lendemain de sa victoire sur les
Titans et autres Géants, entouré des dieux de
l’Olympe, dont Apollon qui jouait
de la lyre, taillée dans une carapace de tortue…,
Zeus constate que le monde
est devenu trop calme. Les dieux risquaient de s’ennuyer
à mourir. Un comble
pour des immortels!...
Après un temps de réflexion, il eut
une idée géniale: créer toutes sortes
d’êtres mortels qui apporteraient autant
de distractions que de sujets d’étonnement. Il
confia cette noble tâche à
Prométhée (celui qui pense avant
d’agir). Celui-ci accepte que son frère
Epiméthée (celui qui agit avant de
réfléchir) s’occupe de créer
les animaux,
lui-même se réservant les humains.
Epiméthée, à la lucidité
défaillante,
distribue à ses chères créatures tout
ce qu’il y avait dans le magasin pour les
protéger et leur permettre de se défendre: des
carapaces, des griffes…Leur
ayant tout donné, il laisse l’homme
nu!...Obligé de corriger l’erreur de son
frère, Prométhée vole le feu dans la
forge d’Héphaïstos et l’offre
aux hommes.
A eux d’imaginer la vie qui va
avec…puisqu’ils sont doués de raison!
Grâce au
feu et aux arts ils pourront dominer la création…
La parfaite entente entre la
jeune-fille et la tortue n’est-elle pas le symbole adequat
d’une
réconciliation, ne contribue-t-elle pas à
récuser la notion de hiérarchie entre
les espèces, à nier la
supériorité de l’homme sur
l’animal? En prônant,
inconsciemment sans doute, l’antispécisme, cette
œuvre de Jean Henninger est,
plus que jamais, d’actualité!
La jeune-fille et la tortue,
présentées dans cette attitude paisible
constituent l’image rêvée de
l’aboutissement de cette édifiante histoire. Dans
un style fluide, aux lignes
pures et lisses, exemptes de toute aspérité, Jean
Henninger donne tout son sens
à l’heureux dénouement
Photo: Archi-Wicki. org Détail |
La tendresse du message à transmettre,
l’ambiance familière, amicale, intime, a sans
doute suggéré à Jean Henninger la
technique du bronze, c’est à dire celle du
modelage qui consiste à apporter de
la matière, plutôt que celle de la sculpture sur
pierre qui consiste à en enlever
à coup de marteau et de burin…Le modelage tout en
douceur qui met la main du
créateur directement en contact avec la terre glaise.
Jean Henninger a choisi la technique
de fonte du bronze «à cire perdue», la
plus utilisée depuis la nuit des temps,
celle qui permet de reproduire au détail près
l’œuvre recherchée de
l’artiste.
Cette technique nécessite un savoir-faire
extrêmement pointu dans lequel le
fondeur est fortement impliqué, ce qui justifie que les
œuvres portent son
empreinte à côté de la signature du
sculpteur.
La première étape consiste
à réaliser
une prise d’empreinte du modelage.
Elle sert à créer un plâtre original de
l’œuvre. A partir du plâtre original un
second moule est réalisé dans lequel la cire
liquide est appliquée. A
l’intérieur du bronze creux on place un noyau en
matière réfractaire qui
présente les formes générales de
l’œuvre.
C’est
alors que le fondeur intervient. Un moule «de
potée» est créé autour de
l’épreuve en cire. Il est en matière
réfractaire. Une fois installé dans le
four, on porte la température à 200 –
300 degrés, ce qui fait fondre la cire.
Lorsque la cire est évacuée, on porte la
température du four à 600 degrés pour
cuire le moule et le noyau. On y coule ensuite le bronze en fusion qui
atteint
1 100 degrés. Quand le bronze est refroidi, le moule est
détruit. L’œuvre est
ensuite ébarbée, ciselée, si
nécessaire, et patinée. La patine permet
d’obtenir
la couleur souhaitée.
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faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.