Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Jean Henninger

La jeune fille et la tortue

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© Archi-Wiki.org
Œuvre réalisée par la Fonderie SCHMAEKE de Düsseldorf, en 1966

    

    

    

    La Jeune-fille et la Tortue, quel beau sujet pour une fable, allégorique leçon de vie! Ni Esope ni La Fontaine ne les ont réunies. Nous devons cette insolite rencontre à Jean Henninger qui en a conçu trois fontaines dont celle de la Place d’Austerlitz à Strasbourg et celle dédiée à Munich.

    La tortue est, certes, familière aux fabulistes; il est vrai que son symbolisme «s’étend sur toutes les régions de l’imaginaire». Le dôme de sa carapace s’apparente à la voûte céleste; son ventre plat rappelle la Terre. Entre les deux lui est dévolu le rôle de médiatrice. De ce fait, elle détient des pouvoirs de connaissances, de divination. Sa longévité bien connue l’associe à l’idée d’immortalité. Campée sur ses solides courtes pattes, elle évoque l’idée de puissance, de stabilité, d’équilibre.

    Voilà bien des aptitudes qui justifient le choix de la tortue  en tant que symbole. Pourtant ce n’est pas elle qui va nous fournir le «motif secret» de l’œuvre. C’est la jeune-fille juchée sur son dos, affectueusement penchée sur elle dans une caresse reçue avec confiance, voire avec plaisir. Et c’est dans ce geste, sans doute, qu’est dissimulée la clé. Il s’agirait de l’harmonie entre le règne animal et le genre humain…Mais, ne devrait-on pas parler d’harmonie retrouvée? Car, si nous remontons à la source, à la genèse du monde vivant, nous sommes bien obligés de constater que le «vivre ensemble» paraissait improbable. Rappelons-nous ce que nous enseigne, à cet égard, la mythologie grecque qui a marqué comme aucune autre la civilisation occidentale.

    Au lendemain de sa victoire sur les Titans et autres Géants, entouré des dieux de l’Olympe, dont Apollon qui jouait de la lyre, taillée dans une carapace de tortue…, Zeus constate que le monde est devenu trop calme. Les dieux risquaient de s’ennuyer à mourir. Un comble pour des immortels!...

    Après un temps de réflexion, il eut une idée géniale: créer toutes sortes d’êtres mortels qui apporteraient autant de distractions que de sujets d’étonnement. Il confia cette noble tâche à Prométhée (celui qui pense avant d’agir). Celui-ci accepte que son frère Epiméthée (celui qui agit avant de réfléchir) s’occupe de créer les animaux, lui-même se réservant les humains. Epiméthée, à la lucidité défaillante, distribue à ses chères créatures tout ce qu’il y avait dans le magasin pour les protéger et leur permettre de se défendre: des carapaces, des griffes…Leur ayant tout donné, il laisse l’homme nu!...Obligé de corriger l’erreur de son frère, Prométhée vole le feu dans la forge d’Héphaïstos et l’offre aux hommes. A eux d’imaginer la vie qui va avec…puisqu’ils sont doués de raison! Grâce au feu et aux arts ils pourront dominer la création…

    La parfaite entente entre la jeune-fille et la tortue n’est-elle pas le symbole adequat d’une réconciliation, ne contribue-t-elle pas à récuser la notion de hiérarchie entre les espèces, à nier la supériorité de l’homme sur l’animal? En prônant, inconsciemment sans doute, l’antispécisme, cette œuvre de Jean Henninger est, plus que jamais, d’actualité!

    La jeune-fille et la tortue, présentées dans cette attitude paisible constituent l’image rêvée de l’aboutissement de cette édifiante histoire. Dans un style fluide, aux lignes pures et lisses, exemptes de toute aspérité, Jean Henninger donne tout son sens à l’heureux dénouement

 


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Photo: Archi-Wicki. org
Détail

    

 

    La tendresse du message à transmettre, l’ambiance familière, amicale, intime, a sans doute suggéré à Jean Henninger la technique du bronze, c’est à dire celle du modelage qui consiste à apporter de la matière, plutôt que celle de la sculpture sur pierre qui consiste à en enlever à coup de marteau et de burin…Le modelage tout en douceur qui met la main du créateur directement en contact avec la terre glaise.

    Jean Henninger a choisi la technique de fonte du bronze «à cire perdue», la plus utilisée depuis la nuit des temps, celle qui permet de reproduire au détail près l’œuvre recherchée de l’artiste. Cette technique nécessite un savoir-faire extrêmement pointu dans lequel le fondeur est fortement impliqué, ce qui justifie que les œuvres portent son empreinte à côté de la signature du sculpteur.

    La première étape consiste à réaliser une prise d’empreinte du modelage. Elle sert à créer un plâtre original de l’œuvre. A partir du plâtre original un second moule est réalisé dans lequel la cire liquide est appliquée. A l’intérieur du bronze creux on place un noyau en matière réfractaire qui présente les formes générales de l’œuvre.

C’est alors que le fondeur intervient. Un moule «de potée» est créé autour de l’épreuve en cire. Il est en matière réfractaire. Une fois installé dans le four, on porte la température à 200 – 300 degrés, ce qui fait fondre la cire. Lorsque la cire est évacuée, on porte la température du four à 600 degrés pour cuire le moule et le noyau. On y coule ensuite le bronze en fusion qui atteint 1 100 degrés. Quand le bronze est refroidi, le moule est détruit. L’œuvre est ensuite ébarbée, ciselée, si nécessaire, et patinée. La patine permet d’obtenir la couleur souhaitée.

 

    A la question: «Quelle est la chose la plus agréable dans votre métier?» le sculpteur a répondu: «c’est d’avoir la satisfaction d’une œuvre bien réussie, ce qui est plutôt rare car la plus belle œuvre est toujours celle qui reste encore à faire». Gageons que «La jeune-Fille et la Tortue» a compté parmi celles qui lui ont procuré cette joie, ce bonheur qui sont la plus belle récompense de l’artiste créateur quand il a fait preuve de cette «vision fervente de la beauté esthétique» que Jean Henninger tenait pour essentielle.


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