Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frHenri Zuber
(1844 - 1909)
Le
Passé Versailles, 1898
(Huile – 100 x 133 ©
SOMOGY, Editions d'Art
Cliché Musée de Picardie / Marc Jeanneteau |
«A partir de 1887 Henri Zuber découvre les splendeurs des jardins du château de Versailles où il retourne souvent, surtout en automne. Il y fait de très fréquentes visites et y peint quelques unes de ses œuvres les plus importantes; ainsi Le Passé, Versailles, représentant le bassin nord du parterre d’eau, devant le palais, avec au premier plan la statue en bronze de «la Garonne»…Henri Zuber a illustré cette œuvre d’un vers d’André Chénier: «Tout a fui! Des grandeurs tu n’es plus le séjour…».Cette composition déclencha une avalanche de louanges dans les journaux d’art, en France ainsi qu’en Angleterre…» (Denis BLECH)
Au-delà du j’aime ou je n’aime pas, soumettons-nous à un questionnement rationnel du sentiment esthétique. Parmi les domaines d’excellence définis par Hector Obalk, retenons, pour analyser cette œuvre: l’originalité de l’espace, l’influence de la lumière sur la qualité de l’ambiance et la capacité narrative du tableau.
L’art de la peinture est de suggérer l’espace. Or, la sensibilité qu’un amateur d’art peut avoir à l’espace est ici pleinement satisfaite. Ce qui fait la qualité spatiale de ce tableau, c’est l’amplitude gigantesque entre le sujet le plus proche, l’allégorie de la Garonne, sa monumentalité, et l’objet le plus éloigné, les frondaisons déclinantes du bosquet. C’est aussi la gradation extrêmement serrée par laquelle notre regard avance insensiblement dans la profondeur du paysage. Cette magie est d’autant plus efficace que l’œuvre est de taille imposante: 100 x 133 cm! Le plan d’eau est ouvert à gauche et plus encore à droite ce qui donne au tore de la margelle un élan irrésistible. Et si l’horizontalité du fond du bassin a tendance à couper la perspective, celle-ci est réactivée par les frondaisons automnales, dégarnies, du bosquet, vers la lumière éclatante du ciel qui attire notre regard.
La lumière, engendrée par une infinie variété de nuances d’or rehaussées de gris plus ou moins atténués, délicatement colorés, confère au ciel une profondeur et une vérité qui forcent l’admiration. Elle crée une atmosphère poétique évocatrice, à la fois de grandeur et de nostalgie, grâce à la justesse de valeur des différents plans et à l’emploi judicieux du clair-obscur. Et ce, dans une gamme discrète, dans une facture classique. Et si celle-ci est marquée du sceau de la sincérité, l’émotion qu’Henri Zuber a ressentie n’est pas absente.
Il a forcément été sensible
au puissant attrait historique et esthétique de la
scène.
Il y a entre le dieu
d’eau et nous une connivence dans la contemplation mais aussi
une communion
d’idées: il attise notre attention, il partage
notre émotion, il est captivé,
subjugué peut-être, par une puissance plus grande
que la sienne, celle de la
beauté. Guerrier imposant, dont la robuste musculature est
renforcée par les
reflets pâles de la lumière dorée,
mais, guerrier au repos, le glaive fiché en
terre, signe de paix. Son attitude est en adéquation avec la
quiétude, le
calme, la sérénité dans lesquelles
repose le vaste paysage. Il a un rôle
ambigu; il est à la fois dans le tableau et hors de lui, ce
qui en fait un personnage
vivant: dieu d’eau qui rend hommage au dieu de la
lumière.
Il est tellement
présent, qu’il a tendance à nous faire
oublier qu’il doit son existence, ici,
au talent du peintre. Or rien n’est plus difficile en
peinture que de suggérer
ces distances infinies par les seules modulations de la couleur et,
partant, de
la lumière. Rien n’est plus difficile que de
transmettre l’émotion ressentie, «vertu intime qui ne
s’acquiert pas et qui doit être le souffle
animateur de toute
œuvre.» (René-X. Prinet)
- Bibliographie :
- Denis BLECH – Henri ZUBER, de Pékin à Paris, itinéraire d’une passion. – SOMOGY Editions d’Art – 2008.
Disponible à l’APHZ, 4/8 Rue Robert de Flers, 75 015 PARIS
-
Hector OBALK – Aimer voir - © CORPUS, Paris, 2011
- René-X. PRINET – Initiation à la
peinture – Flammarion - 1935
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.