Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frFrançois Fleckinger
(1907-1993)
© Norbert
Fleckinger
Le Solitaire |
Comme Léon Lehmann a trouvé dans le sapin qui se dressait devant sa fenêtre, son échelle de Jacob et qui de ses «sapins enneigés» a fait des ruissellements de prières, François Fleckinger a cultivé une mystérieuse vénération pour les arbres solitaires, sapins majestueux, solidement ancrés dans les pierrailles, arque-boutés aux vents violents des cimes, arbres morts dressant leurs silhouettes décharnées, pitoyables, héroïques dans des ciels hostiles…
Ainsi, le «Solitaire» qui impose sa masse gigantesque, d’autant plus impressionnante qu’elle est peinte en contre-plongée et à contre-jour. Sa ramure, d’un noir mat, chichement veinée de brun et de vert sombre, y gagne en mouvement et suggère une lutte sans merci contre des vents obstinés. En témoignent quelques branches mortes qui résistent mollement et la silhouette asymétrique de ce géant décoiffé. La longue tache brune qui entaille son tronc apparaît comme une blessure létale
Lui et ses deux modestes compagnons de l’arrière plan, manifestent pourtant une ardente envie de vivre – de survivre- . Leur disposition en éventail ouvert vers le ciel le montre bien. Un ciel comme François Fleckinger les affectionne: un ciel mouvementé dont le fond, d’un bleu très pur, est investi de taches plus ou moins menaçantes aux tons rompus où le soleil entre par effraction…
Pourtant, que la montagne est belle, a-t-on envie de dire…Car ce ciel lumineux, ce sombre patriarche et son piédestal aux tendres et délicates nuances de vert et de terre de Sienne vont si bien ensemble!...
Mais, en fait, qu’est-ce que François Fleckinger a pu ressentir à travers cette aquarelle, une prouesse, il faut le dire, quand on sait qu’il l’a réalisée sur le motif comme à son habitude? Que signifie pour lui ce «Solitaire»?
L’arbre est l’un des thèmes symboliques les plus riches et les plus répandus. Il est, selon les civilisations, les coutumes et les légendes, symbole de vie en perpétuelle évolution, en ascension vers le ciel, mettant en communication les trois niveaux du cosmos: le souterrain par ses racines fouillant les profondeurs, la surface de la terre par son tronc, les hauteurs par ses branches et sa cime attirées par la lumière céleste. Il peut aussi être considéré comme le chemin ascensionnel, par lequel transitent ceux qui passent du visible à l’invisible: c’est l’arbre des proportions de Léonard de Vinci, c’est l’arbre de vie des tapis de prière, c’est l’arbre généalogique de Jesse, c’est l’arbre incantatoire de Léon Lehmann.
Qu’en est-il de celui de François Fleckinger? Ne serait-il pas, comme le suggère René Spaeth, le symbole d’un défi inébranlable, d’une âpre résistance, à l’image de celle qu’il manifesta lui-même sous la botte nazie?
En tout cas, ce prestigieux titan, fidèle et valeureux, ressemble au «peintre enraciné dans sa province où il trouve la flamme de son art profond.» (R. Spaeth)
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.