Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frFrançois Bruetschy
(1938)
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Vous avez dit austère, minimaliste? Dites plutôt énigmatique, de prime abord…Puis, laissez-vous aller à la contemplation, laissez s’établir entre vous et le tableau cet échange d’interrogations et de réponses qui, au-delà de la simple sensation optique, vous révèlera un monde d’une richesse d’évocation d’autant plus étonnante que son sésame vous paraît peu engageant. Mais, fi des apparences, franchissons le seuil!...
Et là, nous sommes forcément sensibles à l’équilibre qui émane de l’occupation de l’espace, à l’eurythmie, combinaison harmonieuse entre le sujet et l’espace libre, au savant ordonnancement de ces signes qui sont des graphèmes plutôt que des symboles. Ils suggèrent tout à la fois une ouverture, une expansion qui s’amorce, une tentative d’envol que les segments rectilignes peinent à retenir, d’où une idée de progression, de transcendance…
Ce ne sont là que mes propres impressions. Quelles sont les vôtres? Prenez une chaise…Une chaise est indispensable pour comprendre un tableau, car, c’est au prix de l’immobilité que l’œuvre se met à exister. On en prend conscience peu à peu, à mesure que l’on se détache du monde qui l’entoure.
A
présent que nous avons de ce tableau une certaine
connaissance «d’effet»,
écoutons son réalisateur pour pouvoir le regarder
en connaissance de «cause»…
Pourquoi le fusain – signe de précarité – appelé à retourner en poussière? Ya-t-il éventuellement une relation métaphysique?
«Le
défi est de faire avec une
matière instable et pulvérulente un travail
précis. Le fusain est le seul
matériau qui ne nécessité ni liant ni
médium: le pigment le plus pur. C’est
aussi le plus ancien, 30 000 ou 50 000 ans ou plus. Produit de
combustion,
c’est celui qui est le plus proche du désastre.
Couleur de la nuit, c’est celle
qui est le plus proche des astres.
»
En travaillant la surface du
papier
en couches successives au fusain dur qui attaque la pulpe du papier,
puis au
fusain tendre appliqué à la paume de la main,
vous obtenez un noir intense et
profond qui a l’aspect du velours.
On peut
considérer le fusain sur
papier comme un moyen inédit d’établir
un contact avec le contemplateur, de
susciter en lui, réflexion, rêve,
méditation…
«Le fusain sur papier est un moyen d’exprimer la sensualité de la surface et ainsi solliciter l’adhésion physique du spectateur.»
Vos
graphismes, à l’instar des mains
de l’art pariétal, sont inscrits en creux, en
négatif. Pourquoi ?
«Un trait sur une feuille de papier est toujours, quel que soit le projet, le début du recouvrement de la feuille. J’ai donc poursuivi le recouvrement jusqu’au moment où le trait allait disparaître. Optiquement, le blanc gagne toujours sur le noir. Un même carré noir sur fond blanc paraît toujours plus petit qu’un carré blanc sur fond noir. Dans ces dessins, le blanc qui reste est toujours victorieux sur le noir parce qu’il est la lumière.»
Pourquoi avoir donné au sujet cet
espace à l’échelle inattendue qui nous
semble immense?
«A partir de
l’écriture automatique
que je pratiquais beaucoup, il n’y a que deux voies
possibles. Soit l’extension
du procédé vers l’abstraction lyrique
et la saturation de l’espace (Jackson
Pollock) ou, par décantations successives, aller vers
l’essentiel, le noyau dur
(l’os) de la mémoire inconsciente ou comme je
l’ai appelée: la mémoire aveugle.
»
L’écriture automatique correspond chez vous «à la recherche de formes archétypales, sortes d’invariants qui ont traversé les âges». Peut-on, ici, reconnaître ces invariants comme des pictogrammes? Et ce, dans le sens où, moins une peinture décrit, plus elle écrit….
«Il s’agit de «machines désirantes» telles que définies par Gilles Deleuze. Des sortes de constellations mystérieuses tracées par des circulations, des itinéraires, des formes organiques ou végétales, des géométries. Mon ambition est que cela fasse «figure», une quête un peu similaire à celle de Novalis dans «Les Disciples à Saïs»
Une figure, qu’elle soit abstraite, géométrique ou autre n’est pas ce qu’elle représente mais ce à quoi on peut se reconnaître….Il n’y a pas de symboles, pas de représentation de choses préexistantes. Ma peinture est à elle-même sa propre fin.»
Selon Gilles Deleuze (Philosophe français – 1925-1995), le désir produit sans cesse des «machines désirantes». Celles-ci sont présentes dans la nature et dans tout corps. La machine est traversée par le flux du désir qui initie son processus de productivité selon le modèle du rhizome. Le désir, considéré ici comme créateur, est un principe immanent: il résulte de sa propre nature et non d’une action extérieure. Comme la mort est immanente à la vie, ce qui veut dire qu’elle réside dans le principe même de la vie.
Novalis
court récit
initiatique où s’insèrent des
considérations théosophiques avec la
référence à
Isis, à l’Age d’Or,
«l’ancienne vie si belle au sein de ,
poète – philosophe
romantique allemand (1772-1801) a écrit «Les
disciples à Saïs»,la
Nature». Il prône la
communication avec la Nature
qui se donne comme vérité supérieure
par révélation.
Extrait: «Si tout art consiste dans la connaissance des moyens à employer pour atteindre un but qu’on s’est proposé et dans l’habileté à choisir et à utiliser ces moyens, il faut que celui qui se sent intérieurement appelé à faire partager à un grand nombre d’hommes l’intelligence de la Nature et à cultiver et à développer avant tout les aptitudes de leurs âmes, il faut qu’il prête une grande attention aux occasions naturelles de ce développement et qu’il, cherche à apprendre les éléments de cet art de la Nature… C’est lui seul qu’on pourra nommer un véritable maître de la Nature.» (Traduit de l’Allemand par Maurice Maeterlinck)
Saïs: ville mythique de l’Egypte pharaonique (dès la 1ère dynastie – IIIème millénaire), située dans le delta du Nilfaite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.