Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.frDaniel Schoen
Huile sur toile – vers 1935-37 - (46 x 38 cm) Collection du Conseil Général du Haut-Rhin © Association Art de Haute-Alsace |
Rien de plus classique que San Carlo al Corso à Rome (1920), dans sa composition, son architecture, sa palette réduite et l’harmonie de ses couleurs qui rappelle Corot, première manière, selon Robert Heitz.
Rien de plus proche de l’impressionnisme que Poste de pilotage à Nieuport, peint devant le motif, par sa sensibilité aux jeux de la lumière, l’immatérialité du sujet, à l’aspect fugitif
Rien de plus voisin de l’esprit du groupe de mai que Paysage du Wacken, par sa construction qui doit beaucoup à la couleur. Il rappelle Schenckbecher qui, comme Schoen, voyait moins les choses qu’il ne les sentait…
Mais, quoi de plus représentatif du credo artistique de Daniel Schoen que Adieux en gare, tant du point de vue de la valeur picturale que de la puissance d’évocation; les deux étant intimement liés. Rappelons-nous la constatation de Robert Heitz: «sa technique est si souple, et si peu apparente, qu’il est presque impossible de la séparer de l’objet.». Le réalisme de Schoen qui rappelle ici, celui de Daumier, colle à l’objet!...A l’évidence du sujet – Adieux à la gare – répond la simplicité de l’image qui l’illustre. Les formes, les volumes sont traités sans souci du modelé. Les rails, au-delà du quai, sont esquissés à grands traits. La bande brune plus ou moins guillochée, qui bouche l’horizon, est difficilement identifiable. Les taches qui en surgissent, tiennent plus de l’inadvertance que de la détermination. L’arbre mort rappelle davantage le pinceau du peintre que le bois dont il est censé être fait…
L’observateur est d’abord et surtout sensible à la force, à la vigueur des couleurs, aux contrastes accentués par l’opposition des rouges-orangés aux verts-céladon, aux nuances de bleus et aux noirs profonds qui confèrent aux personnages une présence imposante, renforcée par la volumineuse valise, placée au premier plan et, plus encore, par le cadrage qui rapproche les deux personnages au point de mordre sur leurs silhouettes.
Ce tableau vaut d’être remarqué parce qu’il dit plus qu’il n’exprime, ce qui est un aspect essentiel du tempérament artistique de Schoen
Il pourrait s’intituler «Séparation». Tant la tension entre la fille et la mère est palpable. Daniel Schoen nous prend à témoins d’un instant crucial dans la vie des deux femmes. L’irréparable est peut-être en train de se commettre. L’attitude de la fille est empreinte de contrariété, de regrets. Elle semble navrée. L’attitude de la mère, la tête levée, est celle du reproche. Elle parle. Elle essaie peut-être de raisonner celle qui va l’abandonner, celle qui préfère l’air de la ville, miroir aux alouettes…On ne sait pas, car elle est montrée de dos, ce qui, d’ailleurs, nous interpelle et nous pousse à toutes sortes de conjectures. Notons que Schoen place volontiers de dos les protagonistes les plus importants de certains de ses tableaux. Votez Le Discoureur ou l’Intellectuel et le Manuel…
Ne sommes-nous pas en présence d’un de ces tableaux qui ont fait partie de son jardin secret dont parle Heitz? Une de ces recherches qu’il fit où la tradition classique se double d’un symbolisme très personnel, cette partie de ses travaux qu’il ne montrait pratiquement jamais au public et à laquelle il attachait une importance primordiale, ces tableaux qui ont leur vie propre, qui vivent pour eux et dont Schoen affirme: «Ce sont ceux-là les bons.»?
«C’est dans cette reconstruction de l’esprit – que nous venons de faire – que se manifeste la valeur de l’artiste et que réside son art.» nous dit-il encore.
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.