Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Auguste Cammissar 



Genèse d'une oeuvre

Auguste Cammissar
Esquisse d'un port breton – Dessin au crayon et pastel
Collection particulière
© Imprex - Haguenau


Auguste Cammissar
Port Breton, vers 1920 – Huile sur toile - Collection particulière
© Imprex - Haguenau
   

    
 

    Goûter aux charmes du plein air n’exclut pas le travail en atelier. Devant le motif, l’artiste exécute un croquis, une «prise de notes». Il procède à un inventaire de ce qui se donne à voir. Tel le grand chef qui fait ses emplettes nécessaires à la confection d’un bon plat, il rassemble, il juxtapose les éléments du paysage. Il en indique la place et la proportion. Ce croquis reste, avant tout, un aide-mémoire. La technique est hâtive. Le souci de la présentation n’est guère sensible. Son format est réduit.

    Il traduit la spontanéité, la rapidité d’exécution. Dans le cas d’Auguste Cammissar, cette spontanéité est appréciée par les connaisseurs pour sa franchise, sa hardiesse. Elle révèle une virtuosité que l’œuvre élaborée masque. Aussi, le croquis peut-il être considéré comme une œuvre en elle-même, telles les aquarelles des carnets de voyage de Delacroix et de Léonard de Vinci.

    A ce propos, Delacroix écrit, dans ses Etudes esthétiques: «Apprenez à dessiner…et vous aurez votre pensée au bout de votre crayon, comme l’écrivain au bout de sa plume; apprenez à dessiner et vous emporterez avec vous, en revenant d’un voyage, des souvenirs bien autrement intéressants que ne serait un journal où vous vous efforceriez de consigner chaque jour ce que vous avez éprouvé devant chaque site, devant chaque objet…»

        De retour à son atelier, Cammissar fait subir à son croquis une métamorphose prodigieuse, fruit de son talent, de sa sensibilité artistique et culturelle.

    D’emblée, on remarque les contrastes de couleurs, couleurs pures qui se valorisent mutuellement: bleu de la mer, vermillon des voiles, vert clair délicat du voilier dont le profil s’impose, brun-noir des embarcations, bleu clair, très doux du ciel, nuances de jaune-ocre des quais. On est loin du camaïeu de l’esquisse qui ne propose aucune hiérarchie, aucune prééminence, où tout est égal. En conséquence, la lumière est redistribuée de façon objective, notamment sur la rive opposée du golfe.

    Contrastes et lumière confèrent à la scène une puissance spatiale exceptionnelle. La lisibilité du tableau est parfaite. Elle est considérablement améliorée par rapport au croquis préparatoire grâce à la simplification de la composition, simplification des lignes strictement géométriques, simplification des volumes donnant aux éléments du décor des angles nets, simplification des alignements verticaux des mâts, horizontaux des barques, simplification du modelé au profit d’à-plats qui donnent à l’œuvre son caractère, son style

    En repoussant la scène par rapport au cadre, Auguste Cammissar donne plus d’espace au premier plan, éloigne la limite du ciel au-delà des extrémités des mâts. Il en résulte un effet de grandeur, de solennité. Solennité que suggère l’attitude hiératique des femmes, figées, silencieuses, dont le nombre est considérablement augmenté par rapport à l’esquisse par une rangée d’énigmatiques silhouettes déshumanisées, plantées en ligne le long du quai. Le spectateur participe à un événement, une attente; celle du débarquement du poisson pêché, celle, plus cruciale du retour des pêcheurs. La vue plongeante accentue la tension  éprouvée par le spectateur, elle excite sa curiosité, le pousse à analyser les détails du rituel quotidien de l’attente.

    Ce tableau fait exception dans l’œuvre d’Auguste Cammissar, «peintre de l’Alsace». Il nous transporte en Bretagne, très probablement à Pont-l’Abbé, dans l’estuaire de l’Odet, avec, à l’horizon, l’île Chevalier. Nous sommes dans la capitale du pays Bigouden. A cette époque, en 1920, le costume bigouden, très original, était porté spontanément; notamment la coiffe, une des plus curieuses, haute parure de dentelle.

    Couleur locale, donc! Oui, mais double. D’abord par le thème: un port breton, la problématique de la mer, ensuite et surtout par la facture, le style. Car Pont-Aven n’est pas loin avec son Bois d’Amour et sa pension Gloadec et Gauguin n’est pas oublié puisqu’en 1921, précisément, Charles Chassé publie son «Gauguin et le groupe de Pont-Aven»

    Auguste Cammissar a clairement affirmé, tout au long de sa carrière, son ouverture d’esprit. Il a manifesté son intérêt pour les mouvements artistiques contemporains. Sans aller jusqu’à voir en lui un fauve, même modéré, on est en droit de constater dans le «Port breton» une connivence avec Paul Gauguin. Certains aspects de la facture de Cammissar l’y conduisent: des paysages solidement et infailliblement dessinés, sa capacité de construire une composition équilibrée, son esprit de synthèse.

    En fait, ce qui, ici, le rapproche de Gauguin, c’est justement cette avancée vers la simplification, dans une idée de synthèse. Simplifier les formes pour en exalter le caractère. Mais c’est aussi l’idée d’une peinture qui ne soit pas soumise à la seule observation de la nature, qui ne prend de la nature que ce qui est nécessaire.

    En travaillant de mémoire, dans l’atelier, il lui est loisible d’abolir l’inutile complication des formes et des tons - ce dont pèche l’esquisse - par l’étalement des à-plats et l’enserrement des formes. Il reste alors «un schéma du spectacle regardé. Toutes les lignes reviennent à leur architecture géométrique, tous les tons aux couleurs types de la palette prismatique» disait Emile Bernard, à la fois élève et maître de Gauguin.

 

    Par ce chef-d’œuvre, Auguste Cammissar, s’apparente aux nabis issus de la rencontre de Gauguin et de Paul Sérusier qui prônent la synthèse des sensations, écartent l’art du réel, exaltent la couleur et créent un être doué de sa propre vie: le tableau!...

                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Auguste Cammissar


 
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