Culturel
" L'analyse
d'une Oeuvre "
par
François Walgenwitz
francois.walgenwitz@sfr.fr(1896-1971)
La bouteille verte
Huile sur toile |
Ce tableau a été
conçu sur une opposition entre contrainte et
liberté. Elle permet à Armand Ingenbleek
d’aboutir à une synthèse
irrésistiblement plaisante.
La contrainte réside dans la
composition qui est calculée, mesurée, et
où chaque élément semble
être à sa
place. La corbeille au poivron vert pousse la bouteille, acteur
principal, en
avant. Il en résulte un effet de perspective qui se combine
à celui, suggéré
par le plateau disposé en biais. La coupe de fruits,
posée en retrait de la
bouteille, dans la ligne de fuite du couteau, accentue le souci de
profondeur.
Les boiseries du fond segmentent la composition en trois ensembles bien
distincts. C’est, du moins, ainsi que l’on peut
s’imaginer la genèse de ce
tableau et suivre l’artiste dans l’organisation de
son travail.
Cet agencement étant
élaboré, posé ou
non par un discret crayonnage, Armand Ingenbleek, en coloriste
né, s’en est
donné à cœur joie. Après la
contrainte d’une construction rigoureuse, a surgi
la liberté par la couleur. Seul, face aux innombrables
possibilités que lui
offrait sa palette, très loin de toute influence, il
s’est donné le droit de
tout oser.
Et, pourtant, rien ne choque, ou
presque…. Le regard se laisse entraîner dans une
promenade amusante, parmi les
audaces de touches et les délicates nuances de couleurs.
Rien de plus
surprenant que cette nappe
«caméléon» et cette
bouteille, issue spontanément de
l’esprit de l’artiste, où
c’est le noir associé aux traits de pinceau, vert
Véronèse, qui assure la transparence: un
oxymore!...Quant au reflet du bord de
la corbeille, à travers le verre: un flash cubiste? Si le
couteau et le poivron
rouge sont aussi vrais que nature, le compotier, lui, est un
concentré de
fantaisie avec son patchwork de teintes hâtivement
jetées, que le spectateur
est invité à assembler.
Et que
dire de cet ODI, objet difficilement
identifiable qui déborde du plateau en serpentant: arabesque
inquiétante, à la
consistance douteuse, due à son
inachèvement…voulu? Probablement puisque la
signature la souligne comme pour la justifier…En tout cas,
cette «chose»
énigmatique nous fascine. A-t-elle valeur de symbole,
à la manière d’une
vanité? La tête de serpent à
l’œil bridé que l’on distingue
finalement,
pourrait corroborer cette thèse…Mais, pourquoi
Armand Ingenbleek a-t-il dérangé
sa belle
composition par cette hubris? Quoi
qu’il en soit, l’œuvre n’en
est que plus intéressante!...
On peut déduire de la contemplation de
cette nature morte, particulièrement
animée…, d’une part, que
l’objet n’est pas
le point de départ, mais le résultat
d’une création plastique, l’artiste
s’étant laissé guider par sa
sensibilité, et d’autre part, que la couleur est
devenue une manière d’éliminer la
ligne, le trait. Armand Ingenbleek concrétise
ses sensations par le seul moyen de la couleur. Les touches
colorées
construisent le sujet de l’intérieur, ce que fit
Cézanne, l’expressionnisme en
moins…
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.