Culturel
" Une vie, une Oeuvre, pour le plaisir
des passionnés d'Art Alsacien "
francois.walgenwitz@sfr.fr
Michel
Charvet
Autoportrait - Huile sur toile © M. Charvet
Quand on connaît l’œuvre et que l’on fréquente l’homme, force est de constater qu’on ne «naît» pas Alsacien, on le «devient»!... Solidement ancré au bord du Rhin, à Fort-Louis, Michel Charvet fait honneur à sa province d’adoption, de façon inédite, certes irrévérencieuse, mais avec un fond de tendresse indéniable. Son imagination transcende son talent et fait de lui un artiste, peintre et écrivain, atypique et par conséquent captivant. Très jeune, naît sa passion pour le dessin, la peinture...
Michel Charvet est né le 18 mars 1953 à Saint-Denis «intramuros», à deux pas de la basilique et de ses célèbres gisants. «Un siècle trop tard» dit-il, en référence à la peinture et au style académiques de l’époque (1850 – 1880) qu’il ne cessera d’apprécier Issu d’une famille auvergnate, il passe son enfance et son adolescence à Issoire. Cette pérégrination de la région parisienne à l’Auvergne s’explique par le fait que son père, aviateur au Bourget, s’est installé à Issoire quand l’heure de la retraite eut sonné. «J’ai suivi dans les bagages, car, je n’avais que sept ans!»….C’est là, très tôt que naît sa passion pour le dessin, la peinture; l’art: un mot qu’il ne comprendra que plus tard… «De ma plus tendre enfance, il revient à ma mémoire, mes premiers ateliers de peinture. Ces animations, où l’on nous laissait toute liberté d’expression, étaient pour moi, de purs moments de récréation. J’aimais dessiner, et passais des heures à reproduire les feuilles nervurées de platane ou les marrons dans leurs bogues éclatées, récupérées au sein même de l’école maternelle.» Plus tard, à l’école primaire, un maître plutôt sévère, personnage que les moins de 40 ans n’ont pas pu rencontrer…avait pris l’habitude de donner comme punition, la reproduction, d’après un atlas géographique, des contours de la France. Comme Michel excellait dans ce travail, il est devenu le «copieur» patenté des élèves les plus dissipés. «C’est ainsi que, contre quelques sacs de billes, j’exécutais avec une joie non dissimulée, les contours de la Manche, du Cotentin, de la Bretagne, de la Provence…Les méridiens et parallèles n’eurent plus de secret pour moi et me familiarisèrent avec la pratique de la reproduction dite de la «mise en carreau». Grâce à cette technique, je pus déjà m’attaquer à l’art compliqué du portrait.» Vers l’âge de douze ans, il décide de se confronter à la peinture. Et la très populaire revue «Tout l’Univers» sera sa première source d’inspiration. Foisonnante de paysages, d’animaux, de scènes de vie, de personnages, il se plait à essayer de les reproduire. Travaillant à la gouache, il apprend les couleurs et les mélanges chromatiques. Parallèlement, il se procure divers ouvrages illustrés, consacrés aux peintres célèbres et tente de percer leurs secrets.Attiré par le classicisme,
il privilégie la peinture flamande
© M. Charvet
Une expérience conflictuelle
mais bénéfique
A l’âge de 15 ans, il quitte ses «chères» études pour signer un bail de sept ans à l’Ecole des Sous-Officiers de l’Armée de Terre. Il y prépare un BEPC d’électromécanicien. Il passe au camp de Valdahon, bien connu de générations de bidasses, les huit derniers mois de son contrat de sept ans. «Outre la grande sécheresse de 1976, allègrement combattue grâce au vin de messe de la cave du père Viennet, débit de vin en gros local, je décorais nombre de restaurants et autres estaminets en vendant ma production de paysages de la campagne environnante, celle de Courbet: le Doubs, la source de la Loue, le château de Joux peints au couteau.…A défaut de conflit extérieur, j’en déclenchai un, intérieur, avec mes supérieurs, et, après moult péripéties, dont une mutation en Alsace, il fut décidé d’un commun accord de mettre un terme à notre «collaboration». Cette expérience «conflictuelle» s’est toutefois révélée bénéfique. Et ce pour deux raisons majeures. D’abord, «Au-delà du fait d’avoir acquis une certaine autonomie, je pris de l’assurance, affirme-t-il. C’est ainsi que je me retrouvais au hasard de quelques congés, à flâner dans Paris, du côté de la place du Tertre. Là, j’ai sympathisé avec un vieux peintre qui me prit en amitié, et me garda auprès de lui une semaine entière. Le temps pour ce brave homme de m’apprendre la technique de la peinture «au couteau» qui m’était totalement étrangère. De retour à l’atelier, je mis en pratique cette nouvelle technique, mais en la personnalisant. Au lieu de déposer la peinture de façon «glissée», en travaillant avec la tranche du couteau, je la déposais à plat, de façon «frappée». L’astuce consistait à peindre, «les yeux brouillés», ce qui permettait d’avoir un effet de recul. Au final, le résultat n’était pas sans rappeler le style impressionniste, car, si de près, la structure du tableau faisait penser à une «râpe à fromage», avec un peu de recul, cela s’apparentait à une photographie. A défaut d’être des chefs-d’œuvre de l’art pictural, ces «toiles» n’en restaient pas moins d’honnêtes tableaux décoratifs.
© M. Charvet Le succès fut au rendez-vous et bon nombre de restaurants et «autres estaminets» en acquirent, conscients de refaire, à moindres frais, leurs décorations, dans la mesure où Michel Charvet réinvestissait instantanément son bénéfice sur place, en restauration et autres joyeuses libations. «Dès-lors, je compris que pour «casser la croûte», il me suffisait d’en peindre!...» Cela devait durer plus de vingt ans…
L’autre bienfait, hautement apprécié,
de sa période
militaire, est qu’à la suite d’une
mutation en Alsace, en 1972, il ne voudra
plus quitter la petite province. Et pour cause, il y fit la
connaissance de sa
future épouse, Sylvie. «Celle-ci,
Alsacienne bon teint, et de surcroît, comme il se doit,
excellente cuisinière,
à défaut de m’inculquer la langue de
Goethe, m’imposa la langue de veau
vinaigrette et autres recettes authentiques. En un temps record, ma
morphologie, sensiblement, se modifia. Bientôt
je pus, grâce à ma nouvelle sangle abdominale, me
fondre dans la
population locale…Ceci fait, il me restait un challenge
à relever, à savoir, me
faire accepter au sein du milieu artistique local…»
L'exercise imposé de l'Alsatique
Et d’abord, sorte de passage obligé, faire sa demande d’adhésion à l’AIDA (Association des Artistes Indépendants d’Alsace)…).Mais, à la suite d’un épisode du genre,« je t’aime, moi non plus», il la quitte prestement, réticent qu’il est à toute forme de récupération, jaloux de son autonomie qu’il saura garder tout au long de sa vie. Ensuite, il dut se mettre à «l’exercice imposé de l’Alsatique». Ce qui était loin d’être évident avoue-t-il «tant la reproduction des colombages n’était pas sans rappeler les exercices rébarbatifs des exécutions de frises à l’école primaire. Je pris alors mon bâton de pèlerin, une grande inspiration, et tâchai d’en trouver une en battant la campagne…Ce fut le cas, et je tombai sous le charme de la Province, de ces petites maisons «proprettes», aux géraniums étincelants et aux cours intérieures pavées…cirées. Je me mis à réaliser de petits tableaux à l’huile ou à la gouache, idéalisant une Alsace «authentique». J’intégrais à ces décors de théâtre des personnages et autres animaux afin de recréer une ambiance nostalgique de ruralité.» C’est à cette époque, inspiré par le guide que le Cercle d’Histoire de l’Alsace du Nord avait édité en 1984, qu’il sort son premier livre: «Dessine-moi l’Alsace, l’Outre-Forêt», paru aux éditions J.-P. Gyss en 1987. L’Outre-Forêt, c’est-à-dire la région la plus septentrionale de la province, enserrée par la forêt de Haguenau au Sud et celle du Bienwald allemand au Nord. Pourquoi a-t-il choisi l’Outre-Forêt ? D’une part, sans doute, parce que Michel Charvet s’est fixé au bord, dans l’Uffried, à la confluence de la Moder et du Rhin, dans le petit village de Fort-Louis, précisément, qui doit son nom à la place-forte construite par Vauban, démantelée lors des guerres napoléoniennes où subsistent, cependant, des vestiges impressionnants dans un paysage où abondent flore et faune, orchidées sauvages et hérons cendrés. Un petit village certes, mais «où il se passe toujours quelque chose»… D’autre part, parce que l’Outre-Forêt est le mieux à même de satisfaire sa quête d’authenticité. En effet, longtemps isolée, elle a, de ce fait, conservé plus qu’ailleurs, les arts et traditions populaires. Animée d’un vigoureux esprit identitaire, elle lui a permis de retrouver l’Alsace profonde, son âme encore vivace.La Moder à Fort-Louis - Huile sur carton - (L'Outre-Forêt illustrée - 1987) © Art Nord
Puis, en 1991, il publie, aux éditions Pierron, «L’Alsace sur chevalet. Le Bas-Rhin». Dans ce second «beau livre», Michel Charvet nous fait découvrir, outre les trésors naturels de sa région de prédilection, son habitat rural typique, ses coutumes et traditions populaires «empreintes de nostalgie (qui) symbolisent une spécificité chère à la mémoire collective et (qui) font de l’Alsace l’un des creusets traditionalistes les plus importants de France». (1) Il nous invite à ses fêtes, les «Messti», nous fait passer en revue les costumes traditionnels aux subtiles significations. Il nous fait visiter ses églises et chapelles, nous promène sur la Route du Vin et celle des Châteaux
La finesse de ses «plumes» trempées dans
l’encre de Chine
prouve ses remarquables qualités de dessinateur.
Jean-Laurent Vonau affirme que
la reproduction en couleur de ses huiles «crée
une atmosphère surréelle qui dramatise la
composition. C’est là, dit-il, le style de Michel Charvet, qui
traduit,
sans doute, une vision assez
pessimiste des choses, mais qui ne laisse pas indifférent.»
Certes!...Mais
ces illustrations ont avant tout une indéniable valeur
documentaire
admirablement servie par un hyperréalisme
stupéfiant de vérité et qui sera la
marque de fabrique, la touche de l’artiste. Ce que corrobore
J. Christian quand
il dit que «rien
n’échappe au regard
pénétrant de cet artiste qui, pour ne pas y
être né, aime profondément
l’Alsace
sans l’usure ou l’habitude. Ses portraits de
paysans rappellent ceux de Gustave
Stoskopf et ses Alsaciennes sont pleines de séduction. Mais,
c’est dans les
scènes de genre d’une Alsace d’hier et
d’avant-hier que Michel Charvet aime à
se plonger afin d’en faire revivre scrupuleusement le
meilleur et le plus
attachant. Emile Stahl se serait reconnu dans cette investigation qui
nous
touche et nous touchera de
plus en plus jusqu’au plus profond de
l’âme et du cœur.».
Voilà un fort bel hommage!...
Abbaye de Walbourg - mur d'enceinte et pierres tombales (L'Outre-forêt illustrée - 1987) © Art Nord Couple d'Obernai en costume traditionnel - Gouache (Coiffes et costumes d'Alsace - 1997) © Pierron
Sachant que tout un mode de vie et toute l’ambiance traditionnelle de l’Alsace allaient peu à peu s’étioler, Michel Charvet, à la suite et indépendamment des recherches effectuées par Charles Spindler et Anselme Laugel dans les années 1900,a publié, en 1997, aux Editions In Folio Carnets d’Artistes, le magnifique et très précieux ouvrage intitulé «Coiffes et Costumes d’Alsace», véritable document qui présente 64 planches soit autant de portraits saisissants de vérité, le documentaliste allant de pair avec l’artiste. «Avec mon épouse, nous avons parcouru le territoire à la recherche de costumes. Presque chaque bourg a le sien. Cette diversité dans les formes et surtout dans les couleurs m’intéressait particulièrement. Nous avons donc une collection de ces costumes à la maison et les gens peuvent venir poser et avoir leur portrait en costume, comme au début du siècle dernier. Je pense que je suis le seul à perpétuer cette tradition.» Tout en perpétuant la tradition d’une région dont il n’est pas originaire, ce qui est une première dans l’histoire récente de l’Art en Alsace, il continue de peindre des portraits, son épouse étant son sujet préféré, somptueusement représentée en «Femme en prière» notamment. Michel Charvet commençait à être connu comme artiste portraitiste «Pas suffisamment toutefois pour espérer vivre de ma passion, avoue-t-il. Alors j’enchaînais les petits boulots, de magasinier à laborantin, de courtier d’assurance à veilleur de nuit ou bien encore «assembleur» de rails de chemin de fer. En résumé, des années «galères» que je mis à profit pour développer mon art de la portraiture, mettant un terme définitif à ma production de paysages et de fermes à colombages.» Pour maîtriser l’art délicat du portrait, Michel Charvet s’est engagé, tout au long de sa carrière, à réaliser des natures mortes considérées comme des exercices de style, prémisses des portraits à venir. Ce genre de peinture lui est devenu primordial. Car, «comme un musicien fait ses gammes, les miennes se font sous forme de natures-mortes. Un portrait est le résultat, ni plus ni moins, d’une succession de dégradés. Tant et si bien que si vous savez peindre un œuf, vous serez capable de réaliser un portrait…» Michel Charvet réalise ses oeuvres de A à Z. Il choisit le format qui lui convient, il tend, apprête et, à la fin, vernit ses toiles lui-même avec le plus grand soin. Le travail sur le tableau tient en quatre étapes. D’abord, il réalise ses sujets au crayon, dans les moindres détails. Ensuite, il exécute une première épreuve à la gouache. Si celle-ci est satisfaisante il reprend son crayon pour un nouveau dessin précis puis, effectue le travail à l’huile.Le peintre en action © M. Charvet Nature morte à la cruche - Huile sur toile © F.Walgenwitz Femme en prière - Huile sur toile © M.Charvet S’il accepte de faire le job «alimentaire» de représentant en assurance, c’est, qu’il se sent doué pour la vente. «J’ai la fibre commerciale, que voulez-vous. J’ai toujours su me vendre, sourit-il. Et il faut posséder cette fibre quand on est, comme moi, travailleur indépendant…» Le temps des expositions
Aussi, faut-il se faire connaître. Tout en n’étant pas un peintre de galerie, désir d’indépendance oblige, il participe à diverses expositions et concours «chez lui», en Alsace. La première a lieu en 1979 au 4ème Salon des artistes de la Ville de Haguenau où l’on affectionne ses portraits. En 1984, Pfaffenhoffen le compte parmi les exposants du Salon d’août et de décembre. Le public constate alors l’éclectisme de ses modes d’expression, dans des oeuvres traitées au couteau, au fusain, à l’encre de Chine, à la gouache, à l’aquarelle et, bien entendu, à l’huile. En 1985, il remporte le 1er Prix de l’aquarelle à Montreux-Jeune, dans le Sundgau sur le thème pittoresque de l’Outre-Forêt. La même année, il participe au Salon des artistes de Mertzwiller et obtient, le 30 juin, à Sessenheim, le Prix Henry Loux qu’il apprécie particulièrement. Il le ressent comme un encouragement et en tire une «nouvelle impulsion à son élan créatif»(2). Si bien qu’en octobre de cette année décidément prolifique, il enchaîne les expositions à Benfeld, Gambsheim, et Haguenau et participe aux rencontres internationales de Thionville et de Strasbourg. Cette activité débordante se poursuit en 1986 à Lembach puis à La Wantzenau où il lui est décerné le Prix du public, à Hunspach, à Sarrebourg, à Betschdorf... Par la suite, ses différentes participations lui valent le 1er Prix de la Jeune Peinture à Bischwiller en 1989, le 1er prix de peinture à Barr la même année et à la Wantzenau en 1992, le Prix de la peinture Paul Ricard à Furdenheim en 1994 et le Prix Joseph Rey à Altkirch en 1996 A ce moment de son parcours, «un tantinet lassé», il décide de décompresser et de prendre un peu de recul. En effet, la peinture hyperréaliste dont il n’a plus rien à apprendre et qu’il maîtrise parfaitement dans sa manifestation la plus difficile entre toutes: le portrait, risque de l’enliser dans la routine de l’art pour l’Art qui n’est guère gratifiant pour un homme de la trempe de Michel Charvet, ouvert sur la vie et débordant d’esprit et d’inventivité.Michel Charvet, peintre animalier
Bref, l’hyperréalisme mène à tout à condition de le sublimer…Pour ce faire, il se lance dans la peinture animalière Et c’est le «déclic». Le double déclic devrait-on dire. Non seulement Michel Charvet découvre une nouvelle vocation, celle de peintre animalier, mais encore il devient illustrateur. «Et plutôt que dans les galeries, je serai présent dans les librairies» affirme-t-il. Michel Charvet, peintre animalier - Huile sur toile ("Le Blaireau") © M. Charvet La Loutre - Huile sur toile © F. Walgenwitz Cette nouvelle discipline (au vrai il s’agit d’un nouvel engouement) connaît un vrai succès et lui ouvre les plus belles opportunités. «Non seulement ses dessins animaliers peuplent ses livres mais ils sont aussi choisis pour des affiches publicitaires, des étiquettes de vin ou des enveloppes pré-timbrées pour son village de Fort-Louis. Les commandes de portraits animaliers affluent également.» (2) Pour ou contre les Alsachiens? Mais le plus sensationnel reste à venir. Michel Charvet prévient: «Cela allait m’amener à la plus grosse farce de ma carrière». «Un jour, après un repas quelque peu arrosé, en compagnie d’amis, je fus mis au défi de réaliser le portrait du chien de l’un d’eux. Je fis mieux, et exécutai une série de planches représentant des portraits de canidés habillés. Le résultat fut plus que probant et, encouragé par Tomi Ungerer, je décidai d’en faire un livre.» C’est ainsi que naquirent, en 2002, aux Editions Tom et Olaf, «Les Alsachiens», sur un texte d’Huguette Dreikaus, préfacé par Tomi Ungerer «L’ouvrage
déclencha des bordées de rires chez
les uns et un tollé d’indignation chez les autres.
La presse s’en mêlant,
attisa les réactions et l’exposition du Conseil
Général de Strasbourg les
décupla. Pro-Alsachiens contre Anti-Alsachiens, on
était, toute proportion
gardée, pas loin d’une nouvelle affaire
Dreyfus…»
Maryvonne - gouache (Les Alsachiens - 2002) © M. Charvet Le cousin germain - gouache (Les Alsachiens - 2002) © M. Charvet
En quoi les
Alsachiens déplaisent-ils à leurs
détracteurs qui se présentent comme Alsaciens
et fiers de l’être s’ils ne se
réfugient pas derrière l’anonymat?
Selon eux,
Michel Charvet porte atteinte au «peuple» alsacien
en le présentant sous les
traits de «chiens
décadents» (sic).
Ils lui reprochent l’outrecuidance de «ridiculiser
les Alsaciens qui l’ont accueilli sur
leur Terre». Des militants du parti autonomiste
«ont
carrément sorti leurs
crocs!» rappelle Florian Haby des
Dernières Nouvelles. On a parlé de
racisme, on a donné dans l’amalgame avec les
brimades et autres outrages du
passé…Fallait-il craindre des
représailles? «A
l’époque, je pensais enfin refaire le
crépit de ma maison. Mais comme je
m’attendais à ce qu’on vienne me la
taguer, j’ai attendu un peu…».
En fait,
les murs sont toujours en l’état. Il
était, par ailleurs, hors de question de
détruire la douzaine de nids d’hirondelles qui
s’était établie sous les
auvents. On ne peut pas être plus respectueux de la nature!...
Le titre de l’objet du délit est certes provocateur. Michel Charvet l’est-il lui-même pour autant? Il s’en défend. Il sait bien que le sens de l’humour est la chose la moins bien partagée. «C’est dans la nature-même de l’artiste d’interpeller, de choquer. Ou alors cela n’intéresse plus personne», répond-il à toutes ces réactions négatives. Huguette Dreikaus qui «incarne par sa posture et sa carrure une grande partie de l’immensité culturelle de notre province» (3) et qui signe les textes, met en garde les accusateurs qui, dans leur logique, devraient entrer en guerre contre toute l’Angleterre pour qui le mot «Alsatians» désigne le chien berger allemand!...Elle leur recommande aussi de rayer de leur vocabulaire tous les mots qui ont tendance à comparer les Alsaciens à des chiens. Par exemple: «Ich hab di hundsmaasig gern!» ou «Er schafft wie a Hund!» ou encore «Er hielt wie a Schlosshund!» Et de rappeler finement qu’ «un tableau est un révélateur de personnalité pour celui qui le peint, mais aussi pour celui qui le regarde» Quant à Tomi Ungerer qui pense que le symbole animalier le mieux approprié à l’Alsacien serait justement le chien: «toujours au garde à vous, nous jappons comme des français, nous aboyons comme des allemands, nous grognons comme des alsachiens!», Tomi Ungerer qui revendique les racines, «mais aussi les branches» du peuple alsacien, apporte à Michel Charvet une caution enthousiaste. Alsacien de souche ou Alsacien de «couche», Tomi et Michel ont pour l’Alsace le même attachement, la même considération. «Je place ma fierté dans mes résultats bien soignés, taillés, élagués». Cette assertion de Tomi Ungerer vaut pour Michel Charvet «qui peint l’Alsace avec tant de précision et de fidélité qu’on le croirait natif.» (4). Il dit lui-même: «Je suis avant tout un peintre des traditions qui cherche à représenter le folklore sous son angle le plus noble.» Et ce, même s’il met sa rigueur de portraitiste et son perfectionnisme au service de l’insolence, une douce insolence, une forme de tendresse: «Gueules canines et truffes fières nous vont si bien» reconnaît Alexis Fricker.
C’est avec un réalisme étourdissant,
une fidélité
extraordinaire au caractère des personnages que Michel
Charvet croque les
Alsachiens. Que ce soit «La belle, vue de (dot) »,
le «Hans im Schnogeloch»
placide et boudeur, , la protestante «Maryvonne»
qui a du chien, le «Paysan
fier d’être sundgauvien», «Le
gilet rouge» si dignement porté, «Miss
Frisette»,
finaliste de l’élection de miss France,,
«Vatel» qui n’est pas loin de
l’autoportrait,
«Le facteur qui mord les chiens», et qui a quelque
chose du Grand Charles, «Le
Poilu» bien trop frêle face à
l’imposant «Cousin germain»…
L'Epicurien fait l'apologie du porc La veuve - gouache (Salaisons d'Alsace - 2004) © M. Charvet La suggestion du chef - gouache (Salaisons d'Alsace - 2004) © M. Charvet Dans l’opus: «Salaisons d’Alsace» qui est aux «Saisons d’Alsace» ce que les nourritures terrestres sont à celles de l’esprit, Huguette Dreikaus se livre à une réflexion, certes émaillée de traits d’humour, mais avant tout approfondie, criante de vérité, de lucidité sur nos habitudes alimentaires en général et notre addiction à la charcuterie en particulier. Sur des illustrations opportunes de son complice, Michel, elle nous déclare sa dévotion pour le porc dont elle fait l’apologie. Elle nous assure que la saucisse est divine puisque Dieu seul sait ce qu’il y a dedans, que la saucisse à tartiner est un rempart contre le désespoir, que l’humanité est dans le talon du jambon, qu’il existe bel et bien en Alsace des «Waedele-clubs», que l’eau frémit de plaisir à l’idée de recevoir les boudins. Encore un mets divin!...Avec, entre les repas, une grande tendresse pour le cochon qui se décline dans ce principe de base de la morale: «Ne fais aux truies ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse!...»
En 2005, dans un tout autre registre, sa popularité de
peintre animalier vaut à Michel Charvet
d’être sollicité par Lucien Baumann,
ancien bâtonnier de Strasbourg et poète reconnu,
pour l’illustration de son «Carrousel animalier et ses 100
figurants», recueil de
poèmes paru aux Editions Coprur.
Michel Charvet, écrivain
Devenu son propre éditeur avec le bien nommé «Epicurien», il prend de plus en plus goût à l’écriture elle-même. Le voilà écrivain dans «L’Alsace désenchantée». Dans cette suite de courtes chroniques, sa plume s’avère aussi malicieuse que son pinceau. Cette sorte de pamphlet «traque tous nos travers alsaciens, égratignant allègrement traditions et institutions». Sans oublier quelques célébrités. Le tout expressément assumé, «du Racing au TGV, de la bière au vin, de l’art contemporain aux subventions, des bretzels aux cochonnailles, du folklore aux manifestations du week-end…» (5) Il s’agit d’une nouveauté pour le trublion de l’illustration: «C’est la première fois que j’écris ce genre de texte. Mais depuis plus de trente ans que je vis en Alsace, j’ai eu le temps de bien observer.»
Exclusivement illustré d’animaux
costumés, c’est un
savoureux bestiaire hyperréaliste que Michel Charvet propose
à ses lecteurs
auxquels l’éditeur «demande humblement
pardon pour les éventuels tourments que pourrait leur
procurer la lecture de
cet ouvrage.»
La Souricière - Gouache (Maigrir en Alsace - 2004) © M. Charvet Huguette Dreikaus - Gouache (Maigrir en Alsace - 2004) © M. Charvet En 2009, Michel Charvet récidive avec «Les Chroniques de l’Ami Freaks», évidente allusion à l’ami Fritz. Une version actualisée qui place Suzel et son ami Freaks dans le contexte sociétal actuel. La preuve? «Suzel était une jolie petite fille à la chevelure d’ange, blonde comme un épi de maïs (le blé ayant définitivement disparu du paysage depuis belle lurette). Ses yeux bleus éclairaient un visage un peu pâlot reflétant une certaine tristesse empreinte de fatalité traduisant le mal des cités …Les
années passèrent… Suzel
était devenue une
belle jeune fille. Entourée de ses amis, Djamel, Rachid,
Mouloud et Sabri, elle
eut tôt fait de découvrir les choses de la
vie…»
Michel Charvet, écrivain - Huile sur toile © M. Charvet La lecture de ce roman - conte de fée, où le réel se mêle au «merveilleux», est pleinement jouissive, avec, notamment, au procès de Raoul le pitbull d’Abdoul, le témoignage du loup qui, à l’occasion, donne de la Chèvre de Monsieur Seguin et du Petit Chaperon Rouge une interprétation certes immorale mais ô combien désopilante, l’auteur prenant «le contre-pied du bien-fondé allant jusqu’à prôner l’immoralité: choquer pour exister.» Et ce, dans un style qualifié de «classico populo», mélange subtil de lettres classiques et de conversations de bistrot où la poésie et la prose sont intimement liées». Monsieur Charvet fait-il de la poésie sans le savoir, spontanément? En tout cas, le lecteur se laisse séduire par les jeux de mots, les sonorités, les rimes internes qui rythment la phrase. Extrait: «Pour l’heure, sa Majesté ne s’en souciait guère, toute occupée à proposer la botte à Madame de la Motte qui, sous ses airs de prude Pénélope, n’en était pas moins une fieffée salope.» On sent bien la rime interne…sur un air de Brassens!
Ou encore, mais, là on se croirait dans Hervé
Bazin: «La
campagne quant à elle, était d’une
tristesse à pleurer, des nuées de
corvidés survolaient des immensités de terre
fraîchement labourées sur lesquelles se
découpaient, sur fond de ciel gris, les
silhouettes fantomatiques de quelques arbres morts.»
Couverture des "Chroniques de l'Ami Freaks" © M. Charvet «L’Alsace désenchantée» marqua la fin de sa parenthèse animalière. «A cette occasion me fut offert (en guise de cadeau empoisonné) un gentil goret. N’ayant pas la force de le sacrifier sur l’autel de la charcuterie, le créais dans la foulée la Très Haute et Très Respectable Confrérie du Porc Altier, dont je m’autoproclamais Grand Maître. Aujourd’hui, composée de notables, juristes, restaurateurs et autres chefs d’entreprises, nous défendons les valeurs du noble animal et prônons l’art du bien-manger, le tout dans une ambiance de franche camaraderie et de grande convivialité.»
L’exposition de 2006 «Fleurs
et Vanités» signifie un retour aux
sources dans le plus pur style flamand
qu’il étudia dans sa jeunesse, Michel Charvet
étonne à nouveau avec des natures
mortes, des bouquets…. Une «exposition tampon»
selon les termes de l’artiste…
Quand Michel Charvet touche au sacré... La passion selon St-Emilion - Huile sur toile (Un coup dans le pinceau) © M. Charvet Avec sa «Passion selon St-Emilion» Michel Charvet touche au sacré. Il s’engage sur la pente savonneuse du blasphème…Et l’incorrigible pécheur se laisse glisser. En effet, cette «Passion» d’un dogmatisme hédoniste, «allait être, nous confesse-t-il, le déclencheur de mon plus grand défi artistique, à savoir, la réécriture (forcément) apocryphe de la sainte Bible. …Huit années sont passées et l’ouvrage est enfin terminé» La «Bible racontée…à l’usage des mécréants et autres non-croyants» nous transporte dans un univers irrationnel, où la narration bascule parfois dans l’absurde. «Quant à la centaine de tableaux qui composent son iconographie, elle fait la part belle «aux femmes dans la Bible», et témoigne de mon indéfectible attachement à la peinture académique et plus particulièrement aux peintres «pompiers» auxquels j’ai voulu rendre un vibrant hommage.» 456 pages, une centaine de tableaux, Michel Charvet a réalisé un travail de Titan…Saluons la performance. La lecture de la Bible selon Charvet n’est pas sans rappeler celle des «Ecritures» de François Cavanna, pour le fond, les romans plus ou moins autobiographiques d’Alphonse Boudard ou les scénarios de Michel Audiard pour le langage. Lecture à la fois distrayante et instructive. Ce n’est pas de l’hébreu…Et, plutôt que de parler de vulgarité, liée aux expressions argotiques, reconnaissons sa valeur vulgarisatrice…A ce titre, la Bible revisitée devrait être déclarée d’utilité publique. Sa lecture devrait être obligatoire!...Certes l’Eglise la mettra à l’Index selon sa vieille marotte, comme elle l’a fait pour l’original et même pour le préservatif!... Le texte est truffé d’anachronismes: Eve passe l’aspirateur, Judith crée le mouvement féministe «Ni jupe ni chemise», Salomon supprime les Allocations familiales…La narration bascule dans l’absurde quand Eve veut retourner chez sa mère, quand le Créateur décide que les pommes de l’Eden sont exclusivement destinées à l’exportation, ou quand Jonas rencontre Pinocchio dans le ventre de la baleine…Elle est émaillées de réminiscences littéraires: «J’ai fait un rêve étrange et pénétrant…» renvoie à Paul Verlaine. Pourtant, chaque détournement de sens est justifié par un raisonnement aux solides chaînons. Ainsi, le fait étrange que la croix du Christ rappelle celle de Lorraine, est clairement expliqué dans l’épisode des Noces de Cana!...Le tout, dans un style qui est désormais cher à Michel Charvet et dont il ne se départit pas, parsemé à profusion de rimes internes: «Adam, grand maladroit, tu n’es pas au bon endroit…lui glisse Eve à l’oreille». Sautant allègrement de la syntaxe argotique au langage châtié.
L’iconographie, quant à elle, solennelle,
hiératique,
somptueuse, porte l’académisme au pinacle. Quand
elle illustre des situations
scabreuses, elle demeure suggestive, pleine de retenue à
l’exemple de la scène
où Marie découvre que si les anges
n’ont pas de sexe, les Archange, eux,…
si!...Et dans sa «conception » avec Gabriel aux
ailes «immaculées».
"Mais je croyais que les anges n'ont pas de sexe..." - Huile sur toile (La Bible racontée...à l'usage des mécréants et autres non croyants - 2015) © M. Charvet Marie acceptant les "arguments" de l'Archange Gabriel - Huile sur toile (La Bible racontée...à l'usage des mécréants et autres non croyants - 2015) © M. Charvet La femme adultère - Huile sur toile (La Bible racontée...à l'usage des mécréants et autres non croyants - 2015) © M. Charvet Michel Charvet a mis du talent dans son œuvre et du génie dans sa vie. Objectifs ambitieux! Mais c’est le chemin qui compte…Un chemin qu’il a tracé lui-même, «réticent à toute forme de récupération», il n’a été le bouffon de personne!...Et, de quoi demain, sera-t-il fait? A cet égard, Michel Charvet déclare: «Aujourd’hui, à l’automne de ma vie (plutôt l’hiver aux dires des médecins) je m’apprête à remiser chevalets et pinceaux sans regrets, en assumant pleinement mes choix.» C’est ne pas compter avec un souhaitable «été indien» On ne peut pas s’arrêter en si bon chemin!...
«La vie est
une
farce, il faut la vivre comme telle» dit-il. Eh
bien! Que la farce
continue!...
Bibliographie:
- Michel Charvet - «Dessine-moi l’Alsace» L’outre-Forêt illustrée. – Préface de Jean-Laurent Vonau (1)- Ed. J.P. Gyss – 1987 - Michel Charvet – «L’Alsace sur chevalet» Ed. Pierron – 1991 -
Michel Charvet – «Coiffes
et Costumes d’Alsace» Ed In
Folio Carnets d’Artistes – 1997 -
Michel Charvet – «Les
Alsachiens» Texte d’Huguette
Dreikaus, préface de Tomi Ungerer – Ed. Tom et
Olaf – 2002 -
Michel Charvet – «Maigrir
en Alsace» - Textes d’Huguette
Dreikaus – Ed. L’Epicurien – 2004
-
Michel Charvet – «Salaisons
d’Alsace» - Textes d’Huguette
Dreikaus – Ed L’Epicurien – 2004
-
Michel Charvet – «Les
Chroniques de l’Ami Freaks» - Ed
L’Epicurien – 2009
-
Michel Charvet – «La
Bible racontée à l’usage des
mécréants
et autres non-croyants» Ed L’Epicurien
– A paraître en décembre 2015
-
Lucien Baumann –
Illustrations de Michel Charvet – «Le
Carrousel
animalier» Ed
Coprur – 2005
-
Flora-Lyse Mbella-Ntoné – «Michel Charvet, truculent,
épicurien,
blagueur et humoriste» (2)
-
Tomi Ungerer – «L’Alsace
côté cœur»
– Ed. La Nuée Bleue
- 2004
- Articles de presse: Textes de Florian HABY (5), Alexis FRICKER (4), Anna KUBISTA, André BASS (3), Sophie WEBER, Hervé KELLER des DNA
L'Alsace sur chevalet La Cathédrale © Pierron Les Alsachiens Le Bicorne - Gouache © M.Charvet Le Gilet rouge - Gouache © M.Charvet Michel Charvet terrassé © M.Charvet
Maigrir en Alsace " Trink Bier, s'gibt Millich! " - Gouache © M. Charvet Héros des cochonnailles - Gouache © M. Charvet Le Carrousel animalier et ses 100 figurants L'Hippocampe
L'Alsace désenchantée La Chasse - Gouache © M. Charvet La Bible racontée... Hérodiade - Huile sur toile © M. Charvet Bithiat, fille de Pharaon - Huile sur toile © M. Charvet La Crucifixion - Huile sur toile © M. Charvet Michel Charvet dans son atelier © F. Walgenwitz Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur. |