Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Robert Heitz  

Confrontation




Robert Heitz 45c.jpg
Nature morte aux poissons et aux oignons, 1930



Robert Heitz 37c.jpg
L’ange, 1940

    

    Arrêtons-nous sur deux facettes de l’œuvre peint de Robert Heitz. Deux, parmi tant d’autres que ses talents multiples et son goût de l’expérience lui ont permis d’explorer. Car Robert Heitz est un homme foncièrement curieux. C’est avec une certaine délectation qu’il le proclame:

    «Depuis toujours je suis possédé par le besoin de savoir, de comprendre. Ce goût invincible de l’expérience qui ne semble que s’accentuer avec l’âge. (C’est une façon de parler; je ne me sens pas vieux du tout: on a l’âge de ses illusions.). Quand j’aurai expulsé le démon de la curiosité, que me restera-t-il?

    La curiosité; l’ambition aussi. Non point la quête des approbations, naturellement, ni le goût des honneurs. Mais cette discipline intérieure, la sévérité envers soi, la satisfaction que l’on éprouve à aller jusqu’au bout d’une idée, d’une expérience, même saugrenue et surtout dangereuse et cruelle à soi-même. La recherche, poussée jusqu’à la manie, de la sensation toujours plus intense, doublée de l’analyse aussi lucide qu’il se pourra. Volupté de l’écorché vif.»

 

    Voici, d’abord, une des rares natures mortes de notre peintre. Elle date de 1930, l’année où fut gréée «La Barque». Mais, paradoxalement, ce petit tableau ne peut s’en réclamer puisqu’il ne prétend pas au droit à l’imagination qui était le moteur de la dite «Barque». Bien au contraire, il peut être considéré comme «un prétexte à couleurs agréables», un simple régal pour les yeux. Et, à ce titre, il aurait pu figurer dans une exposition du «Groupe de Mai», animé par l’esprit de Cézanne. En effet, il répond assez fidèlement à l’excellente définition de l’art qu’a donné Simon Lévy, le prophète du maître d’Aix:

    «Dans le champ visuel, notre œil enregistre des taches de couleur, et cela, d’après leur proportion intérieure et leurs rapports respectifs. Pour le peintre, la couleur peut symboliser toute l’action. Un des dons essentiels de Cézanne est d’avoir saisi ce principe dans son ensemble et dans toutes ses nuances…Il arrive alors à ce résultat musical où une tache verte lui suffit presque pour nous donner l’impression d’un paysage…On dirait que la nature elle-même devient artiste, se dégage en émanations colorées. Cézanne arrive ainsi à l’art le plus pur…Cette conception de la peinture hausse la couleur à un niveau jusqu’ici inconnu…lui dicte une responsabilité énorme. Elle n’est plus supportée par la forme. C’est elle qui crée la forme.»

    C’est bien ce que nous constatons en contemplant la nature morte aux poissons et aux oignons: une sensibilité très nuancée de la couleur, une tonalité fraîche des bleus, des coups de pinceau plaqués sur la toile, en facettes, et non fondues, les touches étant clairement perceptibles. Pas de cloisonnement, la couleur crée effectivement la forme. Cependant, une architecture solide comme l’art des musées…

    Fraîcheur, lumière, contact avec le réel… Nous voici très loin de « la permanence des buts poursuivis», péremptoirement affirmée par les critiques, loin du théoricien et du censeur. Dans ce tableau la sensibilité s’est libérée de la tutelle de l’intelligence. Robert Heitz s’est échappé de lui-même. Il n’a pas tué en lui le coloriste qu’il pouvait être. Il ne s’est pas totalement détourné de cette création libre, spontanée, dégagée qui lui semblait, autrefois, plus précieuse que jamais et qui plaisait tant à Marc Lenossos…


    Mais, là, nous sommes en 1930. Passons à 1938. Robert Heitz s’ouvre au surréalisme, dernier grand mouvement international. Rappelons que le surréalisme fait une première et timide apparition à la maison des Arts de Strasbourg en janvier 1939. «C’était l’œuvre d’un franc-tireur»; en fait, lui-même, sous le pseudo d’Adrien Meïs.

    Rappelons également que le surréalisme se caractérise par un style réaliste utilisé pour peindre des assemblages d’objets «de tradition académique» auxquels se mêlent des éléments «constructivistes» (cubistes) tellement surprenants qu’ils renvoient aux rêves, aux manifestations du subconscient dans ses aspects automatiques. L’Alsacien Hans Arp disait qu’il s’agit «d’un ordre établi selon les lois du hasard.» Dali prétendait photographier ses rêves… Robert Heitz appartient à la phase finale du mouvement: autonome.

    «L’Ange» peut être considéré comme une œuvre surréaliste sauf qu’elle reste apparemment sous le contrôle de l’intelligence de son concepteur et qu’elle tient compte des préoccupations esthétiques et morales. On peut mettre un nom sur chaque chose mais elles sont combinées de manière impensable quant aux critères de la réalité quotidienne, notamment la position et la coloration des nuages, des nuages comme on en voit dans Magritte L’ange évolue dans un décor résolument antique, mais d’une antiquité peu orthodoxe, voire composite.

Les colonnes d’une surprenante section carrée portent des chapiteaux qui s’apparentent à l’ordre dorique, archaïque. En revanche, les cannelures esquissées et l’entablement fruste sont fantaisistes. L’horizon, très bas, est fermé par un paysage indéniablement méditerranéen sinon grec. En attestent les silhouettes lancéolées des cyprès et les deux édifices posés comme des temples difficilement assimilables à l’image qu’on a d’un temple grec. Adossées au pilier de gauche, les hautes arcatures ombrées rappellent les places italiennes de Giorgio De Chirico (1888-1978) que Robert Heitz connaissait bien, lui ayant consacré un hommage.

    Mais venons-en au «sujet» lui-même. Cet ange en lévitation, d’une légèreté, d’une élégance, d’une pureté de lignes inédites, triomphe dans un élan ascensionnel d’une parfaite harmonie. Cet élan a, par ailleurs, pour effet d’alléger la massivité de l’architecture  Le cadre qui fait partie intégrante du tableau et qui porte la signature du maître, joue avec la lumière et accentue la perspective  Robert Heitz a-t-il atteint cette perfection par approches successives ou a-t-il laissé son œuvre se former en lui-même en toute liberté, ce qui est une des marques les plus fréquentes du surréalisme?

    «C’est le secret de l’artiste de faire son œuvre si parfaite que nous en oublions ce qu’elle devait primitivement signifier, par pure admiration de la maîtrise qu’elle manifeste.», dit Ernst Gombrich. Posons tout de même la question: Quelle est la signification de cet ange? Quelle était, en l’occurrence, la source d’inspiration du peintre? Claude Odilé, en 1938 justement, à propos de la personnalité de Robert Heitz, en tant que peintre, prétend: qu’il «se cherche et ne se trouve pas», qu’il «n’est pas le peintre qu’il eût voulu être», qu’il «rêvait d’autre chose». Paul Ahnne rappelle l’incompréhension à laquelle s’est heurté le surréaliste Adrien Meïs auprès des Strasbourgeois. Ce serait, selon les critiques les raisons d’un combat intérieur, d’un combat qu’il se livrerait à lui-même: «Le combat avec l’ange», le combat de l’homme tiraillé entre orgueil et humilité? Le passage vers une conscience accrue de son identité? De tait, Robert Heitz sera amené lui-même à réaliser une «Lutte avec l’Ange» en 1950

    Pourtant cet ange que nous contemplons, déploie ses ailes et prend son envol en toute sérénité. Il exulte. Il semble transporté d’allégresse. En parfait accord avec son protégé

Il ne s’agirait donc que d’un exercice de style?



Robert Heitz 45c.jpg


Robert Heitz 43c.jpg



                                                                                           
Robert Heitz 53c.jpg


Mention Légale: Tous droits réservés. Aucune reproduction même partielle ne peut être
faite de cette monographie sans l'autorisation de son auteur.