Culturel



" L'analyse d'une Oeuvre "                      

                   par François Walgenwitz        francois.walgenwitz@sfr.fr


                          

Henri Loux

(1873-1907)





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Abholung des Hochzitters

Lithographie (1904-1905)

 

   

    S’il s’agit de faire un choix, après les avoir regardées, scrutées, comparées, qu’est-ce qui nous conduit à distinguer telle œuvre par rapport aux autres? Qu’est-ce qui retient notre attention et pourquoi?

    Au-delà des domaines d’excellence qui sont les qualités esthétiques d’un tableau que seul le goût peut atteindre, on peut être frappé par le témoignage que celui-ci apporte sur l’époque et la vie de l’artiste, dans la mesure où les effets révélateurs nécessaires sont suffisamment présents et clairement reconnaissables car «Il y a plus à apprendre de l’analyse des effets que de la connaissance des causes» comme l’affirme le critique Hector Obalk.

    Plutôt que de mettre en exergue l’œuvre emblématique d’Henri Loux, la plus représentative, j’ai ainsi été amené à distinguer Die Abholung des Hochzitters, comme la plus singulière, la plus étonnante. Et ce, pour les raisons inhérentes à ce qu’est une œuvre d’art: technique, esthétique, narrative, émotionnelle…

    Le sujet de cette lithographie est la conduite du futur mari auprès de la fiancée, le jour du mariage. L’heureux élu, entouré de ses deux témoins, ouvre le cortège. Ils portent l’imposant tricorne des protestants. Sur une chemise d’un blanc immaculé, tenue autour du cou par une cravate noire qui en fait le tour, ils portent la longue redingote noire qui descend jusqu’au bas des mollets. Leurs mains sont gantées de blanc. Le futur mari marche au milieu. Il arbore sur son tricorne et sur le revers droit de sa redingote un bouquet de fleurs artificielles – remplacé, en d’autres lieux comme Wissembourg, par une branche de romarin.

    Leur allure digne, grandiose, confère à la scène une solennité qui élève le mariage au niveau d’un événement capital. L’extrême sévérité des visages est dénuée de tout sentiment; ils sont perçus comme des masques et leur ressemblance mimétique renforce l’effet d’appartenance à la même classe, au même clan…

    Suivis de leurs parents et alliés, très exactement rasés sous la rigueur de leur immuable tricorne, ils symbolisent une force qui va!…Ils incarnent le sérieux, la conscience d’un engagement pour la vie.

    La prise de vue en contre-plongée accentue l’impression de domination, avec, à l’appui de cette prééminence, la caution de l’imposante ferme-maison à colombages d’où sortent les invités, par un double escalier monumental, digne d’une maison patricienne.

    Nous sommes très loin de la version de Michel Charvet dont «Les mariés de Seebach» sont l’expression du bonheur, très loin aussi de celle de Charles Spindler dont le marié de Wissembourg est radieux de contentement de soi…

    Il est vrai qu’un mariage, à cette époque, dans la classe des gros propriétaires, est toujours une affaire délicate à négocier. Ecoutons le témoignage d’Anselme Laugel: «Il ne faudrait pas s’imaginer qu’un mariage, alors même qu’il a reçu, en principe, l’approbation tacite des parents, soit pour cela une chose conclue. Oh non! Ce n’est pas aussi simple et il faut du temps pour mettre les parties bien d’accord. La fixation de la dot occasionne un rude travail et l’on se rend difficilement compte des discours, des tractations, voire même des disputes dont cette dot est l’objet. Les pères ne peuvent admettre que leur enfant reçoive moins qu’il n’apporte… Et puis, l’orgueil vient aussi s’en mêler, cet orgueil qui est le propre du paysan alsacien.»

    Laugel cite l’exemple de la fiancée qui déclare que la plume ne marche pas quand il s’agit de signer le fameux contrat de mariage, comme si elle était complice d’une ultime revendication. L’abandon d’une pièce de terre étant alors seul capable de faire remarcher la plume…

    On peut se demander si le choix de cette ambiance austère est motivé seulement par le dessein de l’artiste de témoigner de la stricte observance luthérienne ou s’il s’implique lui-même dans le contexte. Il s’agirait alors d’une réaction au refus «net» qu’il a subi de la part de la famille aisée d’une jeune fille qu’il convoitait et qu’il avait demandée en mariage. Ce serait donc en tant que rival qu’il dépeint le futur marié sous ce jour si sombre: un vainqueur implacable, celui qui met dans la balance richesse, assurance, prospérité, celui qui a l’estime, la reconnaissance de la communauté. Toutes choses que Loux n’était pas en mesure d’apporter.

    Ce tableau serait alors l’expression de l’amertume née de l’antagonisme qui est lui-même à l’origine des hiérarchies de dominance…


                                                                                           
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Henri Loux 63c.jpgMariés de Seebach - L'expression du bonheur
Michel Charvet, Gouache sur papier


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Costume de marié des environs de Wissembourg - Le contentement de soi
Charles Spindler, Aquarelle



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